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Bloc-Notes

La sociologie des usages : Continuités et transformations

Sous la direction de G. Vidal, Hermès Lavoisier, 2012, 256 p.
Robert Panico
p. 207-211
Référence(s) :

La sociologie des usages : Continuités et transformations. Sous la direction de G. Vidal, Hermès Lavoisier, 2012, 256 p.

Texte intégral

1Le livre présenté ici regroupe les contributions de huit chercheurs francophones, tous spécialistes des Technologies de l’information et de la communication (Tics). Son objet ? Comme le titre le suggère, il s’agit de faire un point sur une notion centrale dans les recherches des trois dernières décennies sur les Tics : la notion d’« usages ». Contre la tendance à la banalisation des études sur les usages, souvent réduites à l’accumulation de données malgré la richesse de nombreux travaux, l’objectif est de reposer les éléments d’un débat sur la recherche actuelle sur les usages.

2Bref retour sur la notion d’usages dans les SIC. Les études sur la réception des médias de masse avaient déjà, dans les années 1960-1970 et en opposition avec les thèses diffusionnistes, dessiné un individu récepteur complexe, détenteur d’une identité et dépositaire d’une culture (Cultural Studies), inséré dans des réseaux sociaux, plutôt actif, menant des stratégies d’information pour son propre compte et en retirant des gratifications (Uses and gratifications). C’est cette vision de l’usager, relativement libre et interagissant, qui aura encouragé les recherches sur les Tics centrées sur la notion d’usages, faisant des Tics l’objet permanent de constructions déterminées par des logiques sociales œuvrant sur le temps long, d’appropriations variées, individuelles ou collectives ; parfois même le pur produit de détournements. Cette vision, quelque peu émancipée des Tics et de leurs usages, aura peut-être parfois oublié comme le signale l’un des auteurs « l’économie libérale et la rationalité industrielle » qui servaient de creuset au développement pour le moins fulgurant des Tics et à leur diffusion partout dans la sphère sociale.

3Avec l’étude des usages, le questionnement sociologique toutefois devenait : « que font les individus des médias et des Tics ? » ; laissant par là entendre que l’individu était devenu usager, usager de dispositifs dont il prenait une pleine part à la conception et en produisait le sens loin des modes d’emploi et des déterminismes techniques.

4Désaffection de la notion, désormais obsolète ? Sans aller jusque-là, la discussion à laquelle nous convie le présent ouvrage tourne autour de l’évolution de l’usage, de la notion d’usages dans les recherches actuelles sur les Tics. Ainsi, Geneviève Vidal, qui en a dirigé la réalisation, nous propose trois alternatives : continuité de l’usage de la notion, mise à l’épreuve à partir des recherches en cours, ou transformation.

5Ce sera le cadre de l’ouvrage découpé en trois parties et sept chapitres. Ainsi, à la question en débat, les deux premiers auteurs (E. George, D. Carré) pencheront pour la première alternative, la continuité. Tandis que les trois derniers (F. Massit-Folléa, F. Paquienséguy et G. Vidal) opteront pour une lecture « transformationniste ». Quant aux trois derniers (C. Papilloud, G. Latzko-Toth et Millerand), ils en resteront au questionnement et soumettront les usages à l’épreuve de l’interactivité ou des Sciences sociales et techniques dont, nous disent-ils, les concepts sont voisins.

6E. George, dans le premier chapitre, milite pour une sociologie critique des usages des Tics. Il réfute la théorie libérale de l’individu opérant des choix rationnels. Libre, l’individu usager des Tics l’est peut-être, mais c’est une liberté voulue par les promoteurs des dispositifs sur lesquels il évolue au quotidien. Émancipation et domination, une dialectique qui entend prendre en compte le cadre imposant des structures capitalistes. Exit donc l’usager réputé autonome face aux dispositifs sur mesure qui s’offrent à lui. Le diagnostic est surévalué. Plutôt que de parler d’usages, l’auteur propose alors de s’interroger sur les modes d’appropriations sociales, individuelles ou collectives.

7Pour D. Carré, la recherche sur les usages, à la différence des États-Unis, a été en France largement commanditée par l’État et les grandes entreprises. Toutefois, on assiste actuellement à un désintérêt de ces commanditaires historiques. Cela s’explique si l’on considère en premier lieu la convergence des télécoms et de l’informatique, l’abaissement des coûts ensuite, la personnalisation enfin très poussée des équipements qui en résulte. Ajoutons à cela la forte concurrence née de la déréglementation du secteur du téléphone et du retrait corollaire de l’État, et l’on constate avec l’auteur un retournement d’intérêt presque naturel qui, de la sociologie des usages, nous transporte dans les années 2000 vers le marketing de leur formation. Mesures de trafic, d’audience, la question des usages des Tics semble en panne et vient s’échouer dans une visée purement industrielle et très à court terme. En guise de pistes, D. Carré propose de mener des études centrées sur les usages en dehors des pays occidentaux fortement industrialisés et suréquipés.

8La seconde partie, la mise à l’épreuve des études sur les usages, s’ouvre sur un texte de C. Papilloud. L’auteur, dans une approche historique, analyse les débats scientifiques autour de l’interactivité. L’interactivité des Tics se caractérise par son intensité, son immédiateté, le contrôle possible sur elle, sa réactivité. L’auteur entend ainsi mettre en perspective la sociologie des usages à partir du lien « contactuel ». S’interrogeant sur les modalités de « la mise en contact » dévolue aux Tics, il affirme que l’interactivité ne présage en rien un nouveau lien social, n’assure pas la solidarité, ne réduit pas les distances sociales. Et que la contactualité des Tics ne présage en rien d’une continuité de l’engagement et ne saurait seule se substituer à sociabilité complexe à laquelle elle participe. Pour clore, que l’étude des usages doit néanmoins prendre en compte ce fondement structurel, le contact.

9Latzko-Toth et F. Millerand dans le chapitre suivant nous proposent une analyse comparative entre Sociologie des usages (SU) et Science and technology studies (STS). Des ressemblances, et en tout premier lieu, le parti pris de considérer simultanément la technique et la société dans un rapport dialectique de type structurant/structuré.

10Mais entre SU et STS, et bien que les deux disciplines ne se citent guère, ce sont aussi des objets d’études identiques, des orientations épistémologiques et des principes méthodologiques communs. Du côté des différences, la SU accorde une grande attention aux motivations psychologiques des acteurs quant à leur investissement dans la construction des usages des dispositifs, ou encore au sens qu’ils donnent à leurs conduites ; les STS sont plutôt plus proches de l’interactionnisme symbolique et prônent en conséquence une approche interrelationnelle, co-construite et interprétative du sens, le cadre interprétatif étant en permanence renégocié par les acteurs à travers un processus dynamique d’interaction interindividuelle.

11Les auteurs s’interrogent ainsi sur les apports réciproques des STS anglophones et de la SU plus francophone qui pourrait par exemple bénéficier des STS, au prix toutefois de « dénaturaliser les catégories [d’usages et d’usagers], montrant comment elles sont le fruit d’un travail de délimitation par les acteurs ».

12Avec le texte de F. Massit-Folléa, on entame la troisième et dernière partie de l’ouvrage qui va plus ouvertement se centrer sur les transformations dans les recherches sur l’usage. L’auteure s’interroge sur « le rôle des usages dans la gouvernance de l’Internet » dont la réalité, nous dit-elle, se trouve être globalement méconnue des acteurs, États, marché et société civile. Il en résulte une grande méconnaissance des usagers, catégorie certes d’une grande diversité, et des usages qu’ils déploient sur la Toile. Quid alors des grandes utopies, celles qu’ont précédé puis accompagné les grands discours sur et de la gouvernance, celles encore d’un réseau équitable, démocratique et centré sur les gens ?

13Tout en se saisissant de l’Internet et sa gouvernance, F. Massit-Folléa revient en fait sur la problématique des usages des Tics, en éclaire les nouveaux contours, en analyse les enjeux sociaux. Elle discute le caractère a priori unificateur de l’Internet, et tout en analysant les différentes formes de régulation d’un réseau ouvert et mondial, n’échappant pas, loin de là, aux conflits d’intérêts, discute l’éventualité d’une re-politisation d’Internet. L’étude des usages, à partir d’une notion de « bien commun informationnel », pourrait alors aider à la compréhension non strictement économique d’un développement technologique au service du partage et de la coopération.

14Paquienséguy, dans le chapitre 6, nous invite à considérer, à l’heure où le numérique et les usages de communication transforment en profondeur notre rapport à l’espace, au temps et aux biens, l’entité usager-consommateur. La mutation, précisément, qu’induit le couple usager-consommateur, nouvel avatar du Web 2.0, tient plus à l’immatérialité des biens échangés et toujours reconfigurables, qu’à la dimension consumériste de l’usager qui l’a toujours été, longtemps confronté à « une offre structurée à partir d’un marché en grande partie sous monopole d’acteurs publics ». Du moins cela a-t-il été vrai jusqu’à l’arrivée du Web 2.O. La présence active, la connexion désormais ininterrompue du binôme usager-consommateur sur les sites du Web 2.0, « transforme la relation entre usagers, consommateurs et professionnels » ; elle induit la notion de dispositif qui se décline, nous dit l’auteure, selon trois niveaux : relationnel, technique et d’usage.

15Sans aller jusqu’à produire une nouvelle sociologie des usages, Paquienséguy nous engage néanmoins à poursuivre un travail d’ajustement à même de saisir l’ampleur de ces changements survenus dans les pratiques communicationnelles au quotidien, pour ainsi relever dans le contexte social actuel ce qui est la cause d’une mutation sensible dans la construction des usages.

16Dans le septième et dernier chapitre de l’ouvrage, « De l’analyse des usages à la dialectique technique et société », G. Vidal en revenant sur différentes contributions de l’ouvrage, nous livre un texte conclusif ; et dans le même temps ouvre des perspectives, notamment à travers la notion de « renoncement négocié » qui, croisant micro (l’usager créatif et précaire) et macro (les pouvoirs dominants), invite à la poursuite des recherches sur les usages des Tics en articulant différents regards.

17Sa posture dialectique qu’elle emprunte à l’École de Francfort, lui permet d’interroger le rapport Technique Société. Ainsi, l’auteure, à travers des préoccupations tout à la fois « notionnelles », méthodologiques (démarche micro ou macrosociologique), épistémologique (démarche empirique vs théorique) signe un engagement et une posture résolument scientifiques.

18Pour ce qui est de la sociologie des usages, dont « le développement s’est articulé sur l’expansion des Tics », l’auteure se réjouit qu’« elle ait su échapper au déterminisme social, sans exclure les déterminations, pour valoriser les actions des individus dans leurs rapports à l’infocom dans des environnements immanquablement techniques. » Fustigeant au passage les déterminismes techniques qui portent tant d’études entretenant les discours et imaginaires fallacieux. On pense reconnaître là les discours promotionnels des fournisseurs et autres promoteurs de technologies...

19G. Vidal montre en effet dans ce chapitre que la participation accrue des usagers peut renforcer lorsqu’elle est le fruit d’une évolution technique, les pouvoirs de contrôle qui pèsent sur les individus. « Les innovations logées dans les applications servent le maintien des pouvoirs en place, en capturant les usages dans l’offre technologique ». Face à cela, l’usager s’adapte, il renonce à certaines libertés pour en négocier d’autres. C’est le « renoncement négocié » envers les nouvelles technologies des usagers qui, plutôt que s’émanciper, « résistent et inventent, reproduisant [toutefois] les rapports de pouvoir en apparence modifiables grâce à l’interactivité ».

20Pour conclure cette présentation, il n’est pas trop de dire que nous avons là une somme de connaissances accumulée sur la question des usages, une somme qui balise un champ scientifique à part entière - la sociologie des usages des Tics - et qui nous éclaire sur la société actuelle, une société à la « temporalité accélérée », et sur ses nouveaux enjeux ; et cela que ce soit au niveau micro, mezzo ou macro.

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Pour citer cet article

Référence papier

Robert Panico, « La sociologie des usages : Continuités et transformations »Terminal, 113-114 | 2013, 207-211.

Référence électronique

Robert Panico, « La sociologie des usages : Continuités et transformations »Terminal [En ligne], 113-114 | 2013, mis en ligne le 25 décembre 2014, consulté le 22 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terminal/301 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/terminal.301

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Auteur

Robert Panico

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