1Depuis une cinquantaine d’années, la vision de la coopération pour le développement est façonnée par les organisations internationales (par exemple, l’Organisation de coopération et de développement économiques – l’OCDE, la Banque mondiale). L’on observe, en effet, l’évolution d’un modèle de développement fondé sur des approches « paternalistes » (OCDE, 1996) à un modèle dit « intégré » (Banque mondiale,1999, source Wolfensohn, 1999) basé sur un nouveau partenariat orienté vers la lutte contre la pauvreté et le renforcement des ressources humaines (capacity building). Or, cette dernière approche fait partie d’une longue tradition d’engagement international des institutions universitaires, notamment les universités canadiennes qui jouent un rôle important dans le processus de développement. Pour illustrer cette réalité, nous traitons dans ce texte de l’évolution de la vision du développement international et du rôle de l’université comme acteur dans la coopération pour le développement. Nous concluons par la présentation d’un exemple de coopération pour le développement durable à travers le partenariat interuniversitaire entre l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et la Universidad echnologica Centroamericana (UNITEC) située à Tegucigalpa, Honduras.
2L’ancien modèle de développement basé sur des approches paternalistes et de dépendance subit des transformations. La mondialisation économique, en même temps qu’elle accentue l’écart dans le développement entre pays du Nord et du Sud – phénomène déjà entamé dans les années 1970 –, pousse à une réflexion sur le modèle de coopération et de développement, montrant ainsi l’échec des politiques anciennes. Un « changement de paradigme » sur la vision du développement, induit notamment par le contexte de l’accroissement de la pauvreté dans le monde (Feuer, 2002), a cours depuis les années 1980. Ce mouvement fait évoluer la notion de développement d’une dimension strictement économique à celle centrée sur des aspects humains et de durabilité.
3Pour le développement international, les enjeux issus de l’économie globale, informationnelle et en réseaux sont importants. Il s’agit d’adapter rapidement les économies des pays en développement (PED) aux transformations économiques globales et d’inaugurer de nouvelles pratiques de coopération et de développement entre divers acteurs internationaux, notamment en matière de formation. Dans ce contexte, les institutions internationales de développement, sans remettre en cause le discours libéral sur le marché, adoptent une certaine attitude empreinte d’éthique en matière de développement et de lutte contre la pauvreté. Ce discours se nourrit du renouvellement des théories économiques sur le développement qui tentent de construire un paradigme du développement différent de la « vision utilitariste traditionnelle et dominante » (Assidon, 2002). Ces différents changements apparaissent vers le milieu des années 1990. Ainsi, l’OCDE produit en 1995 une déclaration générale qui porte sur le nouveau partenariat en matière de coopération. Une année plus tard, soit en 1996, un document montre que ce nouveau partenariat est fondé sur les nouveaux rôles des partenaires (OCDE, 1996 :13). Parmi les orientations du nouveau partenariat se trouvent notamment les responsabilités conjointes des partenaires, la participation et l’appui des populations aux stratégies de développement. On relève ainsi des objectifs de réduction de la pauvreté, de renforcement des capacités humaines et institutionnelles, ainsi que l’encouragement aux stratégies locales.
4Cet effort de redéfinition des rôles des partenaires dans une vison de développement durable sert de trame à l’élaboration d’un outil opérationnel du partenariat mis au point par la Banque mondiale. En 1999, cette organisation met en place le Cadre de Développement Intégré (Comprehensive Development Framework) qui reflète le changement dans l’approche du développement pour le XXIe siècle. D’une manière générale, quatre grands axes sont énoncés : une stratégie globale soutenue par une vision à long terme (ex. : l’éducation et la formation, avec une orientation sur l’alphabétisation) ; l’implication des populations dans le développement et son appropriation ; le partenariat entre les divers acteurs (publics, privés, société civile, donateurs) ; la mesure de l’aide apportée aux populations (Banque mondiale, 2001). La finalité est, d’une part, la réduction de la pauvreté par la réalisation d’un développement durable et, d’autre part, la responsabilité du développement qui est du ressort des États bénéficiaires. Les stratégies orientées vers la réduction de la pauvreté et le renforcement des capacités humaines montrent l’importance accordée aux dimensions humaine, sociale et éthique du développement, par rapport à une vision plus économique et technique des anciennes politiques. La Banque mondiale montrait, en 2000, en matière d’éducation que le déplacement des investissements du ‘matériel’ vers ‘l’immatériel’a été le changement d’orientation le plus important. La part de financement de la Banque consacrée aux travaux de génie civil et à l’équipement est tombée de presque 100 % dans les années 1960 à 45 % en 1995-1999 (cité par Bédard et Kadri, 2003 : 5). L’accent mis sur l’aspect immatériel (programmes de formation, renforcement des ressources humaines) plus que sur l’aspect matériel (infrastructure, équipement) replace à nouveau à l’avant-scène le rôle de l’institution universitaire dans le développement international.
5L’université n’est pas un acteur nouveau sur la scène internationale (Lemasson et Bond, 2000). En effet, l’université canadienne est engagée depuis les années 1960-1970 dans le développement et la coopération par le biais de partenariats avec des universités d’Afrique et d’Asie (Shute, 2000 : 25). L’aide au développement serait alors « la ‘source historique’ de l’internationalisation » de l’université canadienne (renforcement institutionnel des universités du Sud, formation des étudiants sur la base de contrats avec l’Agence canadienne de développement international – ACDI) (Lemasson et Bond, 2000 : 266). Avec la mondialisation qui accroît cette internationalisation, l’université se présente comme un acteur du changement. En effet, […] les universités canadiennes, loin de n’être que des institutions passives subissant un monde organisé par d’autres, ont été et s’efforcent de demeurer des actrices à part entière dans un vaste processus qui ne peut plus laisser personne indifférent (Lemasson, 2000 : 4).
6La vision du développement des années 1990, orientée vers la lutte contre la pauvreté et le renforcement des capacités et élaborée par les grandes organisations, ne surprend pas l’institution universitaire canadienne qui a une longue tradition de coopération internationale. En 1988, bien avant la déclaration de l’OCDE sur le nouveau partenariat, en 1995 et 1996, le rapport sur « Le rôle grandissant des universités dans la coopération internationale » mettait déjà l’accent sur les formes de coopération face à une pauvreté grandissante dans le monde : Ce qu’il faut, c’est nous tourner vers de nouvelles formes de coopération internationale […] La lutte contre le sous-développement est l’un des problèmes les plus marquants que doit affronter la planète et son seul remède est la coopération. (Lesser, 1988 : 1)
7Par ailleurs, le rapport ajoute que les universités sont un élément du changement : « Elles constituent une institution importante qui peut avoir son influence sur la marche du changement. » Alors, la coopération entre universités du Nord et du Sud peut devenir « indirectement, un modèle de coopération pour les autres » (Lesser, 1998 : 2). L’institution universitaire se situe déjà dans ce monde en changement dont parlait l’OCDE, notamment en matière de nouveau partenariat et donc de relation de coopération entre institutions du Nord et du Sud. On peut lire à ce propos : « La coopération dont nous parlons est d’un genre différent où deux partenaires travaillent à une cause commune au lieu d’entretenir une relation de dépendance et d’imitation » (Lesser, 1998 : 3)
- 1 L’UQAM a reçu trois prix : le Prix d’excellence ACDI, en 2002, et deux Prix d’excellence de la Ban (...)
8L’UQAM est active dans des projets de partenariat interuniversitaire pour le développement international, notamment en Amazonie, ce qui lui a valu des prix d’excellence1. Le projet EDAMAZ (Éducation relative à l’environnement en Amazonie) qui a rassemblé, durant la période 1993-2001, l’UQAM et trois institutions universitaires de la région amazonienne (Bolivie, Brésil, Colombie) visait le développement de relations harmonieuses entre les populations régionales et l’environnement amazonien. Le projet EDAMAZ n’est qu’un exemple ; il y en a plusieurs autres dont celui sur le développement local et le tourisme au Honduras que nous présentons brièvement ci-dessous.
9Le projet de partenariat entre la Universidad Technologica Centroamericana (UNITEC) et l’Université du Québec à Montréal (UQAM) vise le renforcement institutionnel de cette université hondurienne dans ses interventions en développement local. D’autres institutions et universités contribuent à cette lutte contre la pauvreté au Honduras et sont engagées dans le projet de renforcement des capacités humaines et institutionnelles : la Fondation Fumanitas (Honduras), La Flacso (Costa Rica), l’Instituto Technologico de Monterrey (Mexique). L’encadré 1 présente ce projet de partenariat interuniversitaire soutenu par l’Agence canadienne pour le développement international (ACDI) et dirigé par le professeur Paul Bodson.
Encadré 1 – Développement locale durable et tourisme au Honduras : une recherche au fil de l’action
Mers cristallines, îles paradisiaques, plages soyeuses, montagnes verdoyantes, forêts tropicales et de résineux, biodiversité, patrimoine précolombien et colonial, diversité ethnique et culturelle, un coin d’Amazonie dans l’hémisphère nord, le Honduras est a priori voué à un destin touristique hors du commun. En même temps, le Honduras figure, au même titre que Haïti et le Nicaragua, dans la liste des pays les plus pauvres d’Amérique. Le gouvernement du Honduras s’est doté d’une stratégie de lutte pour la réduction de la pauvreté (Gobierno de la Republica de Honduras, Estrategia para la Reducción de la Pobreza, Tegucigalpa, 2001). Cette stratégie permet à la fois de cibler les interventions sur les plans économique, social et politique auprès des catégories de population particulièrement vulnérables (personnes peu instruites, jeunes, femmes, personnes âgées, indigènes...) et dans les zones ou les régions les plus défavorisées.
Le projet de partenariat interuniversitaire propose une approche fondée sur l’initiative et la participation des populations locales et sur la consolidation et l’accompagnement de ressources locales compétentes pour promouvoir un tourisme local qui sert de levier au développement durable de régions pauvres. Partant du constat de profondes lacunes dans la qualification des ressources humaines locales, le projet table sur :
- une démarche de formation en développement local et tourisme ; - l’organisation d’un centre de développement local et tourisme au service des communautés locales ;
- un mode d’intervention auprès des communautés locales qui associe l’initiative et la participation communautaire à une démarche d’accompagnement.
La réalisation du projet comporte deux étapes.
La première étape consiste en la mise au point de son modèle de fonctionnement en concentrant les efforts dans une zone pilote située à proximité de Tegucigalpa. Cette zone pilote comporte deux segments :
- Le segment nord et est comprend le parc national de La Tigra, les villages environnants (San Juancito, Valle de Angeles, Santa Lucia) qui jalonnent la ruta del metal, utilisée depuis la colonisation espagnole jusqu’à la fermeture des mines pour transporter le minerai d’argent, et se prolonge jusqu’à Yuscaran. Le patrimoine historique de ces villages attire une clientèle touristique locale et internationale.
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- Le segment sud part de Lepaterique à l’ouest, rejoint les villages d’Ojona, de Santa Ana, de San Bonaventura et s’étend jusqu’à La Venta. Le potentiel touristique y est varié : patrimoine colonial, artisanat, cavernes avec gravures et peintures rupestres, bassins hydrauliques originaux, artisanat, traditions populaires marquées par la prédominance des populations d’origine Lenca qui y habitent.
La seconde étape du projet se propose d’appliquer le modèle d’intervention et d’accompagnement préconisé à des communautés rurales extérieures à la zone pilote initialement choisie. Cette démarche comporte une évaluation et l’ajustement éventuel du modèle expérimenté dans la zone pilote, l’implication de ressources formées à même le projet, y compris les ressources humaines formées dans les communautés de la zone pilote et le fonctionnement opérationnel du centre de développement local.
Après une première année de fonctionnement du projet, les résultats suivants ont été atteints :
- Le centre de développement local s’est progressivement structuré en termes d’infrastructure, d’équipement, de documentation et de personnel (4 personnes de formation universitaire disposant d’une solide expérience auprès des communautés locales) ;
- Des contacts de sensibilisation ont été pris avec les communautés de la zone pilote ;
- Une première évaluation du potentiel touristique de la zone été effectuée par un groupe d’une trentaine d’étudiantes et étudiants de l’UNITEC, sous la supervision du personnel du centre de développement local ;
- Des rencontres sont actuellement en cours avec les communautés de la zone pilote. Ces rencontres devraient permettre aux communautés locales d’exprimer la perception qu’elles ont de leurs ressources et de leur environnement, d’énoncer le type de développement souhaité, d’identifier les projets qui leur semblent envisageables.
Une période de formation est prévue pour permettre à des membres de la communauté de s’impliquer dans le développement de la communauté et dans la préparation de projets. La préparation de schémas de développement, l’élaboration, la réalisation et le suivi des projets se feront avec l’appui d’accompagnement du centre de développement local.
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Source : Paul Bodson, professeur, directeur du projet et membre du CIFORT
10Le développement international n’est pas un terrain réservé qu’aux seules grandes organisations intergouvernementales. L’institution universitaire canadienne y joue un rôle d’acteur (aide au développement), mais aussi de précurseur dans le renouvellement de la vision et des pratiques de coopération adaptées à la mondialisation (partenariat interuniversitaire). Les projets de coopération internationale de l’UQAM en sont des manifestations concrètes. Comme on l’a vu dans le cas du projet sur le développement local durable et tourisme au Honduras, les partenaires travaillent à une cause commune sans entretenir une relation de dépendance et d’imitation.