TIC et handicap : le point de vue de l’ARCEP
Texte intégral
Propos recueillis par Philippe Balin.
Quelle est la politique de l’ARCEP en matière d’accessibilité des services de communications électroniques pour les personnes en situation de handicap ?
La politique de l’ARCEP en matière d’accessibilité est définie par le code des postes et des communications électroniques (CPCE). C’est en effet ce texte qui détermine les objectifs de l’Autorité, parmi lesquels l’accessibilité pour les personnes en situation de handicap est identifiée.
Dans le domaine numérique, la mission de l’ARCEP se concentre sur les services de communications électroniques. L’Autorité a ainsi pour mission de s’assurer que les opérateurs de communications électroniques fournissent « un accès des utilisateurs finals handicapés à des services de communications électroniques [(téléphone fixe, téléphone mobile, accès à l’internet…)] à un tarif abordable et aux services d’urgence, équivalent à celui dont bénéficie la majorité des utilisateurs finals » (article L. 33-1 du CPCE).
Cet objectif général est également détaillé dans plusieurs articles du CPCE et notamment :
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l’article D. 98-13, qui précise cette obligation générale en imposant aux opérateurs de rendre accessibles leurs services par tout moyen adapté, de mettre à disposition des utilisateurs finals handicapés les contrats, les factures et la documentation relative aux produits et services visés, de mettre en place « une signalétique destinée à [leurs] clients indiquant les terminaux et services les mieux adaptés à chaque catégorie de handicap », de mettre des terminaux adaptés à disposition des utilisateurs finals handicapés (pour les offres qui prévoient la fourniture d’un équipement terminal), et de tenir compte « des besoins spécifiques des personnes handicapées dans la conception des équipements associés à [leurs] offres d’accès à internet fixe » :
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l’article D. 98-8, qui rappelle que l’équivalence d’accès doit aussi être assurée en ce qui concerne les services d’urgence ;
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l’article L.35, qui concerne le service universel, pour lequel est prévue une obligation d’assurer l’accessibilité des personnes en situation de handicap.
Le CPCE confie ainsi à l’Autorité un rôle de garant de l’accessibilité puisque l’article D.98-13 impose à chaque opérateur de lui transmettre un rapport annuel concernant « l’avancement des actions qu’il a engagées pour l’adaptation et l’amélioration de l’accessibilité de ses offres de communications électroniques aux personnes handicapées en matière de terminaux et de services, et ce pour les différentes catégories de handicaps ».
Dès à le vote de ces dispositions législatives, l’ARCEP a souhaité développer sa connaissance du sujet afin d’être à même de bien les mettre en œuvre. Ainsi, l’Autorité a commandé un audit en 2011 afin d’évaluer le niveau d’accessibilité offert par les cinq principaux opérateurs de communications électroniques français. L’accessibilité y a été examinée pour les principaux types de handicap (visuel, auditif, moteur et cognitif) et pour les principales composantes des services de communications électroniques.
Depuis, l’ARCEP a participé à l’ensemble des travaux menés sur ce sujet, notamment par la puissance publique, en particulier concernant le lancement de centres d’appels pour les personnes en situation de handicap auditif :
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en 2010, en partenariat avec l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (AGEFIPH) et le fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP), elle a fait réaliser une évaluation des besoins des personnes sourdes ou malentendantes en matière d’accessibilité des services téléphoniques ;
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depuis 2011, l’Autorité s’est associée aux travaux relatifs au centre relais pour les appels d’urgence pour les personnes sourdes ou malentendantes, prolongement du projet européen Reach 112, qui permet à ces personnes de contacter les services des numéros 15, 17, et 18 par SMS ou par fax.
Depuis 2011 également, l’ARCEP accompagne les travaux concernant l’expérimentation - menée et financée par le ministère chargé des personnes handicapées – et le lancement d’un centre relais d’appels généralistes pour personnes sourdes et malentendantes ; il s’agit de transcrire, par tout mode de communication approprié, les appels non professionnels et ne relevant pas de services d’urgence entre personnes souffrant d’un handicap auditif et personnes n’étant pas atteintes de ce type de handicap.
L’ARCEP est également cosignataire, avec le comité interministériel du handicap (CIH), de la charte d’engagement volontaire de la fédération française des télécoms (FFT) en faveur de l’accessibilité des services de communications électroniques aux personnes handicapées.
Quelles sont les principaux défis à relever pour améliorer l’accessibilité des services de communications électroniques ?
Un premier défi, qui est essentiel, est d’assurer l’accessibilité globale des offres. Ainsi, plusieurs dimensions des offres des opérateurs nécessitent une adaptation : les offres d’abonnement, les services clients et les services commerciaux (en ligne, à distance ou en boutique), la documentation (guides d’achat, factures, manuels d’utilisation…), les terminaux (bien qu’ils soient rarement fabriqués par les opérateurs). Cette adaptation est nécessaire pour tenir compte de l’ensemble des handicaps, en répondant non seulement aux besoins communs mais aussi aux besoins spécifiques des personnes atteintes de handicap auditif, visuel, moteur, intellectuel ou de la parole.
La dimension multiple des offres requiert ainsi une attention des opérateurs et du régulateur sur plusieurs pans, pour lesquels une politique globale d’accessibilité doit être adoptée dès la construction des offres, y compris en encourageant les partenaires des opérateurs, tels que les équipementiers ou les éditeurs de contenus, à accompagner cette démarche. Ainsi, certains des travaux menés au sein de la charte d’engagement volontaire de la fédération française des télécoms le sont en lien avec le CSA, mais aussi avec le Mobile Manufacturers Forum qui représente les constructeurs de terminaux mobiles et élabore une base de donnée détaillant les caractéristiques des terminaux relatives à l’accessibilité (base GARI).
Un deuxième défi est d’assurer une bonne coopération entre les opérateurs de communications électroniques et les utilisateurs finals handicapés, souvent représentés par des associations. Cette coopération est essentielle à deux niveaux. Tout d’abord, elle permet de concilier, en amont de la construction des offres, les besoins des utilisateurs finals en situation de handicap en termes d’usages et les multiples contraintes techniques auxquelles sont confrontés les opérateurs. Ensuite, elle permettrait, en s’appuyant sur un suivi régulier, d’éliminer progressivement les points bloquants que pourraient rencontrer les utilisateurs finals en situation de handicap dans leur usage quotidien des offres.
Enfin, un dernier défi est d’entrainer l’ensemble du secteur dans la réalisation d’un même objectif. Chacun est bien sûr conscient de l’enjeu de l’accessibilité mais la taille et les contraintes techniques spécifiques diffèrent d’un acteur à l’autre.
Pour les biens et services qui concernent le régulateur, quel contrôle et quel suivi de la qualité de l’accessibilité sont mis en place ?
L’évaluation du niveau d’accessibilité du secteur est un exercice complexe dans la mesure où les pratiques des opérateurs ne peuvent pas être traduites directement en données statistiques. Si certains éléments peuvent être mesurés facilement, comme par exemple le nombre de boutiques rendues accessibles aux personnes souffrant d’un handicap moteur, d’autres sont moins facilement appréhendables. On ne peut réellement mesurer le taux d’accessibilité d’un terminal ou d’un site internet, dans la mesure où, même si une grande majorité des critères du référentiel WCAG 2.0 sont remplis pour les personnes souffrant d’un handicap visuel, les critères non-remplis peuvent constituer un point bloquant déterminant (par exemple, un bouton « envoyer le mail » qui ne serait pas reconnu par un assistant de lecture empêche tout l’usage d’une page internet).
Néanmoins, l’ARCEP s’emploie à assurer un suivi de l’engagement du secteur pour l’accessibilité. Le premier outil de ce suivi est le bilan annuel que la FFT compile chaque année dans le cadre de la charte d’engagement volontaire qu’elle a signée avec le CIH et l’ARCEP. Cet outil permet de suivre les évolutions des opérateurs concernés sur la base d’indicateurs pérennes définis conjointement par la FFT, le CIH, l’ARCEP et les associations représentatives de personnes en situation de handicap. Ce rapport est publié tous les ans par la FFT sur son site internet et consultable par tous.
De plus, depuis 2012, les opérateurs doivent remettre chaque année un rapport à l’ARCEP précisant leurs actions en faveur de l’accessibilité de leurs services aux personnes handicapées. Afin de faire bénéficier le secteur des avancées qui avaient déjà eu lieu, l’ARCEP a proposé aux principaux opérateurs de reprendre les indicateurs qui avaient été définis préalablement avec les associations représentatives de personnes handicapées. A partir de cette année, ces rapports donneront lieu à une synthèse de l’ARCEP qui sera présentée au Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH). Ils serviront à l’Autorité pour identifier les domaines qui nécessiteraient un engagement plus important de la part des opérateurs et dégager ainsi des pistes d’amélioration.
Quelles actions envisagez-vous pour améliorer le niveau de l’accessibilité ?
Des progrès demeurent à accomplir. Plusieurs évolutions doivent être menées en parallèle.
Il s’agit d’abord de continuer à développer les actions menées par les opérateurs en pointe, notamment ceux qui participent au bilan de la FFT. Parmi ces actions, il conviendra notamment de travailler à améliorer encore la coordination entre opérateurs et associations afin de pouvoir assurer une meilleure remontée des difficultés rencontrées par les utilisateurs finals en situation de handicap.
Il s’agit ensuite de généraliser un niveau d’accessibilité suffisant et de bonnes pratiques chez une majorité d‘opérateurs. Pour ce faire, un nombre plus important d’opérateurs membres de la FFT devrait participer au bilan annuel mentionné plus haut, de façon à mieux identifier les actions à mener et celles qui doivent être améliorées. Dans le même esprit, les opérateurs non membres de la FFT pourraient être associés aux travaux. Les opérateurs prendraient ainsi des engagements prioritaires pour chaque année à venir.
L’Autorité sera un facilitateur de ces évolutions. Elle constituera un lien entre les associations et les opérateurs, pour tenir compte à la fois des besoins exprimés par les associations représentatives et des contraintes des opérateurs de communications électroniques. De plus, au travers du bilan annuel qui sera présenté au CNPCH, elle pourra soutenir les bonnes pratiques pour encourager les initiatives.
Pour citer cet article
Référence électronique
Jean-Ludovic Silicani, « TIC et handicap : le point de vue de l’ARCEP », Terminal [En ligne], 116 | 2015, mis en ligne le 25 décembre 2014, consulté le 09 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terminal/723 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/terminal.723
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