Pour en lire plus : Le Puy du Faux. Enquête sur un parc qui déforme l’histoire
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1Le Puy du Faux prend la forme d’une enquête menée par des historiens sur les falsifications historiques au sein du parc du Puy du Fou. Néanmoins, l’ouvrage est une charge qui s’adresse plutôt au grand public et qui a pour volonté de déconstruire la contribution au grand récit national que le parc propose en dénonçant les falsifications historiques qu’il présente. Disons d’emblée qu’on peut n’adhérer que partiellement à cette lecture, notamment au vu des apports d’autres disciplines (comme la géographie) dans l’analyse de ce genre de parc à thème.
- 1 Le parc des enracinements ; L’illusion du « vrai » ; Un passé dépassé ; Princesses et chevaliers : (...)
2La structure du livre par chapitre thématique1 permet de saisir les différentes réflexions des auteurs quant au rôle politique que joue le parc à thème, ce qui est assurément plaisant à lire, surtout quand on connaît le peu d’ouvrages publiés sur ce thème et ce cas particulier. Ainsi, Le Puy du Faux aide à comprendre aisément les liens entre les différents propagandistes qui contribuent à la résurgence du roman national et qui sont au cœur du projet du Puy du Fou.
- 2 Terme apparu quelques mois après l’ouverture du Disneyland Park à Anaheim pour mieux le distinguer (...)
3Si les auteurs de l’enquête considèrent que le parc du Puy du Fou « falsifie » et/ou « déforme » l’histoire, nous pouvons nous demander si ce n’est pas l’essence du parc à thème d’être un espace fictionnel construit. Et c’est sans doute là tout le biais sémantique du terme « parc à thème2 » (theme park en anglais) qui n’explicite pas la notion de mise en scène par le biais d’un thème qui, pourtant, l’anime et le fonde en tant qu’espace fictionnel construit. Afin d’éviter de le nommer « parc d’attractions à thème historique » (p. 41) ou usuellement « parc à thème », il semblerait plus opportun de le nommer « parc thématisé », ce qui faciliterait notre compréhension d’un parc tel le Puy du Fou qui peut à la fois prétendre et ne pas prétendre à la reconstitution historique (ou à tout le moins jouer sur cette ambiguïté). Les auteurs éviteraient dès lors de discourir sur les « reconstitutions historiques à caractère immersif » (p. 21) qui désorientent le lecteur, pour cause, quid d’une reconstitution historique sans caractère immersif ? Si nous comprenons aisément cette quête des faits historiques, qui est – logiquement – le fer de lance des historiens, il semble cependant nécessaire de consentir à une mise à distance vis-à-vis de cet espace si singulier qu’est le parc à thème, forme performative du parc d’attractions, qui reste avant tout un espace fictionnel, aussi historiquement romantisé et, souvent, sans nuance. Enfin, si les historiens de l’enquête notent les « erreurs [historiques] les plus grossières » (p. 49), elles semblent anecdotiques du fait que la fiction use – naturellement – des images qui se sont sédimentées pour faire imaginaire. De plus, si les historiens sont attachés à la notion d’authenticité, rappelons que le parc à thème n’a jamais eu pour vocation de la retranscrire fidèlement puisqu’elle pourrait perturber sa vocation divertissante, première dans les objectifs de ce genre de parc. Conséquemment, les concepteurs des parcs à thème se doivent d’effacer les « faits indésirables » pour œuvrer à créer une fiction des plus satisfaisantes pour le public, ce qui fait que certaines « erreurs » relevées par les historiens renvoient à l’opération de simplification rendue nécessaire par le principe même de la thématisation.
- 3 Wallace, Mike, 1996, Mickey Mouse History and Other Essays on American Memory, Philadelphie, Temple (...)
4En vérité, le parc à thème a toujours été l’objet de nombreuses critiques de la part des historiens, de surcroît lorsque les concepteurs mobilisent les faits historiques à des fins immersives. L’exemple le plus marquant est le Disney’s America Park qui avait pour vocation de mettre en scène les grandes périodes de l’histoire américaine, de la Native America à l’essor industriel en passant par la guerre de Sécession, projet qui fut abandonné en 1997 à cause de groupes de pression locaux3. Le parc du Puy du Fou n’échappe pas à ce type de critiques, d’autant que ses attractions prennent la forme de spectacles et de walktroughs (parcours scéniques) animés par des comédiens, ce qui peut renforcer l’« illusion du vrai ». Précisons tout de même qu’à ses débuts, les critiques à l’encontre du parc du Puy du Fou étaient limitées en raison de la participation de nombreux bénévoles locaux soucieux de transmettre au public « leur récit vendéen » ainsi que de son faible intérêt médiatique. À ce propos, les auteurs reconnaissent que c’est le « succès indéniable du Puy du Fou [qui les] oblige à le prendre au sérieux » (p. 149). Les critiques ont ainsi été plus importantes au fur et à mesure de son succès qui, reconnaissons-le, est avant tout attribuable à la qualité de ses attractions. Une part de ce succès est probablement due au fait que ses concepteurs ont saisi l’importance de la trame narrative au sein des spectacles, aussi historiquement réaliste ou biaisée fût-elle.
5Si les auteurs reconnaissent que l’« objectif des spectacles n’est jamais de présenter une vision à jour des connaissances historiques sur telle période, tel phénomène […] ou tel personnage, mais au contraire de réutiliser le plus possible des images anciennes, qui se sont petit à petit figées dans les imaginaires individuels et collectifs et que le Puy du Fou contribue activement à enraciner » (p. 35), nous ne pouvons que regretter qu’ils n’interrogent pas davantage cette construction fictionnelle à des fins identitaires pour un public qui n’a eu de cesse d’évoluer, du local au national, puis à l’international. Ce public de plus en plus large pourrait nous donner des clés de compréhension quant à la réception favorable de cet imaginaire. L’enquête aurait par ailleurs pu aborder l’adaptation des spectacles pour satisfaire ce nouveau public qui outrepasse dès lors les « primosphères » idéologiques de son concepteur Philippe de Villiers, d’autant que les visiteurs du parc sont, rappelons-le, ses seuls pratiquants et dès lors sa seule raison d’exister. La principale critique que l’on peut ainsi faire à l’ouvrage est d’être une monographie qui ne conçoit pas le parc à thème comme un espace en constante évolution, potentiellement en raison de sa thématisation qui le figerait dans le « faux ».
6La force de l’ouvrage réside toutefois dans la mise en lumière des accointances des concepteurs avec la droite traditionaliste, une « liberté de fiction [qui] est, au Puy du Fou, le prétexte d’une falsification de l’histoire à des fins politiques » (p. 56). Les auteurs réussissent ainsi à finement décrire comment le dogme idéologique de Philippe de Villiers a perfusé l’ensemble du parc à thème. La description de sa mythologie familiale appliquée à son parc est saisissante et conduit à s’interroger sur le rôle du visiteur au sein de ce récit. Le visiteur est-il ainsi – simple – spectateur ou futur propagandiste ? Cette vision antirépublicaine que le parc à thème ne cesse de promouvoir a-t-elle une incidence sur les visiteurs au sortir du parc à thème ? Là est toute la question, bien qu’il faille tout de même préciser que les visiteurs qui entrent dans un parc à thème – aussi « français » paraisse-t-il – ont, en partie, conscience d’entrer dans un monde inventé ou, en d’autres mots, que le parc du Puy du Fou n’est pas un simple musée animé.
7Pour terminer, si dans leur conclusion les auteurs estiment que le parc du Puy du Fou conduit à la fabrique d’un « discours sur (et contre) l’histoire » (p. 149) par l’appui d’un slogan mensonger – « l’histoire n’attend que vous » –, il convient néanmoins de rappeler que le parc à thème n’a pas pour vocation d’être un outil pédagogique de premier ordre. Ainsi, si les « images mentales préconçues des visiteurs et visiteuses ne sont jamais interrogées, jamais bousculées : on n’apprend rien au Puy du Fou, qui au contraire ne fait que conforter et renforcer les imaginaires du passé hérités des films, des romans, des bandes dessinées » (p. 151), c’est en soi reconnaître le savoir-faire des concepteurs quant à la fabrique d’un lieu de divertissement pour un large public, public qui peut – consciemment – apprécier se retrouver en immersion au sein de ce fantasme historique. Enfin, soulignons que si le parc du Puy du Fou n’est pas un musée, il est à l’instar du musée un instrument politique servant à construire une certaine identité. Celle construite au Puy du Fou a l’avantage de satisfaire un large public, ou à tout le moins d’ouvrir le débat sur cet enjeu de l’identité transmise dans les parcs à thème.
Notes
1 Le parc des enracinements ; L’illusion du « vrai » ; Un passé dépassé ; Princesses et chevaliers : le genre du parc ; Peuple et élites ; Le local, dernier bastion contre le monde extérieur ; Dieu et la nation.
2 Terme apparu quelques mois après l’ouverture du Disneyland Park à Anaheim pour mieux le distinguer des précédents parcs d’attractions.
3 Wallace, Mike, 1996, Mickey Mouse History and Other Essays on American Memory, Philadelphie, Temple University Press.
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Steven Damerval, “Pour en lire plus : Le Puy du Faux. Enquête sur un parc qui déforme l’histoire ”, Téoros [Online], 43-1 | 2024, Online since 23 December 2024, connection on 14 March 2025. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/teoros/12987
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