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Partie 1. Patrimoine, jeux d’acteurs et mobilisations

Comment le rapport au patrimoine transforme les pratiques de réappropriation de la médina de Tunis

How the relation to heritage transforms the practices of re-appropriation of the médina of Tunis?
Irene Valitutto et Anaïs Beji

Résumés

Face à une apparente inaction des pouvoirs publics en faveur de la protection et la valorisation du patrimoine de la médina de Tunis, des initiatives non-gouvernementales, issues de la société civile, ont émergé depuis les années 1970. Des acteurs très hétérogènes par leurs statut et procédés, tels qu’associations d’experts du bâti et individus amateurs de l’architecture, s’impliquent dans des démarches plurielles qui témoignent d’un engagement citoyen commun pour la sauvegarde et la réhabilitation d’un patrimoine en péril. Quels sont les protagonistes et les pratiques de cette action commune ? Quels sont les articulations entre ces acteurs et les institutions publiques ? Comment chacun négocie sa place ?
Ce texte essaie de donner un aperçu d’un processus encore en cours, de reconnaissance et de réappropriation du patrimoine « vivant » de la « ville arabe » de Tunis, qui a été au cours du temps très controversé.

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Texte intégral

Introduction

1Ce texte révèle, analyse et interroge différentes approches de mise en valeur et de réappropriation du patrimoine architectural de la médina de Tunis, menées par des acteurs non institutionnels face à un apparent désintérêt de la puissance publique.

  • 1 La première protection patrimoniale de la médina de Tunis date des années 1920, l’UNESCO l'inscrit (...)
  • 2 Lors de notre recherche sur le terrain, grâce à des guides locaux qui sont devenus nos interlocuteu (...)

2Le choix de la médina de Tunis comme terrain d'analyse s’est fait sur la base d’enjeux de différentes natures, se concentrant sur ce territoire. La médina, appelée aussi « ville arabe », constitue le bâti ancien de la ville. Par sa morphologie, ses usages et pratiques de la ville qu’elle abrite, la médina représente dans l’imaginaire commun l’opposé de la ville européenne moderne (Giudice, 2002). Cet espace, très controversé pour les intérêts compétitifs qu’il attire, est le terrain de dynamiques contradictoires : il est à la fois un patrimoine classé1 mais aussi en grande partie délaissé. Selon les secteurs qui la composent la médina accueille, d’un côté, une bourgeoisie tunisienne et internationale investie dans la réhabilitation et rénovation individuelle de son bâti, et de l’autre une population défavorisée, qui travaille dans les alentours, et qui trouve ici des solutions peu coûteuses pour se loger, ne respectant pas toujours les normes de salubrité et de légalité (Derbel, 2017) 2. Les représentations que les différentes classes sociales et les diverses époques lui ont attribuées placent ce territoire au carrefour de plusieurs débats (scientifiques et sociétaux) concernant des enjeux culturels, politiques et économiques. En Tunisie, l’architecture et la forme urbaine sont les leviers d’enjeux identitaires en raison de la variété de styles architecturaux présents sur le territoire, associés à un spectre diversifié de cultures qui l’ont habité. Dans ce cadre, les régimes politiques ont valorisé ou dénié certaines des cultures locales dans leur projet de construction d’une identité nationale tunisienne (Ammar, 2017). Ainsi, telle dynamique a fait du patrimoine un instrument de propagande politique à des fins identitaires et un outil de développement de marketing territorial (Bohli Nouri, 2015). La chercheuse Héla Oueslati Saffar (2018) retrace la construction d’une identité culturelle postcoloniale en Tunisie liée au patrimoine depuis 1956, date de la fin du protectorat français et donc de l’indépendance. Les différentes personnalités politiques au pouvoir depuis ce moment historique, ont promu une « identité tunisienne » en concordance avec leur projet de construction nationale. Sous la présidence de Bourguiba (au pouvoir de 1957 à 1987), les idéaux modernistes sont valorisés et dans une perspective de laïcisation de la société tunisienne, il s’éloigne de l’héritage arabo-musulman. Par la suite, avec Ben Ali au pouvoir (de 1987 à 2011), l’identité méditerranéenne et le patrimoine arabo-musulman de la Tunisie sont mis en avant (Abbassi, 2009), au service notamment d’une implémentation touristique (Ammar, 2017). Depuis 2011, année de la révolution, une « nouvelle indépendance » émerge comme l’explique Oueslasti Saffar. Celle-ci nous parle d’une nouvelle génération « confrontée à des débats et des enjeux identitaires qu'elle n'a pas pu soulever et traiter jusque-là, dont le patrimoine constitue un domaine qui a sollicité beaucoup d'inquiétude et de tourment, face à son patrimoine le tunisien se présente sans repères et sans stratégies, un acharnement sur le patrimoine se présente dès les premières années de la révolution » (Oueslati Saffar, 2018 p.22). En tant que symbole de la ville arabe, la médina de Tunis concentre, de ce fait, des enjeux identitaires forts. La population tunisienne peut-elle et veut-elle se reconnaître dans l’identité construite et figée par cet héritage, condition essentielle pour le revendiquer en tant que patrimoine ? Ce thème sera transversal à notre analyse, non seulement parce qu’il est crucial pour comprendre les enjeux sous-jacents à la question patrimoniale tunisienne, mais aussi car son instrumentalisation politique est aujourd’hui questionnée par la société civile et les habitants qui, en retournant le paradigme, cherchent à déconstruire les imaginaires qui leurs ont été imposés et à retisser un lien culturel jugé plus authentique avec leur propre histoire, dont le bâti se fait témoin.

  • 3 L’expression “ par le bas ” fait ici référence à la terminologie anglaise “ bottom-up ” (du bas en (...)

3Le cas tunisien est-il un exemple d’un nouvel essor qui ferait du patrimoine l’objet d’un engagement citoyen renouvelé ? Quels sont les pratiques et les dispositifs qui relèvent de cet engagement, et quels habitants s’en font porteurs ? Vis-à-vis d’une présence apparemment lacunaire des pouvoirs publics, qui n'ont souvent pas les moyens de s'en charger, depuis les années 1970 de nombreuses initiatives spontanées, d'associations, de collectifs, ou d'individus ont vu le jour pour sensibiliser l'opinion publique et mener des actions concrètes en ce sens. Nous cherchons ici à analyser certaines de ces initiatives par le bas3, et nous questionnons leur rapport aux institutions, pouvant aller de la collaboration à l’opposition en passant par la superposition.

  • 4 Lefebvre H., 1968 (3ème édition, 2009), Le droit à la ville, Editions Economica-Anthropos, Paris

4Ces questionnements font écho à un cadre théorique plus vaste, qui interroge la place des savoirs experts face aux savoirs ordinaires, profanes et citoyens, dans le processus de fabrication et d’appropriation de la ville (De Carlo 1972 ; Ratti 2011 ; Sassen, 2011 ; Picon 2013). Notre analyse s’inscrit dans le prolongement de cette littérature qui décrit les rapports entre les différents savoirs dans la construction de la ville, et met en évidence comment les « savoirs citoyens » (Nez, 2010) deviennent un élément désormais incontournable dans la prise de décision (Bacqué et Sintomer, 2011). Nombreux sont les travaux qui montrent les usagers affirmer leur « droit à la ville »4 et donc le droit à participer au processus de transformation de celle-ci. L’implication des citoyens peut se manifester par leur parole ou leurs pratiques de l’espace, dans des relations diverses : revendication, négociation ou collaboration avec les institutions (D’Orazio 2012 ; Miet, 2013 ; Besson, 2018). Une des spécificités de notre travail par rapport à cette littérature est celle de traiter la participation dans une dimension particulière de la ville, celle du patrimoine : est-ce qu’aujourd'hui les citoyens réinventent leur rapport au patrimoine via des pratiques bottom-up de découverte et de mise en valeur ? Développent-ils de nouvelles compétences pour achever ces objectifs ?

5Nous essayons ici de rendre compte de l’évolution des postures, comme des pratiques, de l’engagement citoyen tunisien vers le patrimoine de la ville arabe. Pour ce faire, nous reviendrons d’abord sur l’histoire urbaine de la médina de Tunis et des transformations qu’elle a subies. Nous faisons ensuite l’hypothèse qu’au fil du temps le sentiment d’appartenance mais aussi les pratiques citoyennes de revendications et de réappropriation du patrimoine se transforment. Pour illustrer ce propos, nous avons choisi l'échantillon de trois acteurs, porteurs de trois pratiques qui nous semblent représentatives de tendances différentes qui se dessinent dans le panorama tunisien, et plus particulièrement dans le paysage tunisois.

Note méthodologique

6L'idée de ce texte ressort de premiers échanges informels sur le terrain. Notre réflexion naît d’abord d’une rencontre, celle de Mourad Ben Cheikh Ahmed, urbexeur tunisois, qui partage sur internet ses explorations urbaines dans les lieux abandonnés de la médina de Tunis. C’est ainsi, à travers cette pratique de redécouverte de la ville, à laquelle nous avons aussi pris part, que commence notre recherche.

  • 5 Il est un exemple parmi d’autres, nous en présenterons plusieurs au fil du texte.

7La méthodologie se compose de trois approches complémentaires : les observations de terrain, l’étude des réseaux sociaux dont l’exploitation fait partie intégrante de la démarche mise en place par la société civile contemporaine, et les entretiens semi-directifs menés avec différents acteurs. Cette triangulation méthodologique nous a permis d’avoir une vision pluridimensionnelle des questions traitées. Nous avons approché le terrain de deux façons : physiquement, par des visites de la médina, mais aussi de manière « virtuelle », par l’étude des sites internet des associations de protection du patrimoine, et des réseaux sociaux des urbexeurs. Cette démarche d’aller-retour entre le réel et le virtuel nous a permis de saisir les liens intrinsèques se tissant entre les deux. Un exemple5 de cette relation biunivoque serait la réalisation d’une carte numérique collaborative, qui pour la construire, mène les habitants à se questionner sur ce qu’est le patrimoine, selon eux, dans leur paysage quotidien. In fine, c’est grâce à la dimension discursive de la parole, à travers les entretiens, que nous avons pu appréhender et démêler les représentations concernant les enjeux identitaires liés au patrimoine.

8Les visites hebdomadaires de la médina, entre novembre 2020 et janvier 2021, seules ou avec des initiés à la démarche de l’urbex, nous ont permis de saisir au fur et à mesure les enjeux et les dynamiques de ce territoire. La diversification des parcours a été l’occasion d’en comprendre les différents secteurs, leurs activités journalières et nocturnes, d’apprécier l’état des bâtiments, d’échanger avec les habitants et les usagers et de rentrer dans des édifices en réhabilitation, ou encore dans des bâtiments normalement fermés au public ou qui seraient censés être ouverts mais qui ne les sont pas à cause d’une gestion irrégulière et parfois informelle des entrées. Ces détours nous ont amené à remarquer le contraste, anecdotique mais tout de même significatif, entre la partie basse de l’Hafsia, près de la rue Achour, avec des constructions très entretenues par ses habitants, qui occasionnellement en font des maisons d’hôtes et la zone des anciennes ambassades, située derrière la rue commerçante de la Kasbah, qui présente une succession de bâtiments abandonnés ou squattés.

9Mourad Ben Cheikh Ahmed est devenu un interlocuteur privilégié lors de notre terrain, nous accompagnant dans le décryptage de cet espace « palimpseste », où les édifices de différentes époques se superposent.

10Ces observations de terrain sont venues enrichir le corpus central des données récoltées grâce aux entretiens semi-directifs (une quinzaine) avec des représentants de la société civile impliqués dans des initiatives liées au patrimoine, des professionnels du bâtiment, des architectes, des membres des institutions publiques et des chercheurs spécialistes du sujet. Des échanges informels fréquents avec les habitants et les commerçants de la médina ont également contribué à saisir les représentations de ces acteurs sur cet espace.

11L’étude des réseaux sociaux, notamment des pages Facebook et Instagram, ainsi que des sites officiels, a constitué aussi une étape incontournable du processus de compréhension du phénomène observé. Cela s’explique par le fait qu’une partie considérable des pratiques de revendication et de sensibilisation que nous avons analysées passent par l’outil numérique pour deux des acteurs qui font l’objet de ce texte, l’organisation Édifices et Mémoires (E&M) et les urbexeurs. Nous nous sommes donc intéressées aux cartes collaboratives, en libre accès, pour recenser les monuments patrimoniaux, aux pages web où les photos des bâtiments en abandon gêneraient un débat entre les internautes dans les commentaires, mais aussi aux pages Facebook sur lesquelles eux-mêmes peuvent poster des images du patrimoine délaissé et faire appel à l’intervention des autorités. La toile a émergé ainsi comme un terrain en continuité avec celui des rues de la médina, où le dialogue avec la population se déploie avec l’expression de son engagement et de sa participation.

12La lecture de la production scientifique tunisienne sur ces questions nous a permis d’éclairer les ombres qui restaient sur l’histoire urbaine et le passé vécu de ces lieux. Enfin, nous avons participé en tant que spectateurs à plusieurs évènements culturels visant une meilleure mise en valeur du patrimoine architectural tunisien, organisé par le même réseau d’acteurs alternatifs au circuit institutionnel.

  • 6 Nous utilisons ici la formulation “ société civile ” pour indiquer tous les acteurs qui mènent leur (...)

13Conscientes des limites de cette étude, restreinte dans le temps, forcément loin d'être exhaustive, et menée dans une perspective qui n'est pas celle d'experts du patrimoine, nous faisons le choix d'axer notre analyse sur les acteurs de la société civile6 qui agissent sur et dans l’espace de la médina de Tunis, dans une démarche de réappropriation plus ou moins structurée selon les cas, et leurs pratiques. Trois classes d’acteurs, en particulier, feront l’objet de notre analyse : 1. une organisation paraétatique historique dans le panorama tunisien qui s’occupe de la réhabilitation des bâtiments et du tissu urbain de la médina ; 2. une organisation indépendante qui se forme après la révolution du 2011 et travaille sur la reconnaissance patrimoniale et identitaire ; 3. des individus qui engendrent une démarche dissidente de redécouverte et de revendication du patrimoine.

1. La « ville arabe » dans l’histoire d’une identité nationale

  • 7 Elle est appelée “ médina arbi ” dans la langue locale, le derja, dont la “ ville arabe ” est une t (...)

14La « ville arabe »7 de Tunis naît à partir de 698 autour de la mosquée Zitouna. Les phases successives d’urbanisation témoignent d’influences multiples orientales, andalouses et byzantines, mais aussi européennes (Sebag, 1998). Néanmoins, cette portion de ville incarne dans l’imaginaire commun des Tunisiens et des Tunisiennes le symbole de la ville arabe traditionnelle.

15L’instauration du protectorat français en 1881 participe à la transformation de la ville de Tunis : l’émergence du quartier européen, l’exode de la population aisée de la médina vers les nouveaux quartiers, jugés plus modernes, et la précarisation progressive de la ville arabe (Giudice, 2002).

16Au lendemain de l’Indépendance, en 1956, la médina a subi un changement radical dans un temps très court. « Les belles et grandes demeures de la médina, abandonnées par la vieille bourgeoisie, ont été fractionnées pour être plus aisément louées à des familles aux moyens comptés. Ainsi, les pièces d’une même maison sont devenues des logements de familles distinctes qui ont usé en commun de la cour centrale et des dépendances » (Ibid. p. 627). Ce processus de densification du centre-ville, par la parcellisation du tissu architectural existant, prend le nom d’oukalisation (Francard, 2018). Ainsi, lorsque les quartiers européens hébergent la bourgeoisie et les fonctionnaires du nouvel état indépendant, la médina devient le quartier de populations issues des campagnes, les néo-citadins, qui louent à la pièce une chambre (Chérif, 1956). Vivant dans des conditions de pauvreté, cette nouvelle population n'a pas les moyens d’entretenir le patrimoine architectural dans lequel elle habite, raison pour laquelle il commence à tomber en ruine. Ce processus prend de l’ampleur sous l’influence de la propagande moderniste de Bourguiba, se manifestant par l’éloignement de la population de son identité arabo-musulmane. À cette époque, l’attention des pouvoirs publics en faveur de la protection de la « ville arabe » est presque inexistante. En 1967, est même envisagée la création d’une percée qui devait traverser la médina d’est en ouest, afin de faciliter la circulation automobile. Face à cette menace, d’importantes protestations identitaires liées à l’héritage arabo-musulman secouent tout le pays. C’est à l’occasion de cet événement que naît l’Association de Sauvegarde de la Médina de Tunis (ASM), laquelle, comme son nom le suggère, se propose d'entretenir et de préserver le patrimoine architectural de cette portion de ville.

17À partir des années 1990 avec l’arrivée de Ben Ali au pouvoir, la construction du récit national évolue et du même fait la vision sur l’urbain. Il se rapproche d’une identité méditerranéenne et développe un projet visant la mise en valeur de l’héritage arabo-musulman du pays ; cela afin de construire l’image d’une Tunisie ouverte et accueillante pour promouvoir son entrée dans une économie mondialisée et favoriser son attractivité touristique (Saidi, 2017).

  • 8 Citizens step in to revive Tunis crumbling old town by Layli Foroudi | Thomson Reuters Foundation W (...)
  • 9 Selon le rapport de l’UNESCO de 2010: “ au moment de l’inscription du bien, 50% du patrimoine immob (...)
  • 10 Le Code du Patrimoine (1994) prévoit la mise en place d’un Plan de Protection et de Mise en Valeur (...)

18Adnen Ben Nejma, architecte et urbaniste conservateur de la médina de Tunis au sein de l’Institut National du Patrimoine (INP), déclare qu’il n’y a pas de stratégie nationale pour empêcher le patrimoine de la médina de tomber en ruine. D’après lui, une cinquantaine de bâtiments sont fermés au public pour l’état dégradé et dangereux dans lequel ils se trouvent8. La labellisation de la médina en tant que patrimoine mondial de l’UNESCO9, en 1979, et l’instauration du Code du Patrimoine en 1994, n’a pu empêcher ce constat actuel. L’absence d’entretien, la négligence, le manque de moyens, les discordes en lien avec la propriété du bâti, les problèmes d’héritage, mais aussi la réticence de la part des pouvoirs publics de classer des bâtiments de statut privé10, sont autant d’éléments qui font aujourd’hui de la médina de Tunis un patrimoine en péril en partie oublié, dont les pouvoirs publics semblent se désintéresser.

19C’est face à ce scénario qu’à partir de la fin des années 1960, des représentants de la société civile cherchent à prendre le relais du vide laissé par les institutions. Nous nous intéressons à ces acteurs et à l’évolution d’une approche renouvelée du patrimoine par leurs pratiques. Comme le confirme son histoire, la question identitaire de la médina semble centrale. Comment change avec le temps la relation des acteurs avec le patrimoine arabo-musulman de la médina ? De quelle manière se transforme l’objet de la revendication : du patrimoine institutionnel intouchable et figé, vers le patrimoine vivant de proximité ? Quelles sont les pratiques qui participent à cette transformation de la relation entre acteurs et patrimoine ?

2. Les acteurs de la revendication et de la réapropriation du patrimoine

  • 11 Processus de démantèlement des gourbis.

20Comme nous l'avons vu, la prise en compte du patrimoine de la médina et de sa dégradation dans le débat public date des années 1960-1970, après la fin du protectorat français, avec le projet moderniste d’axe routier qui devait la traverser (Lanchet, 2002). Parallèlement, « tandis que la nouvelle autorité (post-coloniale) menait une vive campagne de dégourbification11, elle acceptait, en même temps, la ruralisation et la taudification de la médina » (Abdelkafi,1987). La déresponsabilisation des autorités vis-à-vis de ce processus de dégradation du patrimoine a engendré l’émergence de plusieurs initiatives non gouvernementales. Ces initiatives ont pu prendre différentes formes selon les époques et le contexte politico-social du pays. Nous avons identifié trois démarches qui nous semblent particulièrement représentatives de la diversité des dynamiques présentes sur le territoire tunisois, car caractérisées par des catégories d’acteurs, des périodes, des objectifs mais aussi des approches de revendication différentes : l’approche opérationnelle et techniciste de l’Association de Sauvegarde de la Médina (ASM) à la fin du XXe siècle ; l’approche participative de l’association Édifices et mémoires (E&M), via l’initiative « Winou El Patrimoine » après la révolution de 2011 ; et enfin l’approche de réappropriation citoyenne spontanée de l’urbexeur « Lost in Tunis ». Ces trois initiatives se distinguent par leur contexte de développement, les outils utilisés et le type de pratique mise en place, même si elles partagent à divers degrés, et de façon plus ou moins militante, des objectifs communs : identifier, valoriser et protéger le patrimoine, celui de la médina de Tunis. Nous mettons donc en perspective ces trois paradigmes d’action, qui nous semblent un échantillon représentatif du panorama tunisois, comme nous le détaillerons au fil du texte.

2.1. Mise en perspective

21Chacun, parmi les acteurs que nous présentons, se fait porteur d’un savoir-faire, d’outils spécifiques mais aussi d’un rapport différent au patrimoine. Nous avons analysé leur action aux regards de plusieurs critères : la période d’action, les pratiques, les outils employés, le rapport à la population et aux pouvoirs publics et les objectifs visés.

22Grâce à l’observation du changement de pratiques des acteurs sélectionnés, nous cherchons à reconstruire les évolutions dans la façon d’entendre la notion de patrimoine. Nous verrons donc une conception classique et institutionnelle du patrimoine, fondée sur la valeur architecturale avant tout, promue par l’action de l’ASM. Cette approche viendra à être questionnée par la démarche participative de l’association E&M, dans un contexte postrévolutionnaire, à travers l’intégration du volet identitaire. Une troisième étape de transformation dans la manière d’appréhender le patrimoine, illustrée via la pratique de l’urbex, se manifeste par la notion d'un patrimoine de proximité, accessible, sensible, où les citoyens reconquièrent le droit de s’approprier leur espace du quotidien, dans une démarche de redécouverte identitaire.

2.2. L’Association de sauvegarde de la médina : un appareil paraétatique12

  • 12 “ Para-étatique. Qui existe ou agit parallèlement aux États, mais sans être dans leur dépendance ”. (...)
  • 13 Entretien avec G. (ex-président de l’Association de Sauvegarde de la Médina) du 15/01/2021.
  • 14 Le Prix de l’organisation des villes arabes pour la restauration de Dar Lasram en 1985, le Prix Aga (...)
  • 15 Le projet visait à résoudre le problème de “ oukalisation ” de la médina, dont nous avons parlé dan (...)
  • 16 Pour sa réalisation, la municipalité a bénéficié d’un crédit sans intérêt de la part de l’État tuni (...)
  • 17 Elle a été Directrice Générale de l’Association de Sauvegarde de la Médina de Tunis de 1993 à 2013, (...)
  • 18 Entretien avec T. (architecte, membre de l’INP) du 5/08/2021
  • 19 Entretien avec T. (architecte, membre de l’INP) du 5/08/2021

23L’Association de Sauvegarde de la Médina (ASM) naît en 1967, à l’initiative du maire de la municipalité de Tunis, et s’organise autour « de préoccupations d’esthètes - archéologues et historiens de l’art - et de techniciens et architectes » (Lanchet, 2002, p. 100). Dès sa création, l’ASM mène des opérations qui se superposent par compétences à celles des institutions publiques. Ainsi, selon son ex-président, le classement de la médina comme Patrimoine Mondial de l’UNESCO en 1976, « était un soutien local (assuré par l’ASM) qui permettait de contrecarrer les idées subversives des autorités »13. L’ASM produit d’abord des études pluridisciplinaires pour établir un diagnostic de la situation urbano-architecturale tunisoise. Ces analyses aboutissent à des « propositions (qui) vont très rapidement dépasser le cadre des monuments historiques pour déboucher sur des propositions d’interventions intégrées, touchant également les conditions de l’habitat, les équipements, les activités » (Akrout-Yaïche, 2002). Il devient alors l’un des plus grands bureaux d’études en Tunisie et développe une expertise et un savoir-faire pour la préservation de la médina. Reconnue et appréciée par les autorités locales, en particulier par la mairie de Tunis qui lui consacre une part importante de son budget, l’ASM est aussi soutenue par des institutions internationales : par l’UNESCO, la Banque mondiale (Projet Hafsia), et le Fonds arabe de développement économique et social (Projet Oukalas). En même temps, sa consécration sur la scène nationale et internationale est marquée par différents prix14. En plus du support de la mairie, elle est aussi effectivement associée à celle-ci, le maire de Tunis étant, par statut, le président de l’ASM. Le vice-président de l’association siégeait aussi au conseil municipal pendant les années 1980 et 1990. Cette concordance entre les cadres de l’association et les acteurs politiques municipaux fait de l’ASM un appareil « paraététique ». Le Projet Oukalas15, mené par la municipalité avec le concours de l’ASM et des agences nationales comme l’ARRU (Agence de Réhabilitation et de Rénovation Urbaine), en est un exemple assez illustratif16. Le projet consistait dans l’accompagnement d’environ trois mille ménages résidants de la médina (qui occupaient 600 oukalas) vers un processus d’achat et de réhabilitation de leurs logements. Les actions de l’ASM sont présentées comme visant deux objectifs : le respect du patrimoine et le relogement d’urgence (d’environ 1 200 ménages) lorsque le bâti était trop endommagé et menaçait l’effondrement. L’ASM devient alors une référence dans le secteur et un partenaire incontournable. Pendant des décennies, les pouvoirs publics lui confient un rôle clé dans l’expertise de projets de réhabilitation du bâti de la médina. Comme l’explique l’ancienne directrice générale de l’ASM, Sémia Akrout-Yaïche17, (2002) « elle (l’ASM) a pu constituer une banque de données fiable (un relevé au 1/250e de toute la médina, un fonds documentaire, une importante photothèque et diapothèque…). Forte de son équipe d’experts (quinze architectes urbanistes), elle est devenue le conseiller, l’animateur, le repère et le partenaire pour tous les intervenants (État, gouvernorat, municipalité, comité de quartier, associations culturelles…) ». Ainsi, à travers des outils techniques d’experts, la pratique de cette association se superpose à celle des institutions, en particulier de l’Institut National du Patrimoine (INP)18 et participe à la définition et la mise en place de politiques publiques urbaines. Cette posture devient problématique aux yeux de certains acteurs institutionnels, ou faisant partie de la société civile, qui critiquent l’excessif appui des pouvoirs publics envers l’association. Selon eux, dans ces circonstances, l’ASM n’aurait pas respecté sa vocation de société civile. Ils lui reprochent notamment de porter une voix trop alignée avec celle du pouvoir. Ce lien fort avec les pouvoirs publics s’explique par les relations interpersonnelles riches entre les membres de l’association et les acteurs politiques. De plus, au temps des régimes autoritaires de Bourguiba et Ben Ali, la collaboration avec la puissance publique était une condition parfois essentielle à l’existence d’une activité (Chuikha et Gobe, 2015). Ainsi, pendant quarante ans, elle a développé, de façon unique sur la scène nationale, sa fonction « d’appareil paraétatique », rôle qui lui était confié par les institutions, grâce à la mise en avant des savoirs experts de son équipe de professionnels. Suite à la révolution, le statut de l’association a radicalement changé du fait de la diminution de l’appui politique et financier de la municipalité19. L’équipe ne compte aujourd’hui que quatre membres et l’ampleur des projets est beaucoup plus modeste, en s’arrêtant souvent au conseil. La transformation vécue par l’ASM semble s'inscrire dans un changement plus général concernant la conception de la place de la société civile avant et après la révolution. Celle-ci a eu un impact sur le monde associatif, avec l’émergence d’un grand nombre d’associations depuis 2011 (Sigillo, 2016) et leur éloignement des institutions, dans un processus de revendication d’autonomie à l'égard de ces dernières. La « société civile » devient à ce moment-là un acteur clé de la scène socio-politique du pays, dans un contexte de transition politique et d’expérimentations démocratiques (ibid.), qui lui accorde une liberté en termes d’expression et d’action impensable auparavant.

24Dans la continuité de ce changement de paradigme, l’association Édifices et Mémoires se distingue en étant moins proche des institutions et visant la participation citoyenne comme volet principal de sa démarche. Elle développe son action autour des principes d’une implication de la population dans la préservation et mise en valeur du patrimoine, et de la remise en cause du statut d’expert face au citoyen tenant le rôle de “lanceur d’alerte”.

2.3. Édifices et mémoires : une approche participative

« L’association Édifices & Mémoires surgit, comme un sentiment d’urgence, et vise la réappropriation “autrement” du patrimoine, elle se place comme organisme médiateur entre la recherche scientifique et l’action citoyenne »20.

25À la suite de la révolution de 2011, se développent parallèlement deux phénomènes : d’un côté « un bouillonnement de questionnements identitaires […] : les jeunes s'efforcent de se réconcilier avec leur appartenance “nationale” »21, et de l’autre l’affaiblissement des institutions. Cette réflexion, que E&M met en avant sur son site internet pour expliquer le contexte de sa création, souligne la question identitaire associée au patrimoine et le rôle primordial que la narration de l’espace bâti peut assumer dans la construction nationale. Après des décennies de déni et d’éloignement de la « ville arabe » pour s’approcher d’une vie occidentale, beaucoup de représentations sont remises en question par des citoyens qui se réapproprient leur histoire. Face à cet intérêt renouvelé pour le patrimoine, un groupe de jeunes architectes, urbanistes, chercheurs en sciences sociales, issus de l’École Nationale d’Architecture et d’Urbanisme (ENAU) de Tunis, se sont organisés afin de créer une passerelle entre la société civile et la sphère scientifique sur la question du patrimoine. En 2014, ils créent l’association Édifices & Mémoire (E&M) et la page Facebook “Winou el patrimoine ?”22. L’objectif de cette page est simple : chaque abonné peut partager des photos d’éléments patrimoniaux en péril avec une courte description. L’initiative s’inscrit dans une démarche participative. Comptant plus de 16 000 membres, la page recueille plusieurs témoignages chaque jour. Grâce à une équipe d’environ 40 membres actifs et de plusieurs milliers d’internautes, les informations fournies dans les publications Facebook sont vérifiées, traitées, analysées, et encodées sur une carte interactive de leur site internet.

Figure 1 : Carte interactive sur le site d'Édifices et Mémoires23

Figure 1 : Carte interactive sur le site d'Édifices et Mémoires23
  • 24 En 2017, suite à l'effondrement d’un ancien bâtiment à Sousse dans le sud du pays, le Ministère de (...)

26L’activité de l’association s’organise autour de trois axes principaux : l’éducation et la sensibilisation avec pour objectif de recenser le maximum de bâtiments ; un volet législatif avec le blocage de la loi des Immeubles Menaçants en Ruine (IMR)24 , avec l’ordre des architectes de Tunisie et de l’ENAU ; et un axe opérationnel visant la réhabilitation du bâti (le moins développé, pour l’instant).

  • 25 Entretien avec A. (un membre de l’association d'Édifices & Mémoires) du 18/01/2021

27E&M se concentre principalement sur la constitution d’un inventaire participatif en vue de construire un « patrimoine de proximité » (Chunikhina, 2015) fait par les citoyens tunisiens. Ce terme, apparu dans les années 1990, correspond à une approche du patrimoine plus émotionnelle et affective, c’est-à-dire subjective, à l’encontre de l’approche techniciste et experte. L’association revendique clairement ce discours : « L'identification est centralisée en Tunisie. Des institutions font l’inventaire des bâtiments et sont en train de spécifier quel bâtiment a une valeur patrimoniale et ceux qui n'ont pas de valeur patrimoniale. Alors que d'un point de vue citoyen, les bâtiments patrimoniaux peuvent être liés à des valeurs non seulement historiques, architecturales ou techniques mais aussi à des valeurs émotionnelles, communautaires ou personnelles. On va essayer de raconter un patrimoine des citoyens, des communautés [plutôt] qu’un patrimoine “gouvernemental-étatique” »25. En tant qu’alternative aux institutions nationales qui définissent et classent le patrimoine, E&M propose donc un patrimoine ayant comme valeurs et catégories celles définies par les citoyens, se rapportant davantage au domaine de l’émotion, du lien affectif, et du quotidien (Chunikhina, 2015).

« Le rapport au patrimoine n’est pas seulement issu d’une reconnaissance scientifique et historique de sa valeur mais serait aussi issu d’un imaginaire, d’un mythe, d’une action collective ou d’une appropriation des lieux. Le patrimoine n’est-il pas aussi ce qui fait appel à la mémoire collective ? […] Le patrimoine peut ainsi être envisagé autrement que figé dans des espaces clos, édifiés à cet effet. Il se vit, on y joue, on se l’approprie. Au sein de ce collectif, nous cherchons à rester attentifs aux singularités, aux dispersions, aux discontinuités, aux pertes, au non-archivage et surtout aux dénis culturels et historiques. En d’autres termes, nous voulons passer d’un patrimoine figé pour tous à un patrimoine conçu et vécu par tous ».26

  • 27 Nous entendons ici par approche techniciste une démarche portée exclusivement sur les connaissances (...)

28On constate que la question identitaire est partiellement absente dans l’approche plus classique de l’ASM, qui avec une approche techniciste 27, caractéristique de son époque, préfère la réhabilitation matérielle des édifices. La question identitaire est encore très marquée et orientée par la propagande politique au moment de la formation de l’ASM, qui est composée principalement par des experts techniciens des disciplines urbaines et architecturales. Ces experts reconnaissent le patrimoine selon des canons professionnels. La notion de participation, et notamment de participation citoyenne, a commencé à émerger à l’échelle mondiale dans les années 1970 (De Carlo, 1970 ; Bacqué & Sintomer, 2011 ; Ratti, 2015). En continuité avec un mouvement social comme scientifique répandu à l’échelle mondiale, revendiquant le « droit à la ville » des habitants (Bacqué & Sintomer, 2011), l’association E&M met, quant à elle, au cœur de sa pratique la question identitaire, entendue comme une reconnaissance de la population avec son propre patrimoine bâti. Ainsi, les outils mobilisés par E&M prennent une forme participative en intégrant les citoyens dans la démarche d’identification de son propre héritage architectural. Si les missions des deux associations visent la sauvegarde du patrimoine, certains de leurs objectifs divergent : l’ASM cible une transformation matérielle des bâtiments et du tissu urbain, pour lequel la collaboration avec les pouvoirs publics est indispensable, quand E&M semble promouvoir une action avant tout sociale et pédagogique d’accompagnement des habitants vers la reconnaissance de la valeur patrimoniale de leur espace vécu. Dans le cas d’E&M, la conception du patrimoine se transforme pour se détacher du cadre institutionnel figé.

29Si d’un côté ces derniers développent tout de même des outils, comme l’inventaire participatif, qu’ils mettent au service des pouvoirs publics (notamment l’Institut national du Patrimoine), avec qui ils collaborent à travers la réalisation d’études, la relation avec les institutions est moins étroite que celle de l’ASM, dont l’action concerne directement une transformation urbaine, ce qui l’amène à travailler avec l’accord des autorités. Dans une posture plus discordante envers les pouvoirs publics, E&M revendique une certaine indépendance, aussi du point de vue budgétaire. L’association s’inscrit dans un réseau de structures non gouvernementales (initiatives citoyennes, associations et collectifs) et internationales au sein duquel plusieurs partenariats se nouent. L’association est par exemple en lien avec l’UNESCO, et a participé en 2017 à l’Observatoire Collaboratif du Patrimoine. De ce même réseau d’acteurs se trouvent aussi les urbexeurs de Tunis : des habitants qui se rapprochent de leur patrimoine délaissé à travers son exploration. En dehors de toute structure, ces individus se réapproprient matériellement des lieux en les visitant, avec une pratique spontanée qui porte presque aux extrêmes les principes d’E&M.

2.4. L’urbex dans la médina de Tunis : une réappropriation spontanée

30Pour parler d’urbex dans le cadre de cette étude, nous nous sommes intéressées en particulier à la démarche de Mourad, urbexeur dans les lieux abandonnés de la médina de Tunis. Même si nous avons échangé avec d’autres représentants de ce mouvement à Tunis, c’est son expérience qui nous a donné le plus d’éléments d’analyse. Il gère un site internet28, une page Facebook29 et un compte Instagram30 dédiés à sa démarche. La pratique de l’urbex est assez nouvelle en Tunisie et compte peu d’”explorateurs”. Mourad fait partie des plus connus : sa page Facebook compte plus de 74 000 abonnés et son compte Instagram est suivi par plus de 6 000 personnes31.

  • 32 Offenstadt, Nicolas. 2019. Urbex RDA, l’Allemagne de l’Est racontée par ses lieux abandonnés. https (...)

31Lurbex, abréviation de urban exploration, exploration urbaine en anglais, est une activité qui consiste à visiter des lieux abandonnés, cachés et difficiles d’accès et y compris parfois interdits au public. Cette pratique de la ville, qui a émergé dans les années 1980, s’est surtout développée en Europe. L’historien Nicolas Offenstadt (2019) la définit comme « une errance, une visite sur des sites abandonnés ou délaissés, marginalisés, de manière illégale ou du moins non autorisés, sans but lucratif »32. L’objectif est de redécouvrir ces lieux et d’une certaine manière de s’en réapproprier. Depuis plusieurs années, l’urbex est un objet d’étude de plus en plus étudié dans les recherches en sciences sociales sur le patrimoine (Garrett, 2011 ; Arboleda, 2016 ; Stone, 2016 ; Le Gallou, 2018).

« Si l’urbex se distingue par le type d’espaces qu’elle privilégie, elle se définit également par sa dimension politique, bien que celle-ci ne soit pas nécessairement revendiquée par les explorateurs urbains. […] Explorer, c’est donc affirmer par la pratique un droit à la ville qui se manifeste dans la transgression des normes qui régissent les usages de l’espace urbain. C’est également privilégier une relation directe avec l’espace environnant, fondée sur un engagement corporel et émotionnel qui favorise un rapport à la ville qui s’affranchit de toute médiation extérieure. En d’autres termes, l’exploration urbaine permet à ses pratiquants de devenir acteurs de la production de la ville et de son sens, au lieu d’en être de simples spectateurs » (Le Gallou, 2018).

  • 33 Le registre de cette typologie d’intervention dissidente reste parfois sur un plan individuel, plus (...)

32Par ses caractéristiques, l’urbex s'oppose aussi à la mise en valeur patrimoniale « gouvernemental-étatique » pour le dire avec les mots d’E&M. Le géographe Bradley Garrett (2011) souligne cette pratique en contraste avec une approche patrimoniale portée par un petit nombre d’acteurs dominants33. L’exploration urbaine consentirait à repenser le rapport avec les lieux abandonnés (du patrimoine dans notre cas), en mêlant interprétation historique et expérience sensible. Dans cette démarche, la sauvegarde du patrimoine passe par le partage en ligne de récits et de photographies.

33Le chercheur Pablo Arboleda (2016) distingue deux façons de mener cette pratique. La première, dite performative, voit dans l’exploration une expérience transgressive qui trouve son sens dans l’acte même. Sans divulguer la localisation des lieux explorés, cette posture ne revendique pas l’intérêt du public ni une régulation patrimoniale institutionnelle. La seconde approche, dite communicative, promeut une démarche inclusive souvent à travers le partage de la localisation des lieux visités. « En permettant à un public élargi d’y avoir accès, l’objectif est d’attirer l’attention sur la valeur de ces espaces fragiles négligés par les institutions » (Le Gallou, 2018). Dans cette continuité, Arboleda (2016) définit cette deuxième approche comme une forme d’activisme non officiel, qui cherche à susciter une prise de conscience patrimoniale à travers la valorisation des mémoires ordinaires. En mettant les citoyens, non-experts, au centre, l’urbex permettrait une sorte de démocratisation du processus de patrimonialisation. Ainsi, comme l’explique Aude Le Gallou (2018) « l’exploration urbaine communicative peut être envisagée comme une forme de médiation entre société civile et institutions […]. En portant à la connaissance du grand public (des lieux abandonnés et méconnus) elle constitue parfois un prélude à la mise en place de mesures de sauvegarde » (p.30).

  • 34 Post facebook de Mourad du 16 septembre 2020, exemple de cette démarche de partage et discussion av (...)

34La pratique de Mourad, urbexeur de Tunis, s’inscrit dans l’approche communicative. Suite à ses explorations dans la médina, il publie sur les réseaux sociaux les photos qui témoignent de son déroulement. Plusieurs types de bâtiments sont mis en avant, qui attestent, chacun à leur manière, de l’état du bâti de la ville arabe. Il montre des bâtiments abandonnés affectés à une nouvelle fonction, comme par exemple un ancien bâtiment administratif transformé en atelier de chaussures (fig.2), d’autres, qui apparaissent en mauvais état comme le palais Gnecco à la limite de la médina (fig.3), ou encore d’autres qui, comme l’ancien consulat de Hollande, tombent en ruine (fig.4). Ces posts génèrent des discussions avec ses followers, sur l’histoire ancienne et récente de ces bâtiments et débouchent souvent sur une sollicitation d’intervention des institutions publiques34. Les réseaux sociaux semblent ainsi constituer des « caisses de résonance » pour les initiatives citoyennes telles que l’urbex, du fait de l’importante visibilité.

  • 35 Entretien avec Mourad (urbexeur) du 06/01/2021

35Les photos dans cette démarche assument différentes significations. Elles sont le résultat de l’exploration, permettant de témoigner de la mission, mais une fois partagées sur internet, elles se prêtent à devenir aussi un objet capital de la revendication. En montrant l’état délaissé et délabré de la médina, ceux-ci interrogent sur comment et pourquoi un bâtiment, ayant une portée patrimoniale, devient une ruine. Qui aurait pu l’empêcher ? Qui devrait s’en charger ? Elles rendent visibles à un très grand public ce qui normalement ne le serait pas, et ainsi permettent de se questionner et de prendre position vis-à-vis des acteurs institutionnels. Même si la vocation originale de ces photos n’était pas la revendication, elle le devient souvent par le biais du partage. À ce propos, Mourad nous raconte : « Au début je voulais juste [prendre] des photos esthétiques avec un bel angle, et après je me suis tourné plus vers la documentation, car je me suis rendu compte que certains bâtiments disparaissaient »35. Abandonnés, les bâtiments de la médina que Mourad prenait en photo continuaient de se dégrader parfois jusqu’à l’effondrement. C’est à ce moment qu’il explique avoir pris conscience de l’importance d’un travail de recensement, de reportage, de documentation sur ces lieux.

36La question identitaire semble abordée dans cette pratique de façon sensible et à l’échelle individuelle, en passant d’abord par une redécouverte de ces endroits oubliés et la mise en valeur de leur histoire même quotidienne. Ainsi, comme le font les initiatives d’E&M, l’urbex semble questionner le concept de patrimoine en laissant aux citoyens un espace de discussion, via les réseaux sociaux. Le patrimoine devient un support de discussion et de partage de ressenti et d’expériences, qui renvoie au sentiment d’appartenance à un lieu. Contrairement aux deux autres pratiques présentées, l’urbex représente aussi un acte de réappropriation très tangible, qui relève de l’exploration. L’échelle individuelle en dehors de tout type d’association et d’organisation collective en fait une pratique de revendication au quotidien à petite échelle, ce qui la rend à la fois potentiellement accessible à tout citoyen et personnalisable. En outre, ce qui la distingue des autres initiatives est le rapport aux institutions qui relève exclusivement de la revendication, sans solliciter à première vue aucune collaboration.

Figure 2 : Ancien consulat de Russie actuellement, s’y trouve des ateliers de chaussures36

Figure 2 : Ancien consulat de Russie actuellement, s’y trouve des ateliers de chaussures36

Figure 3 : Palais Gnecco37

Figure 3 : Palais Gnecco37

Figure 4 : Ancien consulat de Hollande38

Figure 4 : Ancien consulat de Hollande38

2.5. Synthèse

Tableau 1. Mise en perspective des trois acteurs analysés, selon le contexte historique, leurs pratiques, les outils qu’ils dégagent, leur rapport avec les habitants et les institutions et leurs objectifs spécifiques.

Acteurs

ASM

E&M

Urbexeur

Début

1967

2014

Les années 2000

Pratiques

Inventaire

Documentation

Réhabilitation de bâtiments

Inventaire participatif

Plaidoyer

Exploration

Reportage/
Documentation photo

Partage (via réseaux sociaux)

Outils

Diagnostic

Projet d’architecture et projet urbain

Plan de sauvegarde

Réseaux sociaux
(Winou el patrimoine)

Site internet (avec inventaire)

Photos

Réseaux sociaux

Rapport avec les habitants

Action menée pour les habitants

Action menée avec les habitants

Action menée par les habitants

Objectifs

Mise en valeur du patrimoine et amélioration des conditions de vie des habitants

Prise de conscience sur le patrimoine de la part de la population

Redécouverte et prise de conscience, réappropriation

Relation avec les pouvoirs publics

Partenaire de prédilection de la Municipalité de Tunis / lien très étroit

Rapport ambivalent entre
conflit / revendication et collaboration

Pratique à la “limite” de la légalité / conflit indirect

  • 39 Nous utilisons ici l’expression “savoirs profanes” dans la continuité des réflexions développées pa (...)
  • 40 Notamment dans le projet Oukalas que nous présenterons par la suite.

37Comme nous avons pu le voir les pratiques en lien avec le patrimoine de la médina évoluent d’une approche techniciste, donc exclusive, réservée aux experts (notamment architectes et urbanistes) dont l’ASM en est le témoin, à une approche plus inclusive dans la posture d’E&M. Cette dernière se déploie à travers un inventaire participatif du patrimoine de la ville, auquel les citoyens sont appelés à contribuer en mélangeant savoirs experts (des membres de l’association) et savoirs « profanes »39 des habitants (qui n’ont pas forcément des connaissances spécifiques dans le milieu patrimonial et architectural). Finalement, avec l’urbex, la pratique de réappropriation se réinvente une nouvelle fois : le citoyen prend lui-même le relai de l’action à travers l’exploration, la photo et le partage sur les réseaux sociaux. Les outils de nouvelle génération, comme internet, les plateformes partagées et les réseaux sociaux, dont profitent E&M et les urbexeurs, promeuvent sans doute aussi ces changements, grâce à la possibilité d’établir un contact direct avec les citoyens et obtenir une vaste et rapide visibilité. Par conséquent, se transforme aussi le rapport aux habitants. Au sein de la démarche de l’ASM, la valorisation du patrimoine est menée par des experts pour l’intérêt commun des citoyens et afin d’améliorer la dimension matérielle de leurs conditions de vie, par une intervention directe sur le bâti40. Dans le cas d’E&M, la patrimonialisation se fait avec les habitants selon une approche participative, et enfin, concernant l’urbex, ce sont les citoyens eux-mêmes qui s’engagent pour le patrimoine. De la même manière, la relation avec les institutions suit un gradient qui va de l’appui et la collaboration avec l’ASM au conflit pour la revendication des urbexeurs. Il faudra souligner que cette transformation de posture dépend aussi des transformations internes aux institutions, qui après la révolution du 2011 mènent une politique d’aménagement de la ville moderne et des périphéries de Tunis, alors que la réhabilitation de la médina n’est pas une priorité. Les organisations contemporaines n’auront donc pas le même soutien institutionnel dont l’ASM a pu bénéficier dans les trente premières années de son exercice. De ce fait, l’angle d’action des acteurs impliqués dans la revendication du patrimoine semble donc se modifier et s’adapter, d’un côté, aux possibilités d’appui qu’ils peuvent recevoir de la part des institutions, et de l’autre, en accord à la construction d’une identité culturelle associée au patrimoine bâti, qui avant était à usage exclusif de la propagande politique et qu’après 2011 semble être reprise en main par la population.

Conclusion

« Parallélisme étroit entre architecture et narrativité, en ceci que l’architecture serait à l’espace ce que le récit est au temps, à savoir une opération “configurante” ; un parallélisme entre d’une part construire, donc édifier dans l’espace, et d’autre part raconter, mettre en intrigue dans le temps » (Ricoeur, 2016).

  • 41 Entretien avec Mourad Ben Cheikh Ahmed (urbexeur) du 06/01/2021
  • 42 Entretien avec Mourad Ben Cheikh Ahmed. (urbexeur) du 06/01/2021
  • 43 Entretien avec Mourad Ben Cheikh Ahmed (urbexeur) du 06/01/2021

38La reconstruction d’un patrimoine passe par le bâti, le matériel, mais aussi par l’immatériel, par un imaginaire construit, par un récit lié au lieu. Ainsi, nous pouvons voir à travers les pratiques des trois acteurs analysés, la graduelle prise de conscience de cette valeur immatérielle du patrimoine, intimement entrelacée avec l’identité de ses habitants. Après des décennies marquées par le déni de la ville arabe, et donc de la représentation qu’elle incarne, vécue comme opposée au style de vie « moderne », un tournant a lieu à la fin des années 1960. Avec le refus de la percée de la médina, signe de la modernité à l'européenne, la population tunisoise revendique de ce fait cet espace comme part cruciale de son patrimoine et de son histoire. En accord avec les évolutions du contexte historique, politique et social du pays, les pratiques des acteurs analysés semblent décrire une revendication croissante du patrimoine de la ville arabe. Cette démarche prend des formes différentes selon les époques et les outils à disposition : en passant d’une conception classique de reconnaissance et mise en valeur du patrimoine de l’ASM, qui se base sur une conception figée de ce dernier, axée sur la dimension matérielle et les savoirs experts, à la déconstruction de ce modèle par l’approche post-révolutionnaire d’E&M. Ce dernier trouve son développement dans les pratiques diverses des individus, urbexeurs, qui font de leur expérience sensible et personnelle le centre de la revendication. Au cours du temps, l’attention semble donc se déplacer du processus de patrimonialisation traditionnel, qui se traduit par une démarche physique de réhabilitation urbaine, à une problématisation du concept même de patrimoine. Les acteurs de la société civile, actifs dans la médina de Tunis, semblent avoir saisi l’enjeu de raconter ce patrimoine en dehors des modèles préconçus, en appelant à une implication importante des citoyens. Mourad en faisant référence à sa pratique d’urbexeur dans la médina, et à la raison qui le pousse à continuer ses explorations urbaines, nous dit : « le fait de regarder (ou non), ça ne paraît rien du tout mais c'est comme ça que les bâtiments disparaissent, parce que les gens ne font plus attention »41. L’enjeu serait donc celui de regarder ces endroits, ne pas les oublier, s’y rapprocher, les faire vivre à nouveau grâce à l’attention qu’on leur porte. À travers le partage de son expérience sur les réseaux sociaux, il invite les gens « à lever la tête et regarder les détails »42 et leur rappelle leur « droit » à ces lieux : « vous avez le droit de le visiter, allez-y »43 commente-t-il dans un de ses posts. Ces phrases semblent faire écho au concept de « droit à la ville » en incitant une réappropriation des espaces de la ville par ses habitants, mais avec l’enjeu de se reconnecter aussi à sa propre histoire. Les pratiques participatives de revendication du patrimoine évoluent au cours de ce parcours et trouvent leur expression aussi dans l'exploitation croissante des outils numériques, comme la carte interactive d’E&M et les posts des urbexeurs sur les réseaux sociaux. Internet devient de plus en plus l’espace de la revendication, de façon plus ou moins conscientisée, et plus ou moins affichée. La revendication prend plusieurs dimensions au long de ce parcours : institutionnelle, identitaire-participative, transgressive, personnelle et émotionnelle, en gardant toujours une vocation politique, consciente ou non.

39Il est intéressant enfin de remarquer la composition de ces initiatives de la société civile au fil de cette trajectoire, qui semble faire le chemin inverse de celui souvent cité de la « professionnalisation » et « institutionnalisation », allant vers des formes plus libres et moins contraintes d’organisation. Ainsi, de l’organisation presque institutionnelle de l’ASM, composée principalement d’architectes, très en lien avec les pouvoirs publics, on constate une transition vers un collectif plus hétérogène, en connexion avec le monde académique que constitue E&M, pour arriver à la démarche quasiment individuelle de l’urbex, pratique sans lien avec les institutions. Cette trajectoire laisse ouvertes des questions, et est à analyser au regard du parcours d'autodétermination de la société civile tunisienne dans les soixante dernières années, au cours desquelles elle a traversé des régimes autoritaires, suivie par une période révolutionnaire qui a débouché sur un moment d’instabilité, accompagné par l’ouverture grandissante au numérique.

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Stone S., 2016, The value of heritage : urban exploration and the historic environment, The Historic Environment : Policy & Practice, vol. 7, n° 4, pp. 301-320.

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Notes

1 La première protection patrimoniale de la médina de Tunis date des années 1920, l’UNESCO l'inscrit au Patrimoine Mondial mais ne la classe pas. L’inscription remonte à 1979.

2 Lors de notre recherche sur le terrain, grâce à des guides locaux qui sont devenus nos interlocuteurs privilégiés, nous avons pu visiter les différents secteurs de la médina et rentrer dans des résidences bourgeoises ainsi que dans des bâtiments délaissés aujourd’hui occupés par une population en conditions de vie précaires.

3 L’expression “ par le bas ” fait ici référence à la terminologie anglaise “ bottom-up ” (du bas en haut), qui en se contraposant à “ top-down ” (du haut au bas), indique une dynamique impulsée par les habitants et non pas par les décideurs et les institutions. Cette expression est souvent utilisée pour remarquer l’inversion de la filière de fabrication du territoire, dont les acteurs institutionnels et les professionnels sont communément les initiateurs. Ainsi, cela souligne une trajectoire qui, au contraire, nait chez les habitants, entendue comme le bas, parce qu’ils sont communément considérés les récepteurs des décisions prises par le haut de cette même chaine hiérarchique.
Rérence : “ Top down ” et “ bottom up ”—Géoconfluences. (n.d.). [Terme]. Retrieved March 11, 2022, from http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/top-down-et-bottom-up

4 Lefebvre H., 1968 (3ème édition, 2009), Le droit à la ville, Editions Economica-Anthropos, Paris

5 Il est un exemple parmi d’autres, nous en présenterons plusieurs au fil du texte.

6 Nous utilisons ici la formulation “ société civile ” pour indiquer tous les acteurs qui mènent leurs actions en dehors d’un cadre institutionnel. Nous faisons référence avec ce mot aux associations et collectifs organisés mais aussi aux individus qui conduisent actions indépendantes.

7 Elle est appelée “ médina arbi ” dans la langue locale, le derja, dont la “ ville arabe ” est une traduction littérale.

8 Citizens step in to revive Tunis crumbling old town by Layli Foroudi | Thomson Reuters Foundation Wednesday, 26 February 2020 10:00 GMT
site web: <
https://news.trust.org/item/20200226092359-ofakn> il a été consulté le 21/01/2021

9 Selon le rapport de l’UNESCO de 2010: “ au moment de l’inscription du bien, 50% du patrimoine immobilier de Tunis était considéré comme étant en mauvais état de conservation ou menaçant ruine “.

10 Le Code du Patrimoine (1994) prévoit la mise en place d’un Plan de Protection et de Mise en Valeur (PPMV) et d’un Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur (PSMV) de la médina. Cependant, comme l’explique l’architecte et chercheur Ben Said (2017, p.9), “vingt ans après, aucun PPMV ou PSMV n’a été promulgué, l’État n’a pas classé les monuments privés et n’a pas activé la participation financière, seulement des monuments de propriété de l’État ont été classés et quelques monuments privés ont été protégés”. L’application du cadre légal en faveur de la sauvegarde et de la protection du patrimoine de la médina semble donc encore à l’arrêt.

11 Processus de démantèlement des gourbis.

12 “ Para-étatique. Qui existe ou agit parallèlement aux États, mais sans être dans leur dépendance ”. (Le Nouvel Observateur, 22 mai 1978, p.57, col. 1)

13 Entretien avec G. (ex-président de l’Association de Sauvegarde de la Médina) du 15/01/2021.

14 Le Prix de l’organisation des villes arabes pour la restauration de Dar Lasram en 1985, le Prix Aga Khan d’architecture pour les projets de Hafsia I en 1983, l’École Sidi El Aloui en 1989 et Hafsia II en 1995 (Akrout-Yaïche, 2002).

15 Le projet visait à résoudre le problème de “ oukalisation ” de la médina, dont nous avons parlé dans le paragraphe précèdent. “ Le terme oukala désignait, à l’origine, les pensions louées pour une semaine ou pour quelques jours à des hommes célibataires cherchant du travail en ville “ (https://observatoirevivreensemble.org/sauvegarde-du-patrimoine-culturel-et-historique). “Progressivement, ces oukalas vont abriter des familles entières (et nombreuses) vivant dans des conditions de vie plus que sommaires. “ (Michel Francard, 2018). Ainsi, l’oukala, l’unité d’habitation produite par ce processus, “ est généralement connotée extrêmement négativement. Elles présentaient une forme d’habitat précaire ainsi que des problèmes d’insalubrité, de promiscuité, de vulnérabilité et de misère ” (Derbel, 2017).

16 Pour sa réalisation, la municipalité a bénéficié d’un crédit sans intérêt de la part de l’État tunisien et d’un crédit extérieur de la part du Fonds arabe de développement économique et social.

17 Elle a été Directrice Générale de l’Association de Sauvegarde de la Médina de Tunis de 1993 à 2013, ainsi que membre du Panel du programme de Gestion Urbaine (PGU Tunisie), Coordinatrice Régionale de l’Organisation des Villes du Patrimoine Mondial pour la Région Afrique/Moyen-Orient de 2002 à 2013 et Directrice Générale de la Fondation du Patrimoine et des Villes Historiques Arabes, dont le siège est à Tunis du 2007 au 2013.
Elle était, également, membre de l’Association Tunisienne des Urbanistes et de l’Association Internationale des Urbanistes, membre fondateur de l’Association Tunisienne Monuments et Sites, membre du Panel Tunisien du Programme de Gestion Urbaine – Pays-Arabes (PNUD / CNUEH / Banque Mondiale).

18 Entretien avec T. (architecte, membre de l’INP) du 5/08/2021

19 Entretien avec T. (architecte, membre de l’INP) du 5/08/2021

20 Description de l’association sur son site internet : https://www.edifices-et-memoires.com/ consulté le 3/08/2021

21 https://www.edifices-et-memoires.com/

22 “ Où est le patrimoine ? ” en arabe

23 Site internet d’Édifices et Mémoires : https://www.edifices-et-memoires.com/, capture d’écran du 29/01/2021

24 En 2017, suite à l'effondrement d’un ancien bâtiment à Sousse dans le sud du pays, le Ministère de l’Équipement, de l’Habitat et de l’Aménagement du Territoire (MEHAT) élaborait un projet de loi pour détruire les immeubles menaçants en ruine (IMR). Selon les estimations ils seraient 5 000 sur tout le territoire tunisien. Cette loi “prévoit notamment des expropriations immédiates et des décisions de démolition prises en quatre semaines, sans donner aucune chance de survie aux édifices”. Cette loi entre en contradiction avec le Code du patrimoine en vigueur depuis 1994, qui privilégie la sauvegarde et la réhabilitation des IMR à leur démolition.
Réf : Jeune Afrique, https://www.jeuneafrique.com/mag/606865/politique/tunisie-le-patrimoine-urbain-menace-de-destruction/, il a été consulté le 19/01/2021

25 Entretien avec A. (un membre de l’association d'Édifices & Mémoires) du 18/01/2021

26 https://www.edifices-et-memoires.com/

27 Nous entendons ici par approche techniciste une démarche portée exclusivement sur les connaissances des professionnels du milieu : architectes, urbanistes, spécialistes du patrimoine, aménageurs etc. Telle vision spécialiste donnerait lieu ainsi à une conception du patrimoine qui se base uniquement sur des critères propres au domaine architectural (le style, l’année de construction, les matériaux utilisés, la morphologie etc.), sans prendre en compte d’autres facteurs comme par exemple celui de la reconnaissance du patrimoine par les habitants.

28 Lost in Tunis, http://lostintunis.com/, il a été consulté le 27/01/2021

29 Facebook ‘Lost in Tunis’, https://www.facebook.com/LostinTunis, il a été consulté le 27/01/2021

30 https://www.instagram.com/dismalden/?hl=fr, il a été consulté le 27/01/2021

31 Chiffres datant de septembre 2021

32 Offenstadt, Nicolas. 2019. Urbex RDA, l’Allemagne de l’Est racontée par ses lieux abandonnés. https://data.bnf.fr/fr/temp-work/cff7a8fb2c5dbeb50afc65ced9b651a0/.

33 Le registre de cette typologie d’intervention dissidente reste parfois sur un plan individuel, plus intimiste, qui n’a pas l’impact d’une modélisation urbaine à large échelle pour laquelle un accord avec les institutions et les dit “ groupes dominants ” est incontournable. Même si très plongée dans l’action, la valeur mise en avant de cette pratique est plutôt, encore une fois, celle sociale de rapprochement entre citoyen et patrimoine.

34 Post facebook de Mourad du 16 septembre 2020, exemple de cette démarche de partage et discussion avec les followers sur les réseaux sociaux :
https://m.facebook.com/story.php?story_fbid=2716802555244690&id=1615545478703742&sfnsn=mo
Consulté le 4/08/2021
Le sujet du post est le bâtiment en ruine de l'ancienne ambassade de Sicile dans la médina. Plusieurs sont les commentaires qui taguent les institutions et ceux qui dénoncent un délaissement des pouvoirs publics.

35 Entretien avec Mourad (urbexeur) du 06/01/2021

36 Publication Facebook ‘Lost in Tunis’, il a été consulté le 27/01/2021
https://www.facebook.com/permalink.php?story_fbid=2722082738050005&id=1615545478703742

37 Publication Facebook ‘Lost in Tunis’, il a été consulté le 27/01/2021
https://www.facebook.com/permalink.php?story_fbid=1970712599853693&id=1615545478703742

38 Publication Facebook ‘Lost in Tunis’, il a été consulté le 27/01/2021
https://www.facebook.com/permalink.php?story_fbid=2722082738050005&id=1615545478703742

39 Nous utilisons ici l’expression “savoirs profanes” dans la continuité des réflexions développées par Epstein (1995). Ceux-ci ne sont pas vus “seulement comme l’expression de ceux qui ne savent pas ou ne comprennent pas, mais plutôt comme des connaissances et des points de vue qui peuvent être aussi établis, aussi fondés, aussi rationnels, aussi utiles que ceux des scientifiques” (Méadel, 2010) et des professionnels. Une vaste littérature, que nous ne traiterons pas ici, s’est développée autour de la place des “savoirs profanes” ou citoyens dans la fabrication de l’espace à partir des années 1970, qui font référence à une “architecture sans architectes” (Rudofsky, 1964).

40 Notamment dans le projet Oukalas que nous présenterons par la suite.

41 Entretien avec Mourad Ben Cheikh Ahmed (urbexeur) du 06/01/2021

42 Entretien avec Mourad Ben Cheikh Ahmed. (urbexeur) du 06/01/2021

43 Entretien avec Mourad Ben Cheikh Ahmed (urbexeur) du 06/01/2021

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Table des illustrations

Titre Figure 1 : Carte interactive sur le site d'Édifices et Mémoires23
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tem/docannexe/image/9399/img-1.png
Fichier image/png, 284k
Titre Figure 2 : Ancien consulat de Russie actuellement, s’y trouve des ateliers de chaussures36
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tem/docannexe/image/9399/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 220k
Titre Figure 3 : Palais Gnecco37
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tem/docannexe/image/9399/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 136k
Titre Figure 4 : Ancien consulat de Hollande38
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tem/docannexe/image/9399/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 132k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Irene Valitutto et Anaïs Beji, « Comment le rapport au patrimoine transforme les pratiques de réappropriation de la médina de Tunis  »Territoire en mouvement Revue de géographie et aménagement [En ligne], 53-54 | 2022, mis en ligne le 15 novembre 2022, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tem/9399 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/tem.9399

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Auteurs

Irene Valitutto

Doctorante en géographie
CNRS - PRODIG/ Paris1-Panthéon-Sorbonne / Chercheuse affiliée à l'IRMC (Tunis) et à l'IFEA (Lima)
8 Cours des Humanités, 93300 Aubervilliers, France
irene.valitutto@gmail.com

Anaïs Beji

Étudiante en master d’Urbanisme et d’Aménagement du territoire
Paris 1-Panthéon-Sorbonne, Institut de géographie
191 rue Saint-Jacques, 75005 Paris, France
bejianais@hotmail.fr

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Droits d’auteur

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