Transition énergétique : entre solutions et paradoxes
Texte intégral
1A l'heure des restrictions énergétiques et du changement climatique, la nécessité de réduire -ou tout au moins de modifier- notre consommation d'énergies fossiles est devenue inéluctable. Ce constat a été confirmé par les participants de la COP 27 de Sharm el-Sheikh (Egypte, 6-18 novembre 2022), qui insistent sur la nécessité de diminuer les émissions de gaz à effet de serre afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050.
2Pour aller en ce sens, de grands programmes sont avancés en France comme à l’étranger : relance du nucléaire, développement de l’hydrogène et des énergies renouvelables (éolien, photovoltaïque, méthanisation), remplacement des véhicules thermiques par des véhicules électriques. S’il apparaît que le cycle de vie d’un véhicule électrique est moins émetteur de gaz à effet de serre que celui d’un véhicule à moteur thermique (Ademe, 2019), n’oublions cependant pas que l’électricité mondiale est majoritairement produite à partir de charbon. De même l’hydrogène qui se trouve au coeur de la stratégie européenne de transition énergétique est produit à plus de 90% par reformage d’hydrocarbures issus des énergies fossiles. Il se pose par ailleurs la question de l’éloignement ou de la surexploitation des ressources telles que le lithium utilisé pour les batteries électriques ou du devenir des déchets nucléaires à vie longue.
3Au travers de ces quelques exemples l’idée directrice de ce numéro thématique est de mettre en évidence que les solutions proposées pour lutter contre le changement climatique sont parfois paradoxales et que leur mise en place peut conduire à un résultat à nuancer par rapport à l’objectif recherché ou affiché.
4Ce numéro thématique de la revue Territoire En Mouvement se propose de faire le point sur cette question et de sortir de la vision conformiste selon laquelle la transition énergétique résoudrait la question du changement climatique tout en préservant l’environnement, et de permettre au regard critique de la recherche de s’exercer. Dans ce numéro, les différentes thématiques abordées s’articuleront autour de cette notion où l’ambiguïté de la solution aboutit à un résultat différent, voire à l’opposé de l’objectif premier, tout en mettant en évidence les biais de la transition énergétique.
5C’est ainsi que dans un premier temps sera abordée la question de la production énergétique dans les pays du Sud, et particulièrement celle à partir de panneaux solaires, qui au-delà d’une production électrique affranchie des ressources fossiles soulèvent de nombreux problèmes. Ainsi l’article de Rémi de Bercégol (French Institute of Pondicherry), intitulé « Transition urbaine et électrification domestique en Afrique de l’Est : la diversification énergétique des périphéries de Dar Es Salaam », nous montre comment l’électricité ne remplace pas mais s’ajoute aux autres sources d’énergie domestique, et comment la diversification énergétique domine dans l’urbanisation africaine. L’article de Théo Baraille (Sciences Po Paris) et Sylvy Jaglin (Université Gustave Eiffel) : « L’artisanat de la réparation solaire à Nairobi (Kenya) : sur les apories d’une politique électrique « soutenable » », quant à lui, nous montre comment l’équipement électrique photovoltaïque, sensé soutenir un développement local durable et créateur d’emplois, est en fait devenu une source importante de déchets dont la gestion reste problématique.
6Dans un second temps, la transition énergétique est abordée sous son aspect réglementaire. En effet, cet aspect se retrouve dans l’article de Thibaud Pages (Université Montpellier 3), Adrien Lammoglia (Université Montpellier 3) et Didier Josselin (Université d’Avignon) portant sur « Les nouveaux modes de déplacement individuel doux basés sur l’électrique. Attractivité et insertion modale », qui nous montre comment dans le contexte de déconfinement lié à la crise COVID-19 la région PACA a dû aménager en urgence des pistes cyclables, le vélo semblant le moyen de déplacement le plus approprié pour conserver la distanciation physique ; or ces pistes qui étaient provisoires tendent pour certaines à se pérenniser, renforçant l’essor des NVEI (nouveaux véhicules électriques individuels) en milieu urbain. Bien évidemment, cette question pose de nombreux enjeux en termes d’environnement et d’aménagement urbain, qui se confrontent à la réglementation déjà en place. Puis de façon plus générale, les aspects réglementaires de la question énergétique et leurs difficultés afférentes sont traités au travers de l’article d’Hélène Nessi (Université Paris Nanterre) sur « La territorialisation de la transition énergétique : les paradoxes de la surenchère des normes et de la réglementation », qui nous montre comment l’Etat, dans sa territorialisation énergétique, éprouve des difficultés dans ses objectifs descendants, notamment dans la construction d’une véritable politique locale de transition énergétique.
7Enfin, le domaine agricole n’échappe pas non plus à la transition énergétique et aux différentes questions qu’elle soulève, c’est ce que nous montrent Fanny Provent (AgroParisTech) et Gwenaëlle Raton (Université Gustave Eiffel) dans leur article sur l’agriculture urbaine : « La localisation urbaine : atout ou contrainte pour la logistique de l’agriculture urbaine ? Etude de cas à Paris » qui met en évidence que le rapprochement en ville de la production agricole, qui supposait une diminution de la consommation énergétique par diminution des distances de transport pour la distribution, dans les faits augmente les étapes logistiques, mais également du transport intermédiaire. Ce numéro thématique se clôture avec l’article de Nadège Garambois (AgroParisTech) sur « Transition énergétique et durabilité de l’agriculture : les limites et paradoxes du développement de la méthanisation agricole. Etude comparée en Bretagne et Grand Est » qui nous montre comment la transition énergétique fait sortir l’agriculture de son rôle premier de productrice de denrées à productrice d’énergie, renforçant par là-même les inégalités sociales déjà existantes, tout en remettant en question la mise en place d’une agriculture plus durable et équitable.
8Une Perspective clôture ce numéro, sur « La face cachée des énergies renouvelables » d’Imane Nya (Université Mohamed V), amenant une réflexion sur les sphères autres que climatique de la transition énergétique : en effet, les aspects sociaux, économiques, environnementaux et sanitaires sont également touchés, et ne doivent pas être sacrifiés à seule fin de préserver le climat.
9Ce numéro nous montre ainsi que la transition énergétique indispensable dans laquelle nos sociétés se sont engagées, n’est pas un idéal qui répondra à toutes les problématiques portées par le changement climatique, mais apporte également ses propres questionnements et paradoxes, auxquels nos sociétés devront trouver de nouvelles solutions. De nouveaux axes de réflexion sont soulevés.
Pour citer cet article
Référence électronique
Caroline Norrant et Murielle Rivenet, « Transition énergétique : entre solutions et paradoxes », Territoire en mouvement Revue de géographie et aménagement [En ligne], 55 | 2022, mis en ligne le 13 janvier 2023, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tem/9807 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/tem.9807
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte seul est utilisable sous licence CC BY 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page