Pass sanitaire
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1La pandémie de coronavirus (Covid-19) a fait déferler sur notre quotidien quantité de nouvelles technologies. Les plus notables sont le télétravail, les visioréunions, les achats en ligne, le paiement par carte Bleue sans contact et la plus récente, le pass sanitaire.
Le pass sanitaire centralise les données vaccinales, de test ou de guérison sur le fichier de la sécurité sociale à même de valider un QR-code. Celui-ci peut être soit imprimé soit visualisé sur un smartphone tout comme un ticket de chemin de fer… (merci à la SNCF d’avoir contribué à populariser cette technologie !).
2Nous ne reviendrons pas sur la question de la vaccination ni, surtout, sur la liberté de se faire vacciner ou pas (mon corps m’appartient !) qui divise la population, sauf à rappeler qu’une vaccination même peu efficace tend à réduire la pression hospitalière et à mieux soigner… Même des vaccins avec une efficacité partielle comme celui contre la tuberculose (75 %) permettent de venir à bout d’une maladie infectieuse. Certes, un vaccin est un produit actif qui peut éventuellement produire des effets indésirables comme tout médicament, voire exceptionnellement mortels… Mais, il est bien des pays qui aimeraient disposer de ces vaccins...
3La meilleure façon de lutter contre une épidémie virale serait d’éviter qu’elle se produise – hygiène, prophylaxie, système de prévention efficace – puis, si elle apparaît, de tester massivement pour localiser et mesurer sa progression, de se protéger (masques) et de combattre les premiers symptômes pour éviter que la maladie ne dégénère… Tout cela suppose un système de santé publique efficace et donc une bonne habitude de collaboration entre les acteurs de la santé : hôpital, cliniques, médecine libérale, pharmaciens, laboratoires, grande distribution (pour la distribution de masques, par exemple). Malheureusement, notre système de santé est totalement cloisonné avec un élitisme des services hospitalo-universitaires vis-à-vis du reste des acteurs. Nous ne reviendrons pas sur les différents épisodes très français qui ont coûté de trop nombreuses victimes et que d’autres pays semblent avoir évité grâce à une meilleure collaboration entre les acteurs de la santé.
- i L’État français et l’offre de soins. Concentration géographique, déconcentration administrative ? S (...)
4Cet élitisme a été aussi celui du pouvoir qui a refusé tout dialogue démocratique et n’est intervenu que de façon autoritaire et brutale sans jamais remettre en cause les politiques menées jusqu’alors,notamment l’obsession de diminuer les coûts de la santé et de fermer des lits d’hôpitaux pour tout concentrer sur des super-hôpitaux, au prix d’une désertification médicale de grandes zones du territoirei. Il y a aussi eu une permanente improvisation ponctuée de coups de menton. On peut comprendre que ceci ait exaspéré toute une frange de la population qui a pu se sentir exclue des décisions et prise en considération uniquement quand elle manifeste son mécontentement, éventuellement de façon brutale.
5À partir du moment où des vaccins ont été disponibles et où une politique européenne coordonnée a été enfin mise en place, le gouvernement n’a plus eu qu’une obsession : la couverture vaccinale de la population. Après bien des couacs de démarrage, un système relativement efficace s’est mis en place grâce (enfin) à la mobilisation de tous.
- ii https://www.cnil.fr/fr/covid-19-la-cnil-rend-son-avis-sur-les-conditions-de-mise-en-oeuvre-du-passe (...)
6Parallèlement, pour permettre un retour à la vie normale, l’hypothèse d’un passeport vaccinal a été émise. Cette solution a été vivement critiquée, voire condamnée, par de nombreuses instances, à commencer par l’OMS car de nature à augmenter la fracture entre pays riches (largement vaccinés) et pays pauvres (peu vaccinés). En outre, elle apparaît contraire au Règlement Général sur la Protection des Données, car contenant des données à caractère personnel et d’ordre médical. Cette solution a été (provisoirement ?) définitivement abandonnée en Europe comme aux États-Unis. Voir la Cnilii.
7L’Union européenne, en vue de rétablir la libre circulation au sein de l’espace Schengen, a alors considéré que les personnes vaccinées, testées négatives ou remises du Covid-19, présentaient un risque moindre de répandre le virus et devaient pouvoir être à nouveau autorisées à circuler librement en Europe. C’est dans cet objectif que le pass sanitaire européen a été créé. Il ne s’agit pas d’un passeport vaccinal puisqu’une personne non vaccinée, mais négative au test dans les heures qui précèdent son voyage a le même pass qu’une personne vaccinée ou remise du Covid. La seule indication contenue dans le pass est, au moment de son contrôle, le fait qu’il soit « valide » ou « non valide » ainsi que l’identité de la personne qui le présente (nom, prénom, date de naissance).
8Comme on avait constaté que l’épidémie s’était principalement transmise à partir de grands rassemblements de personnes, l’idée a été d’utiliser le pass sanitaire pour autoriser à nouveau de tels rassemblements (de plus de 1 000 personnes).
- iii Pour mémoire : le pass sanitaire a été institué en juin 2021, puis étendu en août 2021.
9Devant le démarrage d’une troisième vague et la baisse de l’engouement pour la vaccination, le pass sanitaire a été étendu à de nombreuses activités essentielles à la vie sociale, ce qui a causé une grande incompréhension, voire de la colère. Après le cafouillage sur les masques prétendument inutiles puis imposés, celui sur les tests qui ne pouvaient être réalisés que par les hôpitaux (alors que les laboratoires biologiques, voire vétérinaires, étaient eux aussi parfaitement compétents) et finalement rendus eux aussi obligatoires, gratuits et accessibles dans toutes les pharmacies, voici maintenant que le pass sanitaire, d’abord réservé aux voyages en avion et aux grands rassemblements de plus de 1 000 personnes, devient le sésame obligatoire pour un grand nombre d’activités générant de multiples situations incohérentes, notamment pour les plus jeunesiii.
- iv https://www.alternatives-economiques.fr/faut-defendre-pass-sanitaire/00100320 et https://www.laquad (...)
10Deux problèmes de fond motivent la grogne et l’opposition d’une partie de la population contre le pass sanitaire. D’abord, le gouvernement n’a pas parlé à l’intelligence ni cherché à engager le dialogue, il a procédé par injonctions successives, sans qu’il y ait de débat démocratique sur les politiques à mener. Les débats au Parlement ont été des mascarades car la ligne proposée était peu claire. Par ailleurs, notre système de santé n’a pas été capable de produire un discours crédible sur la gestion de la crise et de créer la confiance. Il y a eu un incessant va-et-vient entre le discours politique et le discours « scientifique », chacun se renvoyant la balle. Dans la population se sont alors développés le sentiment d’être méprisé et l’idée que d’autres intérêts étaient en jeu au lieu de sa sécurité sanitaireiv...
- v https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/23/dominique-meda-les-plus-forts-taux-de-surmortalite- (...)
11Enfin, les inégalités sociales et territoriales de santé restent très importantes concernant l’accès aux soins, les maladies chroniques, l’espérance de vie en bonne santé… Les personnes les plus exposées à l’épidémiev sont celles qui vivent le plus dans la promiscuité, qui demeurent le plus au contact des gens et qui habitent dans les endroits où l’on trouve le moins d’offres de soins...
12À cela s’ajoute une politique gouvernementale qui n’a pas pour objectif de compenser cet état de fait, mais qui renvoie à l’individu la responsabilité de son comportement pour se faire vacciner ou obtenir un pass sanitaire. Attribuer à l’individu la responsabilité pleine et entière de son comportement sans apporter de soutien par une réelle politique de compensation des inégalités de santé est voué à l’échec. Résultat : les moins vaccinés résident dans les zones où le Covid-19 circule le plus.
13Depuis les annonces d’Emmanuel Macron le 12 juillet dernier, il n’y a plus de place pour la nuance, ni pour des discussions argumentées. Tout cela fait la part belle au complotisme antivax. Le gouvernement a d’abord dit qu’il était contre, lui aussi, avant de revenir sur cette décision au motif que les connaissances sur les vaccins avaient évolué, et que « le reste » ne marchait pas. Si les conditions de la démocratie sanitaire étaient réunies, l’aspect coercitif du pass n’apparaîtrait pas si odieux et il y aurait une adhésion au principe.
14Ce n’est pas le pass en soi qui pose problème car il peut rendre de bons services, mais son application en France. Désormais, le message est « circulez, y a rien à voir, mais ayez votre pass ». Le pass est inscrit dans une double dynamique infantilisante, de récompense/félicitation très moralisatrice, « vous avez le droit d’aller au restaurant », « vous êtes vacciné, vous êtes un bon citoyen », et de répression, « vous n’avez pas le pass, vous n’avez pas le droit de faire ceci ou cela, vous mettez les autres en danger ». Le gouvernement reste dans l’injonction, pas dans le dialogue démocratique.
- vi Dans le dernier numéro de Sciences et Avenir. Jean-Gabriel est par ailleurs membre éminent de notre (...)
15Il y a une question importante régulièrement soulevée par les anti-pass : « Est-ce que le pass sanitaire est une mesure discriminatoire ? » Sur cette question, on peut noter la réponse formulée par Jean-Gabriel Ganasciavi. En substance, il dit qu’une mesure peut être considérée comme discriminatoire dès lors qu’elle exclut certains individus en raison de caractéristiques physiques, de genre, d’orientation sexuelle, de religion... Or, en ce qui concerne le pass sanitaire, le fait de ne pas être vacciné est le résultat d’un choix quelle qu’en soit la motivation et ce, d’autant plus qu’il est possible d’avoir recours à un test pour pallier provisoirement la non-vaccination.
Toutefois, les dernières annonces, avec la suppression du remboursement des tests, transformant quasiment en pass vaccinal (à quelques exception près : remis du Covid ou dispensés médicaux), la quasi obligation du troisième rappel, la prolongation annoncée de l’état d’urgence sanitaire, mais dans le même temps avec l’annonce que le pass sanitaire ne sera pas demandé dans les meetings électoraux… ne vont pas aller dans le sens de l’apaisement des tensions.
16Alors quel bilan ? Le télétravail, serpent de mer depuis des années, semble en passe de prendre une place de plus en plus grande induisant une répercussion sur les prix de l’immobilier dans beaucoup d’endroits. Les visioréunions ont renouvelé certains espaces de vie démocratique : nombre d’associations ou d’institutions ont fait le choix de mixer les réunions en « présentiel » et en « distanciel », permettant à la fois des économies de transport (et donc une réduction de l’empreinte carbone) et la possibilité pour bien des adhérents éloignés de participer enfin à des réunions dont ils étaient exclus par manque de temps ou de moyens. Les achats en ligne ont bondi, ce qui n’est pas une bonne nouvelle. Quant au pass sanitaire, il aurait pu être un outil pour faciliter un retour gradué à la vie normale, s’il avait été institué par des décisions locales et démocratiques. Il est malheureusement devenu un objet politique qui divise la société.
Note de fin
i L’État français et l’offre de soins. Concentration géographique, déconcentration administrative ? Sophie Baudet-Michel, Octavian Groza, Alessia Salaris (HAL archives ouvertes)
ii https://www.cnil.fr/fr/covid-19-la-cnil-rend-son-avis-sur-les-conditions-de-mise-en-oeuvre-du-passe-sanitaire
iii Pour mémoire : le pass sanitaire a été institué en juin 2021, puis étendu en août 2021.
iv https://www.alternatives-economiques.fr/faut-defendre-pass-sanitaire/00100320 et https://www.laquadrature.net/2021/08/19/passe-sanitaire-quelle-surveillance-redouter/
v https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/23/dominique-meda-les-plus-forts-taux-de-surmortalite-concernent-les-travailleurs-essentiels_6040511_3232.html
vi Dans le dernier numéro de Sciences et Avenir. Jean-Gabriel est par ailleurs membre éminent de notre conseil scientifique.
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Référence électronique
Bernard Prince, « Pass sanitaire », Terminal [En ligne], 131 | 2021, mis en ligne le 15 novembre 2021, consulté le 16 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terminal/8092 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/terminal.8092
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