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TIC & Handicap
TIC & Apprentissage

L’usage de l’informatique par les élèves dyslexiques : un outil de compensation à l’épreuve de l’inclusion scolaire

Vanessa Bacquelé

Résumés

La possibilité offerte aux enfants dyslexiques de contourner ou surmonter leurs difficultés en langage écrit grâce à l’utilisation d’outils informatiques suscite depuis quelques années beaucoup d’espoir, mais aussi bon nombre d’interrogations. La mise en place de cette aide dans le cadre des classes ordinaires comme son usage au quotidien rencontre de multiples obstacles et plusieurs types de contraintes qui peuvent mettre en péril le projet de l’enfant, s’ils ne sont pas pris en compte. Nous allons essayer de comprendre comment le recours à l’informatique par les élèves dyslexiques, dans le cadre d’une scolarisation dans le second degré et dans la perspective d’une compensation des troubles du langage écrit, est étroitement dépendant d’une réflexion d’ordre technologique qui ne peut faire l’impasse de la singularité de l’utilisateur du matériel ni de son contexte d’utilisation.

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Texte intégral

Introduction

1Depuis la loi de 2005 sur l’égalité des chances, la France s’est engagée, à l’instar des préconisations de l’Unesco (2006), dans la voie de l’éducation inclusive. Le nombre des élèves en situation de handicap dans les classes dites « ordinaires » s’est donc considérablement accru passant selon le rapport Blanc (2011) de 151 523 élèves (1er et 2nd degré confondus) en 2005 à 225 563 en 2012 (Dgesco, 2012). Pour soutenir ces élèves dans leur scolarisation et leur permettre d’accéder aux apprentissages, divers moyens de compensation ont fait leur apparition dans les classes, y compris le matériel pédagogique adapté. En 2013, environ 20 % des élèves en situation de handicap ont pu bénéficier de ce type de matériel qui se décline de manière extrêmement variée en fonction des déficiences de l’enfant et des besoins ressentis dans sa scolarisation.

2Si les enfants présentant des déficiences motrices et sensorielles demeurent les principaux bénéficiaires de matériel spécifique, les élèves dyslexiques représentent, quant à eux, 30 % des jeunes à qui on attribue des outils informatiques. Ainsi, nous allons tout d’abord nous intéresser au matériel et aux logiciels informatiques préconisés pour l’aide à la scolarisation des élèves dyslexiques et aux raisons pour lesquelles ils le sont. Dans un deuxième temps, au travers d’une recherche menée à l’échelle d’un département français, nous analyserons les obstacles à un usage effectif de ce matériel dans le cadre d’une scolarisation en collège et en lycée. Enfin, à la lueur des deux précédentes analyses, nous évoquerons quelques pistes de réflexion pour une meilleure adaptation des outils informatiques au contexte de scolarisation et à leurs utilisateurs, cela pour permettre aux enfants dyslexiques de profiter pleinement de l’apport de l’informatique pour compenser leurs troubles du langage écrit.

Présentation du cas des élèves dyslexiques

Les troubles du langage écrit

3Depuis plusieurs années, diverses définitions de la dyslexie développementale se sont succédé, évoluant au fur et à mesure des nouvelles données fournies par la recherche. Toutefois, une définition semble faire actuellement consensus et décrit la dyslexie comme une « difficulté persistante de l’identification des mots occasionnée par un déficit des composantes phonologiques du langage » (Saint-Pierre, Dalpé, Lefebvre et Giroux, 2010). Selon, le rapport collectif de l’Inserm (2007), la dyslexie développementale affecterait entre 3 et 5 % des enfants vers l’âge de 10 ans. Même si les symptômes et les origines des troubles sont multiples, les troubles dyslexiques se manifestent principalement par des difficultés à lire et à écrire en lien avec des déficits au niveau du traitement phonologique, visuel, orthographique et sémantique lors de l’identification des mots.

4En lecture, on retrouve des erreurs de déchiffrage de plusieurs types, un manque de fluidité et un coût cognitif et attentionnel tel qu’il peut nuire à la compréhension des textes lus. En écriture, l’encodage des mots au niveau orthographique pose de réelles difficultés et peut s’associer à une altération des constructions syntaxiques et donc nuire à l’organisation de la pensée et à l’expression écrite des connaissances. Chez certains élèves, ces difficultés peuvent aussi dégrader le graphisme et compromettre la lisibilité de l’écrit produit. En effet, les hésitations, les essais multiples et les corrections orthographiques apportées au texte écrit se traduisent par de nombreuses ratures, voire à un graphisme qui se détériore au fur et à mesure de l’effort fourni.

5Ainsi, le développement des compétences en lecture et en écriture chez les jeunes dyslexiques ne se déroule pas de manière régulière et limpide et la maîtrise du langage écrit sous ses deux formes, paraît pour les enfants présentant des dyslexies et des dysorthographies une véritable gageure. Aussi, pour leur permettre d’accéder à cet apprentissage, d’améliorer leurs compétences et de poursuivre leur scolarité sans trop d’encombres, l’outil informatique est apparu comme un dispositif de compensation des troubles, susceptible de soutenir les élèves dans leur parcours scolaire.

Les outils de compensation du langage écrit

6Dans le cadre de la loi de 2005, il est institué qu’un élève en situation de handicap a droit à un projet personnalisé de scolarisation (PPS), projet qui définit les modalités de déroulement de la scolarisation de l’enfant, les actions et les aides dont il peut bénéficier. Le matériel pédagogique adapté fait partie de ces aides. Il est notifié par la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) et financé par la Direction des services départementaux de l’Éducation nationale (DSDEN). Depuis plusieurs années maintenant, les DSDEN en collaboration avec les MDPH attribuent aux élèves dyslexiques un matériel informatique élémentaire, c’est-à-dire un ordinateur portable, auquel s’ajoutent différents logiciels selon les besoins de l’enfant.

Les outils de compensation des troubles de la lecture

  • 1 Reconnaissance optique des caractères, en anglais ‘OCR’ : optical character recognition

7Pour pallier les difficultés de lecture, le recours à la synthèse vocale est la pratique dominante. En effet, quand la lecture est malaisée voire impossible, la voix de synthèse prend le relais de l’enfant et lui permet d’accéder au contenu du texte, c’est-à-dire d’écouter le texte plutôt que de le lire. Le texte est donc rendu accessible à l’enfant puisqu’il peut aborder son contenu sans être freiné, voire empêché, par une lecture non automatisée. Pour profiter de cette aide, une première possibilité est l’accès direct aux œuvres disponibles sous format audio dans le commerce ou sur de multiples sites en ligne. Dans ce cas précis, il n’y a aucune manipulation informatique particulière, si ce n’est celle de télécharger l’œuvre à étudier. La deuxième possibilité est de recourir à un logiciel spécifique proposant une synthèse vocale affublée de plusieurs options. En effet, les différents logiciels existants proposent diverses fonctionnalités comme les paramétrages de la voix (vitesse, langues étrangères, etc.), la possibilité de suivre le texte lu par déplacement automatique de curseur, le surlignement des mots au fur et à mesure qu’ils sont lus, la fonction épellation, ou encore la fonction enregistrement. L’ensemble de ces spécificités permet ainsi de personnaliser dans une certaine mesure la synthèse vocale aux besoins de l’enfant. Néanmoins, l’utilisation de cette synthèse n’est possible que si le texte que l’on souhaite étudier a été préalablement numérisé et enregistré dans un format supporté par le logiciel. Pour ce faire, plusieurs outils sont à la disposition des élèves et des enseignants pour scanner le texte. En effet, ceci peut s’accomplir par le truchement d’une imprimante scanner, d’une souris ou d’une réglette scanner. Tous ces outils sont pour la plupart dotés d’une reconnaissance optique de caractères afin de permettre à la synthèse vocale de saisir et de reconnaître le texte, et d’en rendre une transcription audio. Si cela n’est pas le cas, il est alors nécessaire de munir l’ordinateur d’un logiciel supplémentaire faisant fonction d’OCR1 et se chargeant de la transcription citée précédemment.

8Quel que soit l’outil utilisé, c’est la fonction de suppléance qui permet de rendre le contenu des textes écrits accessibles aux élèves présentant des troubles de lecture ; l’acte de lire (sous l’aspect technique) est, dans ce cas, abandonné au profit de la mise en œuvre et du développement des compétences de compréhension en lien avec le texte.

Les outils pour compenser les troubles de l’écriture

9Pour pallier les difficultés d’écriture, les solutions informatiques sont multiples et peuvent se décliner selon leur degré de suppléance. Lorsque les élèves sont capables d’élaborer des textes au niveau du contenu ou autrement dit, du fond, mais que le passage à l’écrit (la forme), est rendu laborieux, voire extrêmement coûteux à cause de l’orthographe, des logiciels sont utilisés pour occuper une fonction dite « augmentative » selon Sagot (2008), c’est-à-dire qu’ils « facilitent et optimisent des capacités que déploient déjà les enfants mais de façon amoindrie ». C’est ainsi que des correcteurs orthographiques sont souvent octroyés aux élèves dyslexiques pour leur permettre d’améliorer leurs productions écrites et les rendre plus lisibles par autrui. De même, des dictionnaires virtuels, des tableaux de conjugaison et autres types de répertoires peuvent constituer des outils d’aide intégrés à l’environnement numérique de travail de l’élève. Un autre moyen utilisé pour soulager l’élève de la pression orthographique est le recours aux logiciels de prédiction lexicale qui proposent, au cours de l’utilisation du traitement de textes, un choix de mots en fonction des lettres tapées sur le clavier. Dans ce cas précis, l’élève n’a plus qu’à choisir l’item correspondant à ce qu’il veut écrire sans composer seul l’intégralité des mots. L’ensemble de ces outils est susceptible d’améliorer la correction orthographique des textes tapés, et d’éviter à l’élève de cristalliser tout son temps et son énergie sur des compétences dites de « bas niveau », aux dépens de l’expression de ses connaissances et de la démonstration de son raisonnement.

10Lorsque les difficultés d’écriture sont telles que l’élève est dans l’impossibilité d’exprimer ses idées à l’écrit, un autre logiciel est attribué et revêt une fonction « prothétique », dans le sens où il supplée directement la fonction déficitaire chez l’enfant. Il s’agit de l’utilisation de la reconnaissance vocale qui permet à l’élève de dicter son texte plutôt que de l’écrire. Dans ce cas précis, l’élève n’est plus en prise direct avec l’écrit puisqu’il élabore un discours oral que le logiciel se chargera de transcrire à l’écrit. L’élève se concentre ainsi sur ses idées, leur agencement, leur cohérence, sans être freiné par la trace écrite et l’ensemble de ses règles orthographiques. Par ailleurs, les logiciels d’aide à l’écriture cités précédemment peuvent se coupler à la synthèse vocale pour simplifier le travail de relecture des élèves. En effet, le retour vocal du texte écrit peut faciliter le repérage d’erreurs syntaxiques et lexicales et soutenir par conséquent l’autocorrection.

11Cet aperçu des différents outils et logiciels principalement utilisés par les élèves dyslexiques pour contourner leurs difficultés en langage écrit nous permet d’illustrer l’éventail des possibilités de compensation offertes par les outils numériques. Nous n’avons volontairement pas abordé ici les nouvelles opportunités qu’ouvrent les tablettes numériques, car elles sont encore peu attribuées par les DSDEN comme moyens de compensation des dyslexies. Toutefois, au-delà des perspectives décrites, il semble indispensable de remettre ces outils dans leur contexte d’usage et donc de confronter leurs potentialités aux spécificités et contraintes des personnes et du milieu dans lesquels ils sont exploités.

Les outils informatiques à l’épreuve du terrain scolaire

12L’élaboration de la Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF) en 2001 par l’OMS, a eu pour objectif non seulement d’établir un langage commun pour favoriser les échanges à l’échelle du monde entier, mais aussi de considérer le handicap non pas comme une caractéristique inhérente à la personne, mais comme le résultat d’une relation complexe entre un problème de santé et des facteurs environnementaux. C’est la raison pour laquelle la réflexion sur l’usage des outils informatiques par les élèves en situation de handicap ne peut faire l’impasse du contexte dans lequel les enfants évoluent et comment cet environnement se pose comme facilitateur ou obstacle à l’accessibilité aux apprentissages via l’informatique. Comme l’explique Yves Jeanneret (2000), « la voie la plus féconde pour une utilisation innovante et libératrice de ces outils de pensée et de communication est du côté de leur examen attentif, loin de tout mythe, à la recherche d’un calcul des gains et des pertes, qui ne peuvent se jauger qu’avec ceux qui les utilisent. »

Usage effectif et profils d’utilisateurs

13Fort des promesses de compensation que semble servir la variété des outils informatiques proposés, nous avons souhaité savoir comment se concrétisait l’attribution de ce matériel dans la scolarisation des élèves. Ainsi, sur 52 élèves dyslexiques scolarisés en collège ou en lycée au moment de l’étude (réponses obtenues par le croisement des données venant des élèves et de leurs professeurs), 9 n’utilisaient pas du tout l’outil informatique attribué par la DSDEN, 28 ne l’utilisaient qu’à domicile et ne l’amenaient jamais en classe et 15 en faisaient usage en classe et à domicile pour des activités scolaires. Étonnamment, il semble donc que plus de la moitié des élèves disposant d’ordinateurs ne parviennent pas à l’exploiter dans le cadre de la classe. Pour tenter de comprendre ce constat, il nous a semblé indispensable de caractériser le profil de ceux à qui ce matériel avait été attribué, mais aussi les conditions de sa mise en place. Nous avons donc recensé dans le département dans lequel nous travaillons, l’ensemble des élèves scolarisés dans le second degré présentant des dyslexies dysorthographies et bénéficiant d’ordinateurs et de logiciels divers. Parmi les 63 élèves dénombrés (sur 34 702 élèves scolarisés dans des établissements publics et privés du second degré durant l’année 2012-2013), il apparaît que la moitié d’entre eux présentent d’autres difficultés ou spécificités co-occurrentes à la dyslexie. Au sein de cette moitié, nous pouvons remarquer que la plupart des élèves rencontrent des problèmes au niveau du graphisme ou plus largement au niveau praxique (voir graphique n° 1).

Graphique n° 1 : Troubles ou spécificités associés à la dyslexie

Graphique n° 1 : Troubles ou spécificités associés à la dyslexie

14Ceci nous permet de percevoir que le recours à l’informatique répond pour une partie non négligeable d’entre eux à un double besoin : celui de transcription du langage oral vers le langage écrit, et inversement, mais aussi, celui du geste graphique. Par ailleurs, si l’on considère l’ensemble de cette population, on s’aperçoit qu’un peu moins de la moitié des élèves concernés par l’étude n’a eu droit à aucun suivi spécifique, escompté celui de l’orthophoniste existant de manière quasi systématique pour la rééducation du langage écrit. En outre, environ 25 % d’entre eux ont bénéficié de l’accompagnement d’un ergothérapeute pour la prise en mains de l’ordinateur et un peu plus de 40 % ont disposé de l’accompagnement d’un auxiliaire de vie scolaire (voir Graphique n° 2).

Graphique n° 2 : Suivi spécifique des élèves

Graphique n° 2 : Suivi spécifique des élèves

15Pour terminer, à partir des informations récoltées auprès des 41 familles qui ont accepté de répondre à un questionnaire sur l’usage des outils informatiques par leurs enfants, nous constatons que la mise en place de l’ordinateur et de ses logiciels a essentiellement été assurée par les membres de la famille ou des personnes présentes dans l’entourage familial. L’intervention de divers professionnels s’est faite dans une moindre proportion (voir Graphique n° 3).

Graphique n° 3 : Les aides humaines

Graphique n° 3 : Les aides humaines

16Ces quelques données non exhaustives sur les conditions de mise en place des outils informatiques, les profils des bénéficiaires et les soutiens dont ils ont disposé nous permettent de mieux dessiner quelques paramètres du contexte. Toutefois, pour approfondir notre approche, nous avons complété et mis en écho ces caractéristiques avec les témoignages de ceux qui vivaient directement ces situations de scolarisation. Ainsi, les investigations menées auprès des familles, des élèves et de leurs professeurs ont permis de mettre à jour des difficultés de trois ordres : celles relevant des représentations du « handicap » et de l’acceptation des différences des uns par les autres, celles relevant de l’accessibilité technologique, et enfin celles émanant de l’accessibilité pédagogique.

Les obstacles à l’utilisation

17De l’analyse et du croisement des données recueillies auprès des parents, des élèves et de leurs professeurs émergent un premier obstacle à l’usage des ordinateurs en classe, le « regard de l’autre » (voir graphique n° 4).

Graphique n° 4 : Difficultés exprimées par les adolescents et les parents dans l’usage des outils informatiques

Graphique n° 4 : Difficultés exprimées par les adolescents et les parents dans l’usage des outils informatiques

18En effet, la plupart des personnes interrogées évoquent unanimement l’impact majeur du regard plus ou moins bienveillant porté par les pairs et les enseignants sur les élèves disposant d’outils informatiques à titre individuel. Plus spécifiquement, les élèves expriment face à ce regard leur désir d’« être comme les autres » et leurs craintes de toujours être perçus comme ayant un statut spécial dans leur classe du fait de leurs troubles. Selon eux, amener un ordinateur en classe alors que les autres n’en ont pas, c’est rendre visible un « handicap » qui jusqu’ici ne se voyait pas, c’est mettre à jour une différence que l’élève adolescent n’est pas toujours en mesure d’assumer. Dans cette enquête, les professeurs relaient ce point de vue et témoignent des difficultés des élèves à se démarquer du reste du groupe, quels que soient leurs besoins et aussi « actuel et moderne » que soit l’outil de compensation proposé. La difficulté pour l’élève est d’être le seul à utiliser un ordinateur dans une classe qui n’en dispose pas de manière systématique à chaque cours. L’usage de l’ordinateur qui pourrait paraître comme un avantage, génère finalement une sorte de stigmatisation de l’élève dyslexique dans sa classe, et il n’est pas rare que celui-ci refuse de l’utiliser en cours lorsqu’il est davantage envisagé comme un « traitement de faveur » que comme une aide. Les parents, quant à eux, témoignent des questionnements, des rejets, des moqueries voire des insultes essuyées par leurs enfants lors des premiers essais d’utilisation de l’ordinateur dans la classe. Le regard de l’autre n’est pas un regard de soutien mais se fait ici inquisiteur. Les enseignants ne mesurent que très peu l’impact du regard des pairs sur les élèves dyslexiques. Certains d’entre eux interviennent auprès des élèves si des conflits ou des remarques émergent et si une mise au point est nécessaire, mais rares sont ceux qui anticipent les phénomènes de stigmatisation et sensibilisent au respect de singularités de chacun. Ainsi, l’acceptation et l’accueil de la différence, piliers de l’inclusion scolaire, sont mis à mal dans la mise en place des outils informatiques comme moyens de compensation.

19Conjointement à cela, des entraves d’ordre logistique sont mises en avant par les personnes interrogées. En effet, plusieurs facteurs constituant l’accessibilité technologique, c’est-à-dire les moyens techniques et humains déployés autour de l’élève pour lui permettre d’utiliser pleinement son ordinateur et ses logiciels, sont exposés. Dans les témoignages, nous relevons en particulier des problèmes liés à la gestion du matériel : le poids de l’ordinateur, son encombrement lorsqu’il s’ajoute aux affaires traditionnelles contenues dans le cartable du collégien, son transport d’une classe à une autre mais aussi du domicile à l’établissement scolaire, ainsi que son stockage durant les heures vacantes. À cela s’ajoutent les contraintes de son exploitation : la nécessité d’être à proximité d’un branchement électrique, de disposer d’une place suffisante au niveau du bureau pour pouvoir installer l’ensemble des affaires nécessaires au travail demandé, le temps imparti à l’ouverture des programmes et à l’enregistrement des documents de travail. Par ailleurs, ce sont les difficultés de paramétrage des logiciels octroyés qui ont aussi été mis en exergue. En effet, lorsque les familles et les élèves ne bénéficient pas du soutien de professionnels avertis et ne disposent pas de connaissances informatiques approfondies, l’installation des logiciels peut s’avérer complexe voire impossible. Ainsi, quelques-uns ont renoncé à l’usage de leur matériel parce qu’ils ne parvenaient pas à l’installer correctement ou à procéder aux paramétrages nécessaires.

20Pour terminer, d’autres difficultés relevant cette fois-ci de l’accessibilité pédagogique, c’est-à-dire de la mise en place d’un contexte scolaire et de démarches pédagogiques propices à l’usage des outils informatiques pour accéder aux apprentissages, sont aussi énoncées. En effet, l’exploitation des outils informatiques pour compenser les troubles du langage écrit nécessite des configurations d’apprentissage particulières reposant entre autres sur les modalités suivantes : le temps imparti pour l’activité requise, les supports employés et l’espace d’exploitation prévu. À l’instar de l’utilisation de tout autre outil, la maîtrise de l’ordinateur et de ses fonctionnalités par l’élève, s’acquiert dans le temps et au travers d’une pratique assidue. À défaut d’une rééducation en ergothérapie favorisant une approche spécialiste de l’outil et un entraînement adapté, c’est dans le cadre scolaire et/ou familial que s’effectue cet apprentissage. Or, parmi les divers obstacles rencontrés par les enfants dyslexiques dans le contexte de la casse ordinaire, le problème de la vitesse de frappe est fréquemment évoqué. En effet, si la vitesse de frappe n’est pas équivalente ou proche de celle de l’écriture manuscrite, les élèves se retrouvent très souvent en décalage avec l’activité en cours et ne parviennent pas à remplir les exigences requises au niveau des productions écrites. Ainsi, dans ce cas précis, promouvoir l’accessibilité pédagogique, c’est aménager du temps supplémentaire pour accomplir l’exercice demandé ou réduire la quantité d’écrit pour permettre à l’élève de profiter des apports de l’informatique pour accéder au langage écrit, et cela, même s’il n’est pas encore un utilisateur aguerri de son matériel de compensation. Par ailleurs, comme nous l’avons évoqué précédemment, le recours à l’informatique implique l’utilisation et l’échange de supports numérisés entre l’enseignant et l’élève : textes de lecture, fiches d’exercices, évaluations écrites, etc. Ce partenariat diffère des pratiques habituelles et réclame donc de l’anticipation et une préparation spécifique de l’enseignant quant au support sur lequel l’élève devra travailler : numérisation des textes à lire, préparation des espaces de réponse sur les fiches d’exercices pour éviter les désorganisations du corpus d’exercices, transfert des productions écrites par clé USB, par mail ou passage par l’impression, etc. Sans cette organisation préalable, les possibilités de compensation offertes par le matériel adapté peuvent être réduites à néant. Enfin, l’utilisation du logiciel de reconnaissance vocale dans le contexte de la classe pose quant à lui d’autres difficultés inextricables. En effet, pour transmettre ses connaissances par écrit, l’élève est obligé au préalable de les dicter à l’oral, et ceci ne peut que rarement s’effectuer au milieu d’une classe comptant une vingtaine d’élèves ! Aussi ce logiciel est-il rarement exploitable dans le contexte scolaire sans l’aménagement d’un espace spécifique, sur un temps approprié, ce qui implique une organisation pédagogique particulière. Ainsi, la prise en compte des contraintes liées à l’usage du matériel informatique et l’aménagement des contextes d’apprentissage semblent autant de défis à relever par l’École pour tendre vers la réussite de l’inclusion scolaire et l’accès au langage écrit des élèves dyslexiques et dysorthographiques. Les analyses présentées précédemment offrent donc l’opportunité de réfléchir à quelques pistes d’amélioration susceptibles de faciliter le parcours de scolarisation de ces enfants.

Quelles perspectives pour un meilleur soutien des élèves ?

Inclusion et innovation

21L’usage des outils informatiques par les élèves en situation de handicap dans le contexte de l’école ordinaire renvoie à chacun de ses acteurs ses propensions à tolérer et accompagner les parcours de tous les enfants dans leurs diversités mais aussi à composer avec les outils actuels incontournables. C’est donc une grande mutation qui se joue à travers l’éducation inclusive, comme la définissent Prud’homme et al. (2011) :

L’école inclusive est celle qui va au-delà de la normalisation. Elle se donne comme mission d’assurer le plein développement du potentiel de chacun de ses élèves. Pour ce faire, l’école mise sur chacun des acteurs proximaux qui gravitent entre ses murs et sur les acteurs distaux qui y sont les bienvenus. Dans cette école, l’expression « plein potentiel » ne se limite pas au potentiel scolaire, mais comprend aussi toutes les formes d’expressions de l’intellect. Ainsi, elle se caractérise par la capacité d’innover, de se remettre en question et par l’utilisation d’une panoplie de stratégies qui ne visent pas à faire disparaître la différence, mais bien à l’apprivoiser. »

22Aussi, pour que le parcours des élèves dyslexiques prenant appui sur l’informatique soit facilité et considéré de manière moins marginale, il semble indispensable qu’une sensibilisation des différents acteurs aux situations de handicap soit poursuivie voire intensifiée afin que les représentations des enfants comme des adultes évoluent. En effet, trop souvent encore la singularité du parcours de ces élèves n’est pas comprise ni admise et peut même embarrasser. Comme l’expliquait Charles Gardou (2006), l’École pratique encore une « assimilation normalisatrice, déguisée en pratique inclusive. Dans ce cas, l’enfant n’est toléré en milieu ordinaire qu’à condition qu’il s’efface, se dissolve dans la classe ; qu’il devienne semblable, se mette au format de l’école ». Ainsi, dès lors que tout élève en situation de handicap sera reconnu comme un acteur à part entière des situations d’apprentissage proposées quel que soit le moyen de compensation employé, dès lors que ce qui fait sa singularité dans un groupe ne sera plus appréhendé comme une insuffisance ou a contrario comme une faveur, alors nous pourrons espérer qu’un certain nombre des freins à la scolarisation de ces élèves disparaîtra.

Performance des outils proposés

23L’exploitation des outils informatiques par les élèves en situation de handicap bouscule très souvent des scénarios pédagogiques habituellement mis en œuvre et met à défaut des lieux de scolarisation pas toujours propices à en faciliter l’usage. C’est la raison pour laquelle il semble illusoire de réfléchir à l’amélioration des outils en faisant fi de leurs conditions d’usage. De la même manière, il serait erroné de ne s’intéresser qu’aux troubles et de proposer du matériel informatique comme un soin, sans envisager leur mise en œuvre dans un cadre scolaire. Ainsi, repenser l’apport des outils informatiques pour compenser des troubles aussi divers soient-ils, c’est d’abord se rappeler que ce matériel est au service des enfants et des enfants à l’école. Cela sous-entend tout d’abord de considérer le déroulement d’une journée d’un enfant ou d’un adolescent à l’école avec ses contraintes et la fatigue qu’elle engendre. Par conséquent, repenser d’un point de vue logistique le poids, la maniabilité et la solidité des ordinateurs paraît un premier facteur d’amélioration considérable.

24Par ailleurs, le fait que les élèves soient amenés à changer systématiquement de salle entraîne de multiples allumages et extinctions de l’ordinateur et des enregistrements successifs de nombreux fichiers. Ainsi, plus les outils permettront une exploitation dynamique, malléable, et proposeront des interfaces organisationnelles aisées, plus les élèves gagneront en efficacité. Pour compléter cet aspect logistique et amoindrir la gêne occasionnée par la recherche d’un branchement électrique en classe, il semble aussi important que les ordinateurs disposent d’une autonomie électrique conséquente qui puisse perdurer plus longuement par les années.

25En considérant de plus près les logiciels de lecture et d’écriture octroyés aux élèves dyslexiques, plusieurs points d’amélioration sont aussi envisageables si l’on tient compte des doléances énoncées par les enfants. En effet, en ce qui concerne la lecture, certains d’entre eux ont manifesté le fait d’être gênés par des synthèses vocales trop éloignées du son de la voix humaine, trop « synthétiques », parasitant leur écoute du texte. Plus précisément encore, des élèves ont témoigné de leur impossibilité à comprendre les textes lus par synthèse vocale, car seule la ponctuation de base était respectée par le logiciel sans l’existence d’une prosodie, c’est-à-dire d’inflexion, d'intonation et de modulation de la voix. Ainsi, cette absence de caractères expressifs dans la lecture vocale limite leur capacité d’écoute et de compréhension, et les élèves préfèrent alors lire par eux-mêmes quel qu’en soit le coût. On peut alors penser que de meilleures performances dans le rendu des voix de synthèse pourraient contribuer à une meilleure compensation des troubles de la lecture.

26Parallèlement, ce sont aussi les limites des logiciels d’aide à l’écriture, et notamment celles des correcteurs orthographiques, qui sont mises en avant par les élèves comme les enseignants.

À titre d’exemple, les principaux correcteurs orthographiques utilisés dans le contexte scolaire sont les suivants :
    - Ceux intégrés dans les traitements de texte type Word ou Open office
    - Antidote
    - Cordial

27En effet, pour tirer parti de ces correcteurs, il faut être en mesure de proposer une orthographe plausible du début des mots à écrire. Or, certains élèves présentant des troubles sévères sont dans l’impossibilité d’écrire l’initial de ces mots. Les propositions faites alors par le correcteur ne correspondent pas à ce que l’élève souhaite écrire. La reprise des erreurs du correcteur devient dans ce cas aussi fastidieuse et difficile que l’écriture du texte sans aide. L’accroissement de la fiabilité des correcteurs orthographiques semble donc une voie d’amélioration intéressante susceptible de répondre aux besoins des élèves les plus en difficultés. Elle serait une alternative à l’utilisation de la reconnaissance vocale qui n’engage plus l’élève dans une démarche orthographique, puisqu’il dicte le texte que le logiciel transcrit, et qui par ailleurs est quasiment impossible à utiliser dans le contexte de la classe.

Conclusion

28L’étude de l’usage des outils informatiques par les élèves dyslexiques pour compenser leurs difficultés en langage écrit nous permet de rendre compte de la complexité des situations vécues. La réussite du projet de compensation de l’élève ne dépend pas uniquement des performances du matériel proposé, mais aussi du contexte humain et pratique de sa mise en place et des situations pédagogiques propices à sa pleine exploitation.

29En effet, l’ouverture de l’École aux singularités des élèves nécessite l’instauration d’un climat de bienveillance dans lequel chacun trouve sa place et peut tirer parti des aides proposées, sans crainte d’une quelconque stigmatisation. Par ailleurs, il semble que l’investissement des enseignants et les démarches choisies pour favoriser l’accessibilité aux apprentissages par l’informatique, soient subordonnés à la connaissance que ceux-ci acquièrent de ces outils et à leur capacité à en tirer bénéfice pour la réussite des élèves. Ainsi, la formation des enseignants, le temps concédé pour leur permettre une mutualisation des « bonnes pratiques » et la possibilité d’exploiter un matériel informatique performant au cœur des établissements, paraissent les pierres angulaires du projet inclusif des élèves en situation de handicap.

30Pour terminer, penser l’accessibilité des apprentissages par le truchement de l’informatique, c’est indéniablement ne pas oublier de mettre les outils au service des élèves et non adapter les élèves aux contraintes de ces outils. On peut espérer enfin que le recours à l’informatique par les élèves en situation de handicap pourra contribuer de manière plus large à la diversification des pratiques enseignantes au sein des classes. Pour ce faire, l’accompagnement pédagogique et humain de ces élèves ne doit pas relever d’une démarche exclusive au profit d’un seul mais s’insérer dans une véritable démarche inclusive au service de tous.

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Bibliographie

Bacquelé, V. Thèse de doctorat, intitulée "Mesures et conditions du recours pédagogique aux outils informatiques pour favoriser l’accessibilité à l’écriture des adolescents dyslexiques et dysorthographiques", en cours à l'Université Lumière Lyon 2, sous la direction du Professeur Charles Gardou

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UNESCO (2006). Principes directeurs pour l’inclusion : assurer l’accès à l’Éducation pour tous.

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Notes

1 Reconnaissance optique des caractères, en anglais ‘OCR’ : optical character recognition

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Table des illustrations

Titre Graphique n° 1 : Troubles ou spécificités associés à la dyslexie
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Fichier image/png, 27k
Titre Graphique n° 2 : Suivi spécifique des élèves
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terminal/docannexe/image/661/img-2.png
Fichier image/png, 89k
Titre Graphique n° 3 : Les aides humaines
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terminal/docannexe/image/661/img-3.png
Fichier image/png, 129k
Titre Graphique n° 4 : Difficultés exprimées par les adolescents et les parents dans l’usage des outils informatiques
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terminal/docannexe/image/661/img-4.png
Fichier image/png, 95k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Vanessa Bacquelé, « L’usage de l’informatique par les élèves dyslexiques : un outil de compensation à l’épreuve de l’inclusion scolaire »Terminal [En ligne], 116 | 2015, mis en ligne le 25 décembre 2014, consulté le 10 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terminal/661 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/terminal.661

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Auteur

Vanessa Bacquelé

Université Lumière Lyon2, 86 rue Pasteur, 69 365 LYON Cedex 07, vanessa.bacquele@univ-lyon2.fr

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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