Cette étude s’appuie sur des travaux menés par l’auteur dans deux cadres différents. Au sein de l’IRIS (Institut de Recherche et d’Innovation en langue des Signes), centre de formation à la LSF (Langue des signes française) et d’expérimentation de différents services, il a conduit depuis plus de trente ans des expérimentations visant à étudier l’impact de l’introduction de la LSF et de professionnels sourds dans ces services. La réalisation la plus marquante est la mise en place d’une filière complète (de la maternelle jusqu'à la terminale) d’enseignement en LSF, maintenant intégrée au dispositif ordinaire de l’Éducation nationale. À l’IRIT (Institut de Recherche en Informatique de Toulouse), il dirige une équipe de traitement et d’interprétation d’image, dont un des axes de recherche est le traitement informatique de la LSF. Les principales retombées de ces travaux sont des logiciels d’analyse de la LSF et des outils pour enseigner en LSF et fabriquer des documents pédagogiques en LSF ou bilingues.
1Les effets de la surdité peuvent intervenir à deux niveaux : la perception du son et la communication. L’absence de perception du son n’est plus réellement un handicap. Diverses technologies (alarmes lumineuses, retour visuel d’une caméra de surveillance, vibreur) sert à la personne sourde de savoir qu’on sonne à la porte, que bébé pleure à l’étage ou d’être réveillée le matin, et donc d’être autonome pour tous les actes de la vie quotidienne.
- 1 Tous les sourds ne pratiquent pas la LSF. Les sourds dits « oralistes » utilisent le français oral, (...)
2En revanche, la surdité induit un handicap de communication et seulement avec les personnes entendantes. En effet, quand ils sont entre eux, les sourds ne sont pas handicapés puisqu’ils ont, avec la langue des signes, un langage pleinement efficace, qui leur laisse tout dire, avec tout le degré de finesse nécessaire et dans différents registres (familier, académique, humour, second degré, mensonge, etc.), avec des avantages par rapport aux langues vocales (possibilité de parler dans le bruit, ou à travers une vitre, suivre plusieurs conversations simultanées dans le même lieu) et des inconvénients (impossibilité de parler dans l’obscurité ou bien à travers une cloison)1. De plus, jusqu’à la période actuelle, certaines technologies, qui n’étaient pas adaptées aux sourds, ont été développées, leur créant de fait un handicap en les privant de certaines fonctions d’accessibilité. C’est ainsi que le téléphone qui transporte le son s’est développé avant la visiophonie qui véhicule aussi l’image, pour des raisons technologiques, les données visuelles étant plus lourdes à traiter que les informations sonores, mais aussi parce que les entendants étant très majoritaires, on a développé les technologies qui convenaient au plus grand nombre. Cependant les progrès technologiques récents ont atténué ce handicap, comme on peut le constater avec la communication visuelle sur les téléphones mobiles.
3Pour les sourds, la question de l’accessibilité concerne surtout l’accès à l’information et à la formation et la possibilité de participer aux réunions, aux manifestations et à toute activité collective où la communication joue un rôle important.
4Leur autonomie suppose aussi la maîtrise du français. D’une part, parce que les sourds vivent dans une société majoritairement entendante qui s’exprime en français ; sa maîtrise est donc indispensable pour la formation pour acquérir des connaissances, accéder à un poste à responsabilité ou exploiter pleinement les médias (journaux, Web, etc.). D’autre part, la LSF n’ayant pas de forme écrite, le français sera souvent utilisé comme palliatif, dans le courrier électronique, y compris pour des échanges entre sourds, ou pour garder une trace à usage personnel.
5Lorsqu’on cherche à compenser ce handicap, le premier réflexe est de rendre le français oral accessible en espérant ainsi permettre aux sourds de vivre dans la même situation que les entendants (par exemple, dans la scolarité, être intégrés dans une classe ordinaire). Cela peut prendre deux formes : par le passage au français écrit ou par l’interprétation français-LSF.
6La première forme est testée dans l’enseignement : il existe des solutions faisant appel aux TIC et fondées sur cette approche. Par exemple, des systèmes facilitant la prise de notes (transfert automatique des notes prises sur tablette par un élève entendant vers la tablette de l’élève sourd) ou la captation des informations écrites au tableau par l’enseignant (copie numérique du contenu du tableau envoyé sur l’ordinateur de l’élève sourd) sont en cours d’évaluation. Mais ce ne sont que des palliatifs incomplets à une organisation scolaire qui ne permet pas à l’élève d’avoir accès à la totalité du message ni de participer car il doit alors lui-même s’exprimer en français écrit via son ordinateur (message ensuite vocalisé par un synthétiseur vocal), ce qui limite ses capacités d’expression et introduit un retard rendant cette solution peu opérationnelle ; de plus, elle n’est pas envisageable auprès de jeunes élèves (avant le lycée).
7Indépendamment des problèmes techniques, il y a une autre limite à cette approche : le français écrit est mal maîtrisé par une grande majorité des adultes sourds. Cela provient des difficultés d’adaptation des méthodes classiques d’apprentissage de la lecture au cas des élèves sourds ainsi que d’une mauvaise prise en compte, dans la scolarité, de la langue dans laquelle ils peuvent apprendre sans obstacle la LSF.
8La seconde forme, qui a recours à l’interprétation, a l’avantage de laisser à chaque interlocuteur le loisir de s’exprimer ou de recevoir l’information dans la langue qui lui est entièrement accessible et qu’il maîtrise. Elle fait appel, jusqu’à présent, à des ressources humaines, ce qui pose le problème de l’existence et de la disponibilité de ces interprètes et donc de leur formation, mais aussi du coût de cette solution. On le voit bien actuellement à l’université où les budgets ne suffisent pas à couvrir l’ensemble des besoins d’interprétation. Nous abordons au paragraphe 4.4, la question de la traduction automatique.
9La surdité n’étant un handicap que lorsque sourds et entendants doivent communiquer entre eux, celui-ci est partagé et les solutions technologiques concernent aussi bien les sourds que les entendants.
- 2 Voir le service Elision proposé par Websourd : www.elision-services.com.
- 3 Le gouvernement vient de lancer le pilote de Centre relais téléphonique qui permet à 500 testeurs d (...)
10L’exemple le plus emblématique est fourni par les centres relais téléphoniques qui permettent aux sourds et aux entendants de communiquer chacun dans leur langue, par le truchement d’un interprète à distance grâce à un système de visioconférence2 (voir Figure 1). Alors que les solutions techniques existent, la généralisation de ce service tarde à être mise en place3. Pourtant, outre la conversation entre particuliers, il servira autant aux administrations et qu’aux services publics à accueillir correctement le public sourd et aux professionnels sourds dans les entreprises d’être autonomes et d’accéder ainsi à davantage de fonctions à responsabilité. Cependant, sa généralisation mettra en lumière le manque d’interprètes en France.
Figure 1. Principe des centres relais téléphoniques
11Au-delà de la communication entre sourds et entendants, qui met en relation deux langues, il y a de nombreux domaines où l’activité devrait pouvoir se dérouler directement en LSF. C’est le cas de la formation, de l’information et de la culture où les sourds devraient pouvoir accéder aux contenus directement dans leur langue. C’est aussi le cas lorsque la LSF est la langue de communication (classes signantes, certaines entreprises, associations). Et même dans les lieux fréquentés par les sourds où l’activité est en français (entreprises, lieux publics, etc.), il est souvent plus efficace et plus sûr de leur procurer une information en LSF (consignes de sécurité, mode d’emploi, explication de démarches à effectuer, annonces).
12Nous détaillerons ce cas en prenant l’exemple de l’enseignement car il illustre bien les différents besoins et les solutions possibles et parce que son impact sur l’intégration des sourds est très important.
13Depuis plus de vingt-cinq ans en France, des dispositifs scolaires d’enseignement en LSF pour élèves sourds (classes signantes) ont été ouverts dans des établissements ordinaires de l’Éducation nationale. Il s’agit donc d’un enseignement donné en LSF dans toutes les matières, par des enseignants signants, à des groupes d’élèves sourds formant une classe autonome ou inclus dans une classe d’élèves entendants (dans ce cas il y a un binôme d’enseignants intervenant en parallèle, l’un en français, l’autre en LSF), le programme, les objectifs scolaires et l’organisation de la vie scolaire étant les mêmes que ceux des élèves entendants.
14Le développement de ces classes sur tout le territoire est très lent pour différentes raisons, sous-estimation voire négation du rôle de la LSF dans la scolarité, crainte que son usage perturbe l’apprentissage du français, dispersion géographique des élèves sourds, financement de ces classes, manque d’enseignants signants, etc. Pourtant, elles ont montré leur efficacité. Si elle restitue les conditions normales d’enseignement et d’apprentissage (l’élève interagit, réfléchit et apprend dans sa langue), cette approche doit cependant prendre en compte l’absence de forme écrite de la LSF, ce qui est très contraignant en situation d’enseignement. On a besoin d’écrits pour expliquer une notion, garder une trace du cours, donner des devoirs, les rédiger et les corriger, et pour toute la documentation pédagogique et disciplinaire. Le français est, certes, présent car il doit être enseigné (toutes ces classes ont un projet bilingue), mais il n’est pas la langue d’enseignement et d’échanges car il n’est pas accessible en oral, ni la langue de tous les supports et documents pédagogiques car ce n’est pas dans cette langue que les élèves élaborent les concepts. Il faut donc disposer d’une forme d’écrit de la LSF.
15La vidéo est le support naturel des langues des signes. Grâce aux progrès réalisés dans les systèmes de captation (généralisation des webcams), de stockage et de transmission, son usage s’est répandu dans le public où elle est déjà utilisée pour garder une trace d’un discours en langue des signes (fonction de mémorisation) et dans la communication à distance en langue des signes (fichiers vidéo attachés aux messages). Elle pourrait remplir en grande partie les fonctions de l’écrit à condition de la doter des fonctionnalités équivalentes à celles dont dispose l’écrit du français par exemple dans un traitement de texte : on doit pouvoir facilement générer des documents en langue des signes, les structurer (titres, paragraphes, chapitres), fournir des outils décrivant leurs contenus et permettant d’y accéder (tables des matières, index), les annoter, naviguer dans ces documents de façon séquentielle ou non linéaire comme dans les hypertextes, les parcourir en survol et accéder à leurs contenus via des fonctions de recherche. Toutes ces fonctions doivent être utilisables en langue des signes.
16Dans le cas des jeunes élèves (école), le support vidéo est peu adapté car il nécessite l’utilisation d’un ordinateur et la manipulation de logiciels. Les enseignants privilégient plutôt le support papier. Il faut alors pouvoir rendre sur un support statique en deux dimensions la trace d’une langue qui est par nature dynamique et produite dans l’espace 3D.
17Des applications, issues de recherches informatiques en analyse ou synthèse d’image et en traitement automatique du langage, remplissent déjà certaines de ces fonctions et commencent à être utilisées pour enseigner en langue des signes ou pour produire des documents pédagogiques. Plusieurs de ces outils peuvent être testés sur le site de Presto4 .
18L’immense besoin de documentation en LSF génère une production de différents types de documents : des lexiques en LSF (image-signe) (voir Figure 2), des lexiques bilingues (mot-signe) (Fig. 3), des glossaires (signe ou mot – définition en LSF) linéaires ou hiérarchiques5 ou des documents hypersignes6 ou « signlinks »7. Les hypersignes (Fig. 4) sont des documents structurés combinant des vidéos en LSF, leur traduction en français et des images, dans lesquels on peut naviguer de façon non linéaire en suivant des liens, grâce à un lecteur spécifique (il faut en effet intégrer des procédés originaux pour matérialiser des liens dans une vidéo et pour en indiquer le sens). Ils reproduisent exactement, pour la vidéo LSF, le concept d’hypertexte pour les documents écrits en français. Le français est toujours présent, mais il n’est plus le passage obligé pour accéder au contenu. L’obligation de parcourir une vidéo de manière linéaire rend très rapidement la lecture de vidéo LSF fastidieuse. Plusieurs équipes ont donc étudié des techniques offrant d’autres possibilités de lecture [Kaibel 2006, Fels 2009, Dalle 2013].
Figure 2. Lexique en LSF
19L’évaluation de ces nouveaux outils doit prendre en compte non seulement leur facilité d’utilisation pour naviguer dans le document et accéder rapidement au contenu, mais également la facilité de fabrication de ces documents. En effet, il n’y a pas encore réellement de filière d’édition de documents en vidéos LSF. À part les dictionnaires, qui sont des documents qui évoluent peu et peuvent mobiliser une équipe de rédacteurs pendant une durée assez importante, les besoins actuels nécessitent beaucoup plus de réactivité. Les documents pédagogiques sont donc le plus souvent réalisés par les enseignants eux-mêmes qui ne sont pas des spécialistes de la captation et du montage vidéo, ni des informaticiens pour concevoir ces outils de navigation ou pour créer des sites de diffusion. Les outils de conception doivent être aussi simples à utiliser que ceux d’un traitement de texte ou d’un logiciel de présentation. C’est encore rarement le cas et les durées de réalisation sont souvent trop longues pour des enseignants ayant peu de disponibilité.
20La fabrication d’un lexique ou d’un hypersigne implique aussi la représentation d’un sommaire ou d’un index, sous forme d’image de signes, comme on le voit en Figure 3 et 4. Elles sont aussi nécessaires pour produire une version papier d’un lexique. Là aussi, des outils informatiques (Photosigne) peuvent assister le concepteur en générant l’image signe et la trace du mouvement directement à partir d’une analyse du signe sur support vidéo.
Figure 3. Lexique bilingue
Fig. 4. Hypersigne
21Enfin, au-delà de la réalisation de documents, l’acte d’enseignement lui-même demande des outils particuliers pour travailler en LSF, par exemple pour générer des exercices, pour annoter en LSF un document en français ou pour corriger les productions des élèves et les devoirs. Des logiciels spécialisés, ne faisant que cette fonction, permettent d’inclure les annotations en LSF du professeur, saisies par webcam, dans la vidéo de l’élève (correction) ou dans un document vidéo (« sous-titrage » en LSF) beaucoup plus facilement qu’avec un logiciel de montage vidéo (voir Figure 5).
Fig. 5. Annotation en LSF
22Enfin, il faut signaler le cas particulier de la matière LSF dont l’enseignement nécessite des outils spécifiques pour expliquer son fonctionnement en l’illustrant, pour créer des supports d’apprentissage et des outils d’autoévaluation.
23En prenant l’exemple de la formation, nous avons montré que les TIC pouvaient apporter un ensemble d’outils logiciels donnant à la vidéo la plupart des fonctionnalités de production et de lecture d’une forme écrite. Si la documentation en LSF est encore pauvre, les sourds disposent maintenant des moyens d’apprendre, de se cultiver et de mener une activité dans leur langue naturelle, et en même temps d’augmenter leur compétence bilingue, facteur d’intégration évident.
24Le développement de ces outils s’appuie sur des recherches en amont sur le traitement informatique de la LSF. Des verrous existent encore, par exemple en reconnaissance de signes, qui ont pour conséquence l’absence de fonction « recherche » dans les documents bilingues et la quasi-inexistence d’opérateurs de traduction. Nous présentons maintenant l’état de ces recherches et leurs limites actuelles.
25Le traitement automatique des langues des signes (TALS) se divise en deux domaines correspondant à l’analyse de productions existantes de signeurs réels ou, au contraire, à leur génération par des signeurs virtuels. Chacune de ces deux approches étudie la LSF sur plusieurs niveaux.
26Pour chaque niveau, nous décrivons le type de travaux menés et les fonctionnalités opérationnelles, les usages possibles ou déjà observés de ces fonctionnalités et les limites actuelles des recherches pour ce niveau.
27Il s’agit d’étudier les postures et les mouvements d’un signeur : détecter un personnage dans une vidéo, puis détecter les composants corporels qui sont le support des signes (tête, tronc, bras, mains, doigts), suivre les mouvements de ces composants (rotations de la tête, balancement, rotations du corps, mouvements des mains, mouvement des doigts, et enfin décrire ces postures ou ces évolutions (mimiques faciales et expressions du visages, configurations manuelles, trajectoires et dynamique des gestes manuels).
28C’est une première étape indispensable pour développer des traitements plus ciblés sur le sens, mais elle a déjà des retombées applicatives, par exemple pour assister l’annotation de corpus, processus préalable à toute analyse linguistique mais chronophage, ou pour générer automatiquement une trace statique des signes.
29Ces traitements, qui vont conditionner tout le reste, ont encore de nombreuses lacunes : difficulté de détection et de suivi du fait des nombreuses occultations main-main ou main-visage, ce qui entraîne des erreurs d’analyse des gestes, difficulté d’analyser en même temps des mouvements très fins et rapides (mouvements des doigts, expressions faciales) et de grandes structures spatio-temporelles (balancements du corps), difficulté d’analyser un geste 3D à partir d’une captation vidéo fournissant une information 2D.
30Il s’agit ici de retrouver les items linguistiques : segmenter les énoncés en phrases et en signes, décrire l’organisation de l’espace de signation.
31Cette étape prépare l’analyse du discours, mais elle produit également des outils pédagogiques pour illustrer le fonctionnement de la LSF ou automatiser l’annotation de corpus.
32Cependant, il est difficile de mener une analyse syntaxique indépendamment du sens : l’imbrication forme-sens est plus forte en langues des signes que dans les langues vocales. En outre, la représentation de la syntaxe d’une langue des signes est un problème à cause de l’absence de forme écrite.
33Cette étape cherche à reconnaître des signes isolés, à découvrir les signes d’un énoncé continu, ou à comprendre le sens d’un énoncé.
34Les applications sont de deux types différents, suivant qu’elles concernent la LSF seule ou sa relation avec le français.
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LSF seule : les applications visées sont l’indexation de documents en LSF, la recherche dans un dictionnaire ou dans une base de données en LSF, la fonction recherche de signes dans une vidéo à partir d’une requête en LSF, ou le développement d’applications pédagogiques ou ludiques en LSF.
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LSF et français : les applications concernent l’utilisation de lexiques bilingues, la recherche dans un énoncé en LSF à partir d’une requête en français et dans un texte français à partir d’une requête en LSF, la traduction LSF - français.
35Les limites sont encore nombreuses, pour la représentation du sens ou pour la modélisation et l’apprentissage des signes à reconnaître ; elles sont aussi dues aux erreurs des niveaux précédents (erreurs de suivi, erreurs de segmentation) [Gonzalez 2012].
36On peut faire la même présentation pour la synthèse, c’est-à-dire pour la production de signes par un signeur virtuel et la génération d’énoncés en LSF.
37Le premier niveau étudie la synthèse de gestes et de mimiques faciales réalistes ou cherche à imiter une production signée. Cela permet de remplacer des photosignes par des signeurs de synthèse et donc d’anonymiser partiellement des documents en LSF. Cependant, on ne sait pas encore automatiser cette étape et les temps de réalisation sont longs.
38À ce niveau, l’introduction de la syntaxe de la LSF permet de passer des gestes aux signes ; on étudie notamment l’enchaînement des signes, la gestion des effets de coarticulation et la prosodie d’une phrase en LSF. Les applications concernent la fabrication de lexiques anonymes et la production semi-automatique d’énoncés simples en LSF (annonces, messages préenregistrés, aide en ligne). De nombreux travaux sont encore nécessaires. Ils portent sur la représentation informatique des signes, l’analyse linguistique de la syntaxe de la LSF ou encore la modélisation de la coarticulation.
39Il s’agit ici de produire des énoncés complets en LSF à partir d’un texte en français ou dans un formalisme intermédiaire. Les principales retombées attendues concernent les applications pédagogiques et ludiques, l’édition numérique en LSF et la traduction français - LSF. Cette tâche, notamment la modélisation du sens ou la formalisation de l’expression de l’énoncé à produire, est encore un sujet de recherche.
40Les applications les plus prometteuses et les plus utiles pour l’apprentissage de la LSF, pour la formation en LSF et pour l’intégration des sourds dans une société du français et de l’écrit, impliquent l’articulation de l’analyse et de la synthèse de la LSF, seule ou combinée avec le français.
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LSF seule : les premières applications sont pédagogiques, ludiques ou utilitaires fondées sur la réponse en LSF à des requêtes en LSF8 : encyclopédie ou dictionnaires en LSF, auto-apprentissage de la LSF, exercices pédagogiques en LSF, jeux en LSF…
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LSF et français : cela concerne la traduction LSF - français ou français - LSF, l’accès en LSF aux systèmes d’information, la documentation, la formation bilingue...
41Ce niveau combine toutes les limites actuelles de l’analyse et de la synthèse de la LSF auxquelles s’ajoutent les difficultés de traduction (cf. paragraphe 4.4).
42Cependant, de nombreuses applications sont possibles si elles sont restreintes à des contextes ou à des champs sémantiques réduits et si l’automatisation complète n’est pas recherchée mais, au contraire, si l’application fait encore appel à l’utilisateur, notamment pour l’interprétation sémantique des énoncés.
43La conception de systèmes de traduction LSF - français est encore bien au-delà de ce que les chercheurs en TALS savent faire. Une comparaison avec le cas des langues vocales, par exemple la traduction français - anglais, permet de comprendre l’étendue des difficultés. Les systèmes de traduction entre ces deux langues sont encore imparfaits, y compris sous la forme écrite (texte en français - texte en anglais) et pourtant, ce sont deux langues disposant d’une forme écrite, dont la grammaire est étudiée, connue depuis longtemps. Le développement de systèmes de traduction peut s’appuyer sur des corpus volumineux, écrits comme oraux. Ces traducteurs répondent à de nombreux besoins et donc bénéficient de financements et d’investissements d’équipes de recherches très importants, tant publics que privés. Aucune de ces conditions n’est respectée dans le cas des langues des signes : ce sont des langues encore peu étudiées et mal formalisées. Elles n’ont pas de forme écrite. Il n’existe pas de corpus importants en LSF, ce qui rend délicate toute approche statistique du traitement de la LSF. Ces corpus sont difficiles à constituer car les lieux de pratique de cette langue sont rares. De plus, l’acquisition de ces corpus doit respecter le droit des locuteurs quant à la protection de leur vie privée et à la diffusion de leur image, ce qui implique d’obtenir des autorisations et peut entraîner des contraintes sur leur exploitation. Enfin, les enjeux économiques sont peu valorisés.
44À ceci s’ajoutent des difficultés propres aux langues des signes : la forte imbrication de la forme et du sens, c’est-à-dire des notions syntaxiques et sémantiques, dès les premiers niveaux, rend difficile une analyse syntaxique séparée d’un discours en LSF. La LSF fait des recours fréquents à l’iconicité, c’est-à-dire à des références liées à la perception et à l’expérience pratique, au vécu des interlocuteurs, références qu’il sera très difficile de prendre en compte dans un programme de traduction. Donc on ne peut envisager des outils de traduction automatisés que dans des contextes spécifiques et bien délimités et dans des conditions artificielles de captation des messages, permettant de disposer de toute l’information 3D.
45Les sourds étant très minoritaires et dispersés sur tout le territoire, il est difficile, pour des raisons économiques et de ressources humaines, de généraliser la création de dispositifs de formation en LSF. Des solutions d’information, d’enseignement à distance et de e-learning en LSF sont maintenant techniquement possibles via des sites Web et commencent à apparaître pour la culture générale9, la formation des sourds10, ou la formation des professionnels de la LSF11. Des études et des expérimentations doivent cependant être menées pour trouver les bonnes modalités de suivi en LSF, dont la qualité, on le sait, conditionne la réussite de ces formations en ligne. Il faut, là également, s’affranchir de l’absence de forme écrite de la LSF. Cependant, il s’agit très certainement d’un domaine prometteur à court terme, aussi bien pour la formation des sourds en LSF que pour l’apprentissage de la LSF par les entendants, les familles ayant des enfants sourds, les professionnels et les simples citoyens.
46Des travaux sont donc encore nécessaires en analyse de la LSF pour fournir des fonctions de recherche efficaces et développer des méthodes de reconnaissance. C’est aussi le cas en synthèse pour générer des énoncés en LSF par des signeurs virtuels, afin de résoudre le problème de l’anonymisation des documents en LSF, de développer des outils d’auto-apprentissage de la LSF, ou des produits capables d’adapter leurs réponses aux interactions avec les utilisateurs. On dispose cependant de suffisamment de savoir-faire et d’outils pour développer une filière d’édition en LSF qui contribuerait à combler le déficit de formation et de connaissances des personnes sourdes.
47La production d’outils pour travailler en LSF et de contenus en LSF dans tous les domaines ne pourra se développer que si les différents acteurs concernés s’engagent dans une démarche volontariste.
48Les pouvoirs publics en premier lieu : les organismes de financement de la recherche, tels que l’ANR, qui ne retiennent pas les projets ciblés sur la LSF car ils ne représentent pas un enjeu suffisant, l’Éducation nationale qui tarde à mettre en œuvre les dispositions de la loi de février 2005 pourtant inscrites au code de l’Éducation (moins de 10 % des élèves sourds ont accès à un enseignement en LSF) et qui cantonne les rares enseignants sourds à la seule fonction d’enseignement de la LSF. La possibilité pour ces enseignants d’intervenir dans les autres disciplines scolaires, alors qu’ils n’ont pas toujours suivi les démarches de certification classiques, est une question qui concerne aussi les syndicats d’enseignants car elle suppose des mesures dérogatoires pendant une période transitoire. Enfin les associations, qui assurent l’essentiel des formations de LSF, n’ont pas encore pris le virage des TIC. Si la vidéo a remplacé les images dans les cours de LSF, son utilisation pour donner aux apprenants une trace des cours, pour générer des exercices et les corriger, à l’aide des différents outils d’édition que nous avons présentés, est encore balbutiante. Leur usage est conditionné par le développement de formations présentant ces outils et leur utilisation pédagogique12 et par la possibilité pour ces formateurs sourds d’y accéder.
49Enfin, ces outils ne s’adressent pas qu’aux apprenants sourds ; ils sont utilisés pour enseigner la LSF aux professionnels entendants. La formation à la LSF de professionnels, en particulier des enseignants et des interprètes, est un enjeu crucial pour le développement des classes signantes et des centres relais, qui sont deux des clés facilitant l’intégration des sourds via la LSF.