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Librairie

Sophie Baby, Le Mythe de la Transition pacifique. Violence et politique en Espagne (1975-1982)

Nancy Berthier
p. 203-204
Référence(s) :

Sophie Baby, Le Mythe de la Transition pacifique. Violence et politique en Espagne (1975-1982), Madrid, Casa de Velázquez, 2012, 527 p.

Traduction(s) :
Sophie Baby, Le Mythe de la Transition pacifique. Violence et politique en Espagne (1975-1982) [nl]

Texte intégral

1D’emblée, le volume impressionne par sa taille : 527 pages, dont 440 d’un texte dense, complété par une imposante bibliographie et de précieux documents annexes. Il s’agit là du résultat éditorial d’une thèse dont l’envergure relève quasiment du doctorat d’État. Ce texte est d’ailleurs, comme le précise l’auteur dans les remerciements, l’aboutissement de plus de quinze années de travail, une dizaine pour la thèse à proprement parler, soutenue en 2006 à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, six de plus pour le processus d’édition du livre issu de ces travaux.

2Comme son titre l’indique, la recherche porte sur la Transition politique en Espagne, entre la mort du dictateur Francisco Franco Bahamonde (novembre 1975) et l’année 1982, qui marque l’arrivée au gouvernement des élus socialistes (octobre). Sept années au cours desquelles, après une période de tâtonnements, est élaborée, votée et adoptée par référendum, le 6 décembre 1978, une Constitution démocratique, dans le cadre d’un régime monarchique conduit par Juan Carlos I, le dauphin de Franco. L’accession au pouvoir des socialistes à la fin de la période consolide le régime en permettant pour la première fois l’alternance politique dans ce nouveau cadre démocratique. Tout est donc bien qui finit bien et, jusqu’à la fin des années 1990, le discours dominant sur cette période de l’histoire du pays est que la Transition politique en Espagne s’est déroulée idéalement sur la base d’un consensus qui a permis aux acteurs politiques de s’entendre sur l’essentiel (la mise en place d’un régime démocratique), moyennant un certain nombre de renoncements, de part et d’autre. Une Transition modèle, qui servira de référent à de nombreux pays dans leur gestion de la sortie de dictatures, les nations latino-américaines dans les années 1980, puis les pays d’Europe de l’Est après la chute du mur de Berlin. Pour Sophie Baby, en revanche, ceci relève du « mythe » (terme utilisé pour la première fois par B. André Bazzana), c’est-à-dire d’un discours qui répété à l’envi a fini par acquérir un statut de vérité, au mépris de la réalité historique.

3« Le mythe de la Transition pacifique », c’est précisément cela que les recherches de Sophie Baby tendent à déconstruire. Si, à la date de parution de cet ouvrage [2012], elle n’est ni la première ni la seule à le faire, en revanche, ce qui assurément fascine dans son travail, c’est sa manière très convaincante de mener la démonstration et le sérieux de sa démarche. Le mythe d’une Transition pacifique vise en réalité à en nier la violence, ce qui correspond à une fonctionnalité politique bien précise, assumée par les élites qui l’ont menée à bien, mais aussi sociale. Sophie Baby prend le parti, inverse, de faire émerger la violence politique au cours de la période. Son ouvrage dévoile alors la partie immergée d’un colossal iceberg. Méthodiquement, patiemment, courageusement, l’auteur a recensé, classé, analysé ce qu’elle regroupe sous la notion de « violences politiques en transition » (p. 15). Elle a réuni au total un corpus imposant – et jusque-là inédit par son ampleur – d’environ 3 200 événements violents (avec plus de 700 morts) pour la période comprise entre la mort de Franco et la fin de l’année 1982, et qui selon l’auteur « ne constitue qu’un minimum » (p. 43). L’intérêt de ce corpus vient par ailleurs du fait qu’il ne se limite pas à l’expression « classique » de la violence politique (attentats), mais qu’il comporte également des actions multiformes qui ont entretenu un climat de violence constant tout au long de la période (menaces, émeutes, protestations, troubles dans l’espace public, etc.). Enfin, le corpus réunit aussi bien les manifestations de violence de l’opposition que celles des agents de l’État, dans une spirale que rien ne semble pouvoir arrêter. Nous sommes loin de l’image canonique où la violence de la période est perçue soit comme un phénomène sporadique (le coup d’État manqué du lieutenant colonel Tejero le 23 février 1981), soit comme « une aberration périphérique qui rend encore plus éclatante la cohésion du reste de l’Espagne. » (p. 6)

4Après une première partie liminaire qui dessine les contours des « violences politiques en transition » et offre un solide cadre épistémologique et méthodologique, l’ouvrage se structure en deux grandes parties, qui examinent successivement « Le cycle des violences protestataires » (p. 61-234) et « L’État et la violence » (p. 235-420). Le volume d’archives exploitées impressionne, tout comme les nombreux tableaux récapitulatifs, très éloquents, qui permettent de visualiser clairement les phénomènes observés. La clarté de la démonstration, tout autant que la justesse des analyses, rendent la lecture de cette somme passionnante. Et bien que l’objet d’étude appartienne désormais à un passé en apparence révolu, cette lecture de la transition résonne chez le lecteur contemporain, en écho à une actualité politique qui révèle clairement les limites du « mythe pacifique de la transition ». Si la plupart des souvenirs de la violence politique de la période, comme l’énonce Sophie Baby dans sa conclusion, « ont disparu de la mémoire collective, broyés sous le poids du mythe institutionnel » (p. 438), cependant, le poids d’une transition inachevée et qui, à force d’occultation, n’a pas véritablement réglé ses comptes avec le franquisme, est aujourd’hui plus que jamais présent dans un pays où les démons du passé ressurgissent sans cesse, confirmant l’actualité de la conclusion de l’auteur : « La violence, en dépit des efforts déployés pour l’exclure de l’espace démocratique, est donc toujours au cœur du fait politique de l’Espagne contemporaine. » (p. 440)

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Pour citer cet article

Référence papier

Nancy Berthier, « Sophie Baby, Le Mythe de la Transition pacifique. Violence et politique en Espagne (1975-1982) »Témoigner. Entre histoire et mémoire, 119 | 2014, 203-204.

Référence électronique

Nancy Berthier, « Sophie Baby, Le Mythe de la Transition pacifique. Violence et politique en Espagne (1975-1982) »Témoigner. Entre histoire et mémoire [En ligne], 119 | 2014, mis en ligne le 01 janvier 2016, consulté le 03 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/temoigner/1648 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/temoigner.1648

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Auteur

Nancy Berthier

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Droits d’auteur

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