1La décentralisation de la compétence énergétique en France amène la région et l’intercommunalité à investir les champs de la planification énergétique détenue jusqu’alors par l’État. Ces acteurs locaux sont soumis à une injonction descendante relativement inédite par sa forme et par son ampleur (While, 2011). La mise en perspective des différents objectifs européens (Citton, 2019) concernant la transition énergétique et leurs traductions à l’échelle française par des lois, puis des réglementations thermiques, révèle une surenchère normative et un changement rapide de ces normes et des incitations financières (Cointe, 2016). Cet article vise à instruire la déclinaison des objectifs de l’État par le double prisme de la planification climat-air-énergie descendante et de la réglementation technique. Il interroge les conséquences des dynamiques de changement impulsées par les acteurs étatiques sur la territorialisation (Durand, 2015) et l’opérationnalisation des politiques énergétiques (Colombert, 2018 ; Tardieu, 2015 ; Tardieu et al., 2014 ; Taburet, 2012), notamment en matière de stratégie territoriale, de lois, de réglementations et d’incitations financières. La planification climat-air-énergie et la réglementation technique sont généralement analysées séparément. Nous nous proposons ici d’observer les complémentarités et les dissonances de ces volets d’actions publiques.
2Nous questionnons la manière dont les acteurs publics composent avec l’injonction à agir en faveur de la transition énergétique, construisent et élaborent une stratégie d’action à leur échelle, en relation avec d’autres acteurs publics et privés. La mise en œuvre des ambitions publiques de transition énergétique place les acteurs dans une situation marquée par des contraintes fortes et, de surcroît, évoluant rapidement, sources de difficultés de mise en œuvre, d’incertitudes techniques et de surcoûts – et produisant vraisemblablement des effets contre-productifs. Les objectifs issus des échelons supérieurs doivent être transformés, afin de dépasser une forme purement quantitative, qui découlerait d’une mécanique de territorialisation en cascade des objectifs élaborés à des échelles supérieures (Bulkeley, 2005). Ces injonctions traduites en objectifs, en orientations, en lois et en réglementations participent aux changements des pratiques (professionnelles ou sociales) des aménageurs publics, des bureaux d’études, des agences d’urbanisme et des promoteurs (Souami 2008).
3Dans la perspective d’autres travaux consacrés aux changements des politiques énergétiques à l’échelle urbaine (Debizet, 2016) et plus spécifiquement portant sur la territorialisation urbaine des systèmes énergétiques (Rutherford, Jaglin, 2015 ; Emelianoff, 2014 ; Jaglin, 2014 ; Rutherford, Coutard, 2014), nous considérons les solutions technologiques retenues pour répondre aux injonctions comme des éléments d’analyse dans les travaux des assemblages urbains. Quels changements en termes d’organisation de l’action publique, et en particulier de pratiques de l'aménagement, ces objets socio-techniques impliquent-ils ? La production d’outils stratégiques comme le Schéma Régional Climat Air Énergie (SRCAE) et le Plan Climat Air Énergie Territorial (PCAET) permet-elle la construction d’une véritable politique locale de transition énergétique plus ou moins indépendante de la politique nationale ? Comment ces enjeux de transition territoriale intégrés dans des projets d’aménagement urbains (Colombert, 2018 ; Tardieu, 2015, Tardieu et al., 2014) s’articulent-t-ils avec la réglementation thermique des bâtiments ? Enfin, quels changements de pratiques (professionnelles ou sociales) des aménageurs publics, des bureaux d’études, des agences d’urbanisme et des promoteurs (Souami 2008) ces injonctions produisent-elles ?
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4À partir de l’analyse de la déclinaison des objectifs énergétiques et climatiques de l’État dans ces outils stratégiques, plus précisément à partir du SRCAE de l’Île-de-France (2012), de l’analyse des documents concernant le PCAET1 de l’intercommunalité de Grand Paris Seine & Oise GPSEO et d’autres PACET2, nous soulèverons, tout d’abord les contradictions, entre les différents outils stratégiques, les difficultés de la territorialisation de la transition énergétique et de la construction d’une politique énergétique locale à l’échelle intercommunale. Outre l’analyse de ces documents officiels, notre analyse repose sur une dizaine d’entretiens menés auprès d’acteurs appartenant à des administrations publiques en charge du SRCAE et des PCAET, ainsi qu’auprès de quatre bureaux d’études spécialisés en conseil sur l’environnement et le développement durable présents depuis une quinzaine d’année et ayant participé à l’élaboration de PCET et désormais de PCAET, ainsi qu’auprès des responsables de services parties prenantes de projets menés sur l’intercommunalité Grand Paris Seine Oise (GPS&O): les responsables de l’environnement, de l’agriculture et du développement économique de la collectivité territoriale.
5Loin de se limiter à un enjeu de gouvernance et de coordination des politiques sectorielles ou d’échelles d’action, la prise en compte des enjeux énergétiques repose sur un processus de construction politique des problèmes, en relation avec les priorités locales (Jaglin, 2014). L’intégration des objectifs de transition énergétique est progressive et pénètre notamment l’échelle du projet d’aménagement urbain (Colombert, 2018 ; Tardieu, 2015, Tardieu et al., 2014). C’est ce que nous analyserons dans une seconde partie à partir du projet de ZAC Carrières-Centralité à Carrières-sous-Poissy sur la Boucle de Chanteloup, en périphérie ouest de Paris. Situé sur un territoire d’Opération d’Intérêt National (OIN), on pourrait s’attendre à un fort pouvoir de régulation urbaine. Si l’aménageur s’est engagé pour une production d’ENR ambitieuse, 65% de la consommation énergétique, ce projet révèle pourtant les difficultés de mise en œuvre de la transition énergétique. Treize entretiens semi-directifs ont été réalisés auprès des acteurs impliqués dans la ZAC : le directeur de l’aménagement de l’Établissement public d’aménagement l’EPAMSA, deux responsables du projet de l’Établissement public foncier des Yvelines, trois promoteurs, trois architectes, deux agences d’urbanisme responsables des plans guides Carrières-Centralité et de la zone d’activités Écopôle, deux énergéticiens (Dalkia, EDF) et deux bureaux d’études spécialisés. Le projet est analysé sur l’ensemble de ces phases : définition du projet par l’aménageur, élaboration du montage financier par l’EPFY, réalisation des plans guides, phase de construction des projets par les promoteurs et vente des logements.
6Les injonctions européennes concernant le climat, l’air et l’énergie sont ambitieuses et s’inscrivent dans un calendrier resserré. Pour atteindre ces objectifs, l’Europe porte l’idée d’une territorialisation énergétique à l’échelle locale et incite ainsi les pays européens à une décentralisation de la production énergétique (Theys, 2000). En France, si une décentralisation des compétences de l’action publique s’opère depuis les années 1980, la décentralisation des compétences énergétiques, entamée plus récemment à partir du Grenelle, semble plus difficile à mettre en place en raison du rôle historique de l’État depuis la nationalisation de l’électricité (Poupeau, 2013). L’action publique concernant les questions énergétiques se traduit notamment par deux volets principaux : la mise en place d’outils stratégiques pour proposer une vision locale de la politique énergétique et la réglementation thermique et environnementale imposée aux bâtiments neufs. Ces différents outils stratégiques, ces lois et réglementations présentent pourtant certaines dissonances. Ces dernières sont particulièrement repérables lors de l’opérationalisation (Colombert, 2018) de la transition énergétique dans les projets d’aménagement urbain.
7Suite à la signature du protocole de Kyoto en 1997, l’Europe s’engage à l’échelle européenne en 2008 avec le paquet Européen Énergie Climat 3*20 visant la production de 20% d’ENR, la diminution de 20% d’émission de gaz à effet de serre et 20% de l’augmentation de l’efficacité énergétique d’ici 2020 (par rapport à 1990). Puis, elle s’engage six ans après sur le paquet Européen Énergie Climat 2030 visant cette fois la production de 27% d’ENR, la diminution de 40% d’émission de gaz à effet de serre et 27% de l’augmentation de l’efficacité énergétique d’ici 2020 (niveau 1990). L’effort est alors recentré sur la qualité de l’air.
8Ces paquets européens Énergie Climat sont traduits en France par des lois : lois Grenelle 1 et 2 et la loi de transition énergétique pour une croissance verte (LTECV). Inscrite dans la logique de décentralisation des compétences de l’exercice de planification stratégique opérée depuis plus de 10 ans en France, la loi Grenelle 2 de 2010 acte que dans chacune des régions françaises (vingt-six en 2010, puis dix-huit suite à la fusion des régions en 2016 suite à la loi NOTRE), les Conseils régionaux et les services de l’État travailleraient ensemble à l’élaboration des SRCAE. Les SRCAE sont des documents de planification de référence pour les territoires régionaux en matière de réduction des consommations d’énergie et de production d’ENR. Parallèlement, les collectivités de plus de 50 000 habitants doivent rédiger un Plan Climat Énergie Territorial (PCET) compatible avec le SRCAE pour 2013. La loi de 2016 qui réforme les PCET afin d’intégrer la dimension de la qualité de l’air dans la planification stratégique de la transition énergétique arrive quatre ans à peine après la mise en place des PCET avec la loi ENE de 2011. Le nouveau PCAET est rendu obligatoire pour les intercommunalités à fiscalité propre (EPCI) de plus de 50 000 habitants au 1er janvier 2017 et pour celles entre 20 000 et 50 000 habitants pour la fin 2018, soit des délais très resserrés.
- 3 La Convention des Maires rassemble des milliers de collectivités locales qui s’engagent volontairem (...)
9La planification des stratégies climat-énergie des intercommunalités varie selon le volontarisme de ces dernières. Certains territoires s’engagent dans les PCAET de manière volontaire afin d’intégrer des réseaux internationaux comme celui de la Convention des maires3. Si les PCAET constituent aujourd’hui l’instrument principal de pilotage des questions climat-air-énergie, ils ne sont pourtant pas les seuls. L’Agenda 21, outil plus ancien et de nature moins prescriptive est le second outil le plus exploité et peut contenir des orientations à ces thématiques, en remplacement ou en complément d’un PCAET. Cela permet parfois de structurer des orientations dans un délai réduit par rapport à la temporalité d’élaboration d’un PCAET (AdCF, 2016). Les masters plans, comme celui du Nord-Pas-de-Calais (Nessi, 2019), sont des documents prescriptifs issus également de démarches volontaires des intercommunalités ou des communes.
10Ces changements rapides d’objectifs imposés à l’échelle européenne en six ans se sont traduits notamment par la loi LTECV en 2015. Cette dernière introduit le principe de décentralisation des compétences énergétiques, mais surtout l’idée d’un développement des stratégies énergétiques locales appropriées par les élus locaux à travers d’une part l’intégration des objectifs énergétiques dans les documents stratégiques de planification existants (PLU, PLUi, SCOT, PLH), mais également la production d’outils propres à la stratégie climat-air-énergie (SRCAE, PCAET). Cette vision décentralisatrice de la compétence énergétique semble pourtant s’opposer à la position centralisatrice de l’état français dans le domaine énergétique (Lopez, 2019 ; Poupeau, 2013, 2017 ; Briday, 2021). Cette opposition implique plusieurs types de contradictions dans la déclinaison de ces objectifs que nous développerons dans les parties suivantes.
- 4 La DRIEE est un service déconcentré du Ministère de l’environnement placé sous l’autorité du Préfet (...)
11Suite au Grenelle de l’environnement en 2007 émerge l’idée de mettre en place le SRCAE et cette ambition de territorialisation des politiques publiques portées par le ministère de l’écologie et du développement durable. Le SRCAE vise à traduire les objectifs chiffrés nationaux à l’échelle régionale. Pourtant les services de l’état et en particulier de la DRIEE4 (la direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie en Île-de-France) ont eu un poids considérable dans la production de cet outil. « Fidèle à une tradition unitaire, centralisatrice voire technocratique en matière d’énergie (Poupeau, 2017), l’État a donc été l’acteur hégémonique des phases de préparation et de rédaction des SRCAE, au cours desquels il a cherché à protéger sa stratégie. » (Briday, 2022, à paraître).
12Dans les faits, le principe de territorialisation associé au Grenelle s’apparente finalement davantage à une déclinaison des orientations nationales à travers une mobilisation cadrée des conseils régionaux par la DGEC (Direction Générale de l’Energie et du Climat) que la co-production d’un outil stratégique ancré localement laissant d’importantes marges de manœuvre. Dans un contexte institutionnel où la mobilisation écologiste est forte à l’échelle des régions, la DGEC décide de cadrer fortement les orientations des SRCAE, afin d’éviter de déstabiliser le système énergétique français. « Considérée par les services de l’État comme potentiellement déstabilisatrice, cette démarche est précédée par un important travail de cadrage et la DGEC va instaurer un certain nombre de garde-fous juridiques et procéduraux qui limitent la capacité d’action régionale. » (Poupeau, 2013, p.4)
13Si l’État cherche à contenir les aspirations décentralisatrices, les régions n’en demeurent pas moins des relais locaux incontournables au vu de la perte de moyen d’action de l’État central suite à la révision générale des politiques publiques (RGPP). Les régions deviennent alors des partenaires essentiels dotés de compétences en matière d’aménagement, d’urbanisme, de développement local ou d'environnement. Finalement, les SRCAE se résument à la production d’études techniques relevant l’existence de potentiels énergétiques présents sur les territoires (usine de traitement de déchet avec incinération, éolien, géothermie, etc.), mais sans garantir pour autant la réalisation de leur mise en œuvre, comme en témoignent les résultats contrastés des réseaux de chaleur et de l’éolien dans le SRCAE de l’Île-de-France.
14La priorité donnée aux objets techniques s’explique en partie par une -légitime- volonté de suivi quantitatif des politiques menées. Mais, ce choix exclusif a deux implications politiques (Luque-Ayala et al.2018) : (1) en pratique, il favorise les réponses technologiques à la transition sans interroger le caractère controversé de leur implantation (usine d’incinération avec récupération de chaleur, implantation d’éolien) ; (2) les mesures moins techniques concernant les modes de consommation et l’engagement de la société civile sont abordées seulement à la marge.
15Les scénarios retenus et le caractère « pro-technologique » du SRCAE opèrent comme un choix politique fidèle à la stratégie nationale. Ils privilégient les réponses les plus immédiates. En pratiquant une culture du consensus au sein du binôme État /Région, l’outil stratégique élude les réponses les plus controversées comme le nucléaire et invisibilise les solutions les plus radicales de décentralisation énergétique et d’autoconsommation portant sur le long terme, pourtant prônées à l’échelle européenne. La faiblesse du processus de concertation (nombre élevé d’acteurs impliqués en IDF, calendrier resserré, communication limitée au sujet des événements) n’a pas permis de contrer ces dispositions court-termistes. Enfin, le refus du chiffrage financier du SRCAE empêche certainement cet outil de revêtir une opérativité politique et limite ainsi la territorialisation de l’action.
- 5 Pour les régions, les départements, les communautés urbaines, les communautés d’agglomération ainsi (...)
16A l’échelle de l’intercommunalité, le PCET, devenu PCAET (prévu à l'article L. 229-26) est l'outil opérationnel de coordination de la transition énergétique sur le territoire local. Il comprend un diagnostic, une stratégie territoriale, un programme d'actions et un dispositif de suivi et d'évaluation. Avant même que le Plan Climat Énergie Territorial (PCET) devienne obligatoire5, certaines collectivités comme Grenoble, Nantes, la métropole européenne de Lille, le Grand Lyon ou encore Besançon s’étaient engagées volontairement dès 2005. Ces démarches reposaient sur un réel engagement qui font désormais la particularité de ces territoires comme Grenoble, première grande ville française à passer aux mains des écologistes en 2014 ou la métropole de Lille développant sa troisième révolution industrielle (Nessi, 2019). Si ces premiers engagements montrent que l’injonction réglementaire imposée en 2010 n’était pas la seule motivation pour adopter un PCET, les collectivités, dans l’obligation de produire ce document, sont loin de porter la même motivation que les collectivités pionnières. L’engagement dans la transition énergétique est souvent faible car il est rarement une priorité pour les élus ne favorisant guère la conquête d’un électorat assez important. Comme en témoignent le responsable du service en charge du PCAET de GPS&O, mais également les responsables des services environnement et développement durable de quatre communes de l’intercommunalité, lorsque les élus s’engagent, ils usent de stratégies mettant en avant davantage des problématiques sociales et économiques comme la précarité énergétique que les objectifs de transition énergétique en tant que tels. Dans les faits seulement une vingtaine de collectivités sur une centaine concernées vont produire leur PCET (la plupart entre 2013 et 2014). La majorité des collectivités semble donc désavouer le processus du Grenelle dans sa première phase.
17Les élus communautaires ont débuté leur nouveau mandat dans un contexte marqué par les débats sur la loi de transition énergétique pour la croissance verte (LTECV), ceux sur la réforme territoriale (NOTRe) et la préparation de la COP21. Ce cadre légal est venu renforcer les orientations du Grenelle de l’environnement ainsi que les lois Brottes (2013), ALUR, Consommation et MAPTAM votées en 2014. Ces textes définissent les grands principes qui marquent les modalités d’implication des intercommunalités sur les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET). A partir de 2016, les collectivités doivent donc produire un nouveau document intégrant par rapport au PCET des objectifs concernant la qualité de l’air. Cette décentralisation des pouvoirs et des compétences à une échelle plus locale met en avant la volonté de territorialiser des enjeux relatifs au climat, à l’air et aux énergies et de responsabiliser les communautés locales dans les politiques énergétiques. Ces intentions se confrontent pourtant à un certain nombre d’obstacles. La rédaction des PACET doit se faire dans des délais très courts, alors même que les collectivités concernées par les PCET n’ont pas encore eu le temps de mettre en place ce dernier. La simple mise à jour du PCET en PCAET n’est pas évidente. Selon les nouveaux objectifs concernant la qualité de l’air, les stratégies ou les technologies retenues dans les PCET deviennent souvent inadaptées, voire même contre productives.
- 6 Les compétences saisies par les PCAET étudiés témoignent d’un élargissement progressif des thématiq (...)
18Notre analyse rejoint les résultats de De Sartre et al. (2021). Les PCAET ayant opéré une véritable territorialisation de la politique énergétique repose sur : (1) un portage politique solide et de fortes convictions écologiques, (2) l’évolution du PCAET dans les compétences qu’il intègre en vue de la mise en œuvre des actions qu’il propose6 et (3) l’institutionnalisation des questions énergétiques et climatiques dans les différents services des collectivités visant une approche transversale et un décloisonnement des logiques sectorielles. A ce titre, le PCAET est avant tout un outil fédérateur facilitant la mobilisation des acteurs autour d’un projet politique (Nessi, 2019). Le service de GPS&O en charge du PCAET rappelle qu’ils sont peu de personnel à travailler sur l’élaboration de l’outil et que le travail repose essentiellement sur le chef de service et des étudiants stagiaires ou des premières embauches. Pour répondre au manque de personnel et de compétence, les services font appel à des bureaux d’étude spécialisés pour produire ces outils stratégiques. Pour arriver à terme, l’obtention de subventions régionales, nationales ou encore européennes sont nécessaires et sont un puissant facteur de légitimation des actions mais aussi de légitimation politique (de Sartre, 2021). Sans ces subventions, les collectivités investissent en priorité les actions concernant les consommations d’énergie (isolation et transports) et la sensibilisation et la communication.
- 7 Entretien directeur bureau d’étude environnement et aménagement urbain, 25/05/2018
19Les collectivités ont signalé un besoin d’appui technique externe au cours de leur démarche d’élaboration des outils. Ces derniers font alors appel aux bureaux d’études. Selon les responsables des PCAET en bureau d’étude, l’investissement des bureaux d’études varie selon l’engagement de l’acteur public. Si la collectivité est engagée et porte le projet, elle pourra orienter le PCAET. Dans cette configuration, le recours aux bureaux d’études pour leur compétence méthodologique attestée par leur expérience dans la mise en œuvre des PCAET sur d'autres territoires permettra de justifier politiquement cet engagement. En revanche, selon les responsables de PCAET au sein de bureaux d’études, si la collectivité n’est pas engagée, il est alors assez difficile pour eux de saisir et d’intégrer la spécificité du territoire concerné, les acteurs et les dynamiques en place. Dans la lignée des SRCAE, le PCAET se résume à la production d’une étude technique. Comme le rappelle l’un des directeurs d’un bureau d’étude « Si les élus ne sont pas engagés, les bureaux d’étude produiront alors un PCAET reposant sur des données statistiques existantes et sur des modèles qui proposeront des objectifs à atteindre et des solutions standardisées, banalisées.7 » Sans connaissance du contexte, ces modèles proposent des solutions inadaptées et ne mobiliseront pas les dynamiques associatives ou économiques pourtant présentes sur le territoire. Rares sont les PCAET où pour chaque action sont précisés le porteur de projet, le coût financier et la provenance du financement.
20La généralisation des PCAET implique en revanche une diminution des moyens financiers par collectivité pour la mise en place de cet outil. Selon les bureaux d’étude, l’obligation des PCET en 2010, puis l’obligation d’un nouvel outil, le PCAET, à produire avant même d’avoir pu mettre en place le précédent, n’ont fait qu’affaiblir l’outil. Si les premiers PCET non obligatoires étaient issus d’une démarche engagée des collectivités, c’est aujourd’hui loin d’être le cas. Pour la production de ce type d’outil stratégique, des collectivités pionnières comme Grenoble ou Nantes avaient investi des montants quatre à cinq fois supérieurs à ceux désormais dédiés communément à la production des PCAET. La diminution de ces montants explique ce à quoi est souvent désormais réduit cet outil, un diagnostic standardisé hors sol, dans lequel ni les spécificités du contexte urbain, ni celles des acteurs locaux ne sont prises en compte.
21Face à cette surenchère d’injonctions descendantes, il est important de préciser celles qui relèvent de la norme et celles qui relèvent de la réglementation. Nous définirons les normes environnementales comme des cadres de référence qui visent à fournir des lignes directrices, des prescriptions techniques ou qualitatives en vue d’atteindre des objectifs environnementaux. La norme est le fruit d’une coproduction consensuelle entre différents pays ou différents acteurs qui se sont engagés dans son élaboration, c’est pourquoi la norme est dite volontaire. Les normes volontaires reposent sur l’obtention du consensus entre tous les acteurs et en ce sens elles mettent tout le monde d’accord. A travers la norme « Il est possible d’envisager sous un angle différent le rapport entre droit et société. Ceci implique tout d’abord de renoncer à l’idée d’impératif et d’envisager le droit comme un système de potentialités à partir duquel se déploient des activités spécifiques de mobilisation des règles » (Lascoumes, 1990, p. 50). Lascoumes (1990) envisage, ainsi, le rapport entre droit et société non pas comme détermination mais comme orientation. Ainsi, la définition et la mise en œuvre des politiques publiques peut-être définie comme un processus continu de création normative. Lancée à l’initiative de l'Union européenne, des premiers engagements suite aux COP (conférences des parties) se formalisent, introduisant, telle une norme, la territorialisation urbaine du système énergétique à l’échelle locale. Des instruments normatifs sont ainsi créés pour cadrer et diffuser des politiques (Lascoumes, 1990), c’est ainsi le cas des SRCAE et de PCAET. A l’échelle du projet urbain, les normes renvoient essentiellement à la réduction et à la production d’énergie, à la densification de l’habitat ou à la végétalisation de l’espace public (Adam, 2017). Ces choix sont à la fois validés et favorisés par la mesure systématique de la performance et son accréditation par le suivi de la réglementation, par la certification ou par la labellisation (Gaillard et Matthey, 2011).
22La territorialisation énergétique est finalement accompagnée par deux volets d’actions publiques distincts. Le premier volet repose sur la déclinaison des objectifs environnementaux à travers la planification stratégique descendante à partir d’outils propres au climat-air-énergie. Il s’inscrit en particulier sur les enjeux de production d’EnR&R et de territorialisation de l’urbanisation du système énergétique à l’échelle locale. Le SCRCAE produit à l’échelon régional, a une portée juridique limitée (Allemand, 2013). Son influence normative indirecte diminue son caractère prescriptif. Cet outil propose des scénarios énergétiques à l’échelle régionale sans imposer d’objectifs précis à l’échelon local laissant finalement une assez grande marge de liberté. Seuls les PLH, PLU et PDU sont des outils réglementaires. Par un jeu de cascade, ces outils devaient être compatibles avec le SCOT lui-même compatible avec les SRCAE. C’est seulement à partir du 1er avril 2021 que les PLU et PLUi doivent être compatibles avec le PCAET, c’est-à-dire ne pas être en contradiction avec les options fondamentales. Le PCAET, quant à lui, éprouve des difficultés à proposer une véritable vision stratégique du territoire d’un point de vue énergétique. Il se réduit souvent à une liste d’actions en cours ou à réaliser sans articulation entre elles (Nessi, 2019). Finalement, compte tenu de leur statut normatif plutôt que prescriptif, les orientations portées par les différents échelons institutionnels dépendent clairement du degré d’engagement des collectivités. Elles s’apparentent davantage à l’application de normes qu’à une réglementation. Si les collectivités ont une large liberté dans le contenu du PACET, il n’en demeure pas moins que réglementairement ce document doit être produit. Cette obligation d’élaboration, ajoutée à la marge de liberté du contenu, explique en partie la faible appropriation de cet outil par les élus locaux. Cet outil stratégique avec la constitution des nouvelles intercommunalités suite à la loi Maptam sert davantage d’outil d’aide à la décision. Il devient un référentiel commun à construire avec les différents acteurs d’un même territoire.
23Le second volet repose, quant à lui, sur la réglementation énergétique environnementale sur le bâtiment neuf imposé aux lotisseurs avec des obligations à la fois de performances énergétiques et de production d’EnR&R. La réglementation relève des pouvoirs publics. Elle est l'expression d'une loi, d'un règlement et son application est imposée. A contrario, les normes revêtent un caractère volontaire. S'y conformer n'est pas une obligation. Ici, nous nous intéressons aux réglementations thermiques et environnementales produites par les ministères de la transition écologique et solidaire, de la ville et du logement. Ces réglementations concernent les bâtiments neufs et sont imposées aux lotisseurs. Celles-ci ont été mises en place bien souvent l’année de la finalisation des outils stratégiques locaux. Ainsi, la RT 2012 est produite l’année de la finalisation des PCET et la RE 18/20 l’année de finalisation des PCAET. Ces réglementations rendent caducs les outils stratégiques avant même qu’ils puissent être mis en place, puisqu’elles orientent largement les technologies et techniques à retenir à l’échelle du projet urbain en fonction des performances atteintes à l’échelle des bâtiments. A titre d’exemple, beaucoup de PCET reposaient sur une ambition de décentralisation des réseaux pour favoriser la production d’ENR et la récupération d’énergie, en particulier la mise en place de réseaux de chaleur collectifs. La RT 2012 insiste, quant à elle, sur l’amélioration de l’isolation des bâtiments. Les bâtiments construits à partir de 2012 consomment alors beaucoup moins de chaleur. Les infrastructures décentralisées, déjà fort coûteuses, ne sont alors plus rentables car fonctionnant en sous régime. La RE 18/20 et les aides financières influencent les promoteurs à faire d’autres choix technologiques que les lignes directives proposées dans les PCAET.
24Ce type de contradictions est également notable dans les orientations opposées des outils stratégiques que sont les SRCAE et les PCAET. Ainsi un certain nombre de PCAET mise sur une production d’EnR&R plus importante qu’auparavant, avec une recherche de complémentarité des technologies, le développement de micro-réseaux et l’autoconsommation, orientation portée à l’échelle européenne ; pour leur part, les SRCAE, produits en collaboration étroite entre les régions et l’État, proposent une vision très centralisée de la production d’énergie. La loi nationale d’autoconsommation collective de 2017 est également un levier majeur pour répondre aux objectifs de décentralisation énergétique, toutefois elle présentait encore un certain nombre de freins. Ainsi, l’interdiction du tiers-investissement, la limitation du périmètre des opérations, la fiscalité désavantageuse due à l’obligation de passer par un comptage contrôlé par le gestionnaire de réseau public sont autant de freins qui expliquent le nombre limité d’opérations d’autoconsommation collective (Marti, 2020). Contrairement à l’autoconsommation individuelle, l’énergie autoconsommée transite bien par le réseau basse tension. Cette électricité doit être injectée dans le réseau de distribution d’Enedis (à 95%) pour pouvoir être ensuite consommée. L'échange est considéré comme une vente d'énergie et non pas comme une économie d'énergie, il est donc soumis à la TVA, à la CSPE, à la TCFE et au TURPE (tarifs d’utilisation des réseaux publics d’électricité). Le prix de rachat de la production d’électricité est alors inférieur à celui de la consommation. En outre, à la différence de l'autoconsommation individuelle ou de la vente totale, une opération d'autoconsommation collective ne peut pas bénéficier des aides de l'État, ni pour l'électricité autoconsommée, ni pour le surplus. Ainsi, pour qu'une opération d'autoconsommation collective soit rentable, il est souvent nécessaire que celle-ci soit subventionnée (par une collectivité locale) ou bien que les consommateurs acceptent de payer plus cher leur électricité sur la part autoconsommée. L’Union Européenne adopte en 2018 une nouvelle directive 2018/2001, relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables. Ces ambitions reposent sur des opérations exemptes de charge ou de procédure discriminatoire, sans limite de périmètre et pour lesquelles le tiers-investissement est autorisé. Quelques-uns de ces principes ont été transposés dans la loi Énergie-Climat 2019. Dans cette perspective, la TURPE, servant au financement de l’acheminement et de la distribution de l’électricité, devait être réduite compte tenu de la production et de la consommation de l’électricité sur un même lieu, cependant le CRE (comité de régulation énergétique) s’y refuse au motif d’une méconnaissance des effets sur le réseau centralisé.
25Un échelon européen pour la décentralisation des réseaux et l’autoconsommation, trouve écho à l’échelon local à travers les intercommunalités. Mais les politiques locales, qui souhaitent construire leur politique autour de cette vision, se confrontent aux décisions Étatiques : les réglementations thermiques RT 2012 et environnementales RE 18/20, la loi sur l’autoconsommation collective et, même, le SRCAE qui invisibilise les solutions les plus radicales de décentralisation énergétique et d’autoconsommation portant sur le long terme. Ces contradictions entre les différents outils stratégiques et leurs orientations opposées, les lois et les réglementations thermiques prouvent que la territorialisation de la question de la transition énergétique est en train de se faire. Toutefois un certain nombre de paradoxes émerge et rend la mise en œuvre de la transition énergétique, son opérationnalisation (Colombert, 2018) difficile. Si certaines transformations s’opèrent sur le territoire, elles renvoient davantage à une intégration progressive dans les politiques urbaines et les outils réglementaires (PLU, PLUi, Scot, PDU), ainsi que dans la déclinaison de ces objectifs énergétiques et à l’échelle du projet d’aménagement urbain (Colombert, 2018 ; Tardieu, 2015). Ces deux volets d’actions l’un d’ambition stratégique relevant davantage de l’engagement d’acteurs publics locaux et le second imposé par les ministères de la transition écologique et solidaire et de la ville et du logement aux acteurs privés se rencontrent dans le cadre de projets d’aménagement urbain. Par effet d'emboîtement, les lotisseurs doivent concilier des objectifs de production énergétique locale d’EnR&R imposés par l’aménageur et de performance énergétique imposés par l’État via la réglementation thermique et environnementale à l’échelle du bâtiment. Cette articulation soulève pourtant un certain nombre de difficultés. C’est ce que nous développons dans cette seconde partie.
26Dans les faits, les objectifs de production d’EnR&R et de performance énergétique s’appliquent essentiellement au secteur du logement soit dans la rénovation, soit dans le logement neuf. Nous nous intéressons ici à la chaîne de production concernant le logement neuf. Supposant que, dans le cadre d’une production urbaine publique (Zone d’Aménagement Concerté, Orientation d’Aménagement et de Programmation, Opération d’Intérêt National), les objectifs énergétiques puissent être plus ambitieux, nous nous intéressons à un projet porté par des aménageurs publics.
27Le projet urbain mobilise plusieurs acteurs. Les principaux sont le maître d’ouvrage, l’urbaniste qui produira le plan guide et les promoteurs et architectes qui répondront conjointement à des appels d’offres par lots. Avec l’intégration des objectifs de transition énergétique de nouveaux acteurs interviennent (Lacroix, 2019), comme les énergéticiens et les bureaux d’études en énergie, et de nouvelles responsabilités s’ajoutent à celles des acteurs principaux. L’opérationnalisation de la transition énergétique à l’échelle du projet urbain se traduit à travers plusieurs actions : (1) la sobriété énergétique afin d’éviter la consommation de l’énergie, (2) l’efficacité énergétique pour consommer mieux avec moins d’énergie et (3) le développement des ENR&R pour diversifier les modes de production d’énergies et promouvoir les énergies vertes. Comment se déclinent les objectifs de transition du maître d’ouvrage au promoteur ?
28En amont du processus de production urbaine, les établissements fonciers, ainsi que les maîtres d’ouvrage ont un rôle majeur quant à la possibilité de mettre en œuvre la transition énergétique. L’établissement foncier, selon sa capacité à viabiliser les terrains pour un moindre coût grâce à un montage financier rentable, permettra par un prix de sortie du foncier bas de compenser en partie les dépenses liées à la mise en œuvre de technologies. La maîtrise d’ouvrage, à travers un cahier des charges ambitieux en termes d’objectifs de production d’EnR&R ou de la performance énergétique, peut largement influencer la mise en œuvre de la transition énergétique. La réglementation thermique et environnementale relativement exigeante imposée aux lotisseurs, oriente les aménageurs publics à investir davantage les champs de la production d’EnR&R. En autorisant le dépassement de la densité́ sous réserve d’exemplarité́ énergétique, l’aménageur pourra également favoriser la sobriété énergétique afin d’éviter la consommation de l’énergie.
29Les maîtres d’ouvrage les plus engagés font appel à des bureaux d’études pour la réalisation d’une étude de faisabilité des approvisionnements en énergie qui permet de repérer les potentiels énergétiques sur le territoire et d’estimer les coûts des installations nécessaires. Ils pourront également les missionner pour définir en amont du projet les objectifs du cahier des charges -dans lequel sera inscrit notamment les objectifs de production d’EnR&R - destinés à la réalisation du plan guide et les objectifs du cahier de prescription qui accompagnent la promesse de vente. Ce travail de conseil et de suivi peut coûter entre 5000 euros pour un simple conseil et 25 000 euros si le bureau d’étude propose des scénarios énergétiques et accompagne le maître d’ouvrage dans toutes les phases. Le recours à ces bureaux d’étude lors de la définition du cahier des charges n’est pas obligatoire et dépend réellement de la volonté et de l’engagement du maître d’ouvrage sur ce sujet.
30La maîtrise d’ouvrage lorsqu’elle souhaite intervenir dans le développement des EnR&R pour diversifier les modes de production d’énergies, pour atteindre plus facilement ses objectifs, fait appel à un énergéticien. Ce dernier favorise ainsi l’installation de dispositif d’EnR&R. Il propose des solutions techniques envisageables et porte à terme le projet. Il travaille ainsi directement avec les promoteurs retenus pour mettre en place les installations nécessaires. Il participe au montage du contrat qui liera les copropriétés avec lui et financera l’équipement dont il aura la gestion en concession pour un certain nombre d’années. Actuellement, ce type de projet porté par les énergéticiens est généralement financé en partie par le fond chaleur. Toutefois ces derniers interviennent dans des configurations bien précises avec un niveau de densité assez important afin de rentabiliser le projet. Lorsque les objectifs du maître d’ouvrage sont très ambitieux, seule la participation d’un énergéticien permettra d’atteindre les objectifs d’ENR en prenant à sa charge les coûts des infrastructures des réseaux décentralisés.
31Le cahier des charges défini, suite à un appel d’offre, une agence d’urbanisme sera retenue pour son Plan Guide. L’urbaniste devra alors faire des choix : privilégier la qualité des espaces publics plutôt qu’une logique d’extrême densité et de rentabilité, tout en privilégiant la compacité des formes urbaines favorisant la sobriété énergétique afin d’éviter la consommation de l’énergie. Par ailleurs, l’urbaniste devra intégrer un ensemble de paramètres : cadre de vie, accessibilité, desserte, etc. Ainsi, sur Carrière centralité, le parti pris de construire l’îlot le plus dense à proximité de la gare de Poissy a été pris plutôt que de le construire à proximité d’une potentielle source de chaleur de l’usine de traitement de déchet. Les enjeux de mobilité, impactant directement le quotidien des ménages sont ici prioritaires face aux enjeux énergétiques. Ce choix d’implantation à proximité d’une gare a à la fois un impact sur les émissions de CO2, mais également sur l’attractivité du bien immobilier pour les acquéreurs et donc les promoteurs. Le plan guide a une influence quant à l’implantation des fonctions, à la définition des densités sur le territoire, puis également sur l’organisation spatiale, le niveau de compacité et même l’orientation du bâti. L’urbaniste intègre cette réflexion au projet, mais cela ne génère pas de coût financier particulier pour lui.
« C’est vrai que ça, ce sont des sujets qui nous, nous dépassent un petit peu, enfin, en termes d'urbain et de spécialité, on réfléchit beaucoup, nous, à l'orientation des bâtiments, à l'épaisseur des bâtiments, en tout cas, dans notre faisabilité. Par exemple, sur ce plan-là, les logements Est - Ouest sont plus larges que les Nord - Sud, parce qu'on sait qu'on peut du coup avoir quand même des logements bien éclairés, même en étant plus épais, alors qu’au Nord - Sud, on va avoir quelque chose de plus fin pour avoir forcément du traversant, donc, voilà, on favorise vraiment les orientations (…). Après, tout ce qui va être de l'ordre de l’éolienne, du photovoltaïque, etc., c'est complètement en dehors de nos prérogatives. » (Entretien chargée de projet du plan guide à l’agence d’urbanisme de l’ANMA, 09/01/2018)
32La maîtrise d’ouvrage se trouve tiraillée entre l’imposition d’objectifs ambitieux de transition énergétique et l’attractivité du projet pour les promoteurs. Imposer des objectifs de production d’EnR&R trop ambitieux risquerait d’effrayer les promoteurs à répondre à l’appel d’offre, et ce, en particulier dans des zones déjà peu attractives, peu denses et mal desservies par les TC ou encore dans des zones d’activités. Pourtant, la maîtrise d’ouvrage est contrainte de passer par le promoteur pour concrétiser les objectifs de production d’EnR&R ou de performance énergétique. Les aménageurs comme les bureaux d’étude soulignent le fait qu’il est préférable d’avoir des objectifs ambitieux et une forte volonté car ils sont toujours renégociés par les promoteurs. Les nouvelles méthodes de travail en amont du projet en atelier collaboratif favorisent l’intégration et l’anticipation des ambitions de transition énergétique.
33Une fois le plan guide défini, un cahier des charges va être destiné à des équipes réunissant architectes et promoteurs. Les architectes qui dessineront alors leur projet sur un lot ou plusieurs du plan guide définiront de manière plus précise les épaisseurs d’isolation, la taille des ouvertures de fenêtres. Lorsqu’ils envisagent de nouveaux procédés, les promoteurs sont assez réticents à les suivre craignant la mise en place de technologies inconnues.
« En fait, ce sont des bâtiments de logements dans lesquels on a voulu mettre en place la ventilation naturelle, ça, l'agence est assez précurseur sur la ventilation, enfin, on en a fait tout un tas… le bâtiment de la CAF à Saint-Brieuc qui est complètement en ventilation naturelle, la bibliothèque d’Aix-en-Provence aussi fonctionne uniquement comme ça, et… sauf que là, c'était du logement, et donc, du coup, on a voulu mettre en place ça, et en fait, c'est une espèce de cercle vicieux parce qu'en fait, pour pouvoir mettre en place un nouveau procédé, il faut avoir les DTU, les Documents Techniques Unifiés, et pour avoir les DTU, enfin, du coup, pour que les promoteurs acceptent qu’on mette en place un… il faut avoir une norme, enfin, il faut répondre à certaines normes, sauf que pour répondre à certaines normes, il faut que ça ait déjà été fait quelque part. Ça, c'est la magie de la norme française. Ben du coup, on l’a fait, sauf qu’en fait, ça… personne n'a été jusqu’au… enfin, le promoteur n'a pas voulu aller jusqu'au bout, donc, on a de belles cheminées, mais qui ne servent pas. Ben, parce que… par la prise de risque de mettre en place quelque chose qui ne fonctionnera pas, ou qui ne pourra pas être reconnu, ou… Donc, si, techniques, oui, il y a de gros freins techniques, de prise de risque et de normes. » - (Entretien chargée de projet du plan guide à l’agence d’urbanisme de Michelin, 09/01/2018)
34Si le tableau dépeint par les différents acteurs semble assez désespéré, de nouvelles organisations dans la manière de faire du projet de façon plus collaborative en amont du projet et accompagnées par le BIM (Building Information Modeling) améliorent toutefois la coordination entre les acteurs et favorisent, ainsi, l’intégration et l’anticipation de ambitions de transition énergétique.
« Une vraie révolution, aujourd'hui, en architecture, c’est quand même le BIM, ça facilite le travail avec le promoteur. […] Malheureusement…on n’arrive pas à inciter le promoteur sur des idées d'isolation thermique. Malheureusement… c'est l'argent, en fait… alors, c'est aussi pour ça qu’on travaille énormément avec un système d'ateliers et qu’on essaie d'éviter au maximum les concours… En concours, on part toujours avec de très belles idées, de très beaux projets, on n’a jamais d'estimation, ou alors, on a des petites notes de l'économiste qui s'engage à respecter le budget final demandé par le promoteur, et le projet se fait déshabiller au fur et à mesure. » - (Entretien chargée de projet du plan guide à l’agence d’urbanisme de Michelin, 12/03/2018)
35Au bout de cette chaîne, ce sont les énergéticiens et les promoteurs qui mettent en œuvre cette transition énergétique. Ces derniers, en raison de leur engagement lors de la promesse de vente du foncier avec le maître d’ouvrage, devront mettre en place un certain nombre d’installations techniques et porteront à leur charge ces installations. Comment se positionne le promoteur face à la mise en œuvre des objectifs énergétique de l’aménageur ? Comment les concilie-t-il avec les règlementations thermiques et environnementales qui lui sont imposées par ailleurs ? Qui prend en charge le coût de ces équipements et quelle marge de négociation le promoteur a-t-il vis-à-vis du maître d’ouvrage ?
36Tentons de comprendre la difficile intégration des coûts des installations de production d’EnR&R et de la performance énergétique dans le bilan économique de la promotion immobilière, d’autant plus que ces solutions technologiques évoluent au rythme soutenu des lois et des réglementations.
37La démarche est avant tout initiée par les aménageurs publics. « C’est une démarche qui vient plutôt des communes, des aménageurs, plutôt que du promoteur lui-même », témoigne un promoteur. Davantage que de transition énergétique, les promoteurs parlent d’ailleurs plutôt de développement durable, qu’ils traduisent avant tout par des éléments de confort, de maîtrise des coûts.
« Essentiellement, on va être autour du développement durable et au niveau… alors, nous, on le traduit par des éléments de confort, c'est peut-être un peu de marketing, mais c'est quand même ça, nous, c'est de confort, de maîtrise des coûts, parce que c'est la seule façon… c’est ce que je vous disais, les gens ne sont pas prêts à acheter ça, donc, ils sont prêts à acheter un confort, une maîtrise des coûts, une maîtrise des charges, ils ne sont pas prêts à acheter une transition énergétique, un mix ou une consommation carbone » (Entretien promoteur, 02/07/2018).
38Dans le cadre de la production de logement neuf, le promoteur cherche à équilibrer son modèle économique. Plusieurs approches peuvent être envisagées pour équilibrer ce budget. Tout d’abord, le promoteur peut négocier le prix du foncier auprès du maître d’ouvrage. Or dans le cadre de ces portages, le montage financier du maître d’ouvrage, déjà assez serré en raison de sa volonté d’encadrer les prix de sortie des logements, ne permet pas de diminuer davantage les prix du foncier. Si les prescriptions du maître d’ouvrage concernant ce prix de sortie sont moins contraignantes, le promoteur pourrait répercuter le coût des solutions de production d’EnR&R et de performance énergétique sur les clients, mais selon sa localisation, le bien risque de ne plus être attractif. Dans ce cas, on assiste souvent à une renégociation des objectifs de transition énergétique avec le maître d’ouvrage lorsque ceux-ci étaient très ambitieux ou à l’implication d’un énergéticien qui prendra à ses frais une partie des installations concernant la production énergétique d’EnR&R. Un promoteur de Promogim précise :
« On n’est pas contre l’ensemble des éléments qui vont concourir au fait que les logements soient moins énergivores et soient moins carbonés. On est ravi, tout ce que l’on peut mettre en œuvre, on le met en œuvre, mais derrière, cela a des coûts importants, donc dans le bilan financier, évidemment …, c’est en ça que je dis que parfois on est obligé de hiérarchiser. Alors, là, le point de blocage dans la mise en œuvre, c'est le coût financier. » (Entretien promoteur, 23/03/2018)
39Lorsque le projet est accompagné par un énergéticien qui mettra en place à ses frais une production d’EnR&R en échange d’un contrat de gestion sur plusieurs années, l’installation retenue implique également des coûts de mise en œuvre supplémentaires pour les promoteurs. Ce coût, ajouté au coût de la construction, rend le montage financier des promoteurs alors plus fragile. Les promoteurs expriment ainsi une forte réticence face aux objectifs de la maîtrise d’ouvrage, en particulier dans le cas où il n’y a pas de proposition de la part d’un énergéticien et où ils doivent trouver eux-mêmes des solutions. Dans ce contexte, les promoteurs se replient sur d’autres types d’installations et de matériaux de construction et d’isolation qui vont avoir un impact financier important sur le montant de leur projet.
40Finalement, dans cette chaîne de la production de logements neufs, les maîtres d’ouvrage financent entre 5000 et 25000 euros des études et des conseils pour inscrire des prescriptions énergétiques dans le cahier des charges et l’étude d’approvisionnement en énergie renouvelable. Les urbanistes et les architectes modifient leurs pratiques mais celles-ci ont plutôt une tendance au gain de temps et donc n’impliquent pas de frais supplémentaires. Les coûts les plus importants à supporter reviennent finalement aux promoteurs qui concrétisent le projet et mettent en place les équipements et matériaux nécessaires. Ce surcoût relativement élevé, de l’ordre de 4 à 5% en moyenne du prix pour une construction, incombe alors au promoteur.
41Le cadre d’action fortement contraignant et rapidement mouvant a des effets en partie contre-productifs, non seulement coûteux mais jouant (parfois) au détriment des objectifs énergétiques des projets d’aménagement. Nous éclairerons cette dernière partie à partir de l’étude de cas sur projet Seine Aval sur la Boucle de Chanteloup. L’ambition de l’EPAMSA (Établissement public d’aménagement Seine Aval) est de développer trois gros projets : « l’Ecopôle, » zone d’activités jouxtant le futur port de Triel, la ZAC « Carrières Centralité » et le parc de l’herbe le long de la Seine reliant « Carrière Centralité » à « l’Ecopôle ».
42Le projet débute alors qu’il n’existe pas encore de PCAET sur l’intercommunalité. Toutefois, le porteur de projet de l’opération d’intérêt national de l’EPAMSA, présente une certaine sensibilité concernant la transition énergétique. Influencé par certains PCET qu’il a pu découvrir lors de son précédent poste, ce dernier préconise l’utilisation des ressources locales. Ce territoire est particulièrement intéressant puisqu’il est doté d’un certain potentiel énergétique avec l’usine de traitement de déchets AZALYS, la station de traitement d’eau du SIAAP géré par Véolia et des terres agricoles. Avant de lancer les appels d’offres pour les plans guides des opérations, l’établissement public a fait réaliser une « Étude d’approvisionnement énergie renouvelable ». Malgré la présence de ces ressources locales, cette étude a montré qu’un réseau de chaleur partant de l’unité de valorisation énergétique par incinération des déchets AZALYS à l’échelle de l’ensemble de l’opération n’était pas rentable d’une part en raison de la distance à parcourir pour accéder à Carrières Centralité, plus de trois kilomètres de long, d’autre part, compte tenu des temporalités du projet et donc du manque de rentabilité. Finalement, « l’Étude d’approvisionnement énergie renouvelable » n’a pas été utilisée comme élément stratégique de la part de l’EPAMSA impliquant un coût d’infrastructure trop élevé. La vision stratégique d’un modèle décentralisé et la récupération d’énergie issue de ressources locales promue par la commission européenne, mais également dans les PCAET, est mise à l’épreuve lors de la concrétisation de ce type d’infrastructure.
« On a regardé tout ce qu’il y avait autour avant de choisir cette solution biomasse pour ces 850 logements, on a fait un peu l’inventaire de ce qu’il y avait, notamment l’usine de déchet. Cette solution n’était pas viable, il y a 2,5km à 1000 euros du mètre, vous êtes déjà à 2 millions d’euros d’investissement, alors que vous n’avez pas de débouchés de chaleur derrière. Derrière vous avez quoi, du logement très basse consommation, donc ce n’est pas rentable. » (Entretien énergéticien d’une société de services énergétiques, 03/04/2018).
43Dans ce contexte urbain, le prix du foncier est une des raisons explicatives de la difficulté du maître d’ouvrage à se lancer dans le choix d’une infrastructure aussi coûteuse. En effet, dans ce quartier situé en deuxième couronne francilienne non desservi par une gare, les prix de vente des biens immobiliers sont en lien avec ceux du marché. La répercussion du coût de l’infrastructure sur le montage d’opération ne permet pas d’atteindre des prix fonciers suffisamment attractifs pour les promoteurs.
44Le choix de localisation du projet par rapport à la ressource énergétique locale, la densité de population du projet et la compacité de la forme urbaine sont déterminants dans la capacité du maître d’ouvrage à mettre en œuvre la transition énergétique. Les solutions technologiques ne seront pas les mêmes selon la forme urbaine et la densité de population. En zone peu dense, les solutions d’infrastructure lourde, comme, par exemple, les réseaux de chaleur permettant d’atteindre des objectifs ambitieux en termes de production d’EnR, se trouvent inopérantes. En effet, étendre un réseau de chaleur en zone peu dense n’est pas rentable dans le cadre de la construction de logements, en raison de la faible densité mais aussi en raison de l’isolation performante du neuf imposée par les réglementations thermiques.
« Quand je vois un aménageur et qu’il m’explique son programme je peux être extrêmement perturbant car je dis « densifiez à mort vos logements ou vos bâtiments tertiaires, pour limiter les distances de réseau et optimiser le coût de l’énergie. Si vous avez un coût final de l’énergie qui est franchement au-dessus du coût de l’électricité, ça n’a pas de sens. Que vous soyez plus chers que le gaz, ça a du sens car vous passez en énergie renouvelable, ça peut se concevoir, mais si vous êtes plus cher que l’électricité ça n’a pas de sens, donc, ça c’est important de comprendre ça. » - (Entretien énergéticien d’une société de services énergétiques, 06/04/2018)
45Les temporalités de réalisation des projets urbains sont souvent très longues et les opérations se construisent par lot, rendant déficitaire et inadaptée la mise en place d’une installation de réseau de chauffage pendant quasiment 4 ans en moyenne, voire plus lors de contentieux. L’un des directeurs territoriaux pour EDF collectivité précise à ce sujet : « Le deuxième souci des réseaux, c’est, à part la densité, la réalisation de la zone d’aménagement dans le temps. Si vous avez 1000 logements qui vont se réaliser dans le temps en 4 phases, vous savez, votre solution réseau est morte. […] Le phasage est vraiment fondamental dans l’analyse de réalisation des réseaux. »
« Une des particularités de notre activité à laquelle on se heurte, c'est que le développement d'une opération dure minimum 36 mois, voire, même 48. Entre le moment où on décide d'acheter le terrain et celui où on livre le bâtiment, on a quand même cette inertie temporelle qui fait que bien souvent on livre le programme avec des décisions technologiques qui ont été prises, trois ans auparavant, parce qu'il faut bien décider de choses par rapport à une connaissance des techniques du moment et je veux dire c'est quasiment désuet. » (Entretien énergéticien d’une société de services énergétiques, 03/04/2018).
- 8 Ce combustible a un pouvoir calorifique élevé, ce qui optimise la consommation de chauffage. Déchet (...)
46Une fois les promoteurs retenus, le constat est unanime, la mise en place de panneaux photovoltaïques ou/et de panneaux solaires ne sera pas suffisante pour atteindre la production de 60% d’EnR&R attendue dans le cahier des charges. Le responsable du projet urbain de l’OIN, est approché par un énergéticien qui propose comme solution une chaufferie collective, dont le combustible est le bois de pellet8, pour le noyau urbain le plus dense. C’est ainsi qu’Arc Promotions, Nexity, Promogim, Semiic Promotion se sont associés à Dalkia. Ce « réseau de chaleur biomasse privé » tel qu’il est évoqué dans les brochures, alimentera les 700 premiers logements du quartier Beauregard représentant sept copropriétés, quatre bailleurs sociaux et un groupe scolaire. L’objectif est de produire en commun 70% d'énergies renouvelables par le biais du réseau privé. Cette solution de production d’EnR est, en revanche, prise après la réalisation du plan guide. L’intégration de l’infrastructure dans les îlots concernés est techniquement impossible compte tenu de la composition spatiale du projet. Après de longues réflexions et négociations avec les promoteurs, un promoteur accepte finalement de construire la chaudière sous son bâtiment. Les promoteurs se répartissent la prise en charge du local technique et l’énergéticien prend en charge l’infrastructure et son installation pour investissement de 1 500 000 euros. Ce dernier aura la concession de l’infrastructure sur 25 ans et recevra donc les montants des factures de chaque foyer pour sa consommation de chaleur. Le fait que le projet n’ait pas été pensé en amont a été un obstacle difficile et coûteux à dépasser. Aujourd’hui à Carrières Centralité, seul l’îlot Beauregard a été réalisé et le phasage des prochains lots est encore peu défini. La production d’énergie renouvelable supérieure aux objectifs fixés de 60% permet aux promoteurs ayant participé à la mise en place de la chaudière de diminuer leur production d’EnR à 40%, 50% sur les autres lots. Néanmoins, les promoteurs n’ont pas encore trouvé de solution pour atteindre l’objectif fixé pour l’ensemble de la ZAC et la maîtrise d’ouvrage craint de devoir revoir à la baisse ses objectifs.
« Carrières-sous-Poissy, ça a été intéressant dans la démarche, car au départ on a pu répondre, alors, en fait euhh, j’avais rencontré Denis, euuhhh, il vous a peut-être déjà raconté l’histoire et je lui parlai de réseau. Il se trouve que Denis avait l’expérience de Lyon Confluence, donc avait lui aussi eu cette idée à l’époque et n’avait pas réussi à la vendre aux promoteurs. Je lui ai dit, ben écoute je vais regarder ton éco-quartier de 2000 logements et puis on va faire une pré-étude de faisabilité et on te dira les choses clairement. Et c’est ce qu’on a fait et on lui a dit, écoute Denis, tu as 2000 logements complètement éparpillés sur ton éco-quartier, avec du logement individuel, donc la solution n’est pas viable, parce que trop coûteuse au final. La seule solution, parce qu’il avait un objectif, était qu’il impose aux promoteurs un objectif de 60% d’ENR. Alors, on lui a dit, écoute la seule solution c’est de faire plus de 60 % sur 850 logements ce qui permet aux promoteurs de dégrader un peu sur le reste et d’atteindre au global 60%. Et c’est ce qu’on a fait. » (Entretien énergéticien d’une société de services énergétiques, 03/04/2018).
47La construction de logements neufs se réalise en plusieurs phases. Cette temporalité de construction, très étalée sur trois ou quatre ans, est un élément de compréhension de la difficile mise en place de la transition énergétique. La temporalité d’un projet urbain au regard du calendrier resserré des changements de normes et des aides financières oblige les promoteurs à changer plusieurs fois les solutions technologiques.
« Attention, on était même en RT2005 à l'époque. Ah oui, donc on a basculé donc on a débuté..., parce qu’aller vendre en 2018 de la RT2005, faut être fou, donc déjà, bon, RT2012 à ce jour. Oui, donc on a remis tout et c'est comme ça qu'on est passé de la micro-cogénération à.… parce que vous voyez, y a 5-6 ans en arrière, le photovoltaïque en autoconsommé, plus la thermodynamique, ce n’était pas encore dans les tuyaux » (Entretien énergéticien d’une société de services énergétiques, 03/04/2018).
48Ces évolutions des lois et des réglementations impliquent le changement rapide de technologies et donc la permanente difficulté de leur mise en œuvre lorsqu’elles sont nouvelles. Des jurisprudences doivent être inventées lorsque l’équipement dessert plusieurs immeubles, mais aussi des montages économiques. Les nouvelles technologies, toujours plus performantes afin de répondre aux objectifs d’une réglementation toujours plus exigeante, s'enchaînent et empêchent de bénéficier du retour d’expérience des installations précédentes. Ceci explique la réticence des promoteurs à répondre aux ambitions des maîtres d’ouvrage lorsqu’elles sont supérieures à celles des réglementations en vigueur. Enfin, la faible connaissance des sujets énergétiques des collectivités ne facilite pas leurs relations avec les promoteurs et les pousse parfois à s’entourer d’un bureau d’étude spécialisé en énergie ou d’un énergéticien. Ces problèmes de temporalités se traduisent évidemment par des répercussions financières.
49Bloqué pendant trois ans en raison d’une procédure juridique avec le propriétaire du Leclerc présent sur le territoire d’intervention, le projet a pris beaucoup de retard. Débutées dans les années 2010, les constructions sont alors sujettes à la RT 2005, puis à la RT 2012 et finalement doivent anticiper la RE 2018/20. Les constructions neuves répondant aux niveaux d’isolation imposés par la RT 2012 ont un besoin de chaleur moindre que celui des bâtiments des années 70/80/90. Ce faible besoin, cumulé à la faible densité du territoire, a rendu de moins en moins rentable l’installation d’un réseau de chaleur. Les promoteurs au cours du projet ont alors dû changer, à chaque changement de réglementation, certaines de leurs installations.
50L’un des autres obstacles est l’évolution trop rapide des technologies. Cette évolution ne permet pas la standardisation des produits et donc la baisse du coût de l’équipement. Le manque de retour d’expérience empêche l’amélioration de l’installation technique et par conséquent la diminution des coûts de service après-vente.
« On n’a pas les bons produits, on a utilisé l’isolation extérieure et finalement on est revenu au système d’isolation par l’intérieur ; c’est tout simplement parce que les produits n’étaient pas satisfaisants, s’ils avaient été satisfaisants, on continuerait à les utiliser et puis plus ils auraient été utilisés, et donc moins chers, c’est le principe des écrans plasma. […] Non, mais souffler, ça veut dire amortir les coûts…Oui, le coût d’expérience, aussi. Et amortir le coût, c’est le généraliser. […] Enfin, concrètement, on n'a pas le temps d'avoir le retour d'expérience, et du coup, on n'a pas le temps d'amortir, ça nous coûte cher en réparation. » (Entretien promoteur, 02/07/2018)
51Dans cet équilibre financier, les architectes, mais aussi les promoteurs, expliquent qu’en cas de recherche d’économie, c’est essentiellement les matériaux, en particulier ceux de la façade, qui vont être modifiés ou les installations techniques. Ils se retrouvent ainsi pris en tension dans un choix paradoxal, investissant dans la transition énergétique en rognant sur la qualité des matériaux et donc la durabilité, la pérennité de la production urbaine.
« C'est-à-dire que si l'élément, qui serait par exemple un élément de transition énergétique, est un élément dont la fiabilité, la durabilité au niveau de la vie du matériau, est supérieure aux autres, on le prendra, même s’il nous coûte un peu plus cher, parce qu’il faut… Nous, on est dans un ensemble, comme je vous disais, le SAV, le bâtiment, le fait que la SCI ne soit pas fermée, font que… » (Entretien promoteur, 02/07/2018)
- 9 Entretien promoteur, 23/03/2018
52Enfin, un coût qui n’incombe pas directement aux promoteurs mais qui les préoccupe quant à leur réputation est celui des charges réelles de ces logements, car si la diminution des charges est souvent utilisée comme argument incitatif, dans les faits cela reste à démontrer. En effet, les prix d’entretiens rarement intégrés au calcul, l’absence de prise en compte de la volatilité du prix d’autres énergies comme le gaz, mais également la capacité des usagers à utiliser cette technologie souvent complexe sont autant de raisons qui expliquent un prix des charges plus élevé que dans un appartement classique. Pour atteindre ces économies, l’usager devrait, par ailleurs, radicalement changer ses pratiques, comme en témoigne par exemple l’utilisation des panneaux solaires, où pour atteindre une véritable économie, il faudrait utiliser son eau en journée et de préférence en été ; ou encore le suivi des prescriptions du temps d’ouverture des fenêtres afin de limiter les déperditions de chaleur, cadre dans lequel un fumeur ne peut plus ouvrir sa fenêtre pour fumer; ou également le niveau de température exigé dans les prescriptions afin de limiter la consommation de chauffage bien souvent en inadéquation avec les besoins de chacun. Un promoteur précise d’ailleurs, « On arrive à un tel niveau de technicité, j'ai encore visité une chaufferie collective, j'ai un peu l'impression qu'on donne une Ferrari à quelqu'un qui sort d'école de conduite et qui vient d'empocher son permis de conduire, il faut quasiment avoir bac plus 7 en informatique pour les régulations. Et donc j'insiste moi sur le fait de faire des choses simples »9. Ce lien entre exploitants et usagers mériterait d’être creusé davantage, ainsi que l’appropriation de ces technologies par les usagers.
53Les promoteurs partagent également leur scepticisme quant à ces solutions de mix énergétique, soulignant l’incertitude de leur maintien dans le temps long et l’inexistence d’enquête de contrôle sur ce mix. Le risque, selon eux, est que la société de service opte pour une utilisation plus importante que prévue du gaz (solution moins onéreuse) au détriment des pellets de bois (plus onéreux). Enfin, l’arrivée de la RE 2018/2020 remet déjà en question cette solution de mix-énergétique, puisque l’incinération des pellets bois émet des émissions de CO2.
54En outre, de manière générale, même quand les technologies sont mises en place, les niveaux de performance ne sont pas atteints. Les promoteurs sont d’ailleurs assez frileux à l’idée de se faire labelliser, craignant ensuite les recours des habitants. Ces derniers se retournent contre les promoteurs car leur logement ne répond pas aux réglementations puisque les labels sont délivrés à partir de la performance du bâtiment dans sa globalité et non logement par logement.
55Finalement, l’idée qu’un immeuble vertueux sur le plan environnemental, grâce à une meilleure performance énergétique et une production énergétique, fasse baisser le niveau des charges liées au coût de l’énergie pour les usagers semble discutable. Le coût de construction est plus élevé pour ces immeubles responsables, de l'ordre de 4 % à 5 % en moyenne et certaines des innovations technologiques installées ne sont souvent pas utilisées car trop compliquées d’usage ou trop chères à entretenir. Cela ouvre de nouvelles pistes de réflexion sur la capacité d’appropriation de ces technologies par les habitants, les enjeux et le coût de leur entretien afin qu’elles perdurent dans le temps, ainsi que sur la nécessité de retour d’expériences de la réelle efficacité énergétique des réglementations imposées dans le bâtiment.
56En matière de climat et d’énergie en France, les débats nationaux sont les plus médiatisés et l’État est l’acteur public le plus exposé aux critiques. Celui-ci garde la mainmise sur les principaux outils fiscaux, réglementaires et financiers, et exerce un pouvoir à travers son actionnariat dans des groupes industriels hautement stratégiques (Enedis, Engie, SNCF). Son influence se traduit d’ailleurs jusqu’à l’échelle régionale, lors de la construction des SRCAE. Dans le cadre du SRCAE d’Île-de-France, malgré la décentralisation des compétences, l’État a maintenu un pilotage centralisé de l’action publique. Les acteurs locaux sont ainsi mobilisés pour décliner la stratégie nationale, l’État ayant neutralisé les contestations partisanes. Si la décentralisation des compétences énergétiques en France pouvait faire espérer la construction d’une politique de transition énergétique à l’échelle locale et une territorialisation urbaine du système énergétique, les intercommunalités, même des plus engagées, éprouvent des difficultés à faire de la transition énergétique une priorité politique. Les PCAET agissent principalement sur le volet d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre, mais se saisissent moins efficacement de la production d’énergie, de l’action sur les infrastructures et de la planification territoriale. L’essentiel des perspectives de réductions des émissions de gaz à effet de serre résulte des actions sur les consommations d’énergie (isolation et transports) et de l’action incitatrice des collectivités. Lorsqu’ils ne sont pas portés politiquement, la majorité des PCAET produits par les bureaux d’étude sont décontextualisés des enjeux locaux du territoire. Dans le cas où le PACET est porté politiquement, il n’est alors pas une simple traduction (Callon, 1986) quantitative des SRCAE. Le service climat se saisit généralement de son rôle d’animateur pour inciter d’autres services ou institutions à intégrer dans leur projet des enjeux climat-air-énergie. Faute d’être dotés de compétences en matière de production énergétique, les acteurs des plans climat étudiés agissent d’abord sur le développement de projets qui visent à faire du climat une question transversale. À l’échelle intercommunale, le domaine du logement est un gisement souvent investi. Les politiques publiques semblent faire la course au kWh dans le neuf et miser sur le financement public pour la rénovation.
57Le développement de projets s’incarne notamment à travers les projets d’aménagement urbains dans lesquels l’énergie est de plus en plus intégrée et fait l’objet de négociations et de choix sociopolitiques. A l’échelle du projet urbain, les choix énergétiques, longtemps laissés de côté par les aménageurs ou le maître d’ouvrage, font désormais l’objet de d’appropriation et d’arbitrage au sein de l’aménagement. L’aménageur impose des choix stratégiques de production énergétique aux promoteurs, par ailleurs, le logement neuf est régulé par l’Etat par une réglementation thermique nationale du bâtiment. Les aménageurs sont favorables aux règles et aux normes qui permettraient de mettre en œuvre la transition en imposant des contraintes qualitatives ou quantitatives aux promoteurs privés et réguleraient en quelque sorte les excès du marché en faveur de l’intérêt général. Les promoteurs, quant à eux, dans l’obligation d’appliquer la réglementation thermique et environnementale en plus de suivre le cahier des charges des aménageurs, sont peu enclins aux règles, considérant que la juxtaposition des contraintes techniques et économiques entraîne un certain nombre de dissonances. Les promoteurs perçoivent leur équilibre financier fragilisé par différents impératifs techniques. Le rapport de ces derniers avec les normes et les démarches résultant de la généralisation des enjeux liés au climat-air-énergie est souvent équivoque. Il repose, d’un côté, sur l’adhésion aux valeurs prônées et aux solutions mises en œuvre et, de l’autre, sur une critique, parfois virulente, d’un discours considéré comme déconnecté des réalités et de la normativité introduite par la mesure de la performance. L’évolution rapide des réglementations, des aides financières et des normes implique des changements permanents sur le choix des solutions technologiques ne permettant ni leur standardisation et leur diminution des coûts, ni le retour d’expérience de leur mise en œuvre.
58Enfin, derrière la critique des normes, des réglementations et des démarches se trouve celle de la place grandissante de l’ingénierie dans les projets. Poussé par la montée en puissance des enjeux de transition à travers la dimension technologique, le rôle des ingénieurs dans les bureaux d’étude spécialisés en développement durable et des énergéticiens, aux côtés des concepteurs et aménageurs, évolue vers celui de prescripteur de cahiers des charges et de solutions, c’est-à-dire de fins (résultats mesurables) et de moyens (solutions performantes au regard des indicateurs choisis). En effet, le simple rôle d’accompagnateur technique sur les choix effectués par l’aménageur et les concepteurs implique souvent des décisions trop tardives, plus coûteuses en temps et en argent, poussant désormais les aménageurs à avoir recours aux ingénieurs dans la phase la plus amont du projet.