Manifeste pour une intelligence artificielle comprise et responsable
Jean-Paul Aimetti, Olivier Coppet, Gilbert Saporta, Manifeste pour une intelligence artificielle comprise et responsable, Cent Mille Milliards, 2022, 9 €, 90 p.
Texte intégral
1Ce manifeste cosigné par trois spécialistes des statistiques et de la modélisation rassemble leur expertise sous forme d’aphorismes issus d’expériences complémentaires dans les domaines de l’économie, de la gestion des entreprises et du marketing. Ils dénoncent tout d’abord, les contre-sens qui ont fleuri sous la bannière de l’intelligence artificielle (IA) : de ses prémisses, avec l’apparition des premiers ordinateurs dédiés au traitement des données statistiques et à la gestion des entreprises par le truchement de programmes d’aide à la décision, jusqu’au développement d’algorithmes à base de réseau de neurones. Soulignant les limites du biomimétisme, les auteurs y égratignent quelques fantasmagories, comme la faisabilité d’un cerveau électronique fondé sur des mécanismes neuromorphes, habillées par la presse commerciale d’un nuage d’anglicismes.
2En second lieu, les auteurs fournissent un vade-mecum « pour ne pas dire n’importe quoi » sur les données, les algorithmes d’apprentissage, leurs résultats, et leurs conséquences au sein des entreprises. Non, tout n’est pas prévisible par l’IA : aucune modélisation n’a pu anticiper la pandémie de Covid-19 alors que des virologues avaient alerté sur l’émergence probable de telles zoonoses.. Même si les données massives sont le carburant de l’IA, les techniques d’échantillonnage ont encore de beaux jours devant elles, tant les biais d’apprentissage sont courants et susceptibles de conduire à des conclusions erronées (des chiens sur fond de neige pris pour des loups) ou parfois inattendues (des pandas classés chez les gibbons). Cependant, dans cette course de vitesse aux investissements en IA, deux tendances s’affirment selon les auteurs comme aisément prévisibles : d’une part, l’enrichissement/appauvrissement de certaines tâches par l’IA ; d’autre part, l’accroissement des disparités entre les différentes strates socioprofessionnelles, voire entre les économies avancées et les autres qui restent en mal de développement.
3De l’IA, l’ouvrage fait sienne la conclusion d’Esope : la pire et la meilleure des choses, rejetant ainsi les responsabilités sur ses concepteurs et ses utilisateurs. S’ouvre alors une chasse aux « cookies » indésirables, mais aussi aux travers de nos propres comportements ainsi exploités. Au sein de l’entreprise ou de la société, l’IA ne saurait exclure, ni servir de justificatif à l’incompétence, encore moins de paravent à l’injustice. Selon les auteurs, il demeure possible de lever le voile de l’ignorance sur le fonctionnement des algorithmes d’IA, a minima par une analyse de sensibilité à condition d’avoir spécifié une « couche interprétative ».
4Et si la révolution de l’IA était à venir ? Les auteurs voient un avantage comparatif à investir dans la constitution de bases de données sectorielles : c’est l’enjeu des batailles que se livrent les Gafam et autres BATX (Baidu, Alibaba, Tencent & Xiaomi). La virtualisation du monde et la désocialisation des individus semblent plus à craindre que la multiplication de robots humanoïdes. Un individu « augmenté » par des connexions cérébrales saurait-il mieux résister aux dérives d’un totalitarisme numérique ? Si le numérique transgresse toutes les frontières, jusqu’où faut-il protéger les données individuelles pour éviter l’assujettissement ? L’antidote à la dictature numérique des algorithmes qui nous « gouvernent » ne résiderait-il pas dans l’éducation à l’IA pour mettre fin à l’illettrisme numérique ?
5Voici quelques-unes des questions que cet opuscule ose poser aux curieux qui viendraient s’inspirer de la sagesse authentiquement humaniste distillée par ses aphorismes.
Pour citer cet article
Référence électronique
Dominique Desbois, « Manifeste pour une intelligence artificielle comprise et responsable », Terminal [En ligne], 134-135 | 2022, mis en ligne le 20 novembre 2022, consulté le 19 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terminal/8922 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/terminal.8922
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