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Santé et mobilité
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Concentration des services de santé, contraintes de mobilité et difficultés d’accès aux soins dans la métropole d’Oran

Concentration of Health Services, Mobility Barriers and Difficulty of Access to Medical Care in Oran’s Metropolitan Area
Fafa Rebouha
p. 3-16

Résumés

L’objet de ce travail, basé sur une approche quantitative et qualitative, est d’analyser les conditions d’accès des populations démunies aux soins dans la métropole d’Oran. Mieux connaître les inégalités sociales et spatiales d’accès aux soins peut contribuer au développement durable du territoire urbain en offrant de meilleures conditions de vie à chacun. Dans cet objectif, il s’agit en premier lieu de présenter les caractéristiques de l’offre sanitaire dans la wilaya d’Oran selon les statistiques de 2006. Cette analyse met en évidence, d’un côté, les fortes inégalités de répartition spatiale des infrastructures de santé et, d’un autre côté, le déficit en termes de personnel médical spécialisé. En deuxième lieu, une approche qualitative fondée sur les entretiens semi-directifs a permis de comprendre les difficultés d’accès aux soins pour la population pauvre des quartiers périurbains défavorisés. A partir de cette enquête qualitative, certaines causes et certains effets de la situation sanitaire des habitants les plus démunis ressortent, de même que les souffrances vécues : fréquence des problèmes de santé ressentis, accès aux soins limité aux cas les plus urgents à la fois du fait des coûts élevés des consultations, des médicaments, des courses en transport collectif et de l’éloignement rendant particulièrement pénibles et difficiles les trajets pour les personnes à la santé fragile.

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Texte intégral

Je remercie au LET, Pascal Pochet pour ses conseils lors de la rédaction de ce texte, ainsi que Martine Sefsaf et Emmanuel Ravalet.

Introduction

1L’objectif de toute politique de santé est de prendre en considération l’ensemble des problèmes de santé des populations, rurales ou urbaines, pour améliorer les conditions de vie. Pour l’Algérie, comme pour d’autres pays en développement, le rôle de la planification sanitaire s’avère essentiel pour le développement socio-économique, comme le note R. Boussouf (1992). L’État a tenté depuis plusieurs décennies de mettre en place une offre de santé équitable et accessible à l’ensemble de la population pour soigner et soulager les états de maladie ou d'infirmité (Boussouf, 1998), et plus largement pour assurer un état de bien-être physique, mental et social, tel que défini par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Pourtant, les effets de ces politiques sont mitigés, et leur évaluation doit prendre en compte l’état de santé des individus dans sa distribution spatialement différenciée. Dans le contexte de faibles ressources des pays en développement, les zones urbaines sont mieux équipées que les milieux ruraux. Mais les espaces urbains sont également caractérisés par de grandes inégalités de niveaux de vie et par de fortes disparités d’offre de services collectifs comme les services de santé. En particulier, les populations pauvres, les plus vulnérables face à ces inégalités, ont besoin de vivre dans un environnement leur permettant d’accéder aux équipements sanitaires, ce qui est loin d’être toujours le cas dans la métropole oranaise.

2L’accessibilité aux soins, qui dépend de l’offre en services de santé, peut être entendue comme « la capacité des patients à se procurer, au moment opportun, les soins et les médicaments nécessaires au traitement par un professionnel de santé » (Commeyras et al. 2006 : 163). Dans les pays développés, l’amélioration des conditions de vie et d’hygiène a fait diminuer le taux de mortalité, cependant les inégalités de santé sont devenues importantes. En effet, les écarts de mortalité entre les plus riches et les pauvres s’accroissent depuis les années 1960 et deviennent plus importants aujourd’hui (Chauvin, 2002). Il a été établi en France que le risque de santé est plus important parmi les populations pauvres ou vivant dans des conditions précaires (Paugam, 2002). Dans les pays en développement et notamment dans les pays africains qui souffrent de plus en plus de difficultés économiques, les difficultés d’accès aux soins pèsent fortement sur la qualité de vie des populations. Pour la population pauvre ou démunie, la santé est un capital, parfois le seul dont elle dispose. Améliorer l’accès des pauvres aux soins représente donc des enjeux importants.

  • 1 Article de presse. El Watan. 17-05-2008.

3En Algérie et dans d’autres pays du Maghreb, pour lutter contre les inégalités sociales de santé, l’État tente d’appliquer des réformes pour répondre aux besoins de la population, mais les résultats restent insuffisants. En effet au Maroc « le système de santé continue de souffrir d’une forte iniquité aussi bien dans la contribution au financement que dans l’accès aux soins » (Aziz, 2007 : 2). En Algérie, la médecine gratuite a été instaurée pour l’ensemble de la population dès l’indépendance afin de rendre accessibles les soins à toutes les catégories sociales (Boussouf, 1998). Des maladies telles que la variole, le typhus, la peste ont disparu ou sont en voie de disparition, même si un foyer de peste, apparu au Sud de la wilaya d’Oran en 2003, continue à constituer un danger pour la région. Mais, dans les faits, l’accès aux soins reste tributaire de contraintes liées à l’insuffisance de l’offre, de personnel et à l’absence de prise en charge des soins gratuits pour les démunis obligés d’acheter les médicaments pour se soigner dans les hôpitaux. L’État attribuerait en dépenses de santé environ 340 euros / an / habitant ce qui reste insuffisant (3 430 euros en France)1. L’accès aux soins devrait constituer un droit pour tous, mais c'est loin d'être le cas, pour des raisons liées au coût des soins et à l’absence très répandue de couverture sociale, mais également aux difficultés de mobilité quotidienne rencontrées par les populations défavorisées. Mieux connaître les inégalités sociales et spatiales d’accès aux soins peut contribuer au développement durable du territoire urbain, si cette connaissance permet aux politiques urbaines d’apporter plus d’équité sociale et de meilleures conditions de vie.

4L’objectif de ce travail est plus précisément d’étudier les conditions d’accès des habitants pauvres de la grande périphérie aux soins. En premier lieu, nous présentons l’offre sanitaire et sa répartition spatiale au sein de la wilaya. La wilaya d’Oran d’une surface de 2 114 km², située au nord-ouest de l’Algérie, compte 1,5 millions d'habitants répartis sur 26 communes 2. Les questions de la répartition de l’offre sanitaire et de l’accès à la santé en Algérie ont déjà été étudiées par des géographes, des sociologues, des épidémiologistes, mais sur quelques zones seulement (Boussouf, 1998 ; Hadjidj, 1995 ; Mebtoul, 2003). Ainsi, Boussouf (1992), dans son ouvrage sur la géographie et santé en Algérie, présente la géographie des pathologies et leur dynamique spatiale et temporelle. Cette étude qui concernait en particulier la région est d’Algérie a permis d’éclairer les facteurs humains, sociaux, mais aussi environnementaux, favorables à la propagation des maladies.

5Effectuer de façon plus systématique et actualisée des études sur les disparités d’accès aux soins doit permettre de connaître les carences et contribuer à améliorer la situation sanitaire. Selon Curtis (2007 : 29) « de nombreux géographes de la santé ont utilisé des cadres conceptuels et empiriques qui distinguent théoriquement les différences de santé dues aux facteurs contextuels (dimensions des territoires) et aux facteurs de composition (caractéristiques des individus) ». Pour considérer à la fois les facteurs contextuels et individuels, nous appréhendons la problématique du lien entre pauvreté et précarité, conditions de mobilité et accès à la santé en deux temps. Tout d’abord, nous analysons la répartition des infrastructures de santé à l'aide de statistiques communales de la Direction de la Santé et établies par la Direction de la Planification et de l’Aménagement du Territoire de la wilaya d’Oran (DPAT) sur l’offre de soins à Oran en 2006. Cette distribution de l’offre de soins donne de premiers éléments pour apprécier l’accessibilité à la santé. Puis nous présentons des résultats d’entretiens menés en 2007 dans les périphéries pauvres et sous-équipées quant aux difficultés concrètes rencontrées dans l’accès à la santé. L’analyse qualitative, basée sur des entretiens auprès de 45 ménages, vise à comprendre ces besoins, et notamment la relation entre précarité, pauvreté, mobilité et santé.

1. Méthodologie

6L’analyse de la répartition des infrastructures de santé et des effectifs de médecins sur le territoire de la wilaya a été réalisée par le biais de cartes, à l’aide d’un SIG. L'approche des besoins des populations démunies, de leurs conditions sanitaires et des difficultés dans l'accès aux soins utilise des résultats d'entretiens semi-directifs portant plus largement sur les conditions de vie et les modes de vie, l'accès à la ville et les besoins de déplacement des résidents des périphéries pauvres d'Oran. La démarche qualitative permet d’étudier les relations entre les conditions de vie, la mobilité et l’accès aux soins, pour analyser les inégalités de santé (Fassin, 2000). Plus précisément, l’étude des activités réalisées, de la mobilité urbaine, des représentations permettent en effet de comprendre les logiques comportementales mises en œuvre face à de fortes contraintes socio-économiques (Clément, 2000).

7Ces entretiens ont été réalisés auprès de 45 familles situées dans huit quartiers de la périphérie sud et est d’Oran de cinq communes de la wilaya (tableau 1 et figure 2) : Hassi Bounif, Hassi Ben Okba, Ben Freha, Boufatis, Es Senia. Ces quartiers ont été choisis pour refléter des situations différentes en termes de distance au centre d’Oran, de desserte en transport en commun, d’équipement et d’emploi sur les lieux, et de niveau de vie des populations résidentes. Ces entretiens sont confortés par des notes d’observation sur l’environnement des quartiers pauvres. Les ménages enquêtés sont d’origine géographique variée et n’ont pas tous le même niveau économique ou d’instruction, mais la majorité peut être qualifiée de pauvre et / ou peu instruite.

Tableau 1 : Caractéristiques des zones où ont eu lieu les entretiens

Agglomération

Type

Population1998

Hassi Bounif
Hassi Ameur
Emir Khaled
Med Boudiaf

ACL

AS

AS

AS

15157

3626

8622

2739

Hassian Toual

ACL

7530

Boufatis

ACL

5977

Hassi Ben Okba

ACL

9253

Ain El Beida (commune d’Es Senia)

AS

26893

ACL : agglomération chef lieu, AS : agglomération secondaire

Sources : Données du recensement général de la population et de l’habitat (RGPH), Département de la Planification et de l’Aménagement du Territoire de la wilaya d’Oran (DPAT)

2. Urbanisation incontrôlée et effets sur l’état de santé

8Les grandes villes d’Algérie continuent à s’étendre sur le territoire des périphéries, souvent en l’absence de tout équipement, et loin des infrastructures de santé. A Oran, le processus d’urbanisation a été favorisé par l’accroissement de la population d’un côté et par l’implantation des zones d’activités locales de l’autre. L’expansion de l’habitat se fait de plus en plus de façon non planifiée, du fait du désengagement de l’État dans le contrôle de l’urbanisation depuis la crise politique des années 1990. Ces zones d'habitat non planifié (bidonvilles, constructions illicites) sont dépourvues de réseaux de canalisation d’eau potable et d’eaux usées comme de services collectifs.

9Tandis que la ville centre connaît un faible taux de croissance de la population et un vieillissement démographique (Souiah, 2005), les périphéries d’Oran sont caractérisées par de très forts taux de croissance de la population, ainsi que par un net renouvellement démographique (figure 1). La population des communes situées à la périphérie de Sidi Chami et de Bir El Djir a plus que triplé entre 1987 et 1998, celle de Hassi Bounif et d’Es Senia a doublé.

Figure 1 : Evolution de la population de la ville centre et des communes limitrophes (1977 - 1998

Figure 1 : Evolution de la population de la ville centre et des communes limitrophes (1977 - 1998

Source : Données du recensement général de la population et de l'habitat (RGPH), département de la Planification et de l'Aménagement du Territoire de la wilaya d'Oran (DPAT)

10Concernant l’accès à l’offre de santé en ville, ces zones sont également mal desservies par les transports collectifs de type artisanal et les taxis clandestins qui desservent les axes goudronnés. Pour se rendre à la ville-centre, il est nécessaire d'emprunter plusieurs bus, ce qui entraîne des dépenses importantes. Les habitants de la périphérie pauvre ont également un faible taux de motorisation. Selon l’enquête transport de 2000, le taux de motorisation des ménages de l’ensemble de l'agglomération d’Oran était de 21 %, mais nettement moins dans certaines communes de la périphérie (BETUR, 2000).

11Les études montrent que les zones périurbaines en Algérie connaissent d'importants problèmes sanitaires (Boussouf, 1992). Pour l’est algérien, c’est dans les lieux à forte concentration que se multiplient les maladies. Elles ont ainsi été favorisées par une urbanisation accélérée et non planifiée. Les communes urbaines et suburbaines sont touchées par la maladie dans l’est algérien, de même que les communes rurales sur lesquelles se sont agglomérés les migrants, notamment à cause des problèmes d’hygiène liés à l’eau : manque de canalisations d’eau potable et d’eaux usées, ou installations défectueuses (dans le cas de la fièvre typhoïde). L’espace urbain de la périphérie, lieu de concentration de populations pauvres, est plus vulnérable aux maladies, alors qu'il manque d'équipements sanitaires, comme le montre la répartition des équipements et des services de santé.

3. Une répartition inégale des infrastructures de santé sur le territoire oranais

  • 3 Article de presse. El Watan. 25 octobre 2004.

12Dans les villes, la médecine est un instrument utilisé par l’État pour amener la population à adhérer aux orientations modernistes pour la mise en œuvre des programmes sanitaires (Mebtoul, 2003). Mais au niveau national, selon des chiffres publiés par la presse, il existe un déséquilibre en matière de répartition des structures de santé 3, Alger dispose de plus de la moitié des structures, l’est et l’ouest partagent près d’un cinquième et le sud se situe en dernière position avec un trentième.

13Oran dispose d’un schéma directeur de santé pour la prévision de constructions en matière de santé. Ces orientations sont confrontées à la croissance des besoins des habitants et à la différenciation sociale entre les zones qui font apparaître des inégalités d’accès à la santé. Afin de mieux comprendre ces disparités spatiales, nous présentons l’analyse de l’offre sanitaire à Oran sur la base de statistiques de la santé de l’année 2006 par commune, en distinguant deux dimensions :
- Les établissements, hospitaliers généralistes, d’une part, et les cliniques, polycliniques et établissements spécialisés, d’autre part, ont donné lieu à une classification des communes en trois groupes, en fonction respectivement du nombre de lits et du nombre d’établissements pour 10 000 habitants. Les centres de santé et salles de soin n’ont pas été représentés dans l’analyse. Ils sont disponibles de manière plus homogène sur toutes les communes sauf dans la commune d’El Braya, mais n’assurent qu’un premier niveau de soins.
- Les taux de médecins spécialistes et généralistes exerçant dans les secteurs privé et public pour 10 000 habitants.

14Ces analyses ne peuvent prétendre à une description très fine de la réalité mais permettent d’avoir une appréciation à une échelle globale de l’offre en services de santé.

15La moyenne pour la wilaya est de 30 lits pour 10 000 habitants. Le nombre de lits d’hôpitaux est très concentré dans la ville-centre. Seules les deux communes d’Arzew (à l’extrême est où se localise le complexe pétrochimique) et de Ain El Turck (à l’ouest, commune balnéaire et à vocation touristique) disposent d’hôpitaux sur leur territoire (figure 2). L’hôpital situé dans la commune d’Arzew est éloigné de 6 km de la ville d’Arzew car implanté dans le village d’El Mohgoun. Aussi, les habitants de la ville d’Arzew comme ceux des autres communes limitrophes dépendent du transport collectif pour se rendre à cet hôpital. La commune de Bir El Djir, située en deuxième classe, dispose d’établissements spécialisés en pédiatrie et d’autres cliniques privées. Hormis cette commune, les cinq communes de cette classe ont une faible offre en établissements spécialisés telles les maternités. La commune de Sidi Chami, représentée en dernière classe, comporte un établissement spécialisé en psychiatrie en situation de déficit car destiné aux malades à l’échelle régionale. Cette commune n’offre pas les autres services de santé spécialisés. La figure 2 situe 17 communes qui dépendent très fortement de la ville pour leurs besoins de santé même si elles possèdent des dispensaires et des salles de soins.

Figure 2 : Répartition du nombre de lits d'hôpitaux et des établissements spécialisés, réseau de ––voirie et communes enquêtées à Oran

Figure 2 : Répartition du nombre de lits d'hôpitaux et des établissements spécialisés, réseau de ––voirie et communes enquêtées à Oran

* Y compris les établissements spécialisés en santé

Source : Statistiques de 2006 collectées auprès de la direction de l'Aménagement et de la Planification du Territoire de la wilaya d'Oran

16La concentration touche également les structures nécessaires au fonctionnement des soins dans les établissements de santé, telles que les laboratoires d’analyse. Ceux-ci sont au nombre de 21 dans la ville d’Oran, et les communes d’Arzew et d’Es Senia disposent d’un laboratoire. En matière de médicaments, dans les 487 pharmacies situées dans la wilaya, 272 sont concentrées dans la ville d’Oran. Certaines communes telles que Sidi Ben Yebka ne disposent que d’une seule pharmacie, d’autres quartiers n’ont pu bénéficier d’une pharmacie que durant ces dernières années pendant que d’autres zones sont toujours en attente.

17La wilaya d’Oran dispose en moyenne de 5 médecins généralistes pour 10 000 habitants. Par rapport à la figure précédente, la répartition des médecins spécialistes et de généralistes (figure 3) met en évidence une concentration similaire avec trois classes : la première classe présente une concentration des médecins dans la ville centre (Oran) ainsi qu’à Ain El Turck et Arzew. En dernière position, la 3ème classe composée de 11 communes présente le plus gros déficit en médecins spécialistes et une faible offre en médecins généralistes. Un nombre non négligeable de communes ont un faible nombre de généralistes et de spécialistes par habitant. Les médecins généralistes de ces communes, qui exercent dans des centres de santé ou en fonction libérale sont confrontés à une demande très importante, cette situation pesant sur la qualité des soins. Hormis ces trois communes, toutes les autres présentent un déficit marqué de médecins spécialistes qui entraîne, pour les résidents de périphérie, des déplacements vers Oran, avec des temps et des distances importants.

Figure 3 : Répartition du nombre de médecins généralistes et de spécialistes à Oran

Figure 3 : Répartition du nombre de médecins généralistes et de spécialistes à Oran

Source : Statistiques de 2006 collectées auprès de la direction de l'Aménagement et de la Planification du Territoire de la wilaya d'Oran

  • 4 Da : le Dinar Algerien (100 Da = 1 €)

18Cette répartition inégale des infrastructures de santé peut avoir des effets différenciés sur la santé selon le milieu social. Les communes où des entretiens ont été effectués font toutes partie des classes déficitaires en services de santé. Leurs habitants ont donc besoin d’effectuer des distances importantes pour accéder aux soins. La distribution de l’offre permet de souligner l’importance du transport collectif, le taux de motorisation restant très faible chez les ménages pauvres. Or cette desserte, qui est faite par des opérateurs artisanaux, est souvent mauvaise. En effet ceux-ci circulent essentiellement sur les grands axes et sont souvent en nombre insuffisant, ce qui entraîne des longs temps d’attente et des conditions de transport difficiles. La durée de trajet en transport collectif pour se rendre au centre d’Oran depuis la périphérie varie d’une à deux heures. Le coût de transport réparti sur différentes lignes de transport ou une seule ligne selon la localisation de la zone en périphérie est estimé entre 20 Da 4 à 60 Da (Rebouha, Pochet, 2009). Les habitants des quartiers informels, en particulier, doivent marcher pour accéder aux principaux axes du réseau de voiries bitumées où se situe le plus proche arrêt de la ligne de transport collectif (figure 3). Souvent le trajet à pied devient pénible et difficile en particulier pour les handicapés car long de 20 à 40 mn, selon les cas, et effectué sur des pistes en mauvais état ou sur un réseau de voirie dégradé.

  • 5 Comme le rapporte la presse (El Watan, 17-05-2008).
  • 6 Idem.
  • 7 Ces équipements manquent de matériel et de personnel qualifié en nombre suffisant.

19Les quartiers enclavés, éloignés de la ville, sous-équipés en services sanitaires, peu motorisés et mal desservis par les transports en commun sont ainsi les plus touchés par ces inégalités territoriales d'accès aux soins. Ces inégalités ont une influence sur le rapport que peuvent entretenir les habitants avec leur santé. D'autres facteurs jouent également un rôle, et notamment la qualité de service dans les hôpitaux à Oran, comme le montre une étude, qui a permis d’observer des attitudes et comportements gênants pour l’usager à l’hôpital (Hadjidj, 1995). Les malades expriment un sentiment de frustration et d’exclusion dans le lieu de l’hôpital et se méfient de l’offre hospitalière du fait d'un manque de dialogue avec le corps soignant. En effet, le malade à l’hôpital doit prendre en charge sa literie et sa nourriture, et parfois acheter les médicaments et faire ses examens médicaux dans des établissements privés pour pouvoir accéder à des soins dans les hôpitaux5. Ces services devraient être mis à la disposition de l’usager de l’hôpital mais la réalité est toute autre6. Ces comportements n’encouragent pas la population à recourir aux soins à l’hôpital et ne permettent donc pas la prévention contre les maladies. Là encore, les pauvres sont les plus vulnérables vis-à-vis de cette situation. De même, dans une étude qui a concerné deux villes en Afrique subsaharienne, Conakry et Douala, la mauvaise qualité de service des équipements de santé publics7 sur le territoire urbain est le principal obstacle ressenti pour y accéder. Le coût est considéré comme le deuxième obstacle car le recours aux cliniques privées n’est pas envisagé par la catégorie de population pauvre du fait de leurs coûts inaccessibles (Sitrass 2004 a et 2004 b).

20Ces disparités justifient le besoin de déplacement des populations de la périphérie et des zones périurbaines vers la ville pour accéder aux services de santé les plus nécessaires. Ces besoins de déplacements pour les soins sont bien réels, comme le montrent les entretiens effectués avec les habitants pauvres des cinq communes citées. La proximité des lieux de santé n’implique pas systématiquement accessibilité, d’autres formes de distances en relation avec les caractéristiques socio-économiques ou culturelles limitent le recours aux soins (Picheral, 2001). Mais à l’inverse, cet éloignement géographique a des conséquences dans l’usage des services de santé par les habitants des périphéries pauvres.

4. Difficultés d’accès aux soins : coûts et contraintes

21Avant d’analyser les entretiens, il faut préciser le profil des personnes enquêtées. La grande majorité peut être classée comme faisant partie des catégories défavorisées. Les emplois précaires sont très répandus dans les quartiers de la périphérie et un grand nombre d’actifs interviewés n’ont pas un emploi salarié stable (même si nous avons aussi rencontré des ménages avec un emploi qui leur assure un revenu régulier et une couverture sociale permanente). La majorité des ménages vivent en dessous du seuil de pauvreté, ou ont des difficultés à subvenir à leurs besoins. Il est à noter que parmi les personnes interrogées, nombreuses sont celles concernées par les problèmes de santé, personnellement ou dans le foyer.

22L’analyse des entretiens nous permet de connaître les pratiques spatiales, socialement différenciées sur le territoire et fait apparaître les déterminants des difficultés d’accès aux soins ainsi que les contraintes et les difficultés subies pour effectuer des mobilités obligées pour se soigner. Le coût de la consultation de médecins en Algérie varie entre 50 et 100 Da dans les centres de santé. Dans l’offre privée, la consultation de médecine générale coûte 300 Da et la consultation de spécialistes 600 Da, parfois plus. La possession de la carte de sécurité sociale permet le remboursement d’une partie des frais.

4.1. Environnement et précarité du logement : conséquences sur la santé

23Les territoires qui accueillent une population pauvre sont, sur le plan sanitaire, des milieux à risque. Sur le plan épidémiologique, la réapparition de maladies menace les habitants en manque de ressources financières et résidant dans des environnements dégradés et sous-équipés (Yapi-Diahou, 2002). Une infection ou une maladie peut se développer par la présence de certaines conditions favorables, « climat de la maladie » (Boussouf, 1992 : 17-18) : habitat, hygiène, densité de la population, le niveau socio-économique, consommation alimentaire, mœurs,… Les habitants défavorisés de la périphérie sont tous concernés par au moins un de ces facteurs, ne serait-ce que par la précarité de l’emploi, l’instabilité et la faiblesse des revenus. L’enquête effectuée en 2007 montre que les revenus varient entre 2000 Da à 10 000 Da par mois pour des ménages composés de 3 à 10 personnes. Nous avons également rencontré des ménages se déclarant sans revenus, dépendant des aides du voisinage ou des relations familiales. Les conditions de logement vont de pair avec ces faibles revenus.

24Les logements des quartiers enquêtés, baraques surpeuplées dans les bidonvilles de la périphérie, sont souvent construits en matériaux de fortune, planches de récupération, parpaings, tôles : nous avons été reçus par des familles composées de 5 personnes logées dans une seule pièce. Des pièces sans fenêtre, où l’aération se fait par la porte, seule ouverture, des rues malpropres sans réseau d’assainissement (les évacuations se font sur la rue à ciel ouvert ; sur certains passages, des regards et des canalisations sont réalisés par les habitants), les eaux usées se déversent, les déchets s’accumulent…
« On n’a pas de route, la saleté, la fumée, les autres jettent leurs déchets [ménagers] ici, et puis les déchets ils les brûlent, à côté » (Ain el Beida, homme de 38 ans).

  • 8 Dans les bidonvilles, les habitants recourent au branchement illicite au réseau d’électricité en ig (...)

25Il est difficile à travers les entretiens de faire un lien de causalité direct entre ces conditions de logement difficiles et les problèmes de santé, même si l’absence d’hygiène est cause de maladie comme la gale pour le cas d’un ménage. Dans les habitations précaires, le risque d'accident domestique est bien réel, ainsi cet exemple, qui pose également le problème de la faible disponibilité des véhicules, montre les risques auxquels les résidents sont confrontés : « A Ain El Beida, cela fait deux ou trois jours, une femme s’était électrocutée8, on a cherché à la transporter mais le temps qu’on ait trouvé une voiture, c’était trop tard, elle est morte, si on a trouvé du transport à temps on aurait pu la sauver » (Ain El Beida, homme de 30 ans).

26A l’évidence, les conditions de logement ne sont pas sans conséquence sur les problèmes de santé. De plus, le manque de ressources financières est également la principale cause de sous-alimentation aux conséquences déterminantes sur l’état de santé des habitants pauvres. L’accès irrégulier et sélectif aux aliments est susceptible d’expliquer les carences nutritionnelles et la privation et les habitudes alimentaires néfastes pour la santé, comme le décrit Fassin, dans des situations de ménages défavorisés en France (2000). De plus, les dépenses se font souvent à crédit, chez les petits commerces du quartier, moyennant des prix élevés :
« Parfois on ne trouve rien à manger, on ne peut pas manger deux fois par jour. Quand on n’a pas d’argent, mon mari achète par crédit du petit local [de première nécessité], on n’a ni santé ni rien. On souffre » (Ain El Beida, femme de 33 ans).

27Mais le handicap supplémentaire que représente cette localisation pour l’insertion des individus joue également sur l'état de santé, comme le montre Paugam (2002).

  • 9 Le Quotidien d’Oran, 19-04-2008.

28Plusieurs personnes enquêtées ont montré une grande nervosité, d’autres ont paru très abattues lors des entretiens. Les maladies mentales et les problèmes psychologiques peuvent avoir de multiples causes. Cela montre que la souffrance psychique est le produit des situations d’exclusion et renforcerait la précarité (Aïach, 2002). Le mal-être et le ressentiment par rapport à la situation de pauvreté et de précarité créent un sentiment de souffrance. Les effets de la marginalisation sont multiples pour les jeunes : suicide, délinquance, dépressions, comme en témoigne ce jeune homme de 25 ans (Hassi Ameur) :
« J’ai souffert la souffrance noire […] Parfois j’ai des idées noires, je te dis la vérité, je peux faire des choses graves, je pense au suicide, parce que la vie que j’ai eue m’a fait descendre au plus bas, que je voyais tout sombre ». Prévenir et agir contre les troubles mentaux, neurologiques et psychosociaux fait partie de l’amélioration de la qualité de vie de l’ensemble des habitants. Mais cette mission n’est pas remplie : à l’échelle nationale, on compte seulement 1 médecin psychiatre pour 100 000 habitants9.

29Ces situations de dépression et de dégradation de la santé mentale, comme les problèmes liés à la mauvaise santé physique, peuvent renforcer la vulnérabilité et la marginalité des habitants pauvres de la périphérie dépourvus de tout moyen d’aide et de prise en charge. Entre pauvreté, mauvais état de santé, précarité et sous-équipement en services de santé, une spirale négative s’installe, notamment lorsque l’état de santé dégradé ne permet plus d’aller travailler. Plus ou moins forte selon les quartiers, la précarisation contribue en retour à la ségrégation spatiale entre les zones (Aïach, 2002 et Parizot, 2004).

4.2. Les soins : des coûts difficiles à assumer

30Comme le rappelle Commeyras dans son étude sur la consommation de soins au Cameroun (2006), les dépenses d'accès aux soins sont réparties entre la consultation, les médicaments, l’hospitalisation selon les cas, les examens et le transport. Une famille africaine pauvre ne peut supporter la totalité de ces dépenses (Sitrass 2004a, Sitrass 2004b) sur les villes de Conakry et Douala), ce qui limite fortement l’accès aux soins. De même, dans le cas des ménages pauvres pour lesquels la seule ressource est l’emploi dans le secteur informel et qui n’ont aucune couverture sociale, il devient courant de renoncer à une partie des dépenses :
« J’ai un contrôle par semaine pour mon cœur à St Eugène [quartier situé dans la ville d’Oran], mais je n’ai pas les moyens pour aller faire le contrôle. Je n’ai pas les moyens d’acheter les médicaments. Je n’ai pas la carte de la sécurité sociale. Le médicament des fois j’achète, des fois je ne l’achète pas, ça coûte 2800 Da. En plus du contrôle, je dois payer le transport et 600 Da pour la consultation en plus de l’ordonnance » (Ain El Beida, femme 48 ans). « J’ai demandé au médecin de ne pas me prescrire trop de médicaments » (Ain El Beida, femme de 62 ans).

31L’absence de sécurité sociale entrave l’accès aux soins. Ces habitants connaissent des difficultés d’accès à la couverture sociale même après plusieurs démarches et se trouvent exclus de ce droit. Même si des tentatives de réforme du système sanitaire se font en Algérie, des individus rencontrent des difficultés pour régulariser leur situation comme le cas de cet homme qui a été contraint, du fait de son handicap qui l’oblige à se déplacer en chaise roulante, à mettre un terme à ses démarches et de rester sans couverture sociale :
« Je travaillais à la Sonelgaz, Je suis handicapé depuis 2001 je n’ai pas pu régler mon dossier pour percevoir mon indemnité. Je n’ai pas de ressources. En plus, je n’ai pas de carte, avec quoi je vais payer les médicaments ? » (Hassi Ameur, homme de 56 ans).

32Les ménages pauvres ne bénéficiant pas de couverture sociale préfèrent l’automédication, le recours à des plantes médicinales, moins coûteuses. Ces ménages attendent que l’état de santé se dégrade pour recourir à un médecin spécialiste et il devient nécessaire d’utiliser toutes les stratégies pour payer la consultation, les analyses et les médicaments :
« Je ne vais pas chez le médecin, j’achète les médicaments moi-même, quand je suis très malade, je vais voir le médecin, je me débrouille et j’y vais, je cherche, on m’a demandé des analyses, ça a dépassé 10 000 Da […] J’ai vendu la vaisselle, j’ai cherché l’argent et j’ai payé » (Hassi Bounif, femme de 43 ans).

33Les ménages aux ressources financières limitées optent pour les plantes médicinales pour se faire soigner, pour leur coût inférieur. L'automédication et le recours à la médecine traditionnelle ont été également observés dans les villes d’Afrique subsaharienne (Commeyras et al., 2006 et Diaz Olvera et al., 2008).

34Lorsque ces gens tombent malades, ils sont alors incapables de travailler. Comme ils travaillent dans l’informel, ils ne bénéficient pas de la sécurité sociale et deviennent de plus en plus démunis. La faiblesse du niveau de vie, le mauvais état de santé et la sous-alimentation se trouvent combinés pour augmenter les difficultés du ménage, qui traduisent une réelle souffrance.

4.3. Une mobilité pour la santé coûteuse, des transports pénibles : des difficultés plus grandes en cas de maladie

35Comme il a été montré par ailleurs, la distance peut être un obstacle pour certains soins hospitaliers et peut constituer un facteur de risque pour certaines maladies où l’urgence médicale et chirurgicale est essentielle. Ainsi à Conakry, l’éloignement par rapport aux équipements sanitaires qui se traduit en temps d’accès devient un obstacle, en particulier lorsque le lieu de résidence est excentré. Le temps moyen d’accès des ménages pauvres à l’hôpital passe ainsi de moins de 30 minutes pour les résidents du centre à près de 2 heures dans les périphéries les plus éloignées. Le pourcentage de ménage déclarant recourir à l’hôpital décroît alors de 78 % à 56 % (Sitrass, 2004 a). A Oran, dans les quartiers informels qui ne disposent pas d’équipements de santé, les temps pour accéder aux hôpitaux et cliniques du centre peuvent également atteindre deux heures, avec les transports collectifs classiques. L’effet de la distance est aggravé par d’autres facteurs : pour une distance donnée, les déplacements ne demandent pas les mêmes efforts selon la topographie, pour les habitants d’une colline ou situés sur les rives d’un oued comme c’est le cas à Ain El Beida. La distance ressentie peut être encore plus importante selon la topographie et peut présenter une véritable barrière pour la mobilité. Les habitants des bidonvilles et des quartiers informels aux voies d’accès non bitumées et en mauvais état doivent convaincre le transporteur ou se plier à ses exigences en matière de coût du déplacement. Ils dépendent alors du bon vouloir des conducteurs de taxis clandestins pour se déplacer car c’est la seule alternative (comme le montre l’extrait ci-dessous) Aussi faut-il parfois marcher un kilomètre pénible et sur un terrain très escarpé pour rejoindre le véhicule :
« Celui qui tombe malade à 00h00 ou à 1h00, il aura rendu l’âme, aucune voiture ne vient de ce coté, il doit attendre qu’il fasse jour, et le matin seulement il peut aller voir un médecin, il y a des conducteurs âgés qui font preuve de compassion et acceptent de venir te transporter, mais des fois on ne trouve pas de transporteur » (Ain El Beida, femme de 62 ans).

36Les habitants sont parfois obligés d’effectuer une marche de 20 minutes et plus sur un chemin escarpé ou de louer un taxi clandestin ce qui leur coûtera 100 Da à 300 Da en fonction de la distance et du temps de transport, soit l’équivalent du prix de la consultation, ou encore de 5 à 10 fois le tarif de la course de base. À cause des difficultés de mobilité pour les habitants de la périphérie, les déplacements pour motif santé sont rares. Si les habitants pauvres n’ont pas les moyens de prendre en charge ces frais, cela peut les dissuader d’effectuer la nécessaire mobilité pour la santé.

37Les habitants démunis ne peuvent pas toujours assumer le coût de déplacements pourtant considérés comme prioritaires quand on tombe malade. Confronté à la rareté des moyens de transports et à leur coût, ils reportent la prise en charge des malades et prolongent leurs souffrances :
« Une fois, il y a mon autre belle fille qui voulait accoucher en fin d’après midi, il [son mari] lui a ramené un taxi clandestin à 300 Da, il [le conducteur] nous a dit qu’il ne baissera pas le prix, alors elle a attendu toute la nuit et le matin on l’a emmené et on a pris une autre voiture pour 300 Da » (Ain El Beida, femme de 62 ans).

38Le taxi clandestin pour la mobilité de santé est un moyen de déplacement indispensable pour les habitants de la périphérie en particulier :
« Je prenais le taxi clandestin. 300 Da la course [pour se rendre aux soins] mais je n’ai plus les moyens pour y aller » (Hassi Ameur, femme handicapée de 56 ans). C’est en fonction des moyens financiers que se fait le recours aux soins, ainsi :
« Le médecin m’a demandé de faire le scanner et je n’ai pas les moyens de le faire, je suis impuissante, je n’ai pas les moyens pour me déplacer » (Ain El Beida, femme de 33 ans). Le poids des contraintes financières dans l’accès aux soins est déterminant pour ces habitants pauvres des zones périphériques. Il leur est difficile de supporter à la fois les frais de traitement sanitaire et le coût de la mobilité. Même lorsque le traitement est gratuit (cas du diabète) le coût du déplacement reste un obstacle :
« J’ai un rendez-vous une fois par mois à Oran, cela fait deux mois que je ne suis pas allée. Mon mari, chaque fois on l’emmène à l’hôpital à Oran, une fois par mois ou tous les deux mois, en fonction de l’argent » (Hassi Ameur, femme de 42 ans).

39Chez la quasi-totalité des personnes interrogées, cette dimension financière est déterminante, d'autant plus que plusieurs coûts se cumulent (consultation, examens, médicaments, déplacements) avec des dépenses de santé et de transport qui sont d'ailleurs rarement dissociées dans les témoignages recueillis.

40Les habitants sont livrés à eux mêmes et prennent en charge leurs déplacements pour les structures sanitaires quel que soit leur état de santé. Autre aspect pénalisant lié aux transports, la pénibilité importante des déplacements en transport collectif. Les difficultés d’accès aux transports sont ressenties par tous (Rebouha, 2008). Mais encore plus fortement par les habitants malades ou handicapés car elles sont accompagnées de douleurs ou de fatigue importante :
« Mon mari qui est cardiaque, on l’emmène à l’hôpital à Oran, il ne peut pas supporter le transport, ça le rend malade » (Hassi Ameur, femme de 42 ans).

41Résider en zones périurbaines c’est dépendre des contraintes en transport collectif telle que l’absence de moyens de transport à certaines heures de la journée, la nuit…. Les habitants peuvent avoir recours à leurs relations de voisinage ou familiales, quand elles existent, la nuit ou durant les fêtes pour transporter les malades vers les structures concentrées dans la ville d’Oran ou disponibles dans les deux communes d’Arzew et de Ain El Turck. Ils doivent se munir des coordonnées d’un conducteur de taxi clandestin, en prévision de tout événement. Selon le témoignage d’un conducteur de taxi clandestin, il n’hésiterait pas à transporter un voisin à n’importe quelle heure de la nuit ou de la journée pour un besoin urgent d’accéder à une structure de santé et sans frais, par solidarité. L’accès aux soins dépend des moyens, des dispositions et des stratégies des habitants dans les zones défavorisées. Quand des besoins de santé non prévus surviennent, les ménages pauvres non motorisés ne peuvent répondre à des besoins de soins d’urgence la nuit, dans ce cas le risque sur la santé des résidents en zone périurbaine est important. Le cas suivant fait état d’un ménage installé dans un bidonville dans un terrain isolé par rapport au reste de la commune de Hassi Ameur et ne connaissant personne :
« Ma fille de 15 ans à cause du fait qu’on n’a pas pu trouver du transport à 1h00 du matin, on a attendu qu’il fasse jour. Ils l’ont fait admettre immédiatement au bloc opératoire, elle a failli mourir. À Gambetta [son ancien quartier, au centre ville], on peut trouver des clandestins à n’importe quelle heure à la placette » (Hassi Ameur, homme, 51 ans).

Conclusion

42Il était question dans cet article d’avoir une connaissance plus fine des déterminants sociaux individuels et collectifs, des attitudes et des comportements de santé. Ces informations sont nécessaires pour le renouvellement des dispositifs et des moyens de l’action publique. La répartition des indicateurs de santé selon le découpage administratif de la wilaya d’Oran a fait apparaître de grandes disparités en matière d’infrastructures de santé. Pour les habitants pauvres, aller voir un médecin implique de débourser de l’argent pour le transport, pour les médicaments, frais qui prennent une grande part du budget. Ne pas voir un médecin amplifie les risques sanitaires, comme le fait de ne pas bien manger et de vivre dans une maison insalubre. Il s’avère que les carences du système de sécurité sociale constituent un vrai problème pour les personnes sans ressources. Même si des programmes d’aide existent pour les maladies chroniques telles que le diabète, ces moyens ne sont pas suffisants. Dans ce contexte assez répandu d’absence d’accès à la sécurité sociale, les difficultés financières et l’éloignement des structures de santé ne font qu’accentuer la faiblesse de la prévention et font courir des risques plus importants aux habitants pauvres de la périphérie : « Mon mari est malade et on lui a interdit de travailler », le constat de cette femme (Hassi Ameur) est loin d'être isolé. Les maladies et l’absence de soins ont des conséquences sur le long terme. Elles contribuent alors fortement à la marginalisation et à l'approfondissement de la pauvreté dans les zones périurbaines pauvres. A l'inverse, l'amélioration des conditions de santé est, avec l'éducation, un élément central dans le développement du capital humain et dans le renforcement des capacités des populations défavorisées (Diaz Olvera et al., 2008).

43Une meilleure prise en compte de l’environnement a un rôle à jouer dans l’état de santé des populations défavorisées. Cela nécessite de mettre comme priorités politiques l’équipement des quartiers en structures sanitaires, la prévention vis-à-vis des populations précaires, et des aides financières pour l’achat de médicaments par les ménages ne bénéficiant pas de la sécurité sociale :

  • - Améliorer la gestion de la demande de santé par les structures de santé en mettant une base de données spatialisées pour mettre en évidence les besoins les plus grands.

  • - Mettre à la disposition des habitants de la périphérie des structures plus proches, disposant de la médecine spécialisée afin de mettre en œuvre de la prévention en matière de santé.

  • - Améliorer les voiries d’accès aux quartiers informels permettrait de favoriser leur desserte par les transports collectifs, et peut-être d’en diminuer le coût pour les ménages ; mettre à la disposition des habitants de la périphérie des moyens de transport d’urgence en augmentant le parc de véhicule et les moyens humains pour le transport de malades vers les hôpitaux afin d’encourager les habitants défavorisés à faire appel à l’hôpital pendant qu’il est encore temps.

  • - Renouveler les actions de prévention dans le domaine sanitaire pour tenir compte des situations et des trajectoires de vulnérabilité, par exemple les ménages qui ne disposent pas de travail ou qui ont un travail informel.

  • - Prendre en compte les moyens financiers des malades au niveau de l’unité de soins en permettant la prise en charge des médicaments pour les plus démunis qui ne bénéficient pas de la sécurité sociale.

44Dans tous les cas, il est nécessaire de concevoir conjointement politiques sociales, politiques sanitaires et aménagement urbain, de façon à prendre en compte des déterminants sociaux et environnementaux qui sont étroitement liés.

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ELWatan, 25-10-2004,. Santé en Algérie : prestations de soins ou prestations de services ?

El Watan, 17-02- 2008,. De la sécurité sociale : A propos de la carte « Chifa » et du contentieux (1ère partie).

El Watan, 17-05-2008,. La médecine est elle encore gratuite en Algérie ?

Le Quotidien d’Oran : www.lequotidien-oran.com

Le Quotidien d’Oran, 19-04-2008,. Prise en charge des maladies mentales, psychiatrie, le parent pauvre de la médecine ?

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Notes

1 Article de presse. El Watan. 17-05-2008.

2  Selon le dernier recensement général de la population et de l’habitat de 2008 (http://www.dpat-oran.dz/resulrgph08.html).

3 Article de presse. El Watan. 25 octobre 2004.

4 Da : le Dinar Algerien (100 Da = 1 €)

5 Comme le rapporte la presse (El Watan, 17-05-2008).

6 Idem.

7 Ces équipements manquent de matériel et de personnel qualifié en nombre suffisant.

8 Dans les bidonvilles, les habitants recourent au branchement illicite au réseau d’électricité en ignorant les mesures de sécurité.

9 Le Quotidien d’Oran, 19-04-2008.

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Table des illustrations

Titre Figure 1 : Evolution de la population de la ville centre et des communes limitrophes (1977 - 1998
Crédits Source : Données du recensement général de la population et de l'habitat (RGPH), département de la Planification et de l'Aménagement du Territoire de la wilaya d'Oran (DPAT)
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tem/docannexe/image/852/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 436k
Titre Figure 2 : Répartition du nombre de lits d'hôpitaux et des établissements spécialisés, réseau de ––voirie et communes enquêtées à Oran
Légende * Y compris les établissements spécialisés en santé
Crédits Source : Statistiques de 2006 collectées auprès de la direction de l'Aménagement et de la Planification du Territoire de la wilaya d'Oran
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tem/docannexe/image/852/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 368k
Titre Figure 3 : Répartition du nombre de médecins généralistes et de spécialistes à Oran
Crédits Source : Statistiques de 2006 collectées auprès de la direction de l'Aménagement et de la Planification du Territoire de la wilaya d'Oran
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tem/docannexe/image/852/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 352k
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Pour citer cet article

Référence papier

Fafa Rebouha, « Concentration des services de santé, contraintes de mobilité et difficultés d’accès aux soins dans la métropole d’Oran »Territoire en mouvement Revue de géographie et aménagement, 4 | 2007, 3-16.

Référence électronique

Fafa Rebouha, « Concentration des services de santé, contraintes de mobilité et difficultés d’accès aux soins dans la métropole d’Oran »Territoire en mouvement Revue de géographie et aménagement [En ligne], 4 | 2007, mis en ligne le 15 décembre 2012, consulté le 17 mai 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tem/852 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/tem.852

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Auteur

Fafa Rebouha

Enseignante
Département d’Architecture
Université des Sciences et de la Technologie
BP1505 El M’Naouar 31000 Oran – Algérie
Doctorante
Laboratoire d’Economie des Transports (LET), CNRS
Université de Lyon
Ecole Nationale des Travaux Publics de l’État
Rue Maurice Audin
69518 Vaulx-en-Velin Cedex
rebouha@hotmail.com

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