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Dossier

Le patrimoine religieux de l’arrondissement Rosemont-La Petite-Patrie, à Montréal: un spectacle ecclésial à potentiel touristique ?

Jonathan Cha
p. 6-16

Abstract

Comme des dizaines d’autres villes d’Occident, Montréal s’est approprié le vocable de « ville aux cent clochers » (Hanna, 2002 : 6-7). Mais alors que partout ailleurs cette qualification s’est faite très tôt, du XIVe au XVIIIe siècle, à Montréal elle n’apparaît que tardivement ; la légende urbaine l’attribue à Mark Twain, de passage à Montréal en 1881, qui aurait dit : « This is the first time I was ever in a city where you couldn’t throw a brick without breaking a church window. » En fait, le label « ville aux cent clochers » apparaît à Montréal au début du XXe siècle, après l’arrivée massive des religieux français qui, fuyant les effets de la Loi de Séparation de 1905, vouent le Québec à devenir le siège de la chrétienté francophone d’Occident. Aussitôt, Montréal affirme un leadership spirituel, au Québec et en Occident. Or, si le patrimoine ecclésial est omniprésent à Montréal, on doit admettre qu’il fonctionne par effet d’ensemble, plus que par la notoriété d’un grand nombre de monuments individuels. En effet, peu d’églises sont bien fréquentées – celles qui le sont se trouvent plutôt en banlieue – et très peu ont fait l’objet d’une mise en tourisme réussie. Cet essai propose une analyse des outils qui, au fil des ans, ont façonné le succès d’estime de certains monuments ecclésiaux montréalais et une évaluation du potentiel touristique des églises de l’arrondissement Rosemont–La Petite-Patrie, parmi lesquelles figure un certain nombre de ces grandes églises construites pendant la période allant de 1900 à 1930, qui ont contribué à ancrer cette image de la « ville aux cent clochers ». Nos recherches menées en vue de produire un plan stratégique de conservation des églises de l’arrondissement Rosemont–La Petite-Patrie ont permis de dresser l’inventaire de celles-ci et d’évaluer leur valeur patrimoniale. Cette redécouverte du patrimoine ecclésial de l’arrondissement Rosemont–La Petite-Patrie milite en faveur d’une mise en tourisme de ces monuments. Au moment où se développe le tourisme urbain, les villes tentent d’attirer les touristes hors des sentiers battus, notamment en intercalant de nouveaux attraits dans les parcours consacrés. À chaque époque, individus et collectivités patrimonialisent les objets auxquels ils s’identifient, pour bien spatialiser leur identité, ancrer leur mémoire collective ; nous devons donc aussi renouveler notre offre touristique dans des sites et des objets en transparence desquels il nous importe d’être reconnus par le visiteur, par l’Autre.

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Editor's notes

A l’époque de la publication de ce texte, Téoros était une revue de transfert. Plusieurs des textes présentés pour ce numéro n’ont pas été soumis à l’évaluation par les pairs.

Full text

1Comme des dizaines d’autres villes d’Occident, Montréal s’est approprié le vocable de « ville aux cent clochers » (Hanna, 2002 : 6-7). Mais alors que partout ailleurs cette qualification s’est faite très tôt, du XIVe au XVIIIe siècle, à Montréal elle n’apparaît que tardivement ; la légende urbaine l’attribue à Mark Twain, de passage à Montréal en 1881, qui aurait dit : « This is the first time I was ever in a city where you couldn’t throw a brick without breaking a church window. » En fait, le label « ville aux cent clochers » apparaît à Montréal au début du XXe siècle, après l’arrivée massive des religieux français qui, fuyant les effets de la Loi de Séparation de 1905, vouent le Québec à devenir le siège de la chrétienté francophone d’Occident. Aussitôt, Montréal affirme un leadership spirituel, au Québec et en Occident. Déjà Mgr Bourget (1840-1876) avait laissé le projet d’une cathédrale imitant Saint-Pierre de Rome ; les travaux sont parachevés en 1894. Le « témoignage de la foi d’un grand peuple » se confirme en 1910, lors de la tenue du XXIe Congrès eucharistique international, le premier événement du genre à se dérouler en Amérique du Nord. C’est donc en un peu moins de trente ans que la ville se dote de ces quelque cent clochers catholiques romains, ce qui permet à Olivier Maurault (1929) de qualifier Montréal de « Rome d’Amérique », en 1929. Depuis cette période héroïque, plusieurs centaines d’églises et de chapelles sont venues gonfler les statistiques.

  • 1 [http://www.lieuxdeculte.qc.ca].

2L’Inventaire des lieux de culte1dressé en 2004 par la Fondation du patrimoine religieux du Québec a dénombré, toutes traditions religieuses confondues, quelque 600 lieux de culte sur l’île de Montréal, érigés avant 1975. Depuis les années 1960, les chiffres ont explosé

 par l’ajout de synagogues, d’églises orthodoxes de plusieurs traditions, d’églises catholiques italiennes, portugaises ou ukrainiennes, de temples évangéliques haïtiens ou africains, de mosquées, de temples bouddhistes ou hindous et combien d’autres […]. La ville aux cent clochers existe et, au fil des ans, a pris des allures fantasmagoriques avec ses clochers, coupoles, tours, bulbes d’oignons et minarets. (Hanna, 2002 : 7)

3Or, si le patrimoine ecclésial est omniprésent à Montréal – il structure le paysage urbain et façonne l’imaginaire collectif (Godin, 2002 :106) –, on doit admettre qu’il fonctionne par effet d’ensemble, plus que par la notoriété d’un grand nombre de monuments individuels. En effet, peu d’églises sont bien fréquentées – celles qui le sont se trouvent plutôt en banlieue – et très peu ont fait l’objet d’une mise en tourisme réussie. Or, si la notoriété d’un monument passe par sa connaissance et sa reconnaissance, elle suppose une bonne fréquentation, notamment par un visiteur, qu’il soit fidèle ou touriste. Devant la désaffectation massive des lieux de culte, surtout les plus anciens situés dans les quartiers centraux, sauver et conserver un certain nombre d’églises de Montréal requiert donc la production d’un discours interprétatif qui les rende accessibles à la sensibilité, de plus en plus laïque, de notre époque, tout comme la mise en place d’outils favorisant la mise en tourisme.

4Cet essai propose une analyse des outils qui, au fil des ans, ont façonné le succès d’estime de certains monuments ecclésiaux montréalais et une évaluation du potentiel touristique des églises de l’arrondissement Rosemont–La Petite-Patrie, parmi lesquelles figure un certain nombre de ces grandes églises construites pendant la période allant de 1900 à 1930, qui ont contribué à ancrer cette image de la « ville aux cent clochers ».

Le touriste voit cinq clochers

5D’abord, une évidence s’impose. À Montréal, le tourisme a surtout ciblé deux lieux de culte exemplaires : l’oratoire Saint-Joseph et la basilique Notre-Dame, classés respectivement au troisième et au huitième rangs des attraits les plus populaires par Tourisme Montréal en 2003. Les deux monuments ciblent cependant des clientèles bien distinctes. Ainsi, l’oratoire Saint-Joseph, situé sur le flanc ouest du mont Royal, est un lieu de pèlerinage reconnu en Amérique du Nord ; on y célèbre deux dévotions, l’une au frère André, guérisseur des malades, l’autre à saint Joseph, patron du Canada français. Ce lieu de culte attire donc des foules nombreuses ; l’ascension des marches est l’élément clé du pèlerinage, mais l’imposante figure architecturale – l’Oratoire posséderait le deuxième plus haut dôme au monde – ancrée dans un parc aménagé au flanc du parc du Mont-Royal est une attraction en soi. Récemment, la direction de l’Oratoire a entrepris un vaste projet de restauration des bâtiments et de mise en valeur du site avec l’aide financière des gouvernements provincial et fédéral.

6De son côté, la basilique Notre-Dame tire profit de son ancrage dans le Vieux-Montréal, haut lieu du tourisme au Québec, et de sa proximité du Vieux-Port et du Palais des congrès ; sa figure patrimoniale a fait l’objet d’une lente élaboration depuis le début des années 1970 et le monument tire sa notoriété de son âge, de son ampleur, de la richesse de son ornementation, mais aussi des événements artistiques – l’Orchestre symphonique de Montréal y joue fréquemment et ses grandes orgues sont célèbres en Amérique du Nord – et des cérémonies grandioses qui s’y tiennent, dont les funérailles nationales de personnalités politiques et artistiques du Québec et du Canada. L’édifice qui, encore au début des années 1970, était décrit comme un exemple d’architecture de mauvais goût, est aujourd’hui une icône de l’identité montréalaise.

7La question qui se pose aujourd’hui est simple : le tourisme doit-il uniquement cibler les monuments emblématiques, toujours les mêmes (l’oratoire Saint-Joseph et Notre-Dame de Montréal, par exemple), ou peut-il se déployer plus largement, dans un quartier bien typique de Montréal ? À cet égard, il vaut la peine de passer en revue les outils de promotion du patrimoine ecclésial de la ville.

  • 2 La chapelle Notre-Dame-de-Bonsecours, la basilique Saint-Patrick, la cathédrale Christ Church, l’Ég (...)

8Dans les deux bureaux d’information touristique de Montréal, où la majorité des visiteurs étrangers s’arrêtent pour obtenir des renseignements sur les différents sites et lieux à visiter, il y a bien peu d’information sur le patrimoine ecclésial de la ville. Le Centre Information ? du Vieux-Montréal, situé place Jacques-Cartier, ne propose aucun document spécifique alors que le centre Infotouriste ? du centre-ville, situé square Dorchester, présente une seule brochure sur les lieux de culte historiques du Québec : Les églises du Québec, splendeurs du sacré. Parmi les monuments parsemés dans la vallée du Saint-Laurent, on trouve dix églises de Montréal ; sept sont des monuments classés par le Québec2et les trois autres – la basilique Notre-Dame, la basilique-cathédrale Marie-Reine-du-Monde et l’oratoire Saint-Joseph – sont les plus notoires, sans avoir de statut de protection juridique autre que leur inscription dans un arrondissement historique ou un site du patrimoine municipal. La brochure présente l’effet d’ensemble produit par le patrimoine ecclésial montréalais :

Longtemps surnommée la ville « aux cent clochers », Montréal a été fondée en 1642 grâce à l’intérêt des sulpiciens pour l’évangélisation des Amérindiens. Toujours dominée par la croix du mont Royal, elle compte une profusion d’églises de confessions diverses et de styles très variés dont certaines constituent de véritables joyaux.

Tableau 1- Lieux de culte présentés dans les guides touristiques/10

Lieux de culte

Quantité

Pourcentage

Basilique Notre-Dame

10

100 %

Chapelle Notre-Dame-de-Bonsecours

10

100 %

Christ Church

10

100 %

Oratoire Saint-Joseph

10

100 %

Cathédrale Marie-Reine-du-Monde

09

90 %

Saint Patrick Basilica

06

60 %

Saint Georges Church

05

50 %

Eglise Saint- Jean- baptiste

04

40 %

Saint Andrew and Saint Paul Church

04

40 %

Source : Jonathan Cha.

  • 3 Vol. I : Centre-sud : Saint-Jacques, Centresud : Sainte-Marie, Le campus McGill, Le Quartier Latin. (...)

9Quelques dépliants et livres ont été produits au cours de la dernière décennie pour promouvoir le tourisme dans les églises de la ville. Ainsi, en 1992, à l’occasion des célébrations du 350e anniversaire de la fondation de Montréal, Héritage Montréal, organisme de sauvegarde du patrimoine bâti et environnemental, lançait des auto-guides intitulés Patrimoine en marche3, répartis en quatre livrets et proposant une découverte (à pied) des quartiers centraux de Montréal. Les églises y figurent en bonne place. Composé d’un texte et d’une carte, chaque livret permettait de suivre un itinéraire selon un parcours explicite parsemé de brèves descriptions des lieux et des bâtiments. En outre – et c’est ce qui faisait l’originalité de Patrimoine en marche –, chaque parcours comportait un marquage au sol, orientant le regard du visiteur vers les sites et les bâtiments d’intérêt patrimonial.

10L’arrondissement Hochelaga-Maisonneuve a lancé ces dernières années un petit guide touristique comportant une section « Patrimoine religieux » où se trouvent de courts textes historiques et des photographies des quatre églises importantes de l’arrondissement. Il s’agit d’une initiative fort intéressante qui valorise enfin ce patrimoine unique, particulièrement précieux dans ce quartier ouvrier de Montréal où les édifices monumentaux ne sont pas légion. Même si l’arrondissement compte au moins quatre fois plus d’édifices cultuels que ceux qui ont été mis de l’avant dans cette brochure, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un premier pas fort intéressant dans la patrimonialisation de ces églises, surtout au moment où trois sur quatre risquent d’être désaffectées dans un proche avenir.

11Un dépliant, Religious Héritage Religieux, produit en l’an 2000 et encore aujourd’hui distribué dans quelques églises montréalaises, invite les Montréalais et les touristes à découvrir la richesse du patrimoine écclésial. Une carte recense vingt lieux de culte anglicans, catholiques et de l’Église unie du Canada ; les bâtiments sont répartis sur l’île, mais une importante concentration se trouve entre le mont Royal et le fleuve Saint-Laurent. Un bref texte y fait l’éloge, encore une fois, du paysage ecclésial :

En découvrant Montréal à travers son patrimoine religieux, vous comprendrez ce qui rend sa culture si fascinante. Parcourez nos musées ! Visitez nos églises ! Peintres, vitraux, sculptures, liturgie et musique, toute l’expression artistique et spirituelle des générations passées et présentes vous est dévoilée dans ces lieux de culte d’une architecture qui leur est propre.

Une ville avec tant de splendeurs ne peut que favoriser le recueillement et la sérénité. C’est pourquoi nous vous invitons à vivre une expérience historique, mais d’abord spirituelle, à l’occasion de votre passage dans la « Ville aux cent clochers ». (Ministère de la culture et des communications, 2000)

12Puis, il y a les guides et les dépliants paroissiaux qui se trouvent dans certaines églises et lieux de culte connus et fréquentés. Ils relatent l’histoire des lieux, présentent le processus d’édification, les artisans, les architectes et les personnes influentes qui ont participé à leur parachèvement et proposent, par une série de photographies, un parcours imagé des lieux. La chapelle Notre-Dame-de-Bonsecours, la chapelle Notre-Dame-de-Lourdes, la basilique Notre-Dame, la basilique Saint Patrick et l’oratoire Saint-Joseph ont tous des guides et des dépliants que l’on peut se procurer à l’entrée ou dans un magasin de souvenirs. Ils sont gratuits ou disponibles à un coût minime.

  • 4 Le Grand calendrier du patrimoine, juin à novembre 2004, est une initiative d’Héritage Montréal, av (...)
  • 5 En effet, plusieurs visites présentent un ou deux lieux de culte au long de leur parcours. Cependan (...)
  • 6 « Explorez la grande diversité architecturale et religieuse d’une vingtaine de lieux de culte qui, (...)
  • 7 « Dans ces quartiers ouvriers, à quelques rues les unes des autres, se côtoient un nombre impressio (...)
  • 8 « Comme des joyaux cachés, les églises du centre-ville de Montréal brillent de par leur histoire, l (...)
  • 9 Parmi les édifices commerciaux ou les tours d’habitation, le centre-ville ouest recèle une collecti (...)

13En matière de visites guidées ou commentées, le choix est encore plus restreint. À l’exception de la basilique Notre-Dame et de l’oratoire Saint-Joseph, qui offrent de tels services, la majorité des lieux de culte de Montréal n’accueille pas le touriste de façon organisée. Il faut alors se tourner vers les organismes qui organisent de telles visites, généralement par le biais de parcours accompagnés. Le Grand calendrier du patrimoine4recense, une fois l’an, les activités de groupes qui se livrent à de telles visites commentées : Amarrages sans Frontières, Héritage Montréal, Kaléidoscope et L’Autre Montréal, par exemple. Mais peu de ces visites concernent uniquement le patrimoine ecclésial5. En effet, en 2004, seulement quatre tours « églises » étaient offerts : l’organisme Mémoire du Mile-End présentait une visite sur Le patrimoine religieux du Mile-End6et Héritage Montréal, par le biais des Architectours, proposait trois visites consacrées aux églises, Les étonnantes églises d’Hochelaga-Maisonneuve7, Les églises du Centre-ville est8et La glorieuse diversité des églises de l’ouest du Centre-ville9. Ces visitent, orientées vers une interprétation des qualités urbaines et architecturales des monuments, concernent en tout une quinzaine d’églises de Montréal.

  • 10 On entend ici les plus connus qui ont une valeur historique indéniable tels la basilique Notre- Dam (...)

14Signalons quand même une visite de L’Autre Montréal : Montréal en religions, circuit de découverte urbaine, qui traite de l’histoire et de la diversité religieuse de Montréal. Contrairement à celles d’Héritage Montréal, cette visite s’attarde peu à l’architecture ; elle se concentre sur la présence sociale et ethnique par l’intermédiaire des lieux de culte, souvent des édifices commerciaux ou industriels repris et adaptés aux besoins des nouvelles traditions religieuses de la métropole. Par ailleurs, les tours de quartiers de divers organismes, tels Amarrages sans Frontières et Kaléidoscope, permettent de visiter, ici et là, quelques églises, temples et synagogues de rites autres que catholiques et protestants. Mais il s’agit là plutôt d’une immersion ethno-culturelle que d’une mise en valeur des lieux de culte. De façon plus sommaire, les tours guidés des principaux attraits de Montréal en autobus permettent de voir quelques lieux de culte, toujours les mêmes, ceux qui au fil du temps se sont établis en tête du palmarès10.

  • 11 Les principales églises qui offrent ces messes sont la basilique Saint-Patrick, la cathédrale Chris (...)

15Ceux qui préfèrent visiter les monuments à l’occasion de spectacles ou d’événements liturgiques sont aussi servis, avec les mêmes monuments de tête de liste. Plusieurs spectacles et concerts ont lieu dans les lieux de culte de Montréal, notamment à la basilique Notre-Dame. Ceux qui s’intéressent davantage au culte sont servis par une gamme de célébrations à l’occasion de la fête de la Nativité du Christ, qui ont lieu durant tout le mois de décembre. À cette occasion, plusieurs églises11du centre-ville proposent des messes aux rituels variés accompagnées de choristes et de musiciens. La basilique Notre-Dame présente des concerts et des récitals d’orgue ; le festival consacré à Mozart et l’oratoire Saint-Joseph offrent des concerts et des chorales qui entrecoupent des journées de dévotion.

16Alors que la basilique Notre-Dame et l’oratoire Saint-Joseph multiplient les célébrations spéciales, la Saint Andrew and Saint Paul Church propose une messe toute particulière, à la chandelle et aux costumes blanc et rouge, ce qui crée une atmosphère très British. De telles célébrations permettent de vivre une expérience autant religieuse que culturelle.

  • 12 Les lieux de diffusion du festival Orgue et couleurs sont la basilique Notre-Dame, l’église Saint-N (...)

17Pour les amateurs de musique classique, outre les quelques prestations de I Musici et d’autres ensembles musicaux, qui œuvrent occasionnellement à l’église Saint-Jean-Baptiste, Montréal présente depuis 1999 le festival Orgue et couleurs12, qui se déroule principalement dans les églises du quartier Hochelaga-Maisonneuve, reconnues pour la qualité de leurs orgues. Pendant deux semaines, cette symphonie d’automne permet à la fois d’entendre de grands talents musicaux et de découvrir la splendeur des églises et la puissance sonore des orgues.

  • 13 Symphonie d’automne à Montréal (2002), festival Orgue et couleurs, Montréal.

Mélomanes avertis ou amateurs curieux, embarquez de plein pied dans l’aventure automnale aux multiples coloris. […] Le Festival fait valoir les atouts de cette « ville aux cent clochers ! ».13

18Mais le spectacle le plus impressionnant est sans contredit celui inauguré en 2001 en la basilique Notre-Dame: il résulte du travail de 150 artistes et artisans, requiert le fonctionnement de 26 moteurs et d’un écran mesurant 60 pieds par 70. Et la lumière fut est une présentation visuelle à grand déploiement qui retrace de façon éblouissante la naissance de Montréal et la genèse de l’église Notre-Dame, érigée en basilique mineure par Jean-Paul II en 1982. Le spectacle historique met aussi en lumière les composantes architecturales et artistiques de l’église.

19Les guides touristiques en vente dans les bureaux d’information touristique de Montréal et dans les librairies sont une source d’information à laquelle s’abreuvent les touristes.

  • 14 Fodor’s Citypack Montréal, Guide Gallimard Québec, Guide Michelin Canada, Guide Michelin Québec, Gu (...)

20Pour les fins de cet article, dix guides actuellement sur le marché14ont été sélectionnés dans le but d’apprécier l’offre et la diversité en patrimoine ecclésial. La lecture du tableau 1 fait ressortir que seulement 7 lieux de culte apparaissent dans au moins la moitié des guides. Sur un total de 49 lieux de culte mentionnés, tous guides confondus, 28 n’apparaissent qu’une seule fois et 8 apparaissent 2 fois seulement. Notons que 6 de ces lieux de culte sont situés dans le secteur centre-ville/Vieux-Montréal et 1 en périphérie du centre, dans le quartier Côte-des-Neiges. Le tableau 2, qui compile les images de lieux de culte dans les guides touristiques, est encore plus éloquent ; les occurrences passent de 7 à 3 pour ce qui est des églises illustrées dans la moitié des guides. La basilique Notre-Dame, l’oratoire Saint-Joseph et la cathédrale Marie-Reine-du-Monde sont les 3 seules églises à avoir une bonne visibilité dans une ville qui compte quelque 600 églises. Si « la ville aux cent clochers » est dans l’air, le moins qu’on puisse dire est que ces clochers ne sont pas encore dans les livres.

Tableau 2 - Lieux de culte illustrés dans les guides touristiques /10

Lieu de culte

Quantité

pourcentage

Basilique Notre-Dame

08

80 %

Oratoire Saint-Joseph

08

80 %

Cathédrale Marie-Reine-Du-Monde

06

60 %

Christ Church

04

40 %

Chapelle Notre-Dame-de-Bonsecours

02

20 %

Source : Jonathan Cha.

  • 15 Montréal (Brunet, 2000), Montréal (Justin, 1989), Montréal au fil du temps (Demers et McQuarrie, 20 (...)

21Les livres de photographies consacrés à Montréal jettent un regard général sur les composantes structurantes et identitaires du paysage montréalais ; c’est la multitude de clichés photographiques qui rendent compte de – et façonnent – l’imaginaire des montréalais et des touristes. Ces livres sont offerts dans tous les présentoirs des librairies de la métropole et ont une grande visibilité. Six livres recensés15ont permis d’observer la quantité et la diversité des lieux de culte offerts à la délectation d’un public généraliste. Le tableau 3 montre que seulement 5 lieux de culte sur les 19 illustrés apparaissent dans au moins la moitié des livres. C’est sans surprise qu’on y trouve la basilique Notre-Dame, la chapelle Notre-Dame-de-Bonsecours, la Christ Church, l’oratoire Saint-Joseph et la cathédrale Marie-Reine-du-Monde.

Tableau 3- Lieux de culte illustrés dans les livres de photographies /6

Lieu de Culte

Quantité

Pourcentage

Basilique Notre-Dame

06

100%

Cathédrale Marie-Reine-du-Monde

06

100%

Christ Chuch

05

80%

Chapelle Notre-Dame-de-Bonsecours

03

50%

Oratoire Saint -Joseph

03

50%

Source : Jonathan Cha.

  • 16 Un échantillon de 500 cartes postales a été utilisé pour réaliser cette étude. Ce nombre représente (...)

22Les cartes postales16sont un médium efficace pour qui veut analyser les représentations urbaines bien établies dans la ville.

23Les urbains se reconnaissent dans ces images populaires et offrent en partage aux touristes ces lieux qui spatialisent leur identité, celle par le biais de laquelle ils veulent se représenter. Les touristes choisissent des cartes postales, c’est-à-dire des représentations qui leur conviennent, et en laissent de côté d’autres, qui sont retirées du marché. Le bilan, un compromis entre l’offre et la demande, permet d’adapter l’offre à la demande, ce qui, tant du point de vue du visiteur que du visité, convient en termes de représentation pour forger un imaginaire citoyen et touristique.

  • 17 La basilique Notre-Dame et l’oratoire Saint-Joseph sont représentés sur 73,34% des cartes postales (...)

24Le tableau 4 présente la place qu’occupent les églises dans l’offre totale en cartes postales à Montréal. Or, contrairement à la disette observée dans les guides et les livres de photographies, les églises occupent la deuxième place en tant qu’objets représentés. Elles devancent même par plus de 3% l’icône montréalaise par excellence, le Stade olympique. Cette première lecture laisserait croire que le patrimoine ecclésial est très présent dans la carte postale et que tout touriste est conscient et consomme la richesse de la « ville aux cent clochers ». Or, il n’en est rien. Le tableau 5 démontre plutôt qu’il y a sur le marché beaucoup de cartes postales, mais qu’elles représentent un petit nombre d’églises, toujours les mêmes17. De plus, deux églises, la basilique Notre-Dame et l’oratoire Saint-Joseph, se partagent pas moins de 73 % de la représentation des lieux de culte en cartes postales.

Tableau 4 – le sujet «  lieux de culte » dans l’offre en cartes postales /500

Objet/vue

Quantité

Pourcentage

Centre-ville

116

23,20%

Eglises/lieux de culte

60

12,00%

Stade Olympique

44

08,80%

Plex/escaliers/trottoirs/maisons en rangées

40

08,00%

Place Jacques-Cartier/ hôtel de ville

33

06,60%

Les saisons-hiver/automne

33

06,60%

Source : Jonathan Cha.

Tableau 5- Place des lieux de culte dans l’offre en cartes postales /500

Objet / vue

Quantité

Pourcentage /500

Pourcentage /60

60

12,00 %

100,00 %

Basilique Notre-Dame

25

5,00 %

41,67 %

Oratoire Saint-Joseph

19

3,80 %

31,67 %

Cathédrale Marie-Reine-du-Monde

7

1,40 %

11,67 %

Chapelle Notre-Dame-de-Bonsecours

6

1,20 %

10,00 %

Christ Church

2

0,40 %

03,33 %

Assemblage de quatre églises

1

0,20 %

01,67 %

Source : Jonathan Cha.

25Jusqu’ici, notre recherche tend à prouver que « la ville aux cent clochers » est un mythe, bien ancré dans l’imaginaire collectif montréalais depuis le début du XXe siècle, mais qui, jusqu’à maintenant, n’a pas eu d’effets significatifs sur l’offre touristique globale de la métropole. Tout se passe comme si les Montréalais avaient gardé pour consommation domestique (lieux de culte) un patrimoine ecclésial aujourd’hui en déshérence. Les cinq bâtiments significatifs, utilisés ici et là pour illustrer le thème du patrimoine ecclésial, un classique du tourisme depuis l’invention du « monument historique » au XIXe siècle, ne rendent pas justice au parc des églises de la cité, pas plus qu’ils ne suffisent à un quelconque effort de rétention qui tablerait sur une expansion de la plage urbaine fréquentée par les visiteurs. Or, nous sommes de ceux qui pensent que Montréal vend mal son atout le plus précieux : une ville qui s’est bâtie et qui s’est développée autour des églises, des lieux de culte. Il est ainsi intéressant de constater les contradictions de la triade : le mythe, la réalité et la représentation qui alimentent l’offre touristique (tableau 6).

Tableau 6 – Triade : mythe, réalité et représentation

Le mythe

Appellation historique / symbolique

La ville aux 100 clochers

La réalité

Réalité territoriale

Les représentations

Offre touristique

La ville aux 600 clochers

La ville aux 5 clochers

Source : Jonathan Cha.

26Dans l’offre touristique – et les représentations sur lesquelles elle se fonde et qu’elle véhicule –, les grandes églises de quartier, précisément celles qui ont façonné le mythe de la « ville aux cent clochers », sont absentes. Ces bâtiments, dont la plupart sont reconnus comme « significatifs » et font partie de secteurs « protégés » par la Ville de Montréal, n’apparaissent pas dans la littérature et l’imagerie destinées aux touristes. Ainsi, aucune église de l’arrondissement Rosemont–La Petite-Patrie n’est évoquée dans ce matériel, sauf, à l’occasion, l’anecdotique Notre-Dame-de-la-Défense, désignée lieu historique national du Canada en 2002 grâce aux bons soins d’Alfonso Gagliano et affublée d’une abside en cul-de-four où s’impose la prétentieuse figure équestre d’un Mussolini triomphant. Mais quelle pourrait donc être la place de ces monumentales églises de quartier, que les Montréalais voudraient conserver dans une offre touristique renouvelée ?

Retrouver « la ville aux cent clochers » : des lectures qui fondent la reprise

27Nous proposons d’abord que le mythe « la ville aux cent clochers » devienne le thème d’un programme de conservation et de mise en valeur des bâtiments les plus excellents de la cité. Autrement dit, il s’agit de profiter de l’ancrage identitaire existant pour mobiliser l’action citoyenne qui, à son tour, convaincra les élus et les administrations. Seulement alors les Montréalais pourront-ils être certains qu’un certain nombre de ces églises qu’ils affectionnent subsisteront avec, à la clé, un souci de pérenniser leurs qualités urbaines et architecturales. Pour y arriver, imposons trois lectures qui fondent la reprise des églises par la collectivité qui les offrira ensuite en partage à l’Autre, le visiteur, le touriste.

  • 18 Chaussé : 64.
  • 19 Idem : 63.

28La première lecture établit la valeur historique du patrimoine ecclésial et sa congruence avec le temps long de Ville-Marie qui se mute en Montréal. Colonie pieuse, voulue par les montréalistes dès 1637, « Montréal était […] appelée à devenir au coeur du pays, à côté de Sillery, un deuxième pôle d’attraction et d’évangélisation18. » « Peu de villes peuvent s’enorgueillir comme Montréal d’avoir connu des origines strictement religieuses […]. L’élément religieux et l’élément missionnaire priment en effet tous les autres aspects : politique, économique et colonial19. » Dominée par l’église Notre-Dame, dite « La Paroisse » et la chapelle Notre-Dame-de-Bonsecours, le bourg de Ville-Marie a aussi été le siège de nombreuses institutions religieuses comme l’ancien Hôpital général, le couvent des sœurs grises et le vieux séminaire des Messieurs de Saint-Sulpice.

29La seconde lecture en est une qui démontre la spécificité montréalaise, une ville construite à la fois par les « Français » et les « Anglais ». Particulièrement au centre- ville, mais aussi dans les quartiers de la première couronne, des dizaines de lieux de culte se trouvent à distance rapprochée ; ce sont les lieux de culte des traditions dites « historiques » : catholique, anglicane, presbytérienne, judaïque et ceux de l’Église unie du Canada. Montréal est dominée de concentrations de telles églises : Saint George (anglicane) et la basilique cathédrale Marie-Reine-du-Monde bordent la Place du Canada, au centre-ville, et portent mémoire des quatre autres églises qui s’y élevaient jusqu’au début du XIXe siècle ; sur la rue Sherbrooke, le monumental Temple maçonnique fait face au collège et au grand séminaire des Messieurs de Saint-Sulpice ; le long du canal de Lachine se trouvent, sur une distance de quelques centaines de mètres, la majestueuse et monumentale église des Saints-Anges-Gardiens, la chapelle du collège des soeurs de Sainte-Anne et les deux plus anciennes églises protestantes de Montréal, Saint Andrew, presbytérienne, et Saint Stephen, anglicane ; le long de la rue Beaubien, dans Rosemont, on dénombre six églises et chapelles ; dans Hochelaga-Maisonneuve, la rue Adam aligne cinq églises. Quartier par quartier, rue par rue, Montréal compte des assemblages de monuments ecclésiaux qui évoquent cette coexistence des Français et des Anglais.

30La troisième lecture propose d’appréhender le patrimoine ecclésial comme « patrimoine de proximité ». Montréal n’a que peu d’églises métropolitaines ou nationales ; la basilique-cathédrale Marie-Reine-du-Monde, la basilique Notre-Dame et les cathédrales orthodoxes russes ou ukrainiennes sont de rares monuments qui ont été conçus pour servir une collectivité dispersée sur l’ensemble du territoire urbain. Partout ailleurs, les églises ont été conçues et implantées pour être fréquentées par des résidants qui habitent à distance de marche ; elles s’inscrivent d’abord dans une trame résidentielle où la fonction marchande n’apparaît qu’après coup.

31L’église paroissiale se comprend comme moteur de développement d’un nouveau quartier ; elle attire le développement autant que le parc qui est situé non loin. Près de l’église s’installent les notables, alors qu’à l’opposé s’installent les premiers marchands. La paroisse cède un terrain pour la construction d’une école, bientôt doublée par une autre (garçons et filles). Les institutions religieuses tout comme les caisses populaires rejoignent ces noyaux urbains, le tramway, les autobus et aujourd’hui le métro les mettent en réseau. Dans l’est de la ville, les traditions anglophones, minoritaires, s’éloignent de ces noyaux, cherchant à développer un pôle distinct avec église, Church Hall et Sunday School, tandis que dans l’ouest la multiplicité des traditions représentées dans une densité certaine dessine des lieux centraux avec plusieurs églises. Mais, déjà là, le régime pavillonnaire place ces grandes églises sur de grandes pelouses. Une histoire du patrimoine ecclésial ainsi comprise permettrait de réinscrire tous ces bâtiments dans une logique spatiale qui, tout en facilitant leur reprise comme équipements communautaires, ferait apparaître leur temporaire désaffectation comme anecdotique dans le temps long du patrimoine.

Le potentiel de mise en tourisme du patrimoine religieux dans l’arrondissement Rosemont–La Petite-Patrie, à Montréal

32S’il est évident que les églises qui évoquent la « fondation » de Montréal ou encore celles qui insistent dans le paysage construit pour marquer la présence des « Anglais » et des « Français » – elles sont toutes recensées dans les guides touristiques (tableau 1) – bénéficient déjà d’un statut de protection ou d’une notoriété qui est garante de leur pérennité, il reste à en valoriser un nombre plus grand, précisément au titre du « patrimoine de proximité ». Pour illustrer le potentiel d’une telle démarche, le corpus des églises de l’arrondissement Rosemont–La Petite-Patrie, situé dans le centre-nord de Montréal, nous servira d’étude de cas. Cet arrondissement a une superficie de 14,4 km2 et compte quelque 130 000 habitants ; il regroupe trois quartiers, apparus au fil du temps : La Petite-Patrie, Rosemont et Nouveau-Rosemont. Cet arrondissement est réputé être un lieu d’habitation typiquement montréalais avec ses duplex et ses triplex, ses escaliers torsadés, ses rues bordées d’arbres, ses parcs de quartier, ses quelques rues commerciales et, bien sûr, ses nombreuses églises.

  • 20 Par figure ecclésiale, nous entendons une forme architecturale distincte qui se démarque visuelleme (...)

33Nous avons dressé un inventaire de tous les lieux de culte à figure ecclésiale affirmée20situés sur le territoire de l’arrondissement Rosemont–La Petite-Patrie, ce qui nous a donné des résultats éloquents. Le corpus totalise 58 lieux de culte, toutes catégories confondues : églises, temples, chapelles, monastères, résidences. Avant leur dénombrement, peu d’entre nous, même parmi les résidants, les gestionnaires ou les élus de l’arrondissement, auraient présumé un tel « spectacle ecclésial » à Montréal. En plus, tous les bâtiments situés sur le territoire à l’étude datent du XXe siècle, le soubassement de l'église de la paroisse mère, Saint-Édouard, ayant été érigé en 1901. Ce nombre impressionnant de lieux de culte, principalement catholiques, démontre à quel point le développement de la ville a été orienté et accompagné par le patrimoine ecclésial. Les lieux de culte sont assurément les éléments les plus significatifs de la composition urbaine et ces symboles religieux sont omniprésents dans le paysage de l’arrondissement. Mieux, les églises et les chapelles, aussi nombreuses soient-elles, forment un ensemble très diversifié, ce qui les distingue dans un paysage construit où habitations (essentiellement des « plex »), écoles et édifices commerciaux se regroupent en immenses plages très uniformes. La figure ecclésiale est souvent ce qui singularise une unité de voisinage, encore aujourd’hui identifiée par le nom de la paroisse. « L’esprit de clocher » a veillé à ce que la paroisse se dote d’un monument singulier, d’une qualité digne de l’investissement – économique et symbolique – requis par tous.

  • 21 Tiré d’Elie Joseph Arthur Auclair (1944 : 11) : « Vers la fin de l’autre siècle, des quartiers Sain (...)

34Ces lieux de culte ont ensuite été les moteurs du développement résidentiel et institutionnel des quartiers et sont les pièces maîtresses de la structure urbaine montréalaise. La paroisse Saint-Édouard est à ce titre l’exemple le plus révélateur : elle avait sous sa tutelle une église, un couvent, un hôpital, un hospice, une salle paroissiale distincte et quatre écoles. Avec un tel esprit de développement, la paroisse Saint-Édouard, de concert avec deux compagnies immobilières chargées de développer un secteur encore vierge de Montréal, a donné vie à une nouvelle petite ville aux portes du Montréal de 1900 : le Petit Nord21. En fait, la naissance de la paroisse Saint-Édouard et de toutes les paroisses qui se sont détachées d’elle au fil des ans, correspond à la fondation du Nord de Montréal.

35Les premiers responsables de la mise en forme de ces églises ont été les architectes et les artistes, déjà notoires pour avoir œuvré sur des monuments reconnus ailleurs à Montréal. On peut nommer Joseph-Égide- Césaire Daoust, Joseph-Armand Dutrisac, Donat-Arthur Gascon, Louis Parant, René-Rodolphe Tourville, Lucien Parent, Joseph-Ovide Turgeon, Joseph Sawyer et la firme Robillard, Jetté, Baudoin. Même des figures emblématiques du patrimoine architectural montréalais, tels Roger D’Astous,

36Guido Nincheri et Ernest Cormier, ont livré les plans et réalisé des oeuvres aux expressions et aux styles variés qui contribuent à augmenter la « valeur marchande » du patrimoine ecclésial de l’arrondissement. Roger D’Astous est réputé pour sa maîtrise de la technique structurale et son génie de composition des espaces intérieurs, ce qu’illustre magnifiquement l’église Saint-Jean-Vianney. Guido Nincheri est reconnu pour les vitraux de plusieurs églises et son église néoromane de la Petite-Italie, Notre-Dame-de-la-Défense, que nous évoquions précédemment. Enfin, Ernest Cormier s’est imposé dans l’arrondissement avec l’ensemble paroissial Saint-Ambroise, d’inspiration néo-lombarde, qui étire sa large façade de brique à l’italienne (église-baptistère-presbytère) le long de la rue Beaubien. Ceux-là et tant d’autres ont à leur façon forgé ce spectacle ecclésial.

37Ces créateurs ont bien servi, par une diversité architecturale exemplaire, révélatrice d’une intention artistique, la composition d’une collection de monuments ecclésiaux qui a valeur d’échantillon. Du point de vue de la valeur d’art, toutes les églises de l’arrondissement prennent le relais des églises Saint-Édouard et Saint-Esprit en transposant leur caractère monumental dans chacune des paroisses nées du morcellement de leur territoire original, de 1900 à 1965. De façon particulière, les grandes églises – Saint-Arsène, Saint-Ambroise, Saint-Jean-Berchmans, Saint-Jean-de-la-Croix, Saint-Marc et Saint-François-Solano (elles ont figure de cathédrales) – spatialisent dans cet arrondissement le mythe de la « ville aux cent clochers ». Dans l’imaginaire collectif, ces clochers sont revêtus de cuivre verdi par le temps, posés sur des façades de pierre animées par une arcade monumentale. Puis, dans le Nouveau-Rosemont, les églises construites dans les paroisses dites « du cardinal Léger » sont davantage « étalées », comme l’habitat qui les entoure. Le « style gothique moderne » qui caractérise certaines d’entre elles se mute finalement en expressionnisme formel dès le début des années 1960. En fait, il y a assez d’églises et assez de variétés d’églises dans Rosemont–La Petite-Patrie pour que l’arrondissement puisse prétendre être la vitrine du patrimoine ecclésial urbain du XXe siècle au Québec.

38Dans l’arrondissement, on reconnaît donc à la fois cette « ville aux cent clochers » et un précieux panorama de l’âge d’or de l’architecture religieuse du Québec.

Conclusion

39Nos recherches menées en vue de produire un plan stratégique de conservation des églises de l’arrondissement Rosemont–La Petite-Patrie ont permis de dresser l’inventaire de celles-ci et d’évaluer leur valeur patrimoniale. Cette redécouverte du patrimoine ecclésial de l’arrondissement Rosemont–La Petite-Patrie milite en faveur d’une mise en tourisme de ces monuments. Au moment où se développe le tourisme urbain, les villes tentent d’attirer les touristes hors des sentiers battus, notamment en intercalant de nouveaux attraits dans les parcours consacrés. Ainsi, alors que les « villages étapes » prennent de l’importance en France, de grandes villes, comme Rome, se disent esclaves d’une image stéréotypée avec des monuments tels le Colisée et la basilique Saint-Pierre, qu’une surexploitation a banalisés dans l’opinion publique et, surtout, aux yeux de touristes qui cherchent à se ressourcer auprès de produits d’appel davantage conformes à la sensibilité de notre époque.

40S’il est vrai que la mise en tourisme des églises semble être une formule qui a vécu – on a aujourd’hui trop d’églises pour qu’elles puissent toutes être attrayantes pour des visiteurs –, il va de soi qu’au terme d’une période de désaffection progressive du culte qui dure déjà depuis plus de trente ans, un nouveau public, qui n’a pas connu les bâtiments ecclésiaux comme lieux de culte, est disposé à investir de son intérêt et de son affection ces « vieilles églises ». Mais, alors que dans de semblables conditions l’Europe du XIXe siècle a inventé le monument historique comme nouvel usage d’une église vide, il va de soi qu’aujourd’hui un nouveau tourisme doit s’appuyer sur de nouveaux usages. Les bâtiments convertis seront d’autant plus attrayants aux yeux des visiteurs que leur reprise par la société civile aura été audacieuse (des lieux où il y a autre chose à faire qu’à regarder et à vérifier des savoirs préalablement acquis), à la fois dans la définition des usages (qui transgressent le code des monuments historiques), mais aussi par la qualité et l’audace des interventions architecturales qui leur auront donné une nouvelle vie (et donc, à l’occasion, auront amputé certaines églises d’attributs ou de morceaux qui génèrent l’indifférence : ici une nef, là un transept, ailleurs une fausse-voûte ou un portail). Dans cette logique, le patrimoine ecclésial redevient utile et acquiert un statut d’événement (Cha, 2005 : 20-23). La multiplication de telles reprises ne peut que créer une image forte qui suscite la curiosité, qui crée la notoriété, surtout lorsqu’elle concerne un groupe de bâtiments situés dans une aire précise. Il s’agit en fait d’une mise en tourisme, comme celles qui ont abouti à cette qualification de « ville aux cent clochers », au fil du temps malmenée par le surnombre pour ensuite sombrer dans l’abîme de la désaffectation et ne laisser en fin de compte que quelques églises ouvertes aux visiteurs.

41À chaque époque, individus et collectivités patrimonialisent les objets auxquels ils s’identifient, pour bien spatialiser leur identité, ancrer leur mémoire collective ; nous devons donc aussi renouveler notre offre touristique dans des sites et des objets en transparence desquels il nous importe d’être reconnus par le visiteur, par l’Autre.

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Bibliography

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Bellomo, Francesco, et Normand Cazelais (1996), Montréal vu du ciel, Longueuil, Stromboli.

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Chaussé, Gilles (1992), « Le Montréal religieux », dans Jean-Pierre Duquette (dir.), Montréal 1642-1992, Cahiers du Québec, Lasalle, Éditions Hurtubise HMH Limitée.

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Paré, Jean, Peggy Curran, et Ron Levine (1998), Montréal, la joie de vivre, Memphis, Towery Publishing, 255 p.

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Notes

1 [http://www.lieuxdeculte.qc.ca].

2 La chapelle Notre-Dame-de-Bonsecours, la basilique Saint-Patrick, la cathédrale Christ Church, l’Église unie Saint-James, l’église Saint-Pierre-Apôtre, le sanctuaire du Saint-Sacrement et l’église de la Visitation-du-Sault-au-Récollet.

3 Vol. I : Centre-sud : Saint-Jacques, Centresud : Sainte-Marie, Le campus McGill, Le Quartier Latin. Vol. II : Côte-des-Neiges, Notre-Dame-de- Grâce, Pointe-Saint-Charles, Saint-Henri. Vol. III : Hochelaga, Maisonneuve, Rosemont, Sault-au-Récollet. Vol. IV : La Petite-Patrie, Plateau Mont-Royal, Saint-Louis-du-Mile-End, Saint-Louis / Saint-Jean-Baptiste.

4 Le Grand calendrier du patrimoine, juin à novembre 2004, est une initiative d’Héritage Montréal, avec l’appui de la Ville de Montréal et du Gouvernement du Québec, en partenariat avec Tourisme Montréal et montrealplus.ca.

5 En effet, plusieurs visites présentent un ou deux lieux de culte au long de leur parcours. Cependant, les visites ne sont pas basées et structurées autour de la thématique des églises. Les interventions sont toutefois pertinentes et enrichissantes. À titre d’exemple, mentionnons les différents circuits guidés du Vieux-Montréal, par exemple la visite d’Amarrages sans frontières : « Le quartier Rosemont : l’héritage ukrainien », la visite d’Héritage Montréal : « Entre Outremont et le Mile-End : Montréal en contrastes » et la visite de la Société pour la sauvegarde du patrimoine de Pointe-Claire : « Le village de Pointe-Claire ».

6 « Explorez la grande diversité architecturale et religieuse d’une vingtaine de lieux de culte qui, collectivement, témoignent du passage des différentes communautés culturelles au Mile-End à travers le temps » (Descriptif de la visite présenté dans le Grand calendrier du patrimoine).

7 « Dans ces quartiers ouvriers, à quelques rues les unes des autres, se côtoient un nombre impressionnant d’immenses églises aux architectures et aux ornements inspirés des différentes époques de l’histoire » (Descriptif de la visite présenté dans le Grand calendrier du patrimoine).

8 « Comme des joyaux cachés, les églises du centre-ville de Montréal brillent de par leur histoire, leur architecture et leur charme » (Descriptif de la visite présenté dans le Grand calendrier du patrimoine). Les lieux de culte visités sont les suivants : église Saint John the Evangelist, église Saint James United, église Le Gesù, basilique Saint-Patrick.

9 Parmi les édifices commerciaux ou les tours d’habitation, le centre-ville ouest recèle une collection remarquable et insoupçonnée de lieux de culte catholiques ou protestants qui ont su résister aux pressions urbaines (Descriptif de la visite présenté dans le Grand calendrier du patrimoine). Les lieux de culte visités sont les suivants : grand séminaire Saint-Sulpice, Temple maçonnique, église Saint Andrew and Saint Paul, église Eskrine and American, église Saint James the Apostle, couvent des soeurs grises.

10 On entend ici les plus connus qui ont une valeur historique indéniable tels la basilique Notre- Dame, la cathédrale Marie-Reine-du-Monde, la chapelle Notre-Dame-de-Bonsecours et l’oratoire Saint-Joseph.

11 Les principales églises qui offrent ces messes sont la basilique Saint-Patrick, la cathédrale Christ Church, l’église anglicane Saint George et l’Église unie Saint James.

12 Les lieux de diffusion du festival Orgue et couleurs sont la basilique Notre-Dame, l’église Saint-Nom-de-Jésus, l’église Nativité-de-la- Sainte-Vierge, l’église Très-Saint-Rédempteur, l’église Saint James United et le musée du Château Dufresne.

13 Symphonie d’automne à Montréal (2002), festival Orgue et couleurs, Montréal.

14 Fodor’s Citypack Montréal, Guide Gallimard Québec, Guide Michelin Canada, Guide Michelin Québec, Guide touristique officiel Montréal, Guide Ulysse Canada, Guide Ulysse Montréal, Guide Voir Canada, Eyewitness Travel Guide – Montreal Must Sees, The Rough Guide to Montréal.

15 Montréal (Brunet, 2000), Montréal (Justin, 1989), Montréal au fil du temps (Demers et McQuarrie, 2002), Montréal d’hier à aujourd’hui (Demchinsky, 2001), Montréal la joie de vivre (Paré, Curran et Levine, 1998), Montréal vu du ciel (Bellomo et Cazelais, 1996).

16 Un échantillon de 500 cartes postales a été utilisé pour réaliser cette étude. Ce nombre représente la quasi-totalité de l’offre actuelle en cartes postales. Les six catégories établies regroupent les catégories de sujets représentés. Les cartes postales ont été achetées dans divers points de vente, principalement au centre-ville et dans le Vieux-Montréal.

17 La basilique Notre-Dame et l’oratoire Saint-Joseph sont représentés sur 73,34% des cartes postales d’églises. Ce résultat démontre l’importance de ces deux bâtiments, mais aussi la faible diversité de la représentation des églises par les cartes postales puisque seulement trois autres églises figurent sur la liste.

18 Chaussé : 64.

19 Idem : 63.

20 Par figure ecclésiale, nous entendons une forme architecturale distincte qui se démarque visuellement et structurellement comme un bâtiment à caractère religieux.

21 Tiré d’Elie Joseph Arthur Auclair (1944 : 11) : « Vers la fin de l’autre siècle, des quartiers Saint-Louis-de-France et Saint-Jean-Baptiste de la grande ville, qu’envahissait peu à peu l’industrieuse population juive, nombre de canadiens émigraient à ce qu’on appelait ‘le petit Nord’, au boulevard Saint-Denis, par delà la voie du Pacifique Canadien, où deux compagnies d’immeubles, celle du boulevard Saint-Denis précisément et celle du parc Amherst, offraient en vente, à des conditions faciles, des lots ou terrains à bâtir. M. Morin en groupa plusieurs autour de la chapelle en bois et en brique qu’il fit construire au printemps de 1896, alors en plein champ, aujourd’hui coin des rues Beaubien et de Saint-Vallier.

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References

Bibliographical reference

Jonathan Cha, “Le patrimoine religieux de l’arrondissement Rosemont-La Petite-Patrie, à Montréal: un spectacle ecclésial à potentiel touristique ?”Téoros, 24-2 | 2005, 6-16.

Electronic reference

Jonathan Cha, “Le patrimoine religieux de l’arrondissement Rosemont-La Petite-Patrie, à Montréal: un spectacle ecclésial à potentiel touristique ?”Téoros [Online], 24-2 | 2005, Online since 01 October 2011, connection on 09 December 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/teoros/1536

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About the author

Jonathan Cha

Chercheur associé à la Chaire de recherche du Canada en patrimoine urbain et au CÉLAT,  doctorant au programme conjoint en études urbaines de l'UQAM et de l'INRS en co-tutelle avec l’Institut d’Urbanisme de l'Université de Paris XII

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