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Chroniques

Pour en lire plus : Red Skin, White Masks: Rejecting the Colonial Politics of Recognition

Glen S. Coulthard, Red Skin, White Masks: Rejecting the Colonial Politics of Recognition, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2014, 229 p.
Britta Peterson and Joseph Friis

Full text

1Glen Coulthard est un universitaire déné et professeur d’études autochtones au Département de sciences politiques de l’Université de la Colombie-Britannique. Son livre intitulé Red Skin, White Masks: Rejecting the Colonial Politics of Recognition fait référence à l’ouvrage classique de Frantz Fanon de 1952, Peau noire, masque blanc, qui déconstruit les structures coloniales complexes reproduisant et intériorisant les inégalités raciales. S’inspirant des travaux de Fanon, mais aussi de Karl Marx et des paradigmes issus de sa communauté déné, Coulthard défend le point de vue postcolonial sous la loupe de l’occupation de l’État canadien. Cette approche postcoloniale met l’accent sur la dépossession territoriale et politique à travers un processus de destitution, d’oppression et de marginalisation des peuples autochtones. Le colonialisme de peuplement (settler colonialism) de Coulthard est une approche nécessaire pour les études en tourisme et décolonisation, particulièrement en tourisme autochtone. Ce texte suggère quelques pistes guidant la recherche, l’industrie, la pratique, l’éthique du touriste même, et aussi le travail en tourisme autochtone des communautés d’accueil visant la résurgence.

2Coulthard initie sa réflexion avec l’examen des politiques de reconnaissance entreprises par le gouvernement canadien qui se matérialisent à travers des actes tels que la mise en place de la Commission de vérité et réconciliation à l’égard des abus, de la violence culturelle et physique ainsi que du génocide culturel menés à l’encontre des peuples autochtones. Pour lui, les concepts de reconnaissance, de réconciliation et de multiculturalisme ne font qu’aggraver le sort des populations autochtones du Canada. Au lieu de les libérer de l’emprise du colonialisme, ces idéaux d’inclusion et d’intégration perpétueraient les relations de domination. Sa vision du colonialisme de peuplement reflète donc les fondations des relations autochtones/État qui demeurent, aujourd’hui, profondément coloniales et enracinées dans les questions territoriales (voir aussi Wolfe, 2006). Dans ses mots, « [settler colonialism is] a relatively diffuse set of governing relations that operate through a circumscribed mode of recognition that structurally ensures continued access to Indigenous people’s land and resources by producing neocolonial subjectivities, that coopt Indigenous people into becoming instruments of their own dispossession » (p. 156). Les politiques de reconnaissance seraient donc un outil qui favorise le statu quo colonial. Coulthard revient sur les travaux de Charles Taylor qui s’appuient sur la dialectique hégélienne maître-esclave, établissant que pour être épanouie, l’identité culturelle des humains doit être reconnue. Pour Coulthard, cette reconnaissance est liée à la production de ce qu’il nomme des attachements psychoaffectifs servant à modérer les ardeurs dues à l’histoire de la dépossession et son renouvellement. La reconnaissance, notamment, que les erreurs et les abus des pensionnats autochtones ou de certains droits autochtones sont internalisés comme des expressions d’autodétermination et d’autonomisation, et naturalisent ultimement les structures coloniales et les hiérarchies du colonialisme d’occupation. Par exemple, les identités imposées de Premières Nations, les Métis et les Inuits, en tant que seules nations « reconnues » par le Canada, sont transigées à travers l’appareil colonial légal où le capitalisme prédateur et extractiviste joue un rôle central dans la dépossession des terres et dans l’autodétermination des peuples autochtones (Alfred et Corntassel, 2005). Fanon (1952) soutient qu’avec le temps, les populations dominées internalisent les images et les structures des relations qui leur sont imposées. Un regard marxiste sur ces relations suggère que les structures hiérarchiques du colonialisme sont essentiellement influencées par le capitalisme. Coulthard fait ce lien en reprenant le concept d’accumulation primitive et l’adapte à la période contemporaine canadienne. Il propose que ce mécanisme extractif alimente la dépossession des peuples autochtones de leur terre ; bien qu’il ne se matérialise plus seulement sous une forme explicite, la terre comme source de capital dicte encore les politiques développementalistes et de croissance du Canada. En ce sens, l’économie politique privilégie des « schèmes de redistribution » où les structures génératrices de l’État reproduisent des hiérarchies raciales de subordination. Au-delà de la reconnaissance identitaire et intégrative, voire assimilatrice, les politiques de reconnaissance « fail to confront the structural or economic aspects of colonialism at its generative roots » (2014 : 35). Ainsi, une simple reconnaissance culturelle serait dissimulatrice et renforcerait le joug des forces capitalistes. En effet, avec le temps, les sociétés autochtones « tend to come to see the forms of structurally limited and constrained recognition conferred to them by their colonial ‘masters’ as their own » (Coulthard, 2007 : 450). L’auteur affirme qu’une reconnaissance de la part de la société canadienne reste nécessaire ; il estime cependant que dans le contexte actuel elle demeure profondément asymétrique et n’est pas curatrice pour les communautés autochtones.

3Coulthard s’inspire d’appels à l’action menés par Taiaiake Alfred, Kahnawà:ke Mohawk (2005), et Leanne Betasamosake Simpson, Michi Saagiig Nishnaabeg (2011), qui proposent la « résurgence » à travers laquelle les populations autochtones réaffirment leurs valeurs et normes articulées autour de la relation à la terre qui a été et demeure perturbée. Cette relation à la terre représente la véritable ontologie du savoir autochtone au cœur de la résurgence. Alfred (2005) prône le « traditionalisme conscient », un mouvement de revitalisation culturelle, d’émancipation politique et d’autodétermination véritable dans lequel les peuples autochtones devraient émerger « de l’intérieur ». Le processus à partir de l’intérieur n’implique pas la séparation de la relation avec l’occupant, au contraire, il favorise le renouvellement des relations avec les organisations allochtones, nationales et internationales et les réseaux de solidarité engagés et alliés. Les pensées politiques émergentes des peuples autochtones appellent maintenant à des processus de décolonisation actifs, d’une « auto-reconnaissance » individuelle et collective critique de la part des sociétés autochtones, afin de renouveler et de réengager les formes culturelles autochtones, les principes de réciprocité et la coexistence respectueuse entre les êtres humains et la terre. Pour Simpson (2011 : 17-18), cette praxis de décolonisation ou la résurgence signifie :

reinvesting in our own ways of being; regenerating our intellectual and political traditions; articulating and living our legal traditions; language learning; creating and using our artistic and performance based traditions. All of this requires us to reclaim the very best practices of our traditional cultures, knowledge systems in the dynamic, fluid, compassionate, respectful context in which they were originally generated.

4De ce point de vue, la résurgence ne s’inscrit pas dans cette « institutionnalisation » de la réconciliation car cette dernière étouffe la recevabilité ou la légitimité même d’une revendication autochtone. La Commission de vérité et réconciliation du Canada s’est concentrée sur des événements passés, pour élucider les faits et « reconnaître » le passé obscur de ce pan de l’histoire canadienne. Ces regrets, demandes de pardon, soumissions de rapports, sont en soi des « attachements psychoaffectifs » qui ultimement soulagent et satisfont la population dominante recevant l’absolution. Ce que pourrait signifier une véritable réconciliation est donc ancré dans la facilitation de la résurgence.

Le tourisme

5Le colonialisme de peuplement de Glen Coulthard est une approche privilégiée pour les études en tourisme autochtone. En tant que pratiques favorisant les rencontres interculturelles et recevant des allochtones en territoire ancestral, réserve, ou espace significatif autochtone, le tourisme peut être pensé et développé de façon à favoriser la résurgence autochtone. Dans le chapitre de conclusion, Coulthard présente « cinq thèses » offrant des pistes de contribution au débat et pouvant guider une réflexion sur le rôle du tourisme envers la résurgence et la décolonisation.

1. Nécessité de l’action directe

6Une mise en tourisme devrait redonner vie aux pratiques liées à la terre et reconnecter les communautés avec leur territoire ancestral en basant les activités communautaires sur une relation respectueuse et harmonieuse avec la terre ; initier des dialogues et rétablir et renforcer la communication intergénérationnelle ; éduquer et sensibiliser les allochtones aux revendications territoriales, aux enjeux d’autodétermination politique et économique, tout en facilitant la réoccupation des terres ancestrales et la réaffirmation de souverainetés.

2. Contrer le capitalisme

7Coulthard nie l’existence d’un capitalisme autochtone et, par conséquent, les structures coloniales doivent être démantelées et remplacées par des formes de subsistances alternatives autochtones. Une démarche efficace pour le tourisme commencerait par renforcer les relations de solidarité et favoriser la création de réseaux d’entraide en élargissant la collaboration d’organisations, de communautés régionales mais aussi internationales, telles que des associations de travailleurs, les groupes féministes et autres parties prenantes du tourisme autochtone. L’autodétermination peut être favorisée en renforçant ces liens et en bénéficiant d’un soutien additionnel à la formation de solutions supportant la résurgence autochtone et l’autosuffisance, tout en luttant contre la dépendance au marché capitaliste et en évitant le piège de l’accumulation et l’extractivisme.

3. Dépossession et souveraineté autochtone dans la ville

8Coulthard souligne l’importance de veiller aux populations autochtones en milieu urbain où l’urbanisation et la gentrification font partie de la dépossession autochtone et participent au déplacement de ces populations vers des quartiers et des zones défavorisés. Le tourisme autochtone en milieu urbain pourrait être pensé de façon à favoriser une réappropriation de l’espace et trouver des façons créatives de valoriser les espaces significatifs et les traditions autochtones dans la ville. De la même façon, le tourisme autochtone pourrait encourager la connexion et les échanges entre communautés urbaines en développant des possibilités structurées d’accès à la terre à l’aide de communautés et de réserves rurales mieux organisées.

4. Justice de genre et décolonisation

9Le féministe autochtone tel que représenté par le mouvement « Idle no More » initié par des femmes démontre des valeurs d’amour pour la famille, la terre et les nations. Ces mêmes valeurs sont à la base d’une lutte contre la misogynie proférée par le colonialisme de peuplement où les femmes autochtones sont sujettes à une épidémie de violence, d’agressions sexuelles et d’emprisonnement. Un tourisme favorisant la résurgence autochtone requiert l’inclusion de perspectives féminines et féministes autochtones.

5. Au-delà de l’État-nation

10Le tourisme devrait éviter de renforcer les relations de dépendance envers l’État en soutenant le contrôle communautaire des ressources traditionnelles en vue d’atteindre un développement équitable englobant une gamme de facteurs économiques, sociaux, culturels, politiques et environnementaux. Pour parvenir à ces fins et s’émanciper de la relation de dépendance qu’entretiennent les communautés autochtones envers le gouvernement canadien, diverses stratégies concrètes s’articulant autour d’actions communautaires et collectives du quotidien, et répondant à des impératifs locaux, peuvent inspirer le tourisme : rétablir une présence autochtone sur le territoire et revitaliser la pédagogie de la terre ; favoriser un régime alimentaire traditionnel autochtone ; renforcer la transmission intergénérationnelle des savoirs traditionnels ; renforcer les activités familiales et la réémergence des institutions culturelles et sociales autochtones comme lieux de gouvernance ; initier des initiatives de tourisme visant une économie durable ancrées dans le rapport à la terre et fondées sur des valeurs de respect et de réciprocité.

11Ces cinq thèses ancrées dans la perspective du colonialisme de peuplement forment un guide important pour la lutte vers la souveraineté des peuples autochtones. La force et la pertinence de l’ouvrage de Coulthard peuvent être aussi sa faiblesse : ancré dans la théorie politique avancée, le texte semble parfois peu accessible. Les différents chapitres offrent néanmoins des niveaux de densité différents, où la conclusion, par exemple, présente un point de vue beaucoup plus pratique et appliqué. En fait, ce dernier chapitre offre une réelle contribution à la résurgence radicale active avec des possibilités de contributions matérielles pour un futur engagé. Cet ouvrage est sans contredit une œuvre essentielle pour comprendre la situation coloniale au pays et pour tout fondement en recherche autochtone.

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Bibliography

Alfred, Taiaiake, 2005, Wasase: Indigenous Pathways of Action and Freedom, Toronto, University of Toronto Press.

Alfred, Taiaiake et Jeff Corntassel, 2005, « Being Indigenous: Resurgences against Contemporary Colonialism », Government and Opposition, vol. 40, no 4, p. 597-614.

Coulthard, Glen S., 2007, « Subjects of Empire: Indigenous Peoples and the ‘Politics of Recognition’ in Canada », Contemporary Political Theory, vol. 6, p. 437-460.

Fanon, Frantz, 1952, Peau noire, masques blancs, Paris, Éditions du Seuil.

Simpson, Leanne, 2011, Dancing on our Turtle’s Back: Stories of Nishnaabeg Re-creation, Resurgence and a New Emergence, Winnipeg, MB, Arbeiter Ring Pub.

Taylor, Charles, 1994, « The Politics of Recognition », dans Amy Guttman (dir.), Re-examining the Politics of Recognition, Princeton, NJ, Princeton University Press, p. 25-73.

Wolfe, Patrick, 2006, « Settler Colonialism and the Elimination of the Native », Journal of Genocide Research, vol. 8, no 4, p. 387-409.

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References

Electronic reference

Britta Peterson and Joseph Friis, Pour en lire plus : Red Skin, White Masks: Rejecting the Colonial Politics of RecognitionTéoros [Online], 42-2 | 2023, Online since 10 December 2024, connection on 23 March 2025. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/teoros/12826

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About the authors

Britta Peterson

Doctorante, École des sciences de l’activité physique, Faculté des sciences de la santé, Université d’Ottawa, bpete075@uottawa.ca

Joseph Friis

École des sciences de l’activité physique, Faculté des sciences de la santé, Université d’Ottawa, jfrii086@uottawa.ca

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