Navigation – Plan du site

AccueilNuméros106-1073e partie : Un outil pour le déve...« Information technology and sust...

3e partie : Un outil pour le développement durable ?

« Information technology and sustainability: Essays on the relationship between information technology and sustainable development », de Lorenz M. Hilty (2008), Books on Demand

Compte-rendu d’ouvrage
Cédric Gossart

Texte intégral

1Voici un ouvrage dont le titre ne ment pas sur un contenu scientifique de qualité. Cette somme d’articles portant sur les liens entre société de l’information et développement durable présente au grand public une sélection des travaux de recherche de l’équipe de Lorenz Hilty sur un sujet qu’elle a contribué à défricher.

2Responsable du laboratoire de recherche Technologies et Société au sein du centre de recherche fédéral suisse EMPA, Lorenz Hilty est professeur au Département d’Informatique de l’université de Zurich, où il dirige le groupe de recherche « Informatics and Sustainability »1. Les activités d’EMPA sur les aspects environnementaux et sociaux des TIC se sont intensifiées depuis l’an 20002. Suite à l’obtention d’un important financement public de cinq années pour le projet « Soutenabilité dans la société de l’information », de nombreuses publications ont été produites. C’est le désir de porter ces publications à la connaissance du grand public qui a poussé l’auteur à écrire cet ouvrage très instructif. En effet, Hilty avait constaté que les médias et les politiques faisaient de plus en plus de liens entre TIC et environnement (énergie, changement climatique...), mais cela de manière peu rigoureuse, au risque de parvenir à des conclusions hâtives, voire erronées.

3Dès l’introduction, l’auteur clarifie les différents effets environnementaux des TIC, qui sous certaines conditions pourraient contribuer à résoudre le « dilemme du développement durable », à savoir « fournir une qualité de vie à tout le monde sans épuiser l’écosystème ». Pour ce faire, souligne-t-il, il convient de créer de la valeur avec beaucoup moins de ressources énergétiques et matérielles. En soutenant cette stratégie dite de « dématérialisation », il soutient donc que la création de valeur économique reste le moteur principal de la qualité de vie dans les sociétés humaines.

4Pour mettre en œuvre cette stratégie, il est pour lui indispensable que la contribution des technologies à la réduction de nos impacts environnementaux, et notamment des TIC, soit correctement évaluée. Pour ce faire, il convient de bien comprendre les relations entre TIC et environnement.

  • 3 Berkhout, F., J. Hertin (2001). Impacts of Information and Communication Technologies on Environmen (...)
  • 4 Il manque toutefois la phase de conception, traditionnellement absente des outils utilisés pour éva (...)

5Reprenant une trame posée par Berkhout et Hertin3, il suggère alors dans une typologie qui fera date de distinguer trois types d’effets que les TIC peuvent avoir sur l’environnement. Ceux-ci peuvent être favorables à la bonne santé des écosystèmes naturels, ou au contraire accroître l’empreinte écologique de nos sociétés. Un premier type d’effet concerne les impacts des TIC elles-mêmes sur toute la durée du cycle de vie de la technologie (production, utilisation, recyclage, élimination)4. On trouve ensuite les effets indirects, qui représentent les impacts environnementaux indirects des TIC sur d’autres secteurs (amélioration de la productivité, fluidification du trafic routier, rationalisation de la distribution d’électricité avec les smart grids, etc.). Le troisième type d’effet des TIC sur l’environnement est d’ordre systémique, ces technologies ayant la capacité de modifier les structures économiques et sociétales, telles que les comportements de consommation ou l’organisation même de nos sociétés (passage des infrastructures informationnelles et communicationnelles au numérique, utilisation massive d’Internet dans tous les domaines et par tous les acteurs, diffusion du capitalisme financier...). Ces trois effets sont détaillés dans le chapitre 7 du livre et sont résumés dans le tableau suivant :

Tableau 1. Cadre conceptuel d’analyse des liens entre TIC et environnement

Tableau 1. Cadre conceptuel d’analyse des liens entre TIC et environnement
  • 5 Pour une présentation critique en anglais voir Finnveden, G. (2000). « On the limitations of life c (...)

6Cette taxonomie est très éclairante car elle permet de visualiser les effets directs et indirects des TIC sur l’environnement, y compris les effets indésirables lorsqu’on les utilise pour dématérialiser, comme les effets rebond. Hilty souligne que des recherches menées sur les indicateurs montrent que l’ampleur des effets des TIC sur l’environnement est très dépendante du système de mesure mis en place. Il est donc essentiel d’évaluer de manière détaillée tous les effets des TIC afin de ne pas en surévaluer ou sous-estimer les impacts environnementaux, ce que l’auteur se propose de faire dans cet ouvrage. Du point de vue de la construction de l’ouvrage, on peut regretter que cette taxonomie des différents effets des TIC sur l’environnement n’arrive que tardivement dans le chapitre 7. En outre, avant de rentrer dans le détail des impacts environnementaux des TIC, un point méthodologique aurait été bienvenu, mais là aussi il arrive tardivement et de manière dispersée dans les différents chapitres. Il est par exemple dommage que l’expertise de l’auteur en matière d’ACV n’ait pas été mise au service d’une présentation critique de ces outils complexes et peu transparents mais néanmoins indispensables à l’évaluation des impacts environnementaux d’une technologie quelle qu’elle soit5.

7Quelles méthodes d’analyse scientifique existent pour mesurer les trois types d’effets positifs et négatifs des TIC sur l’environnement ? Leur présentation permettrait de donner les clés de compréhension des différents chapitres. Or pour les deux premiers types d’effets il faut attendre le chapitre 6 pour en savoir plus au sujet des analyses du cycle de vie (ACV) appliquées au secteur des TIC. Dans ce chapitre clé du livre, l’auteur insiste sur le fait qu’une évaluation rigoureuse des impacts environnementaux des TIC ne peut se faire qu’en prenant en compte les effets directs et indirects (voir Tableau 1). Il montre ensuite comment cela peut se faire dans le cas des équipements TIC, et n’aborde malheureusement pas l’aspect logiciel, dont les impacts environnementaux, notamment en termes de consommation énergétique, ne sont pas négligeables6. L’auteur tente néanmoins de palier un déficit d’explication méthodologique sur les ACV par le schéma suivant :

Tableau 2. Cycle de vie des équipements TIC

Tableau 2. Cycle de vie des équipements TIC

Source : Figure 6-1 du livre de Hilty, p. 124.

  • 7 Voir le site d’Eco-Info pour des suggestions de lecture sur ces sujets, op. cit.

8Ce schéma a l’avantage d’inclure la phase de conception, traditionnellement absente des ACV, oubli qui constitue une barrière importante à l’éco-innovation puisque la conception n’est pas prise en compte dans les évaluations d’impact environnementales. À chacune de ces phases, de l’énergie et des matières premières sont consommées ainsi que de l’infrastructure numérique. Il est donc essentiel d’avoir ces différentes phases à l’esprit pour analyser les impacts environnementaux des TIC. Par exemple, les équipementiers communiquent aujourd’hui beaucoup sur les serveurs « verts ». Or, ces efforts ne portent que sur la phase « utilisation » des TIC, alors que selon le type d’équipement les impacts négatifs se concentreront soit sur la phase d’utilisation soit sur la phase de production. Par exemple, pour les TIC de petite taille (PC, téléphones...), la plus grande partie de l’énergie consommée sur l’ensemble de leur cycle de vie l’est pendant la phase de production, contrairement aux plus gros équipements (serveurs, réseaux 2G ou 3G...) où elle l’est pendant la phase d’utilisation. Il important de comprendre cela si l’on veut réduire la consommation énergétique des TIC, d’où l’importance du schéma précédent. Ainsi pour réduire la consommation énergétique des petits équipements, il faudrait se concentrer sur la phase de production, les fabricants pouvant tenter d’améliorer leur productivité énergétique ou d’allonger la durée de vie des équipements. Enfin, la manière avec laquelle l’énergie consommée par les TIC est produite n’est pas prise en compte, et d’autres types impacts que l’énergie sont à prendre en considération, comme la fin de vie des TIC (les résidus DEEE -Déchets d’Équipements Électriques et Électroniques) ou les enjeux géostratégiques associés aux terres rares7.

9D’aucuns répliqueront que les consommateurs ont un rôle plus important à jouer que les technologies dites « vertes », la solution la plus économe en ressources naturelles consistant à ne pas acheter le produit en question (ce qui revient de facto à supprimer la phase de production et les emplois qui vont avec...). La rapidité de la diffusion des TIC dans les pays riches comme dans les pays en développement suggère qu’il est risqué à court terme de ne miser que sur cette seule option. Concernant les serveurs, c’est sur la phase d’utilisation qu’il faudrait concentrer les efforts, ce qui n’est pas du ressort des fabricants de réseaux numériques mais des fournisseurs de services et de leurs clients. Mais là aussi, il est délicat sans risquer d’être taxé d’atteinte aux libertés individuelles d’entreprendre des campagnes de sensibilisation visant à expliquer à la « génération Y » (qui a toujours connu Internet) que le tout vidéo a de forts impacts environnementaux (énergétiques) et éthiques (déchets de serveurs exportés vers les pays pauvres), et qu’un geek écologiquement responsable limite son utilisation de vidéos sur le Net.

  • 8 Stratégie par laquelle une organisation prétend faire des efforts pour réduire ses impacts environn (...)

10Le phénomène le mieux explicité et auquel l’auteur accorde une juste place est celui de l’effet rebond, effet secondaire ravageur de l’accroissement de l’efficacité généré par les TIC. Celui-ci apparaît notamment lorsque des gains d’efficacité ayant permis d’utiliser moins de ressources pour fabriquer le même produit contribuent à faire baisser le prix de ces ressources ou de ce produit, et qu’il en résulte une hausse de leur consommation. La présentation que donne Hilty de l’effet rebond est très intéressante, car elle permet d’identifier les écotechnologies qui ont une véritable contribution environnementale, et donc de décourager les stratégies d’écoblanchiment (« greenwashing »)8. Elle est résumée dans le tableau suivant :

Tableau 3. L’effet rebond en tant que sous-produit d’une efficacité

Tableau 3. L’effet rebond en tant que sous-produit d’une efficacité

Source : Figure 4-1 du livre de Hilty, p. 73.

11L’effet rebond au sens restreint apparaît lorsqu’une amélioration de l’efficacité est entreprise dans le but de réduire les intrants, et que cet objectif n’est pas atteint malgré l’amélioration de l’efficacité. Dès lors, les technologies les plus efficaces sont celles qui atteignent leur objectif et ne génèrent pas d’effet rebond. Ce sont celles qui, au final, n’occasionnent pas d’accroissement de la consommation d’intrants, et qui contribuent effectivement à une économie nette de ressources. L’auteur souligne que seules ces technologies-là contribuent vraiment à réduire notre empreinte écologique. Faisons par exemple l’hypothèse que l’optimisation des moteurs de voiture au cours des trente dernières années en France ait eu pour objectif de réduire la consommation d’essence dans ce pays. Dans les faits, cet objectif a été atteint par unité de véhicule mais pas au niveau national, car la consommation de carburant et les émissions de CO2 associées ont fortement augmenté depuis trente ans9. On peut donc conclure à la présence d’un effet rebond et à l’échec du moteur dit « propre » car consommant moins de carburant que ses prédécesseurs.

12Hilty explique dans le chapitre IV comment calculer l’effet rebond, et nous donne des conclusions saisissantes sur les gains de temps supposés grâce à l’utilisation d’un ordinateur. Les études empiriques menées par EMPA montrent en effet qu’avec certains systèmes informatiques l’utilisateur subit en fin de compte une baisse de sa performance, que l’auteur explique par la combinaison de plusieurs effets rebond. Il identifie également un effet rebond lié à la miniaturisation des produits et composants : alors que les téléphones mobiles sont de plus en plus petits, la masse totale de tous ces appareils en circulation a fortement augmenté depuis le début des années 1990 (on en compte aujourd’hui plus de 4 milliards d’unités).

13En guise de conclusion, on peut noter que l’auteur passe finalement peu de temps sur les impacts positifs des TIC sur l’environnement. Il y consacre le chapitre 2 qui traite des systèmes d’information environnementaux, sans lesquels il serait difficile de bien connaître les changements environnementaux globaux. Le chapitre 3 traite d’un autre effet secondaire positif des TIC, qui permet selon Hilty de fournir une qualité de vie au plus grand nombre sans épuiser les écosystèmes. Il s’agit de la « dématérialisation », par laquelle nos sociétés créent plus de valeur avec beaucoup moins de ressources énergétiques et matérielles. Il est d’ores et déjà intéressant de noter que l’auteur ne questionne pas le monopole du paradigme de la création de valeur comme moteur principal de la qualité de vie dans les sociétés de consommation. Sa perspective écarte donc la diminution de ce type de création de valeur pour rendre nos sociétés plus justes et moins destructrices des écosystèmes naturels. Mais faire plus avec moins ne va pas sans effets pervers, comme les effets rebond auxquels l’auteur accorde une grande place dans son analyse des relations entre TIC et environnement.

14Enfin, le chapitre 8 contient quelques recommandations à l’attention des acteurs pour réaliser une société de l’information soutenable. L’ouvrage apporte aussi des réponses à des questions que beaucoup d’utilisateurs de TIC se posent, telles que : « Est-il plus écologique de lire en ligne ou sur papier ? ». Notre collègue suisse n’ayant pas traduit son ouvrage en français, les lecteurs anglophones sont pour l’instant les seuls à pouvoir lire la réponse à cette question. Il leur reste à méditer sur la question suivante : dans quelle mesure l’ouvrage de Lorenz Hilty contribue-t-il à soutenir les effets environnementaux positifs des TIC ? Si le lecteur devient sceptique quant au caractère immatériel de TIC et se méfie des sirènes des TIC dites « vertes » (« éco-TIC ») son pari est en partie gagné. Sinon, on se consolera par le choix responsable de l’éditeur « Books On Demand », qui comme son nom l’indique n’imprime les livres de ses auteurs qu’à la demande. Comme le souligne Hilty, en moyenne un ouvrage publié sur trois part au pilon pour cause d’invendu. Gageons que ce ne sera pas le sort de ce numéro spécial de Terminal...

Haut de page

Notes

1 Voir http://www.ifi.uzh.ch/en/isr.html.

2 Voir notamment leur excellent guide sur les e-déchets : http://ewasteguide.info.

3 Berkhout, F., J. Hertin (2001). Impacts of Information and Communication Technologies on Environmental Sustainability: Speculations and evidence. Brighton, University of Sussex. 21.

4 Il manque toutefois la phase de conception, traditionnellement absente des outils utilisés pour évaluer ces impacts : les analyses du cycle de vie (ACV).

5 Pour une présentation critique en anglais voir Finnveden, G. (2000). « On the limitations of life cycle assessment and environmental systems analysis tools in general. » The International Journal of Life Cycle Assessment 5(4) : 229-238.

6 Voir https://ecoinfo.cnrs.fr/2017/01/05/conf-ecoinfo-3-fevrier-2017-impact-des-logiciels-sur-lenvironnement-quid-de-leco-conception/.

7 Voir le site d’Eco-Info pour des suggestions de lecture sur ces sujets, op. cit.

8 Stratégie par laquelle une organisation prétend faire des efforts pour réduire ses impacts environnementaux (ou ceux d’autres secteurs) alors qu’elle ne fait rien ou pas grand-chose. Voir http://sinsofgreenwashing.com/.

9 Voir à ce sujet Gossart (2010), notamment l’encadré sur l’automobile.

Haut de page

Table des illustrations

Titre Tableau 1. Cadre conceptuel d’analyse des liens entre TIC et environnement
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terminal/docannexe/image/1831/img-1.png
Fichier image/png, 249k
Titre Tableau 2. Cycle de vie des équipements TIC
Légende Source : Figure 6-1 du livre de Hilty, p. 124.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terminal/docannexe/image/1831/img-2.png
Fichier image/png, 71k
Titre Tableau 3. L’effet rebond en tant que sous-produit d’une efficacité
Légende Source : Figure 4-1 du livre de Hilty, p. 73.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terminal/docannexe/image/1831/img-3.png
Fichier image/png, 208k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Cédric Gossart, « « Information technology and sustainability: Essays on the relationship between information technology and sustainable development », de Lorenz M. Hilty (2008), Books on Demand »Terminal [En ligne], 106-107 | 2010, mis en ligne le 28 avril 2018, consulté le 12 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/terminal/1831 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/terminal.1831

Haut de page

Auteur

Cédric Gossart

Enseignant-chercheur à Télécom École de Management, membre du comité de réaction de Terminal

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search