1Les sociétés actuelles font face à des défis de taille et à des conséquences désastreuses (catastrophes naturelles plus violentes, perte de la biodiversité, raréfaction des ressources naturelles…). L’accentuation des dangers et la réduction de la marge de manœuvre exigent de revoir le modèle actuel et de recourir à des changements profonds.
2Afin de pallier les effets pervers du changement climatique et la violence des dérives écologiques, les solutions dites vertueuses prônant la préservation environnementale tout en garantissant la rentabilité économique gagnent du terrain. En effet, les discours prônant des approches de verdissement sont de plus en plus prégnants et ce, auprès de différents acteurs : société civile, citoyens, politiciens et acteurs économiques.
- 1 Audet, R. (2015). Le champ des sustainability transitions: origines, analyses et pratiques de reche (...)
3L’urgence de la situation écologique et la dangerosité de celle-ci (les menaces qui pèsent sur la planète et l’humanité) ont contribué à un engouement pour la transition énergétique. Ainsi, les projets en faveur de cette transition intéressent les gouvernements et sont de plus en plus intégrés aux politiques publiques. Ces derniers mettent en place des stratégies de valorisation des énergies renouvelables et des technologies propres en recourant à de multiples mécanismes (tels que des incitations économiques, fiscales et réglementaires).1
4S’inscrivant dans ce sens, on assiste à l’essor de pratiques appelant au verdissement du système, à l’atténuation des dérives de l’économie brune, à la sobriété en carbone et à l’encouragement de mécanismes plus propres et durables.
5Si pour certains, un tel passage garantit la préservation de l’environnement et permet de mettre fin aux maux de tous genres, pour d’autres il ne s’agit que d’un leurre voire un alibi pour permettre de perpétuer les dérives en ayant bonne conscience (la primauté des considérations économiques et des relations de pouvoir).
6Ces pratiques se voulant vertueuses et durables, le sont-elles vraiment ? Que se cache-t-il réellement derrière les énergies renouvelables? Ces dernières peuvent-elles causer des risques sanitaires, sociaux, environnementaux et spatiaux?
7Autrement dit, la volonté de verdissement des pratiques et la lutte menée afin d’insuffler une logique durable ne cachent-elles pas des effets néfastes et des comportements à risque ? Les solutions présentées comme à même de résoudre les dérives ne reproduisent-elles pas les menaces qu’elles visent à contrer ?
8Cet article va s’intéresser particulièrement à l’analyse des énergies renouvelables et aux dérives qui peuvent en découler. Dans un premier temps, nous allons comprendre comment et pourquoi celles-ci connaissent une expansion mondiale, nous allons par la suite mettre la lumière sur les dérives plurielles (sécuritaires, sanitaires et même écologiques pouvant apparaître du fait de l’adoption des énergies renouvelables). Une attention particulière sera accordée à la dimension spatiale et aux mouvements de résistance locale menés contre l’expansion des parcs éoliens.
9Avant de s’atteler à l’analyse critique de la transition énergétique en général et des énergies renouvelables en particulier, il faut tout d’abord comprendre pourquoi une telle transition est en cours. Face aux dérives écologiques et aux dangers qui pèsent sur la planète et l’humanité, le recours à une rupture avec le modèle dévastateur s’impose. En effet, la prise de conscience écologique s’est traduite par une volonté de transition et une nécessité de recourir à des changements.
10Afin de résoudre les problèmes liés à la raréfaction des ressources énergétiques, l’accroissement de la demande énergétique et les dangers provoqués par un système ravageur, la transition énergétique est présentée comme la solution à adopter et celle à même de garantir la réduction des dommages tout en garantissant une croissance durable.
- 2 Huber, J. (2008). Pioneer countries and the global diffusion of environmental innovations: Theses f (...)
11Ainsi, elle apparaît comme une solution à même : de rompre avec les ravages d’un modèle basé sur les énergies fossiles, de concilier dynamisme économique et d’estomper les limites écologiques. Comme le souligne Joseph Hube (2008), la modernisation écologique est basée sur une stratégie hyper-rationnelle. Selon cet auteur, elle est à même de faire face aux failles écologiques des pratiques de production et de consommation.2
12S’inscrivant dans ce sens, la transition appelle à l’intégration d’une approche technoscientifique (à travers le recours aux technologies propres et aux énergies renouvelables) et ce, afin de résoudre les défis contemporains, géopolitiques, économiques, sociaux (notamment, la dépendance des marchés asiatiques, les pressions exercées par les lobbies, l’écart entre les réserves d’énergie et la consommation énergétique)et d’intégrer de nouveaux enjeux (le déploiement de nouvelles solutions et technologies et les inégalités entre les pays).
- 3 Boudes, P. (2017). Changement social et écologie: où en est la modernisation écologique?. Socio-log (...)
13En adoptant une telle logique, il est question non seulement de mettre fin aux maux mais également de garantir une croissance vertueuse et durable. Pour Memon et al (2011) : « les risques engendrés par la production de biens et de services peuvent être minimisés, sinon totalement évités, grâce à la modernisation technologique et managériale.»3
14Les vertus de la transition énergétiques sont jugées par ces partisans comme multiples. Selon eux, elle permet d’atteindre un difficile équilibre. Ainsi, elle contribue à contrer les dérives et les préjudices environnementaux tout en satisfaisant les impératifs économiques et sociaux. Autrement dit, selon eux, elle ne se limite pas à la préservation de l’environnement, elle permet également de créer des emplois et de générer de la richesse du fait du dynamisme des marchés.
- 4 Mol, A. P., & Spaargaren, G. (2000). Ecological modernisation theory in debate: a review. Environme (...)
15Comme le soulignent (Mol et Spaargaren, 2000), la modernisation écologique marque une rupture avec l’approche traditionnelle. Dans ce sens, elle propose une réorientation fondamentale du champ afin de prendre en compte les processus par lesquels la dégradation environnementale est non seulement interrompue mais inversée (Mol et Spaargaren, 2000).4
16Les stratégies adoptées appellent à une lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, à une utilisation plus rationnelle des énergies et des ressources et aux recours aux technologies vertes (solaires, éoliennes….). Les maîtres mots sont l’innovation verte, la résilience, la réconciliation de l’équité sociale et l’équité environnementale. Cependant, il faut souligner qu’une telle transition n’est pas neutre et cache des effets néfastes qu’il faut mettre en évidence.
17La transition énergétique est présentée comme une solution à même de résoudre les défis actuels.Si,les avantages tirés de celle-ci sont connus, les dérives plurielles liées à son adoption sont très peu mises en avant. L’objectif des paragraphes suivants est de mettre la lumière sur les dérives plurielles découlant de la transition énergétique en général et des énergies renouvelables en particulier (en accordant une attention particulière à l’énergie éolienne).
18Les énergies propres gagnent du terrain, comme en témoigne la prolifération des projets à l’instar des parcs éoliens et des centrales solaires. Cette expansion est justifiée par de multiples avantages pouvant être tirés. Cependant, il ne faut pas occulter une face plus sombre, qui renvoie à des failles non négligeables.
19Plusieurs pays de l’union européenne les intègrent à leurs politiques (certains sont même des pionniers au niveau mondial à l’instar des pays scandinaves), d’autres sont considérés comme plutôt retardataires. En effet, l’analyse de l’expansion des énergies renouvelables démontre l’existence de disparités entre les différents pays (certains se trouvent dans la phase d’initialisation des projets et de lancement de parcs quand d’autres au contraire recourent d’ores et déjà à la modernisation de telles structures comme le Danemark par exemple).
20Dans cette course poursuite contre le changement climatique et la volonté de déploiement des énergies renouvelables, les pays adoptent des positions variées. Ainsi, l’expérience allemande a accordé une importance particulière à l’amélioration énergétique. En effet il est question d’accroissement de la production électrique issue des énergies propres et ce, en se basant sur une politique volontariste de soutien aux énergies renouvelables sous forme de tarifs d’achats.
21La France a mis en place un ensemble de mesures et de mécanismes (Grenelle de l’environnement et la loi pour la transition environnementale….). Ainsi, la loi relative à la transition énergétique et pour la croissance verte (publiée 18 août 2015) vise la lutte contre le dérèglement climatique et exprime la volonté de développement des énergies renouvelables. Elle se fixe des objectifs ambitieux dont (réduire de 40 % des émissions de gaz à effet de serre en 2030 et baisser à 50 % la part du nucléaire dans la production d’électricité à horizon 2025).Ainsi, la France tend vers le dédoublement de la capacité installée de la filière éolienne et ce, à l’horizon 2028 et le quadruplement de la capacité photovoltaïque, autour de 40 GW (Bilan prévisionnel de l’offre-demande en France, Edition 2021).
22Le pays affirme ainsi, sa volonté de déploiement des éoliennes (aussi bien terrestres que maritimes) et également le développement des capacités solaires photovoltaïques. Cependant, le développement des énergies renouvelables est jugé comme plus lent et hésitent que d’autres pays, scandinaves en l’occurrence (Chataignier et Jobert, 2003).
23En effet, il faut souligner que les rythmes de développement sont insuffisants pour l’atteinte des objectifs intermédiaires fixés par la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) pour 2023, notamment pour l’énergie solaire (Bilan prévisionnel de l’équilibre offre-demande d’électricité en France, Edition 2021).
24Les considérations économiques (une réelle viabilité économique) et écologiques (la volonté de préservation de l’environnement) contribuent à l’expansion de projets en faveur des énergies renouvelables à échelle mondiale. Si de tels projets bénéficient d’un réel soutien financier et institutionnel dans plusieurs pays, il faut néanmoins souligner que de réelles menaces existent. Ces dangers sont pluriels et comportent des répercussions sur les dimensions spatiales, économiques, politiques et même environnementales.
25Le développement des énergies renouvelables soulève des points particulièrement problématiques, à savoir : la disponibilité des métaux critiques (notamment, les terres rares). Ce point renvoie également à celui de la volatilité des cours et la hausse de la demande des métaux rares.
26Du fait de la concentration limitée de ces métaux dans certaines zones, il est question de dépendance aux marchés asiatiques (voire de quasi monopole : l’exemple de la Chine), notamment en matière d’approvisionnement en ces dits métaux et de production des cellules photovoltaïques et des éoliennes.
27Il semble ainsi que la transition énergétique en général et le déploiement des énergies renouvelables en particulier entraine une accentuation de la demande des métaux (notamment, le lithium, le cobalt, le nickel). En effet, des métaux comme lanthanides, l’yttrium le scandium et d’autres minerais sont sollicités par la transition énergétique (aussi bien dans le cadre de la fabrication des batteries des véhicules électriques que pour celle des panneaux solaires et les éoliennes). Un autre point est à souligner à savoir, celui de la question des déchets issus de telles installations. Autrement dit, que faire de ces infrastructures en cas de modernisations des parcs ?
- 5 Ackermann, T., & Söder, L. (2000). Wind energy technology and current status: a review. Renewable a (...)
28La fabrication des parcs éoliens et des centrales solaires est loin d’être neutre énergétiquement (autrement dit, la production, le transport et l’installation des turbines produisent des émissions).5
29L’essor des énergies renouvelables renvoie à la question des transformations spatiales et la question de l’acceptabilité des structures. De telles implantations sont particulièrement polémiques. En effet, la localisation de celles-ci dans certains espaces sensibles ou à proximité des zones d’habitation et de zones dédiées aux activités touristiques et agricoles déclenche des oppositions et de fortes résistances.
30Prenons l’exemple de l’énergie éolienne, cette dernière a connu un développement rapide. Le dynamisme de celle-ci est expliqué en partie suite au choc pétrolier, à l’accentuation des dérives des énergies fossiles et aux incitations financières (notamment, les déductions fiscales accordées aux investissements dans ce secteur).Cependant, les problèmes liés à l’énergie éolienne sont nombreux et revêtent diverses formes.
31L’expansion des parcs éoliens est renforcée par les régimes de soutien et les considérations environnementales. Néanmoins, l’implantation de telles structures n’est pas forcément la bienvenue dans certains espaces.
32La production d’électricité issue des énergies renouvelables fait face aux problèmes de l’adaptation du système : les transformations du système énergétique aussi bien au niveau de la phase de production, de transport, de distribution et de stockage ( ce point est soulevé dans le cas d’énergie excédentaire et par conséquent, il est nécessaire de penser la proximité des postes de transformation et de raccordement au réseau) et de l’intermittence et ce, afin de faire face aux fluctuations et aux aléas météorologiques (notamment, la dépendance de la disponibilité du vent et de l’ensoleillement et des variabilités journalières).
33Les études menées font ressortir une multitude de nuisances pouvant justifiées les oppositions des riverains. Ainsi, l’implantation de telles structures génère des nuisances sonores (les risques voire les dangers sanitaires), esthétiques (les interférences avec les zones naturelles, l’intrusion visuelle et la détérioration des valeurs pittoresques), les dangers sur la faune et la flore (les accidents auxquels sont exposés les oiseaux, les impacts sur les flux migratoires de ces derniers et les déséquilibres écologiques comme le déboisement), économiques (la dépréciation foncière des constructions à proximité et la dégradation de l’image de certains produits du terroir et certains labels AOC ). Ces nuisances entrainent un climat de crainte qui se manifeste par des réticences, un rejet voire de vifs conflits.
34A présent, nous allons nous intéresser de plus près aux dérives sanitaires et sécuritaires pouvant découler de telles structures. L’analyse de la littérature scientifique internationale fait ressortir les répercussions des bruits, des infrasons et sons à basse fréquence, les effets stroboscopiques sur la santé.
- 6 Simos, J., Cantoreggi, N., Christie, D., & Forbat, J. (2019). Éoliennes et santé: revue de littérat (...)
35En effet, les préoccupations sanitaires découlant de l’énergie éolienne ne peuvent être ignorées. La question des risques pesant sur la population se trouvant à proximité de telles structures ne peut être occultée. Comment s’y retrouver entre les effets positifs de l’énergie éolienne et les éventuels risques et dangers sur la santé des riverains.6
- 7 Rideout, K., Copes, R., & Bos, C. (2010). Éoliennes et santé. Centre de collaboration nationale en (...)
36Si certains considèrent que les nuisances sonores ne constituent pas un réel risque d’endommagement de l’ouïe, il faut tout de même mener des études afin de démontrer les effets à long terme sur la santé découlant d’une exposition prolongée à de telles nuisances et les répercussions sur la physiologie du sommeil.7
- 8 Rideout, K., Copes, R., & Bos, C. (2010). Éoliennes et santé. Centre de collaboration nationale en (...)
37Il faut également souligner les risques routiers pouvant être causés par les effets stroboscopiques. En effet, il s’agit d’ombres mouvantes qui du fait des projections au sol risquent d’entrainer des perturbations pour les conducteurs et par conséquent, provoquer des accidents.8
38Un autre danger réside dans les projections de glace formées sur les éoliennes. En effet, du fait des conditions météorologiques difficiles (le froid, le brouillard et les précipitations) se forment de la glace sur la structure. Le détachement des fragments constitue des risques potentiels aussi bien pour les riverains que pour le personnel des parcs éoliens.
- 9 Simos, J., Cantoreggi, N., Christie, D., & Forbat, J. (2019). Éoliennes et santé: revue de littérat (...)
39En plus des risques sécuritaires, il existe également des répercussions économiques, à savoir : des impacts sur le prix du foncier (la dépréciation foncière des habitations se trouvant à proximité de telles structures) et des répercussions sur l’attractivité touristique voire l’image de certains produits et labels exemple des appellations AOC.9
- 10 Chaumel, J. L., Giraud, L., & Ilinca, A. (2014). Secteur éolien: risques en santé et en sécurité au (...)
40En plus des risques et des dangers qui apparaissent dans le cadre de proximité avec les zones d’habitation, d’autres risques existent. Il est question, des risques pour les travailleurs dans ce secteur. L’étude menée par (Jean-Louis CHAUMEL, Laurent GIRAUD, et Adrian ILINCA, 2014) souligne la forte croissance que connaît l’énergie éolienne. Cependant, les risques sécuritaires et sanitaires auxquels sont exposés les travailleurs ne peuvent être négligés. En effet, ces derniers se trouvent confrontés à de multiples dangers, dont : les accidents du travail tels que les chutes du fait du travail en hauteur, les risques électriques liés aux circuits de puissance ou aux circuits de commande, les collisions avec des objets. Ces incidents peuvent apparaître au niveau des différentes phases : construction, exploitation, entretien…10
41Après avoir mis l’accent sur les énergies éoliennes terrestres, nous allons nous intéresser à présent à l’énergie offshore. Les énergies marines renouvelables basées sur les énergies des vagues des courants, les énergies thermiques des mers, la biomasse marine, les biofuels connaissent un essor. Ce dynamisme est illustré par le déploiement de multiples structures comme : Alpha Ventus en Allemagne, ZEPHIR en Espagne, Poseidon en Danemark, SWAY en Norvège…
42L’éolien offshore est présenté comme une solution ayant un potentiel énergétique plus important, matérialisé par un accès à des gisements de vent côtiers forts et réguliers, des turbulences moindres et à moins d’obstacles en comparaison avec l’éolien terrestre. Par conséquent, la production issue de l’éolien offshore est considérée comme plus stable. Cependant, des incidences de différentes natures constituent des obstacles à son déploiement.
43En effet, comme le souligne (ALEXANDER, 2013), les parcs éoliens en mer représentent des répercussions sur moult aspects : les activités de pêche, le transport et la navigation, les loisirs nautiques, le tourisme balnéaire, les ressources halieutiques, la circulation maritime et la difficulté d’accès aux zones d’accueil de telles infrastructures… Il faut également préciser que l’éolien offshore exige de lourds d’investissements dus essentiellement aux coûts d’installation et de maintenance.
44Si, des efforts sont fournis pour pallier aux risques sanitaires et sécuritaires (notamment, le respect de marges de recul et des lignes directrices sur le fonctionnement), l’emplacement de telles structures reste problématique. L’implantation des parcs éoliens (des projets offshores ou terrestres) pose la question de l’acceptation sociale. En effet, ces structures ont des incidences et des impacts qui ne sont pas négligeables.
45Dans un contexte de réduction de plus en plus visible des espaces, serions-nous amené à faire un choix? Si oui, qui aura la priorité entre la protection des sites naturels emblématiques, des architectures patrimoniales, des impératifs de production alimentaire, sanitaires, sécuritaires et énergétiques ?
46Comment s’y retrouver ? En cherchant à protéger l’environnement et à réduire les effets dévastateurs des énergies brunes, il faut faire attention à ne pas tomber dans les conséquences opposées (à savoir, défigurer et dégrader les espaces, brader des richesses tout aussi importantes historiques, culturelles, sociales et identitaires).
47Les territoires ont une valeur symbolique, culturelle, historique et patrimoniale qui ne peut être réduite à de simples considérations économiques. S’inscrivant dans ce sens, l’usage fait de ces territoires implique des modifications pouvant être irréversibles. Comme le souligne DUNCAN, les transformations des paysages entraînent un risque de mise en péril des équilibres locaux, à diverses échelles. Autrement dit, la question d’artificialisation des paysages voire des destructions de celui-ci.
48Selon lui, les paysages se caractérisent par la complexité. Il les définit comme des « productions culturelles et des systèmes symboliques complexes dont la signification est l’objet de luttes et de contestations sociales. » (Duncan et Duncan, 2001). Ces propos renvoient à la valeur symbolique du territoire. Il apparait donc, que la question des paysages est plurielle (paysage social, économique, culturel et patrimonial et l’atteinte de celui-ci entraine des bouleversements des équilibres territoriaux).
- 11 Gueorguieva-Faye, D. (2006). Le problème de l'acceptation des éoliennes dans les campagnes français (...)
49Ainsi, la question spatiale revêt une importance capitale. Dans un cadre de raréfaction des terres du fait d’une pluralité de facteurs (dont l’urbanisation accrue), la question de choix s’impose. Quels sont les motifs et les raisons de tels choix ? Quel usage donné à ces espaces, faut-il les dédier aux cultures vivrières, aux cultures destinées à la production de biocarburants, la production de l’énergie solaire et éolienne. Dans ce cas, il s’agit d’un réel dilemme entre la volonté de faire face aux fléaux des effets de gaz à effet serre et du changement climatique et le grignotage du paysage rural.11
50L’un des défis cruciaux auquel fait face le développement des énergies renouvelables est celui des perceptions négatives des riverains. En effet, des études soulignent les mouvements de résistance locale déclenchés par ces derniers. Il faut tout de même souligner que les motifs à l’origine de telles oppositions sont très variés. Comment expliquer de telles divergences, d’autant plus que dans certains pays de telles infrastructures semblent faire l’objet d’une acceptation sociale (notamment, les pays nordiques). Ceci nous amène à nous interroger sur cette question et à démontrer les facteurs explicatifs de tels comportements.
51Si, la volonté de préservation de l’environnement est revendiquée, le refus et le rejet de telles structures à proximité de zones d’habitation sont de plus en plus catégoriques. Dans ce cas, il s’agit bel et bien d’une situation paradoxale.
52S’agit-il d’une opposition traduite par des mouvements de résistance locale du fait de l’emplacement dans un espace précis ou d’une forme d’opposition au secteur des énergies renouvelables en général ?
53En effet, les habitants même les plus soucieux de la question environnementale développent des comportements qui s’inscrivent dans le mouvement Not-In-MyBackyard (NIMBY). Sur quelle base les impacts sont considérés comme acceptables ou inacceptables ?
54La question de l’aménagement territorial s’impose, il faut souligner que les sites privilégiés pour l’implantation de telles structures doivent disposer d’un ensemble de facteurs dont : un espace venté et la proximité des réseaux électriques (les lignes à haute tension) pour faciliter la revente de la ressource produite. Outre les répercussions directes (sanitaires, environnementales et politiques), l’implantation de structures telles que les parcs éoliens et les centrales solaires renvoient à la question d’occupation d’espaces.
55Dans ce cas, il existe un réel paradoxe entre l’objectif de préservation de l’environnement et les répercussions découlant de structures supposées le garantir. En s’intéressant à la question des résistances des habitants à proximité de telles structures, il est impératif de s’intéresser aux mouvements NYMBY et NIABY (not in any back yard).
- 12 Wolsink, M. (2000). Wind power and the NIMBY-myth: institutional capacity and the limited significa (...)
56Il est donc nécessaire de distinguer deux situations différentes : l’opposition qui s’inscrit dans le cadre du mouvement NIMBY, qui renvoie à une opposition de l’emplacement dans un espace donnée12 du fait des atteintes aux caractéristiques identitaires, symboliques, économiques et à la qualité paysagère et du refus catégorique (NIABY) et donc, le rejet des conséquences générales des énergies renouvelables.
57Il faut souligner que NIMBY est taxée de mouvement égoïste conditionné principalement par des motivations et des préoccupations individuelles. Tandis que pour le cas de NIABY, le refus est plutôt généralisé. Il renvoie à des objections plus universelles que celles du syndrome NIMBY.
58L’analyse de l’opposition de l’installation de telles structures auprès de zones d’habitation et de zones dédiées à des activités touristiques et commerciales fait ressortir plusieurs points :
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La confrontation entre l’intérêt général et l’intérêt individuel. Autrement dit, la préservation de l’environnement et les supposés inconvénients voire nuisances auxquels seront confrontés certaines populations (économiques, sanitaires, esthétiques…) au nom de cette dite préservation.
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La confrontation de conceptions différentes de l’espace et l’hétérogénéité des intérêts des acteurs : les investisseurs et les sociétés privées de production de l’électricité considèrent cet espace comme un support à l’activité économique, les citoyens y voient un espace résidentiel et récréatif (la dimension patrimoniale, identitaire, culturelle et paysagère), les agriculteurs le voient comme un espace dédié aux activités agricoles, les aménageurs et les acteurs publics comme un espace à aménager…
- 13 Caron, A., & Torre, A. (2002). Les conflits d’usages dans les espaces ruraux. Une analyse économiqu (...)
59Comme le soulignent (Torre et Caron, 2002)13, le conflit reflète une tension révélée par la proximité géographique d’acteurs aux points de vue et/ou intérêts divergents quant à l’usage ou l’aménagement de l’espace. Dans ce cas, il s’agit des conflits d’usages entre les différentes parties prenantes, aux conceptions très disparates.
60Pour palier les blocages s’opposant à l’installation dans un espace donné, certains auteurs appellent à la nécessité de recourir à l’instauration d’un cadre participatif, à la planification et à la participation locale, aux modes de collaboration décisionnelle en tenant compte des multiples parties prenantes. Tandis que dans le cadre de NIABY, la question est plus complexe et tentaculaire puisqu’il s’agit d’un refus généralisé.
61Le refus manifesté par les riverains et les acteurs économiques voire dans certains cas (la société civile) est plus complexe qu’il ne le paraît. Les revendications sont marquées par une nature hétérogène : justifiées par des perceptions de risques, de menaces sur la santé…
62En effet, il questionne le lien entre l’utilité publique et les intérêts individuels, des facteurs idéologiques (tels que l’acceptation de la technologie en général ou le refus d’une technologie précise), des facteurs économiques les (incidences économiques et la question de compensations ou de retombées économiques), des facteurs politiques (la participation au processus de planification et à la prise de décision, l’accès aux informations et la qualité communicationnelle Krohn et Damborg, 1999 ; Maillebouis,2003a ; O'Bryant, 2002 ; Zoll, 2001) et également, aux facteurs comportementaux et identitaires.
- 14 Chataignier, S. & Jobert, A. (2003). Des éoliennes dans le terroir. Enquête sur « l'inacceptabilité (...)
63L’acceptation sociale est conditionnée par de multiples facteurs dont : les caractéristiques et les spécificités de l’emplacement, la géographie locale, les acteurs locaux et le processus de planification et l’intégration des parties prenantes. En effet, les résistances sont d’autant plus fortes dans un cadre d’absence de consultation et de coordination entre les différents acteurs, de carences d’information, d’opacité et de manque de transparence.14
- 15 Deshaies, M. (2015). Énergies renouvelables et territoires: les défis de la transition énergétique (...)
64L’acceptation sociale dans certains pays européens est expliquée par le cadre institutionnel (les juridictions décisionnelles par exemple le rôle joué par la loi EEG (Erneuerbaren Energien Gesetz, encourageant l’investissement dans ce secteur (Bruns et al. 2009, 2010 ; Mautz et al., 2008)15 et le développement d’une approche collaborative et intégrative des citoyens ceci s’oppose à d’autres démarches (notamment, la domination de procédures centralisées et fortement hiérarchisées « top down » qui amplifient le rejet et les conflits).
65Il faut souligner que les projets éoliens sont influencés par des facteurs dont : les conditions institutionnelles, notamment le cadre politique (Breukers et Wolsink,2006 ; Wolsink, 2006), les règles d'urbanisme et les incitations financières.
- 16 Wolsink, M. (2013). Acceptation sociale de l’innovation en matière d’énergie renouvelable: en quoi (...)
66Certains auteurs mettent l’accent sur la nature multidimensionnelle de l’acceptation. En effet, ils soulignent le fait que celle-ci est conditionnée par des facteurs sociopolitiques (l’évolution de la réglementation et l’implication des autres parties, etc.), l’acceptation par le marché (les décisions concernant l’investissement, les structures tarifaires et la concurrence, etc.) et également communautaires (participation aux projets et à la prise de décision).16
67L’analyse critique des énergies renouvelables démontre l’existence d’une pluralité de failles voire des menaces non négligeables de différente natures : sécuritaires, économiques, spatiales et même écologiques. Il ne s’agit en aucun cas de défendre les énergies fossiles et brunes, ni de retour à l’âge de pierre mais plutôt de mettre en évidence le fait que la question de transition est plus complexe et profonde qu’elle ne le paraît. Elle exige une remise en cause du système dans son intégralité, faute de quoi, il ne s’agira que d’une illusion de réussite.
68Les politiques menées en faveur des énergies renouvelables s’inscrivent dans la volonté de garantir la sécurité de l’approvisionnement et la réduction des incidences du secteur énergétique sur l’environnement.
69La transition énergétique brandit la carte de multiples avantages dont : la préservation de l’environnement, la lutte contre les dérives du système polluant et ravageur, le dynamisme d’un secteur en perpétuelle croissance, la création de l’emploi….
70Le pouvoir des énergies renouvelables en matière de réduction des effets du changement climatique est mis en avant. Les vertus supposées de telles énergies entrainent un engouement matérialisé par la multiplication des centrales solaires et des parcs éoliens. Cette effervescence est d’autant plus renforcée par les mesures incitatives et coercitives et ce, dans le but de promouvoir de telles énergies. Cependant, il faut également souligner l’envers du décor.
71Les énergies renouvelables sont présentées comme des solutions alternatives au système énergétique actuel. Cependant, ils semblent que celles-ci représentent des incidences (économiques, sociales, sanitaires, environnementales). Elles font l’objet de mouvements de résistance locale. En analysant, la question de l’opposition à de telles structures, il en ressort que celle-ci est plus profonde et complexe. Il s’agit de la question de concurrence spatiale et de priorisation de l’usage à faire de ces espaces.
72Plusieurs facteurs justifient les mouvements d’opposition (spoliation visuelle, pollution sonore, menaces sanitaires, incidences économiques….). L’acceptation sociale, les risques environnementaux ou les questions de rentabilité constituent des défis de taille à l’essor des énergies renouvelables.
73Les protestations et les mobilisations des riverains impliquent dans certains cas un freinage du développement des énergies renouvelables. De telles structures sont alors considérées comme une source de conflits locaux.
74L’épée de Damoclès qui menace la planète et l’humanité exige de dépasser la domination de certains impératifs au détriment d’autres. Les défis et les problèmes étant plus complexes et profonds, les réponses apportées doivent–elles aussi l’être en intégrant des aspects politiques, spatiaux, sociaux, culturels, philosophiques et également éthiques.
75En effet, la résolution des maux actuels ne peut avoir lieu en maintenant les mêmes mécanismes qui la déclenchent. La transition ne doit en aucun cas perpétuer les mêmes mécanismes contre lesquels elle se bat, faute de quoi, elle va se limiter au statut de continuité du système.
76Les vertus adossées aux énergies renouvelables (intérêts écologiques et retombées économiques) ne doivent pas occultées les incidences de celles-ci. La volonté de préserver l’environnement ne doit pas cacher une forme d’instrumentalisation des causes environnementales à des fins économiques et une forme d’illusion du changement sans une transition profonde. En effet, tous les problèmes environnementaux ne peuvent êtres résolus en se focalisant uniquement sur les solutions technologiques et/ou économiques.