1Pour nombre de nos contemporains, le retour sur le passé entretient la nostalgie des parcs de loisirs. Ces espaces sont associés aux souvenirs d’enfance ravivés par des reportages télévisés, étant donné que les parcs constituent des lieux récréatifs qui renvoient aux imaginaires de la fête. Ils sont liés à l’identité des territoires dans lesquels ils sont implantés. Ils forment des sites récréatifs aussi bien pour les résidents locaux que pour les visiteurs extérieurs (touristes…). Aujourd’hui, dans la méga-région parisienne, les grands parcs d’attractions (Disneyland Paris, Parc Astérix…) s’imposent comme des destinations touristiques majeures. Cependant, leur implantation peut être le fruit d’une histoire controversée. C’est le cas de Mirapolis, parc bâti en 1987, premier à être aménagé en France, dans la ville nouvelle de Cergy-Pontoise. Ce site, aujourd’hui démonté, constitue une expérience pionnière dont le thème était la culture populaire française.
- 1 En 2021, celle-ci réunit 213 763 habitants, selon l’Institut national de la statistique et des étud (...)
2Mon enquête concerne les parcs de Cergy-Pontoise, agglomération rassemblant treize communes situées à trente kilomètres au nord-ouest de Paris. Je retrace l’histoire de Mirapolis et celle de l’île de loisirs (IdL), deux parcs implantés au sein de cette agglomération1. Si le modèle de base de loisirs est programmé en son sein pour la détente et le repos des citoyens, la place du sport y est centrale. Ce lieu fait figure de parc urbain au sein de l’agglomération fréquentée par les habitants de la métropole du Grand Paris. Ouverte en 1977 à la faveur du réaménagement d’anciennes sablières, cette base de loisirs renommée en 2014 « île de loisirs » en référence à son propriétaire, la région Île-de-France, offre une zone de nature aux abords de la capitale.
3Depuis les années 1980, période pendant laquelle les deux parcs à l’étude se sont développés, des événements sportifs ont fait rayonner le territoire en étant diffusés à la télévision, dans la presse et la littérature. Mais comment cette offre sportive est-elle influencée par la globalisation lors de l’aménagement des parcs ? Quels sont, par la suite, ses effets sur l’image et l’identité du territoire ?
4Il ne s’agit pas seulement de comparer deux parcs de loisirs, mais de comprendre comment ils ont participé, par des logiques de politique d’animation sportive, à construire l’image de Cergy-Pontoise. Mon approche sociologique est donc de me questionner sur l’aménagement de ces deux lieux dédiés à la récréation en ville nouvelle à travers la renommée de Mirapolis et de l’IdL étudiée au regard des stratégies d’urbanisme. Dans ce contexte, comment la diffusion des sports s’opère-t-elle ? Mon hypothèse est que ce passage d’une passion du spectacle à l’identité locale fondée sur les sports américains (Eitzen et Sage, 2009) engendrerait un marquage territorial.
5Afin de retracer les étapes qui ont conduit à l’émergence des parcs Mirapolis et de l’IdL, j’ai privilégié une méthodologie qualitative. Elle comprend une hybridation du mode de collecte de données à la fois par le recueil de discours d’acteurs impliqués dans la gestion des sites (élus, directeurs) et l’étude de documents relatifs à l’histoire de ces derniers. Il s’agit d’expliquer ces transformations en s’appuyant sur l’analyse d’un corpus réunissant des œuvres littéraires, des articles de presse et de magazines publiés par les collectivités territoriales (Cergy Ma Ville [journal de la ville de Cergy] et 13 comme une [publication de l’agglomération de Cergy-Pontoise]) et des reportages archivés à l’Institut national de l’audiovisuel.
6Pour compléter cette base empirique, je m’appuie sur une série de huit entretiens semi-directifs menés en 2021 avec des responsables des parcs et des élus du territoire et portant sur leur essor. Un traitement thématique des sources et des verbatim a été réalisé en privilégiant l’évolution des discours sur la gestion des deux parcs. Ce croisement des thèmes avec l’analyse textuelle montre que loin d’être implantés au hasard, ces sites répondent à des enjeux politiques associés à une mise en visibilité, à l’image et à l’identité territoriales. Il s’agit d’analyser les récits portant sur les parcs en décortiquant ce contenu à partir de trois éléments. En effet, la délimitation du corpus comprend la commercialisation de chaque parc lors d’événements marquants (inauguration, galas), l’imaginaire urbain et la promotion du territoire. Le recueil de données tient compte des sources comme matériaux secondaires sur lesquels se fonde l’approche analytique. J’éclaire le rôle du sport en y révélant les stratégies des élus et des promoteurs des parcs.
7Des études géographiques ont pris pour objets ces sites récréatifs d’Île-de-France (Cazes, 1988 ; Lazzarotti, 1995). Le sport en tant qu’institution mondialisée (Augustin, 2016) renvoie à la globalisation, notion désignant une dimension culturelle de phénomènes se produisant dans le monde entier. Des analyses sociologiques mobilisent ce concept si des pratiques ou des valeurs sont également adoptées partout. La littérature sur ce thème est marquée par les dimensions désignées pour de nombreux analystes : tout serait « planétaire ». Des phénomènes économiques sont attestés, par exemple les politiques de distribution mondialisées à la manière des séries américaines. L’objectif de cet article est de montrer qu’au contraire, le développement des parcs est le fruit d’importations du concept de show à l’américaine (Lamoureux, 2019) visible dans le spectacle sportif. La dimension globalisée renvoie à des étapes de la diffusion du sport dans les territoires qui s’opère d’un continent à l’autre (Darbon, 2011).
8Une théorie de l’américanisation du monde est dissociée de celle de la globalisation qui apparaît dans les années 1990. Les spécialistes de sociologie du sport (Donnelly, 1996 ; Sudre et Genty, 2014) s’inspirent de cette dernière pour appréhender ses effets à l’échelle locale. Au milieu des années 2000, cette littérature reconsidère le rôle de l’État dans le développement territorial du sport (Ohl, 2006). Suivant cette approche, j’analyse le rôle du sport qui est, dès son origine, international dans son organisation avec la normalisation de règles et se diffuse localement au sein de parcs. Dans ce contexte, il s’agit de qualifier une transformation globale à travers la recomposition du divertissement qui se superpose à la dimension locale du sport dans la ville. L’étude des dimensions culturelles des phénomènes permet de définir la place des parcs de loisirs dans une agglomération en tenant compte de leur influence sur l’identité territoriale à l’ère de la globalisation. Cette démarche diffère néanmoins selon la discipline. Si les sociologues étudient les usages sociaux des parcs à travers les usages et les représentations de différents acteurs, les géographes mettent l’accent sur la diversification des « terrains de jeu » (Lefebvre et al., 2013) et les enjeux en termes d’aménagements ou de dynamiques socio-spatiales qu’ils recouvrent (Augustin, 2016). Les parcs y font figure d’élément central du mode de vie citadin. Aussi, les usages des parcs par des sportifs seraient révélateurs de tendances de consommation et de rapports à la demande versatile de pratiquants (Coakley, 2015). La mondialisation entraînerait l’avènement d’une civilisation du loisir standardisée, au péril de la diversité originelle (Dauriac, 2007).
9Le cadre d’analyse s’appuie sur les théories de la modernisation depuis les années 1950-1960 (Maguire et al., 2021) et celle de l’hégémonie culturelle (Held, 2000). Ces modèles reposent sur l’inégalité des relations nouvelles qui se construisent durant une « poussée » de mondialisation et d’« américanisation » (Warnier, 2001). Dans cette continuité, Georges Cazes (1988) puis Robert Lanquar (1991) ont observé ces mutations géographiques au sein des parcs français. En dépit des crises, le sport en ville nécessite d’aménager des espaces spécifiques qui se perfectionnent à mesure que les activités évoluent. À la lecture de ces travaux, on appréhende les parcs comme un objet structurant l’image de la cité en l’inscrivant dans les spécificités de son histoire. Le parc de loisirs en tant que « composante spécifique de la ville » (Baron et Clavé, 2014) peut être analysé à l’échelle locale au sein d’aires urbaines correspondant à des entités territoriales comme les villes nouvelles (Vadelorge, 2003). Celles-ci forment des intercommunalités de projets dans lesquelles le sport joue un rôle stratégique pour l’image de la cité afin de renforcer une identité territoriale en devenir (Saint-Pierre, 2003), car le sport devient le symbole identitaire pour un territoire. Cette synthèse de travaux amène à considérer le sport en termes de relations globales, structurant les relations entre acteurs dans l’espace régional.
10Pour saisir ces enjeux d’identification territoriale, il s’agit de s’appuyer sur le modèle de Jean-Pierre Augustin (2016), choisi pour dégager des logiques révélant les fondements de l’identité locale. Ce cadre théorique rassemble les critères faisant des parcs des catalyseurs d’aménagement urbain : éléments structurant la forme urbaine, intermédiaire de la mondialisation, révélateur identitaire et figure organisatrice de l’urbanité. En interrogeant le contenu des documents étudiés en suivant ce modèle, les données sont passées au crible des thèmes du sport-spectacle, de l’américanisation, de la globalisation culturelle (Fournier et Raveneau, 2010) et du rapport au territoire. L’étude des représentations sociales s’appuie sur ce rôle des parcs dans l’identité territoriale. Des extraits sont sélectionnés en fonction de critères combinés. L’analyse montre comment le sport y est utilisé comme une activité au service de la production de l’identité de l’agglomération dans laquelle sont implantés les parcs et comment, en retour, il en affecte les logiques spatiales. La thèse défendue est que ces parcs s’inscrivent dans une offre liée au sport global qui s’appuie sur le modèle américain du parc de loisirs.
11Il s’agit donc d’abord de comprendre leur logique d’implantation au sein de l’agglomération en étudiant leur essor au niveau local et les stratégies d’offre à partir de leur essor lié à la globalisation, jusqu’à leur déclin. Puis, il convient d’analyser l’impact des sports américains sur l’image de la ville.
12Au cours des années 1960, le contexte urbain des villes nouvelles voit naître des utopies urbaines, apanage d’un urbanisme en rupture avec les logiques d’aménagement régional. L’imaginaire spatialiste domine du fait que le schéma d’aménagement de la Région parisienne prévoit la réalisation de cinq villes nouvelles (Vadelorge, 2003). Ce type d’urbanisation se justifie par l’étalement horizontal de l’habitat urbain, la pression foncière, l’insuffisance de ressources publiques accompagnant le transfert des compétences de l’État. Cergy-Pontoise devient une agglomération aménagée par l’État pour désengorger l’Île-de-France et héberger les cadres du quartier de la Défense. L’absence de sites récréatifs marque la naissance de la ville en 1970. L’implantation d’un parc est soulignée par Bernard Hirsch, son concepteur : « une ville en fer à cheval avec au milieu un parc, c’est une ville dont le centre est un lac » (Hirsch cité par Rohmer, 1975). L’intercommunalité devient un acteur central pour accueillir l’offre des deux parcs malgré l’absence d’unité architecturale (Saint-Pierre, 2003). Pour combler le manque d’infrastructure faisant défaut lors de la construction de la ville nouvelle, l’IdL est plébiscitée dès son inauguration par les baigneurs (illustration 1), elle s’adresse à tous et rassemble des sports allant du tennis au ski nautique. Aujourd’hui, parmi les cinquante activités, plusieurs sont importées des États-Unis (rafting, wakeboard…). Celles-ci sont inédites en Île-de-France car elles sont rares et onéreuses pour les usagers.
13Puis, en 1987, s’ouvre à Courdimanche, commune de la ville nouvelle, Mirapolis, célébré comme le « premier parc à la française » qui aurait « valeur de test » (Millot, 2015 : 152). Son nom provient de la contraction du terme « mira » signifiant miroir et « polis désignant la cité antique. Ce nom aux racines latines s’inscrit dans le contexte d’une ville ludique (Gibout, 2016) qui fait participer les habitants pour imaginer les noms de rues de la cité. L’association de termes réaffirme la prédominance de renvois à la culture française et au jeu.
- 2 Ce besoin se calque sur l’offre d’attractions liées aux espaces verts créés en 1931 lors de l’expos (...)
- 3 En Allemagne, le Grimmwelt conçu en 2014 et Europapark ouvert en 1975 proposent des sites et des at (...)
- 4 Le Monde, 13 novembre 1986.
14Le site s’étend sur 50 hectares arborés, avec un lac, et propose 27 manèges2. Les légendes y sont représentées dans des décors gigantesques évoquant les contes et les fables3. Inauguré le 20 mai 1987 en présence du premier ministre, le parc ne fonctionne que quatre ans… il est démonté à la fin de l’année 1991. Les moments marquants de sa courte existence sont de grands événements : shows, compétitions sportives, festivals du rire et de chansons. L’« imaginaire bâtisseur » (Ostrowetsky, 2004) y apparaît comme une utopie des promoteurs du parc liée au renvoi à la littérature française. Les rues adjacentes à ce parc ont des noms anhistoriques renvoyant à l’œuvre de Jules Verne, écrivain français incarnant le rêve, la dimension onirique. Son directeur déclare : « nous voulons faire jouer la féérie avec la haute technologie4 ». La profusion d’images issues de la tradition française accentue l’esprit pionnier de la ville nouvelle.
Illustration 1
Plage de l’île de loisirs à Cergy
Photo : Agglomération Cergy-Pontoise, mai 2010.
15Il s’agit de concurrencer des parcs « copiés sur les standards américains » (Flament, 1993) en les différenciant de Mirapolis par une fréquentation plus locale. En effet, ce site accueille une clientèle essentiellement française, l’IdL ayant une vocation régionale.
- 5 Par exemple le bateau pirate évoque le folklore des Vikings. D’autres attractions font revivre l’œu (...)
16L’aménagement, au-delà des distractions à connotations populaires, renvoie à la fiction, à la culture populaire européenne5 et à la littérature française (Verne, Rabelais, Dumas). Pour Anne Fourcade, architecte parisienne du parc Mirapolis, il s’agit de transmettre le rêve nourri par ces auteurs iconiques pour célébrer les personnages de leurs romans. C’est dans ce contexte qu’une statue géante est édifiée dans l’axe du cours des Merveilles à Cergy pour que les habitants la voient. Il s’agit du palais de Gargantua, parcours scénique élevé à 34 mètres. Ce héros de Rabelais paraît comme sorti de l’an mil. À côté du géant, les légendes du roi Arthur rappellent des œuvres littéraires populaires.
- 6 « Mirapolis : la déchéance d’un parc », 13 comme une, 27 juin 2017, p. 6.
- 7 Les forains et Marcel Campion, investisseur, convainquent les gestionnaires du parc de récupérer le (...)
17Malgré un aménagement important des voies d’entrées, le site demeure en marge de l’agglomération. Sur le plan urbanistique, les deux parcs sont contigus à des lotissements à l’américaine, tandis que la desserte ferroviaire n’arrive qu’en 1995, soit deux ans après la fermeture de Mirapolis. Un géographe relève qu’« hormis l’imposant Gargantua dominant la prairie du Vexin, Mirapolis, voué aux légendes et contes de France, n’a vraiment jamais affirmé son image, même dans le bassin parisien. Ni la proximité parisienne ni une qualité honorable de desserte n’ont profité à Mirapolis ! » (Flament, 1993 : 75) Bien qu’Eurodisney ne soit pas encore ouvert, le parc de Mirapolis est resté dans l’imaginaire plus de trente ans après, comme associé à la fois à la grandeur et à la décadence6. Le site est essentiellement dévolu à un usage récréatif durant les fins de semaine et les congés. Son gestionnaire cible les habitants plus modestes des périphéries de l’Île-de-France. Or, après cinq ans d’exploitation, l’établissement fait faillite, à la suite d’un conflit entre des forains et des investisseurs7. Seule l’IdL reste ouverte et axe son offre sur le sport en proposant un accès à tous et des stages au sein du parc.
18En dépit de sa courte existence, l’impact de Mirapolis dans la littérature et les imaginaires a été important. Les représentations du parc se sont structurées à partir de propriétés du champ littéraire (Bourdieu, 1991). Celles-ci s’inscrivent depuis trente ans dans l’imaginaire de la mythologie avec des renvois à une ville rêvée durant l’enfance. Dès son origine, le site apparaît opposé aux autres parcs dans la littérature, le lieu y est décrit comme un espace fantasmé :
Mirapolis, l’un des premiers parcs d’attractions français, imaginé par une disciple de Roland Barthes touchée à Disneyland par une épiphanie postmoderne. Elle avait alors eu l’idée d’un parc d’attractions qui livrerait une interprétation ludique et tridimensionnelle des mythologies françaises, toutes rassemblées dans un parc aux confins occidentaux de l’agglomération parisienne, à l’extrémité de la ville nouvelle de Cergy-Pontoise. Une statue de Gargantua avait bientôt été construite là-bas, une statue qui tournait le dos au soleil couchant pour mieux embrasser Paris […] La cohérence historique devait condenser deux mille ans d’histoire de France, tels qu’ils étaient parvenus jusqu’à nous à travers le filtre de la littérature. Les manèges et les attractions se rattachaient ainsi à des univers esthétiques précis, la construction savante des allées et des perspectives permettant d’isoler des univers entiers – l’adolescent grand huit du sommet de la grande frousse semblait ainsi exister dans un espace-temps différent de celui du paradis enfantin des comptines, destiné aux enfants. (Bellanger, 2017 : 29‑30).
19Ces extraits du roman Le Grand Paris rappellent la puissance d’évocation ludique du parc selon les âges et les œuvres et son destin funeste du fait de sa faillite résultant d’un conflit de gestion. Au-delà de la mythologie, il s’agit de partager à tous les contes et les icônes choisis pour le caractère enchanteur renvoyant aux traditions antiques et aux folies françaises. Le projet est de faire connaître des œuvres littéraires aux enfants et à leur famille.
20Plus loin, Aurélien Bellanger décrit « la guerre entre le parc civilisateur » et « la terrible corporation des forains, dont le mode de vie archaïque était mis en péril par les splendeurs accumulées de Mirapolis ». Pour l’écrivain, Mirapolis tient à la fois de la « ville admirable, la ville idéale, la ville terminale » (ibid.). L’analyse thématique du corpus montre que ces œuvres renvoient à une polyphonie discursive entourant les commentaires sur le parc. Cet ensemble thématique allie les icônes des comptines gourmandes aux arts de vivre régionaux. Par là, la culture française, déjà menacée par la mondialisation dans l’industrie du divertissement, était censée se révéler au public par l’intermédiaire d’attractions à thèmes. Celles-ci vantaient une figure historique (roi Arthur), un personnage littéraire (Gargantua, symbole du parc), la fée Mélusine et les athlètes grecs. La cité d’Ys renvoyait à l’imaginaire de la splendeur d’Olympie. Avec les dieux du stade l’offre du parc plongeait les spectateurs au cœur de la parabole sportive.
- 8 Le Monde, 11 juillet 1989, p. 12.
- 9 « Boxe : championnat du monde des super-welters », Le Monde, 11 juillet 1989, p. 12.
21La principale particularité de Mirapolis reste son association à des événements sportifs majeurs. En effet, les années 1980 sont marquées par un essor contrasté des deux parcs du territoire, développement qui renforce l’identité ludique de la ville (Urry, 1994). Le sport y joue un rôle de relais, qui s’amplifie avec les infrastructures de spectacles aux abords du parc Mirapolis : « Délaissant les salles parisiennes, ils avaient fait monter des gradins sur le parking d’un parc d’attraction de région parisienne en mal de publicité8. » Cette citation montre que le sport-spectacle possède une dramaturgie transcendant le concept de Mirapolis, car il instille une valeur ajoutée aux imaginaires (Baudrillard, 1992). Le lien aux attractions correspond à un autre type de divertissement. Mais cette image est vite éclipsée par le démontage de manèges tandis que le show sportif est utilisé pour promouvoir le site à travers le prestige de ce décorum (lac, pistes, parking…). Ainsi, le prologue du 10e Paris-Dakar en 1988 et des championnats du monde de boxe9 et un gala de moto-cross y sont organisés. L’introduction de méga-événements sportifs au sein de Mirapolis relève de procédés perceptibles dans les médias. Il s’agit de faire jouer un rôle majeur au sport : rehausser le modèle de parc de loisirs en puisant l’inspiration dans la symbolique des héros sportifs. Dès lors, les épreuves organisées ont un retentissement médiatique dans la presse et un impact local pour la ville nouvelle qui œuvre à se forger une image dynamique liée aux spectacles à visibilité mondiale et à son aménagement.
- 10 Il convient de rappeler qu’à cette période, aucun grand stade n’offrait ce genre de spectacle en de (...)
- 11 « Souvenirs, souvenirs… Mirapolis », Le Petit Journal de Sagy, n° 403, 1er juin 2017, p. 5.
- 12 Lors des années 1980, l’hélicoptère est régulièrement utilisé par l’Établissement public d’aménagem (...)
- 13 Des jeux de télévision comme Interville et les reportages des Carnets de l’aventure diffusent alors (...)
- 14 En son nom, Jean-Chrysostome Dolto y invite des stars sportives françaises à cette période. Ce chan (...)
- 15 A cette période, quatre chaînes se partagent le paysage audiovisuel français : TF1, antenne 2, FR3 (...)
22Mais les représentations ambivalentes du public vis-à-vis du premier parc à la française ont perduré et se propagent comme effets de « point culminant » du sport-spectacle dans le contexte des années 198010. L’ouverture de Mirapolis le 20 mai 1987 est marquée par la visite d’hommes politiques qui instrumentalisent la culture à leur profit, à l’instar de Jacques Chirac, alors premier ministre11. Les imaginaires se déploient avec des arrivées en hélicoptère12 caractéristiques des méga-événements tels que le Paris-Dakar et les shows télévisés des années 198013. Des stars comme Carlos14, professionnel de la télévision connu pour son goût de la plongée sous-marine, ou Jean-Paul Belmondo, acteur réalisant ses propres cascades, sont emblématiques de ce renvoi au spectacle mondialisé. L’organisation d’événements sportifs matérialise cette spécialisation du territoire autour des shows médiatisés dans le monde entier comme un idéal du sport-spectacle. Des champions comme le joueur de tennis Yannick Noah, vainqueur de Roland-Garros en 1983, y sont invités. La communication du parc repose sur cette exploitation de l’image médiatique du sport à des fins de promotion de la culture sportive française. Ainsi, le 8 juillet 1989, un combat de boxe est organisé dans le parc (voir illustration 2). Des chaînes de télévision comme Canal+15, premier opérateur crypté, retransmettent ce show, ainsi que la radio Europe 1 ; Paris-Match, magazine hebdomadaire d’actualités en images, en assure la couverture. Des commanditaires s’y associent et contribuent à la mise en visibilité de la ville.
Illustration 2
Affiche de combat de boxe à Mirapolis
Source : Document Acariès, 1989.
- 16 Le Monde, 11 juillet 1989, p. 12.
23Des émissions de télévision font de Mirapolis un lieu emblématique de la mondialisation du sport. La retransmission de combats comptant pour le Championnat du monde de boxe a lieu. Cela participe de cette renommée de la ville. À cette occasion, des vedettes et des animateurs de télévision sont réunis pour accroître les audiences. Comme dans les parcs d’attractions américains, ces stars assurent la promotion d’« un site en mal de publicité16 ». Présent chaque weekend, Carlos devient la figure emblématique du parc. Il y commente le sport, en « faisant le show » et en chantant « Bienvenue à Mirapolis ». Il devient l’intermédiaire œuvrant à la renommée globale du parc et à l’image dynamique de la ville dont il est le citoyen, puisque « les événements sont à la fois un prétexte à la recomposition urbaine, à l’aménagement du territoire et à l’affirmation de l’image attractive » (Augustin, 2016).
- 17 La première année rassemble un tiers des visiteurs attendus selon les estimations de son directeur. (...)
24Grâce aux commentaires de Carlos, Mirapolis tire sa renommée de la visibilité médiatique de spectacles partagés à tous les âges. Les sports choisis (boxe, sports mécaniques…) donnent aux épreuves une résonnance épique. L’« emprise de l’américanisation du show » (Lamoureux, 2019) ajoute un degré à la force emphatique des héros sportifs. Ces procédés hyperboliques sont mobilisés pour accroître les liens entre les stratégies des gestionnaires du parc et les élus du territoire. Le public associe Mirapolis à un lieu spectaculaire qui dépasse la vocation récréative et le place au centre de la cité. Le sport et sa force de promotion répondent en cela à un projet de la ville nouvelle même si la fréquentation du lieu demeure encore en deçà des espérances de ses gestionnaires. En effet, le recours au sport-spectacle ne parvient pas à endiguer son déclin, car la mondialisation du concept de parc à l’américaine s’impose. Mais la principale cause de déclin réside dans sa localisation. Dès les premières années, les commentaires s’inscrivent dans l’imaginaire du déclin17.
25Après un premier dépôt de bilan en 1990, son existence s’achève en 1992 et la Société Cergy-Parc obtient en octobre 1993 le permis de démolir (Flament, 1993 : 75). Mirapolis haut lieu du sport-spectacle devient paradoxalement synonyme de « défaite » du modèle français. Si, à ses débuts, Mirapolis apparaît comme un concept foisonnant, il est en déclin dès son ouverture malgré la notoriété des événements sportifs. L’idée d’un parc à thème à la française est mise à mal dans son fondement même, car associer des attractions à des espaces verts dans une ville nouvelle pose problème. Il est possible de s’interroger sur ce qu’il en reste : il est aujourd’hui une friche fermée au public (illustration 3).
- 18 Le Moniteur, 22 mai 1987.
Plusieurs raisons sont évoquées pour justifier sa fermeture : aléas climatiques, erreurs de conception et de gestion, opposition violente des forains et surdimensionnement des installations. Mais les spécialistes des parcs invoquent plutôt son implantation géographique en raison de sa localisation à une heure de Paris (Flament, 1993). L’État français a acquis des parts, dont le coût est estimé à 500 millions de francs, dans sa société de Mirapolis18. Mais malgré le succès des galas de boxe, le parc trop éloigné du centre de la capitale accuse un déficit chronique.
- 19 13 comme une, 25 juin 2017. Le Val-d’Oise est l’un des départements de France comptant le plus de p (...)
26Aujourd’hui, l’ancien parc est devenu un terrain vague et la végétation y a poussé. L’immense statue de Gargantua qui dominait jadis le site a été détruite en 1995 et les manèges ont été démontés immédiatement après sa fermeture et revendus à d’autres parcs d’attractions. Ses manèges emblématiques ont été cédés au Spreepark de Berlin et les allées sont laissées à l’abandon. Depuis dix ans, l’entrée principale est même devenue une aire pour les gens du voyage19. « Le terrain classé zone de loisirs reste inconstructible. Seule demeure l’obligation d’entretien et même si le site est gardienné depuis 1992, il est régulièrement pillé et les installations démantelées. » (Millot, 2015 : 152) L’aménagement d’un quartier écologique serait en projet.
Illustration 3
Allées de Mirapolis à l’abandon et entrée délabrée
Photo : Antoine Marsac, septembre 2023.
27Le parc abandonné devient dès lors un site inédit pour l’exploration urbaine (Urbex) et pour le parkour. La description d’un journaliste alimente l’imaginaire du désastre :
[D]es allées bitumées jonchées d’objets calcinés, de bris de verre, de bidons rouillés, de vieux câbles… L’une d’elle mène à une mare verdâtre bordée de roseaux, de bouleaux et d’un saule pleureur […] Partout, la nature a repris ses droits. Les bâtiments ont disparu […] Aucune trace du manège à tasses à l’effigie de Groquik ni du palais de dame tartine. (Noyoux, 2016 : 65‑66)
- 20 « Avant Disneyland Paris, Mirapolis a tenté la démesure pour un résultat moins glorieux », Huffpost(...)
- 21 « Un dimanche avec Houellebecq », France Culture, 6 janvier 2019.
- 22 L’un est critiqué par les écologistes pour la destruction d’écosystème, l’autre pour sa violence.
28Pour les adeptes du parkour, le fait que le parc soit une friche entraîne la nostalgie d’un âge d’or dans lequel le sport constitue un symbole porteur dans les médias20. Dès lors, la construction du souvenir de Mirapolis participe à l’évocation du caractère éphémère de la ville ludique, un espace qui aurait pu être parfait, comme entendu dans une émission de radio21. Cela constitue un procédé urbanistique pour exprimer les relations ambivalentes entre la ville, le sport et le parc. Ce faisant, le déclin du lieu inscrit ce moment de la vie dans un espace-temps qui se révèle dans la critique des événements sportifs aujourd’hui très controversés22 : le « prologue du Paris-Dakar polluant et mortifère » (élu, entretien mai 2021).
- 23 Du nom du saint qui a fondé la ville, ndlr.
29Le parc rappelle le mythe et le symbole originels de la ville de Cergy : « le géant s’était assimilé à Saint Christophe23, un autre colosse qui dans son habit d’ermite aidait les voyageurs à trouver la bonne route. Saint Christophe patron de la ville et Gargantua auraient pu faire joyeux ménage en l’an 2000. » (Noyoux, 2016 : 65) Ces symboles de la ville sont associés dans cet extrait au déclin de Mirapolis, tandis que l’IdL a parallèlement pris son essor.
- 24 La circulaire du 20 janvier 1964, signée du haut-commissaire à la Jeunesse et aux Sports, Maurice H (...)
30La création de l’IdL a profité de la présence de terrains disponibles en bord de rivière. Ces terrains abritaient des carrières dans lesquelles ont été puisés le sable et les graviers nécessaires à la fabrication du béton avec lesquels la ville nouvelle a été édifiée. De plus, l’émergence de l’IdL24 s’appuie sur la préexistence d’une identité locale en matière de sports nautiques (voile, canoë). Cela suppose un engagement à long terme des collectivités territoriales (Région, agglomération) subventionnant l’IdL et ayant pour vocation de développer l’accès aux sports pour la jeunesse populaire. Les collectivités mettent en place des dispositifs d’accès au sport (cours, stages). À l’inverse de Mirapolis, le concept de ce parc n’est pas unique ; il appartient à un réseau de douze îles de loisirs implanté près de Paris. Sylvia Ostrowetsky (2004) considère que ce lieu ressemble au « parc à l’américaine que les joggeurs arpentent ». Lieu de promenade, l’IdL a été programmée lors de l’aménagement de Cergy-Pontoise (Saint-Pierre, 2003). Durant les décennies 1980 et 1990, le recours au sport des jeunes usagers s’inscrit dans une quête du sensationnalisme.
31Comme dans beaucoup d’IdL de la région, on constate une double artificialisation, des pratiques sportives et des espaces. À Cergy, 43 activités sont proposées. Si certaines sont bien sûr gratuites (barbecue, jeux d’enfants…), 35 sont payantes (de 2 € pour les structures gonflables à 240 € pour les stages multi-activités hebdomadaires pour adolescents) et nécessitent un personnel dédié et des infrastructures (accrobranche, rafting sur rivière artificielle…). L’observation de la nature est certes encore possible mais elle côtoie désormais le paint-ball. Une américanisation des sports se perçoit dans le domaine de l’outdoor car on retrouve des indices dans la dénomination « Adventure Park ». Ce nom a été pérennisé : « Un gérant d’entreprise situé dans le parc naturel de [xxx] nous a intenté un procès. Pour lui, l’île de loisir lui fait trop de concurrences alors que nous, on a créé le site d’aventure sportive avec d’autres activités outdoor. » (Directeur de l’IdL, entretien 2021)
32L’offre à vocation régionale s’étend dans l’IdL, en proposant des services (snacks, événements…). Finalement, le site participe de la structuration territoriale puisqu’il vient infléchir les choix résidentiels. Il s’inscrit dans la continuité de la ville : différenciation d’espaces, spécialisation des activités dans ces espaces, aménagements incitant l’usager à se mouvoir entre les sites, contrôle des flux d’individus. Mais surtout, l’IdL participe activement à l’identité de la ville nouvelle.
33Avant de (re)définir plus précisément les spécificités de l’identité de cette ville nouvelle, il convient de montrer l’importance de l’offre des parcs en revenant sur des faits marquants de son essor. La place du spectacle et des sports américains sera alors interrogée dans la construction de l’image de la ville ludique (Gibout, 2016) à partir des attributs associés à l’urbanité des lieux.
34L’aménagement des deux parcs a largement participé à la définition de l’identité de la ville nouvelle. De fait, les spectacles sportifs sont vus comme « summum festif de la civilisation des loisirs » (Gaboriau, 2003). Si ces événements sont des « fêtes totales », des « récits épiques » (ibid.), elles sont également source d’innovation car l’offre de l’IdL est aujourd’hui reconnue d’intérêt touristique (Léger et Lacôte, 2019). Le tableau 1 résume les caractéristiques des parcs.
Tableau 1
Synthèse de l’organisation des sports dans les deux parcs de loisirs à l’étude
- 25 Les appellations sont en anglais car elles correspondent aux termes employés par les acteurs.
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Nom du parc, année d’ouverture / gestion
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Mirapolis (1987-1992)
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Île de loisirs (1977--)
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Statut du parc
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Semi-privé
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Public
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Investisseurs
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Privés et publics
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Publics
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Mode de gestion
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Privée (Société Cergy-Parc)
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Publique / gestion déléguée
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Sport-spectacle dit à « l’américaine25 »
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Boxe, spectacles, hélicoptère, rallyes automobiles…
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Rafting, wakeboard, planche à roulette, canoë, paddle, surf, paint-ball, windsurf, kayak, foil, BMX
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Nombre d’équipements pour ces sports
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3
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12
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35La place des sports américains dans les parcs reste contrastée étant donné que la gestion des parcs diffère. L’introduction des sports américains constitue un phénomène (Lamoureux, 2019) qui prend de l’ampleur. La dramaturgie du sport-spectacle à l’américaine rend visible le site au-delà de la publicité. Cependant, la direction de Mirapolis a survalorisé les effets de la diffusion des sports américains pour l’image de la ville. Au contraire, la globalisation a plutôt affecté le secteur du loisir dans le cas de l’IdL, liée à l’amélioration du cadre de vie.
- 26 Cergy Ma Ville, juin 2020.
36La ville ludique se réinvente en étant moins enracinée dans des formes de tradition sportive : « on est sur une américanisation des sports » (élu, entretien mai 2021). La diffusion du sport prend en compte les sports traditionnels (athlétisme, natation), mais met davantage en avant des activités outdoor présentant une dimension marchande (location d’embarcations, vague à surf artificielle…). De ce fait, l’implantation de sports américains dans l’IdL suscite peu de résistance de la part des acteurs du territoire. La ville a soutenu ce phénomène, à preuve, « il y a les meilleurs clubs pour les sports américains. C’est la première ville de France à offrir ces conditions car il n’y pas de grand club de foot » (élue, entretien mai 2021). Cette promotion par le sport renouvelle la compréhension de l’américanisation puisque basketball, football américain, baseball et hockey sur glace notamment renforcent l’image dynamique du territoire en diffusant un imaginaire de « ville ludique » (élu, entretien juin 2021), également relayée par les journalistes26. Ces ancrages renvoient à l’essor d’une culture sportive américaine qui se perçoit et se rejoue d’un parc à l’autre, d’abord sous forme de spectacles forgeant l’imaginaire autour de Mirapolis puis dans des infrastructures sportives pérennes à l’IdL. Le tableau 2 relie l’offre au nom des clubs et à leur niveau de jeu en les replaçant dans le territoire.
Tableau 2
Inventaire des clubs de sports américains et lien ou non avec le territoire local
Type de sport américain
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Nom du club et niveau de jeu
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Lien avec le nom de l’agglomération
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Hockey sur glace
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Jokers (niveau Ligue Magnus)
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Aucun
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Basketball
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Spartiates (niveau Nationale 1)
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Aucun
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Football américain
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Cougars National
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Aucun
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Baseball
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Teddy-Bears National
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Aucun
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Wakeboard
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Cergy Wake Family local
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Lien avec le territoire et l’IdL
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- 27 Vidéo dans laquelle le président de l’agglomération de Cergy-Pontoise vante les mérites des clubs, (...)
37Ce tableau montre que le nom des clubs reste faiblement associé à l’identité du territoire. Dans cette perspective, ces clubs sont les fers de lance de la dynamique sportive intercommunale27. Mais l’implantation des clubs joue un rôle limité dans l’identité territoriale, leur dénomination renvoyant davantage à la dramaturgie du spectacle sportif à l’américaine. Depuis dix ans, la diffusion de sports américains s’accélère avec le développement d’un campus international à Cergy-Pontoise. Les étudiants participent à cette uniformisation via une identité ancrée dans la région.
38Les effets de la globalisation sur le sport engendrent une transformation profonde (Maguire et al., 2021). Le modèle global entraîne une uniformisation des équipements sur le modèle du parc d’aventure nord-américain, même si on le retrouve dans d’autres IdL de la région. Ce processus s’accroît avec les aménagements innovants (vague à surf artificielle, site de rafting, parc aquatique, site d’aventure) et leur charge métaphorique. L’offre s’est donc renouvelée au cours des dernières décennies. Le tableau 3 synthétise la comparaison entre les deux parcs et leur rapport à la production d’une identité locale.
Tableau 3
Critères d’identité territoriale selon le modèle d’Augustin (2016)
Critère tiré du modèle d’Augustin (2016)
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Mirapolis
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Île de loisirs
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Élément structurant de la forme urbaine
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Parc en périphérie d’agglomérations proches de terres agricoles. Parking, lieu de galas de boxe et de rallyes
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Localisation au centre de l’agglomération. Noyau central de la morphologie urbaine de la ville nouvelle
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Attracteur d’interactions sociales
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Sport-spectacle, décorum pour spectateurs, stars
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Attracteur des clubs sportifs dans le domaine des sports nautiques
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Intermédiaire de la mondialisation
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Méga-événements liés au sport-spectacle (galas de boxe, rallye)
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Mise en scène de la ville ludique par le sport et projet territorial autour d’une agglomération verte
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Révélateur identitaire
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Peu de rapport avec l’identité de l’agglomération et de la région
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Renforcement du rapport à la ville ludique en devenant un lieu de mobilités urbaines
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Figure organisatrice de l’urbanité
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Proximité de lotissements à l’américaine, noms de rues, voies et places
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Aménagement de routes : 3 accès routiers et piétonniers, pavillons, ponts, pistes
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39Ces cinq dimensions sont rapportées aux spécificités de la communication des deux parcs. Si la principale caractéristique réside dans la mise en avant du spectacle, le lien avec la cité demeure faible dans le cas de Mirapolis à cause de sa desserte limitée. Les événements organisés n’ont pas réussi à renforcer l’image du territoire du fait de la faible desserte. L’IdL, en revanche, est l’élément central du projet de ville nouvelle participant à la renommée régionale. Les deux parcs sont profondément différents : l’un éphémère avec l’illusion de la transposition d’un imaginaire global, l’autre plus structurant qui accroît l’attractivité locale. L’IdL est un catalyseur d’aménagements pour améliorer le cadre de vie dans des lotissements. La place accordée au sport y est révélatrice de l’offre plurielle de loisirs en ville (golf, lac, plage).
40Si Mirapolis dans sa fonction d’accueil d’événements a promu l’« américanisation du show » dans sa double dimension de pratiques nouvelles et de diffusion du spectacle calquée sur une mode à portée identificatrice, l’IdL favorise un accès au sport pour tous. Même si les parcs à thème comme Mirapolis ne peuvent être mis sur le même plan que d’autres sites de loisirs, la forte demande d’espaces sportifs au sein des parcs provient de l’agglomération. Leur aménagement renvoie à la capacité à créer de l’urbanité : « Cergy-Pontoise est connue pour son IdL qui, chaque été, occupe l’espace médiatique à travers sa fréquentation touristique » (maire, enretien mai 2021). Ce propos lie l’attractivité du parc à la mise en paysage de ville ludique (illustration 4).
Illustration 4
Fresque du cadre de vie en ville nouvelle avec le sport à l’IdL
41Source : EPA, 1986.
42Depuis cinquante ans, la vocation sportive de l’IdL s’affirme, en particulier dans le secteur du nautisme (voile…). Cette dimension hédoniste a modifié l’offre du parc, influant en retour sur le cadre de vie urbain. La politique de l’agglomération axée sur le sport pour tous participerait à forger l’imaginaire contemporain d’une ville ludique et dynamique. Le parc tend ainsi à renforcer l’identité locale face à la suprématie des sports américains. Le changement spatial en cinq décennies renforce la transformation globale de l’image de cette agglomération.
- 28 « 49,7 % ont moins de 30 ans », Cergy Ma Ville, juillet 2022.
43Au cours des années 2000, l’image de la ville nouvelle se modifie sous l’effet de l’introduction de sports américains relativement « nouveaux » (wakeboard, rafting, paddle) complétant les traditionnels sports nautiques (voile, canoë). Les effectifs des clubs y augmentent (Ministère des Sports, 2022). À l’IdL, la vocation nautique se matérialise par une architecture inspirée de la ville idéale reposant sur le modèle du parc de loisirs à l’américaine (Chesneau, 2001). Le territoire se spécialise par l’intermédiaire du parc dans un type de divertissement lié aux sports de nature. Il révèle le rôle des aménagements et des politiques touristiques. L’offre des parcs de loisirs s’inscrit dans le renouvellement des sports globalisés. Pour les élus, ils participent à la définition et à la spécialisation de la ville au-delà des fonctions urbaines : « Cergy est une ville jeune28, le sport est au centre de notre politique » (maire, entretien mai 2022). De la ville nouvelle à l’agglomération, ce lieu cristallise des récits du divertissement s’imposant depuis les années 1980. Le parc crée de la localité même si l’offre s’appuie sur la vocation globale du sport pour renforcer l’identité du territoire. Le modèle américain prend une place importante même dans les symboles de la consommation parmi les groupes sociaux. L’analyse de contenus montre que loin d’être une implantation « neutre », ce parc répond à des enjeux politiques associés à l’identité du territoire. En ce sens, le parc donne à voir plus que du loisir en créant une synergie avec les aménagements locaux. Son implantation s’inscrit dans le projet urbain remis en question par l’évolution des modes de vie.
44Mais ce modèle de parc renvoie aussi à ses limites car la globalisation touristique de la région parisienne tend à effacer son caractère unique en éradiquant ses spécificités (Abélès, 2008). Ainsi, pour l’élue de la Région Île-de-France (entretien septembre 2023), les IdL sont « des lieux de production de valeur ajoutée tournés vers le tourisme, le service aux entreprises et le divertissement ».
45L’irruption des parcs de loisirs dans la ville nouvelle a contribué à façonner les imaginaires. La communication lors de leur inauguration s’est renforcée par l’image spectaculaire du sport durant des décennies, marquant l’identité de l’agglomération. Les gestionnaires se sont notamment emparés des événements sportifs pour mettre en avant le territoire avec des shows très suivis. Pourtant, ce modèle global demeure ambivalent. Face aux parcs à l’américaine en expansion, Mirapolis a proposé une alternative sans pour autant renouveler le projet urbain. Le site n’a pu jouer un rôle stratégique en raison de problèmes d’accessibilité. Au contraire, l’aménagement de l’IdL tend à structurer la ville depuis sa création, consolidant un rôle de charnière. Le maire y promeut un mode de vie sportif dans la ville. Si l’offre du parc évolue, le lieu agrège de multiples identifications, consolidant l’image de la cité.
46La comparaison de la place des espaces dans cette dynamique urbaine montre que le sport joue un rôle important dans la promotion d’une ville ludique, bien que le modèle de parc à l’américaine présente des effets contrastés. L’IdL utilise le sport comme effet de prestige basé sur l’offre et les clubs de sports américains. Cette dimension nouvelle introduite à la faveur des aménagements de l’agglomération obéit à des logiques géographiques et sociales liées à l’urbanisation récente. Le modèle de parc exalte la dramaturgie du spectacle, à l’instar des promoteurs de Mirapolis qui en ont poussé le concept jusqu’au bout.
47Mais l’utopie de créer un parc à thème à la française s’est heurtée à la fragmentation des modes de vie et à l’uniformisation du modèle global des loisirs. Ces effets de la mondialisation se mesurent donc à l’offre importée et aux types de consommation qui lui sont associés. L’IdL, concept régional, demeure calquée sur des activités liées à des demandes protéiformes. Le sport marque donc la cité et son cadre de vie par l’intermédiaire de symboles universels. Mais si les parcs apparaissent comme des figures d’urbanité, leur fréquentation ne comble pas l’absence d’unité de la ville ludique alors que l’intercommunalité est censée renforcer la cohérence du projet territorial. En reconsidérant le modèle de parc et en le réinscrivant dans son ancrage régional, l’IdL témoigne d’une mondialisation accélérée pour moderniser des équipements qui diffusent un imaginaire sportif hédoniste. Bien que globalisés, ces espaces n’en sont pas moins devant un renouvellement nécessaire pour assouvir une demande locale.
48Des résistances face aux tendances à l’homogénéisation des sports (Bairner, 2001) persistent néanmoins. Loin d’être uniquement une « américanisation » des pratiques qui relève d’un cliché répandu, il est plus juste de reconsidérer la versatilité d’usagers et la longue inscription de l’IdL dans l’urbanité locale. En somme, ce modèle de parc demeure associé à des identités plurielles.
Warnier, Jean-Pierre, 2001, La mondialisation de la culture, Paris, La Découverte.