Red Mirror
Red Mirror – L’avenir s’écrit en Chine
Simone Pieranni
C&F Éditions, 2020, 14 000 Caen
Texte intégral
1Le sous-titre de cet ouvrage est sans équivoque « L’avenir s’écrit en Chine ». C’est ce que croit l’auteur qui a vécu en Chine de 2006 à 2014. Actuellement journaliste au quotidien italien Il Manifesto, Simone Pieranni continue de suivre ce qui se passe à Pékin. Pour lui, la Chine est en passe de devenir le leader mondial dans les domaines aussi cruciaux que ceux de la technologie, du développement scientifique. et de l’éducation.
2Le premier chapitre donne le ton « la nouvelle Silicon Valley est chinoise ». Et l’auteur nous explique que l’on ne peut plus survivre dans une ville chinoise sans smartphone et sans l’application WeChat qui comme Facebook vous permet d’échanger des messages audio, des photos , des vidéos, organiser des vidéoconférences, donne accès à des services de géolocalisation mais surtout de payer directement vos achats chez les commerçants avec votre téléphone. On retrouve regroupées dans WeChat toutes les applis accessibles sur un smartphone . Même si, comme l’accusent certains, ces services sont en partie des copies de ce qui existe déjà ailleurs, WeChat est à l’échelle de la Chine et possède un milliard de comptes en 2018. On comprend alors pourquoi Mark Zuckerberg se penche sur le succès de cette application chinoise.
- 1 « L’analyse et l’évaluation du comportement des citoyens sur la base des données collectées par les (...)
3Il n’y a pas que dans les applis pour smartphone où les entreprises chinoises ont quelques longueurs d’avance. Que recouvre la notion de « villes intelligentes » ? On en débat en Europe, aux États-Unis. Elle est souvent associée aux possibilit?s offertes par les nouvelles technologies de communication pour améliorer la vie des habitants et assurer leur sécurité. En Chine c’est l’État qui impulse ces projets. Et ils en sont au stade de l’expérimentation à grande échelle. Car comme le remarque S. Pieranni « toutes les technologies, qui feront fonctonner les villes intelligentes, même en Europe et aux États-Unis, existent déjà en Chine où elles sont déjà testées et déjà compétitives sur les marches mondiaux » Et comme les aspects sécuritaires tendent hélas aujourd’hui à recouvrir tous les autres, la aussi la Chine sait innover. Elle a su développer les techniques de réseaux de neurones issues des recherches en Intelligence Artificielle et créer des algorithmes de reconnaissance faciale largement expérimentés au Xinjiang pour surveiller les minorités ouïghoures, puis utilisés plus largement dans les villes chinoises pour instituer des systèmes de crédit social1. Le nombre de points attribués à chaque citoyen peut évoluer en fonction des données collectées par les moyens technologiques de surveillance ou des actions « positives » ou reconnues comme telles, par la société ou le gouvernement. Un « mauvais » score social peut avoir des conséquences néfastes pour l’intéressé comme l’interdiction de voyager en train à grande vitesse ou en avion. Pour l’instant, ce genre d’applications reste en contradiction avec l’idéologie libérale des sociétés occidentales et est largement refusée par la société. Mais l’utilisation des moyens technologiques d’origine chinoise (vidéoprotection, reconnaissance faciale, traitement statistiques des clients ou ) est hélas dans l’air du temps.
- 2 https://www.laurentbloch.net/MySpip3/La-filiere-informatique
- 3 Taïwan Semiconductor Manufacturing Company
- 4 Entreprise fondée en 1987 dans le secteur des technologies de l’information et de communication
- 5 Zhongxing Telecommunication Equipment Company Limited. Équipementier en télécoms
4La Chine va-t-elle dominer l’industrie informatique mondiale ? Cela n’est pas assuré. Il ne suffit pas d’y investir des capitaux car il est difficile de créer ex-nihilo une industrie comme celle de l’informatique et de la micro-électronique. Dans sa synthèse sur la filière informatique2, Laurent Bloch détaille les différentes étapes par lesquelles passe la création d’une nouvelle machine (ordinateur, tablette ou smartphone). De l’analyse des coûts fixes, il ressort deux rubriques importantes : la définition et la fabrique des microprocesseurs avec une architecture de plus en plus complexe d’une part et l’écriture des systèmes d’exploitation qui fournit l’interface de communication avec les processeurs d’autre part. La fabrication de microprocesseurs nécessite les investissements les plus lourds, plusieurs dizaines de milliards d’euros pour une usine à la pointe de la technique. Dans ce domaine, c’est le fabricant TSMC3 de Taïwan qui fabrique aujourd’hui les puces les plus performantes pour équiper nos machines. Ce sont également ses microprocesseurs qui équipent les ordinateurs les plus puissants de la planète. Même Intel a pris du retard dans la conception de celles-ci. Pour l’instant, les USA demandent à leurs alliés de ne plus fournir de matériels informatiques aux entreprises chinoises. Des firmes comme Huawei4 ou ZTE5 auront de plus en plus de difficultés pour obtenir les processeurs au niveau de l’art. sans parler de la perte de clientèle en Occident dans des domaines fondamentaux comme la 5G
5Le problème sera le même dans celui des systèmes d’exploitation : Windows et Androïd risquent d’être bannis des smartphones et des micro-ordinateurs fabriqués en Chine si la guerre économique Chine-USA prend de l’ampleur. Comme le développement d’un tel système logiciel demande une dizaine d’années à des milliers d’ingénieurs à moins de partir d’un système préexistant, les entreprises chinoises seront vite surclassées par leurs homologues occidentaux.
6Selon S. Pieranni, les clefs du succès pour la Chine sont la créativité et la recherche. Effectivement, l’État investit beaucoup dans des domaines jugés stratégiques comme le spatial ou l’informatique quantique. Pour l’instant, les résultats, sauf dans le spatial ne semblent pas à la hauteur des investissements. Les succès dans les communications cryptées par un système quantique comme celles réalisées récemment par des équipes chinoises, ne sont en rien comparables avec les travaux fondamentaux dans l'expérimentation de processeurs quantiques et dans le développement d’algorithme appropriés dans les laboratoires européens et américains. Et puis la recherche chinoise souffre du contrôle bureaucratique qui empêche la libre collaboration avec des équipes étrangères. La réaction à l’épidémie de Covid 19 en est un exemple.
7Que conclure ? Sinon que les affirmations de S. Pieranni selon lesquelles le capitalisme étatique chinois fondé sur un contrôle social totalitaire grâce aux technologies électroniques se généralisera à l’ensemble de la planète reste à prouver. La « Route de la soie » n’est pas un long fleuve tranquille. A signaler que cet ouvrage est illustré par un dossier photo de Gilles Sabrié orienté sur la vie quotidienne en Chine à l’heure du numérique.
Note de fin
1 « L’analyse et l’évaluation du comportement des citoyens sur la base des données collectées par les différents outils technologiques déterminent les différents degrés de fiabilité de chaque personne »
2 https://www.laurentbloch.net/MySpip3/La-filiere-informatique
3 Taïwan Semiconductor Manufacturing Company
4 Entreprise fondée en 1987 dans le secteur des technologies de l’information et de communication
5 Zhongxing Telecommunication Equipment Company Limited. Équipementier en télécoms
Haut de pagePour citer cet article
Référence électronique
Jacques Vétois, « Red Mirror », Terminal [En ligne], 130 | 2021, mis en ligne le 20 juin 2021, consulté le 24 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terminal/7789 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/terminal.7789
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