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Contribution à l’étude des petites villes françaises– Focus sur les petites villes thermales et leurs caractéristiques démographiques

Marie-Eve Férérol

Résumés

Depuis les années 2000, après une éclipse de près de 30 ans, les petites villes font leur retour sur la scène (géo)politique et scientifique. Plusieurs colloques ont ainsi été organisés à leur sujet et divers articles ont été publiés, notamment sous l’angle de leurs fonctions (petites villes commerciales, industrielles). Nonobstant, une catégorie de petites villes n’a pas encore fait l’objet d’une analyse approfondie : les cités thermales. C’est d’autant plus incongru que leur secteur économique dominant retrouve un certain intérêt auprès des pouvoirs publics, des groupes privés et de la clientèle et qu’elles jouent un rôle non négligeable en termes d’aménagement du territoire en étant des pôles de centralité. Notre contribution souhaite donc combler cette lacune. Dans un premier temps, pour cet article, nous allons nous intéresser à leur trajectoire et à leurs caractéristiques démographiques. Une typologie des villes thermales peut-elle être établie ? Les petites villes thermales se singularisent-elles par rapport aux autres petites villes ?

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Texte intégral

Introduction

  • 1 « Villes petites et moyennes : un regard renouvelé », Tours, 9-10 déc. 2010 ; « Aux frontières de l (...)

1Depuis les années 2000, après une éclipse de près de 30 ans, les petites villes font leur retour sur la scène (géo)politique et scientifique. Plusieurs colloques1 remettent ainsi en lumière ces objets de recherche « un échelon peu travaillé mais ô combien fondamental dans la hiérarchie urbaine » (Vanier et Cailly, 2010 : 10). Plus récemment, en 2018, sous l’égide du PUCA (Plan Urbanisme Construction Architecture), une Plate-forme d’Observation des Projets et des Stratégies Urbaines (POPSU) lance un programme consacré aux moyennes et petites villes. Cette POPSU Territoires démontre enfin l’intérêt des chercheurs et des décideurs publics de s’intéresser à ces villes structurantes pour le territoire malgré leur petite taille.

2Pour S. Duvillard (2001) comme pour d’autres chercheurs (Edouard, 2001 ; Férérol, 2010), la vraie petite ville s’appréhende le mieux dans les territoires interstitiels. Les seuils démographiques y sont souvent compris entre 2 000 (voire 3 000) et 20 000 hab (seuil où l’on passe à la catégorie ville moyenne). En ce qui concerne les fonctions urbaines, les petites villes sont connues pour être des bastions industriels avec des taux d’emplois secondaires bien supérieurs à la moyenne nationale et à ceux trouvés dans les échelons urbains supérieurs (Edouard, 2001 ; Férérol, 2014). Bien entendu, toutes ne le sont pas. D’autres sont tertiarisées à la faveur d’une administration publique importante, d’un "statut" de place commerciale ou d’un secteur touristique florissant. Dans ce dernier cas, la venue d’une population temporaire, notamment lors de la saison estivale et/ou hivernale leur confère des équipements commerciaux et des services en nombre inhabituel pour des villes de cette taille. Ce constat, qui vaut aussi bien pour des villes moyennes, interroge d’ailleurs certains chercheurs qui se demandent si « la ville moyenne touristique est encore une ville moyenne » (Vacher et Vye, 2012). Mais ce questionnement n’est pas l’objet de ce travail.

3Le volet touristique des petites villes est assez divers, reposant sur une mise en valeur patrimoniale, sur l’existence d’un musée, sur une activité balnéaire, sur des sports d’hiver ou sur l’exploitation d’un gisement thermal. Dans le prolongement de nos précédents travaux et des manifestations citées précédemment, nous avons décidé de nous intéresser à ce type bien particulier de petites villes : les stations thermales. Nous employons ici le terme "station" dans son acceptation générique, dans son usage courant compris par la population et utilisé par les Offices de Tourisme car scientifiquement ce terme revêt un sens bien précis (voir infra).

4Plusieurs raisons expliquent notre intérêt pour les petites villes thermales. Premièrement, comme l’a montré C. Jamot dans sa thèse (1988), la fonction thermale a joué un rôle important dans l’urbanisation française ; nombre de stations sont ainsi devenues des villes. Leur rôle dans l’aménagement est aujourd’hui encore non négligeable. Nombre d’entre elles sont des pôles au sens christallérien du terme avec une zone de chalandise et une zone d’emploi étendues. Bien que cela ne soit pas observé partout, « il est souvent affirmé que le thermalisme est un outil d’aménagement du territoire dans la mesure où il est présent dans certaines parties du territoire, notamment rurales ou montagnardes, où l’économie est peu diversifiée et parfois en déclin » (Dord et Dubié, Rapport de l’Assemblée Nationale, 2016 : 14).

5Deuxièmement, depuis la thèse de C. Jamot il y a 30 ans, aucune étude précise de géographie urbaine n’a été faite à leur sujet. Certes, les géographes qui travaillent sur les petites villes citent des stations thermales mais l’étude du groupe dans sa totalité n’a jamais été entreprise. Pourtant, notre pays se distingue en Europe par le nombre de ses stations, juste derrière l’Allemagne et l’Italie (Jazé-Charvolin, 2014 ; Sigot, 2017).

6Enfin, notre article complète les futures études qui vont naître du nouvel Observatoire de l’Économie des Stations Thermales (OESTh). Après avoir longtemps joué à l’arlésienne, cet outil a été créé en septembre 2020 par la Banque des Territoires, la Fédération Thermale et Climatique (FTCF), le Conseil National des Établissements Thermaux (CNETh) et l’Association Nationale des Maires de Communes Thermales dans le cadre du Plan Tourisme de la Caisse des Dépôts. Un cabinet privé, Nomadéis, a été choisi pour mener à bien sa création et la réalisation de ses objectifs. Ces derniers sont au nombre de trois : mieux faire connaître la filière du thermalisme ; la valoriser en mettant en lumière ses retombées positives sur le développement des territoires et sur l’économie française ; et soutenir le développement de l’économie thermale en fournissant les éléments nécessaires à la prise de décision des pouvoirs publics et des investisseurs.

7Dans ce contexte, notre travail se veut une contribution à l’étude urbaine des petites villes, en faisant un focus sur les villes thermales, en étudiant dans un premier temps, dans cet article, leur trajectoire démographique depuis ces quarante dernières années et leurs principales caractéristiques. Les petites villes thermales se singularisent-elles par rapport aux autres petites villes ? Une typologie des villes thermales peut-elle être établie ? Leur évolution reflète-t-elle l’évolution démographique de leur environnement régional ? La 1ère hypothèse est que les lieux thermaux, souvent localisés dans des espaces de montagne et ruraux, souffrent d’un déclin démographique. En lien avec cette hypothèse, nous pouvons en émettre une seconde, à savoir que ce déclin va de pair avec une crise économique symbolisée par des pertes d’emplois alors même que le secteur thermal est de nouveau florissant depuis ces dix dernières années pour la quasi-totalité des villes thermales (Férérol, 2016 et 2017). Par ailleurs, le déclin peut-il être accentué par le côté industriel que certaines stations affichent du fait d’un reliquat des siècles précédents ? Nous pensons en particulier aux entreprises d’embouteillage, à l’extraction du sel et autres usines annexes. La 2ème hypothèse centrale se concentre sur la proportion de population âgée présente dans les lieux thermaux. Nous pensons, a priori, qu’elle est encore plus importante que celle identifiée dans les autres petites villes. En effet, dès leurs débuts, les stations thermales ont été conçues comme des villes idéales, des villes-jardins susceptibles d’offrir un cadre de vie adapté aux seniors. Sont-elles alors vraiment des "mouroirs", qualificatif souvent entendu à leur encontre lors de nos enquêtes dans le milieu thermal ?

8Cet article se compose de trois parties. La première revient sur la définition de certains vocables et présente l’échantillon d’étude. La deuxième s’attarde sur l’évolution démographique à moyen et court termes. Enfin, la troisième partie étudie plus précisément la population "seniors", si présente à l’esprit de la population quand on évoque des stations thermales.

9Parmi les 90 lieux thermaux accueillant des curistes Assurés Sociaux, 50 sont des entités urbaines dépassant les 2 000 hab. L’échelle démographique de notre échantillon est assez large, allant de 2 073 habitants pour Bourbonne à 93 456 pour Thonon.

1. Éléments méthodologiques

1.1 Précis terminologique

1.1.1 Typologie des lieux touristiques

  • 2 L’expression ne devient usuelle et officielle qu’après 1890 (Wallon, 1981).

10Comme nous l’avons dit en introduction, nous emploierons dans cet article le terme "station thermale" dans son acceptation générique2. Mais dans plusieurs cas, il peut être impropre scientifiquement si l’on se réfère aux définitions de l’équipe MIT. Pour aborder les lieux touristiques, Stock et al. (2020) misent sur une typologie basée sur la présence ou non d’une capacité d’accueil, d’une population locale et sur la diversification des fonctions touristiques et urbaines. Avant de la détailler, les auteurs soulignent deux limites à leur typologie : d’une part, elle est statique alors qu’une dynamique existe pouvant faire évoluer le statut des lieux. D’autre part, des différences minimes subsistent entre certains types. « La différence entre la station touristique et la ville touristique n’est pas toujours facile à identifier, tant certaines formes – des stations ayant évolué en accentuant une diversité de fonctions urbaines – peuvent être proches » (2020 : 402).

11La 1ère catégorie définie par l’équipe MIT est celle du site. Marqué par l’absence d’infrastructures d’hébergements et par celle d’une population résidente, le site se distingue facilement des autres catégories. Le 2ème groupe rassemble les comptoirs et les stations. Si ces deux lieux touristiques ont été créés uniquement pour le tourisme, ils se différencient par leur durée de fonctionnement et leur degré d’urbanité. « À la différence des comptoirs, les stations ne ferment jamais complètement, en raison de la présence de résidents permanents hors saison. Une station touristique est mono-fonctionnelle – elle n’existe qu’en raison du tourisme – et engendre une urbanité touristique que l’on peut reconnaître dans toutes les stations touristiques » (2020 : 408). La 3ème catégorie est celle des villes-stations avec un quartier touristique qui se juxtapose au noyau urbain ancien et des villes/villages touristifiés dans lesquels le tourisme devient essentiel ; il « subvertit » l’économie locale. Enfin, la 4ème catégorie regroupe les villes à fonctions touristiques et les stations à fonctions urbaines. Dans le premier cas, le tourisme s’ajoute aux fonctions urbaines déjà présentes tandis que dans le second cas, la station touristique voit le développement d’autres fonctions urbaines, notamment celles d’une centralité d’échelle régionale.

12Dans les années 1970, les lieux thermaux étaient parfois considérés comme des kystes dans le réseau urbain, affirmation sur laquelle C. Jamot est revenu à juste titre. « La ville thermale apparaît comme une ville touristique particulière, par son aptitude au contact avec les autres villes et les milieux ruraux de sa région. Son influence lui confère de grandes facilités d’insertion dans les hiérarchies régionales et lui permet d’intégrer les réseaux locaux. Cette observation remet en cause la vision traditionnelle de la ville touristique, coupée de son support géographique local, "ville kyste" ou "ville intrusive" » (1988 : 331).

1.1.2 Les petites villes

13Beaucoup d’auteurs (Édouard, 2008 ; Férérol, 2010 ; Chaze, 2014 ; Jousséaume et Taillandier, 2016 ; Demazière, 2017 ; etc.) ayant souligné la relativité de la notion de "petite ville" et cité les différentes définitions qui existent en lien avec un positionnement démographique, fonctionnel ou morphologique, nous n’y reviendrons pas dans cet article. Seront prises ici en considération les entités de plus de 2 000 habitants (seuil au-delà duquel l’INSEE considère une commune comme urbaine). Jusqu’à 20 000 personnes, elles seront regardées comme "petites villes" et au-delà comme "villes moyennes". La grande majorité des stations thermales se localisant dans des espaces montagneux ou dans des espaces interstitiels, cette échelle paraît tout à fait satisfaisante (Barbier, 1972 ; Férérol, 2010 ; Chaze, 2014).

14Pour notre thèse sur les petites villes (Férérol, 2010), et à l’instar de J. Ch. Edouard (2001), nous ne nous étions pas contentée du support communal, bien dépassé aujourd’hui. La mobilité généralisée et le développement de nouveaux besoins ont conduit à la diversification et à la dissociation des usages de l’espace. L’espace vécu de la petite ville, comme de toutes les autres villes d’ailleurs, s’est étendu et il faut en prendre acte. Cet article se basera donc sur les unités et aires urbaines de l’INSEE. Ce choix est d’autant plus pertinent que l’INSEE a revu ses nomenclatures en écartant par exemple les pôles d’emplois ruraux. « Ces choix terminologiques interrogeaient puisqu’une unité urbaine pouvait aussi être nommée pôle rural. […] Le souci de prendre en compte l’ensemble des territoires unis par certains liens économiques conduit le diagnostic territorial à pouvoir choisir un périmètre d’étude intitulé aire urbaine. Ce territoire réunit non seulement la population dont l’habitat s’inscrit dans un périmètre dense, mais toute la population dont l’emploi en apparaît dépendant, que son domicile soit en centre-ville ou dans une petite commune qui peut être géographiquement distante de la ville » (Dumont, 2018 : 39).

15Afin d’analyser la possible singularité des stations thermales en tant que petites villes, il nous fallait un groupe "étalon". Comme villes comparatives, nous avons donc choisi celles de notre thèse, à savoir 13 villes moyennes et 59 petites villes sises dans le Massif central.

1.1.3 Les Aires Urbaines et Unités Urbaines de l’INSEE

16La notion d’unité urbaine repose sur la continuité du bâti et le nombre d’habitants. Une unité urbaine est une commune ou un ensemble de communes présentant une zone de bâti continu (pas de coupure de plus de 200 mètres entre deux constructions) qui compte au moins 2 000 habitants. Si l’unité urbaine se situe sur une seule commune, elle est dénommée ville isolée. Si l’unité urbaine s’étend sur plusieurs communes, et si chacune de ces communes concentre plus de la moitié de sa population dans la zone de bâti continu, elle est dénommée agglomération multicommunale. Enfin, on désigne par « commune hors unité urbaine », les communes non affectées à une unité urbaine. (https://www.insee.fr/​fr/​information/​4802589 consulté le 24/11/2020).

17Une aire urbaine ou "grande aire urbaine" est un ensemble de communes, d'un seul tenant et sans enclave, constitué par un pôle urbain (unité urbaine) de plus de 10 000 emplois, et par des communes rurales ou unités urbaines (couronne périurbaine) dont au moins 40 % de la population résidente ayant un emploi travaille dans le pôle ou dans des communes attirées par celui-ci. Toujours d'un seul tenant et sans enclave et avec des communes rurales ou unités urbaines dont au moins 40 % de la population résidente ayant un emploi travaille dans le pôle ou dans des communes attirées par celui-ci, des "moyennes aires" et "petites aires" sont distinguées par le nouveau zonage. Les premières sont constituées par un pôle (unité urbaine) de 5 000 à 10 000 emplois et les secondes par un pôle (unité urbaine) de 1 500 à 5 000 emplois (https://www.insee.fr/​fr/​information/​2115011).

18Fin 2020, quelques semaines après notre dépouillement des statistiques, l’INSEE a remplacé les aires urbaines (qui étaient opérationnelles) par les Aires d’Attraction des Villes. Cette modification de nomenclature n’est pas anodine et risque de desservir les futurs travaux de chercheurs. Pour plus de détails, nous renvoyons à l’article de M. Vanier (https://www.telos-eu.com/​fr/​societe/​deux-cartes-pour-regarder-le-pays-au-fond-des-yeux.html, Télos, déc. 2020, consulté le 14/01/2021).

1.2 L’importance de l’analyse démographique

  • 3 Cet OESTH est en effet un outil politique utilisé (détourné) pour montrer l’importance des stations (...)

19Deux rapports officiels ont été consacrés ces dernières années aux lieux thermaux : l’un provenant du Conseil National du Tourisme (2011) et l’autre provenant de l’Assemblée Nationale (Dord et Dubié, 2016). Dans ces deux documents, la partie démographique représente la partie congrue, s’arrêtant à des banalités. Le futur OESTh pourrait apporter des informations à ce sujet. Mais mandaté par FTCF, il va d’abord logiquement s’appliquer à montrer l’importance du thermalisme pour les économies locales3.

20S’intéresser à la démographie est pourtant pertinent. G.- F. Dumont (2018), dans son ouvrage Diagnostic et Gouvernance, nous en donne quelques raisons. Pour lui, les critères démographiques sont les critères n°1 en termes de diagnostic territorial. Il en voit trois principaux : le nombre d’habitants, les moins de 15 ans et les plus de 60 ans. La population est primordiale à connaître car d’une part, elle permet de comparer facilement les territoires entre eux et surtout elle rentre dans le cadre de nombreuses théories sur la capacité d’attraction (Reilly, Christaller, etc) (Férérol, 2013). « Les différences de population peuvent impliquer une attractivité plus ou moins importante, ne serait-ce que parce que l’éventail des fonctions urbaines est en partie dépendant du peuplement. Ce facteur est souvent négligé dans les comparaisons qui privilégient les indicateurs économiques. Or, une population double représente deux fois plus de consommateurs potentiels, des commerces, des services et des équipements plus développés, dont certains n’apparaissent qu’à partir d’un certain seuil de population. C’est aussi un marché plus important de l’emploi et donc, a priori, un éventail plus large de métiers » (Dumont, 2008 : 93).

21Le deuxième critère, le nombre de seniors, est essentiel pour notre étude, tant les stations thermales ont l’image d’accueillir de façon permanente ou temporairement des personnes âgées. Pour G.- F. Dumont, le pourcentage des 60 ans et + permet de déterminer le poids des personnes âgées dans un territoire donné. « Un fort pourcentage peut signifier des charges actuelles ou futures spécifiques pour le territoire et entraîner une structure particulière des dépenses publiques et de la demande économique » (2008 : 94).

22À l’opposé, le dernier critère démographique est la part des moins de 15 ans. Généralement, mais pas toujours, elle est d’autant plus faible que la part des seniors est forte. Connaître cette statistique se révèle aussi judicieux. « Un territoire jeune signifie des perspectives favorables pour sa population active, même si elles dépendent du système migratoire futur. Inversement, un territoire comptant un faible pourcentage de jeunes peut risquer à terme un déficit de main d’œuvre locale. La croissance de l’emploi ne peut alors être exclusivement endogène et implique donc des capacités à attirer de la main d’œuvre » (2008 : 94). Limitée en nombre de caractères, nous ne nous attarderons pas sur ce dernier critère. Nous avons préféré consacrer quelques lignes à l’analyse cinétique démographique.

23Toujours selon G. – F. Dumont, quatre critères portent cette analyse : l’évolution de la population, des composantes du mouvement démographique, de la population des plus de 60 ans et de celle des jeunes. Chacun de ces critères se justifie. Le premier témoigne du dynamisme ou de l’atonie du territoire. Pour s’en rendre compte, mieux vaut une analyse sur le moyen terme (pour nous, cela sera depuis 1975) permettant de vérifier si des tendances lourdes se dessinent, complétée par une analyse du dernier recensement. Le deuxième critère touche l’évolution du solde naturel et du solde migratoire. « Une croissance naturelle traduit généralement une augmentation du nombre de consommateurs, une hausse du potentiel d’actifs et donc, à terme, des actifs. Elle signifie donc des possibilités accrues de création de richesses. En revanche, un accroissement naturel négatif a des effets contraires, donc une diminution du nombre de consommateurs résidant sur le territoire, s’il n’est pas compensé par un second facteur, l’accroissement migratoire. Ce dernier traduit l’attractivité démographique d’un territoire » (2008 : 99). Comme pour les critères de l’analyse démographique de situation, nous passerons très vite sur l’évolution du poids des jeunes pour nous focaliser sur le vieillissement, soit une progression du taux de seniors. « Ce vieillissement modifie la structure de la demande économique sur le territoire considéré mais aussi éventuellement son importance, dans la mesure où les revenus de retraités peuvent s’avérer, selon les territoires, en moyenne moindre que ceux des actifs. Le souci de financer la promotion du territoire ou d’y consacrer du temps peut alors être moindre que celui de multiplier des offres de services pour les personnes âgées. En outre, une hausse de la proportion de personnes âgées et, donc, de retraités, est un atout économique relativement limité car le type d’emplois induits par la population des personnes âgées peut signifier une part réduite d’emplois à haute qualification, donc à hauts revenus susceptibles d’enrichir le territoire » (2008 : 102).

24Après ces précisions méthodologiques, intéressons-nous maintenant aux lieux thermaux français et plus exactement à la composition de notre échantillon d’étude, sachant que nous ne nous intéresserons pas à toutes les communes thermales ; nous allons concentrer notre analyse sur les "stations" ayant plus de 2 000 hab.

1.3 Présentation de l’échantillon

  • 4 La 90ème station, Camoins, est un quartier de Marseille.

25En 2017, parmi les 894 "stations", 39 sont des communes rurales de moins de 2 000 hab. Les entités urbaines, elles, se ventilent entre 22 Aires Urbaines, 12 Unités Urbaines (dont un peu plus de la moitié multicommunales), 14 communes isolées appartenant à des pôles urbains plus importants (Amnéville-Metz, St Paul-Dax, Balaruc-Sète, Cambo-Bayonne, Challes-les-Eaux et Aix-Chambéry, Châtel Guyon-Riom, Enghien-Paris, Évian-Thonon, St-Gervais-Sallanches, Uriage-Vizille, Royat-Clermont, Lamalou-Bédarieux, Vals-Aubenas) et 2 communes hors unité urbaine.

26Selon les définitions usuelles, huit villes d’eaux peuvent être considérées comme des villes moyennes : Thonon, Vichy, Dax, Lons le Saunier, Rochefort, St Amand les Eaux, Aix les Bains et Digne. Leur poids démographique est non négligeable puisqu’il représente plus de la moitié de la population des lieux thermaux urbains et des stations en général (doc n°1). Ensuite, 42 sont des petites villes, soit 47% des stations thermales françaises dans leur ensemble. Mais leur poids numérique est à relativiser, car en termes démographiques, elles ne pèsent que 36% de la population totale des stations et 37,4% de la population urbaine. Si nous prenons l’ensemble des 89 communes thermales, les populations moyenne et médiane s’élèvent respectivement à 8 350 et 2 586 hab et si nous prenons les lieux thermaux urbains stricto sensu, elles sont de 14 223 et 6 294 hab.

Document 1 : Répartition des stations thermales selon leur population en 2017

Taille en 2017

Nombre de stations

Population 2017

Part de la pop. au sein des lieux thermaux urbains

Part de la pop. au sein de l’ensemble des stations

+ de 20 000 hab.

8 (9%)

444 987

62,6%

59,9%

10 000 à 20 000

7 (8%)

92 569

13%

12,5%

5 000 à 10 000

19 (21%)

124 601

17,5%

16,8%

2 000 à 5 000

16 (18%)

48 775

6,9%

6,6%

< 2 000 hab

39 (44%)

32 016

-

4,3%

Total

89 (100%)

742 948

100%

100%

Source : INSEE, RP2017, exploitations principales, géographie au 01/01/2020.

2. Une évolution démographique hétérogène depuis les années 1970

  • 5 Par substitution comme Vichy prenant la place de la ville historique Cusset ou par opportunisme les (...)

27Dans l’immédiat après-guerre, comme la plupart des autres villes françaises, les stations thermales bénéficient du développement général de l’urbanisation et de l’étoffement de leurs fonctions urbaines. Cette consolidation de leur base économique n’est pas sans conséquences positives. « Les villes thermales pénètrent à part entière dans les hiérarchies urbaines locales, avec une influence désormais sans partage sur la zone qu’elles sont capables de desservir. Elles sont désormais partie intégrante du système urbain français. […] L’intégration des villes thermales s’est faite en souplesse, selon deux processus5. […] Elles n’ont jamais brisé, à leur profit, des hiérarchies existantes, il n’y a eu ni capture brutale d’influence, ni relégations d’organismes urbains supplantés » (Jamot, 1988 : 459). La période d’euphorie démographique commence toutefois à se tarir dans les années 1970.

28Pour Jean-Paul Laborie, auteur d’une thèse et de nombreux articles sur les petites villes, 1975 représente un tournant pour les celles-ci. « Très dynamiques jusqu’en 1975, elles subissent de plein fouet les conséquences des difficultés économiques et du renouveau de la croissance métropolitaine » (1998 : 21). Ainsi, les petites villes françaises dans leur ensemble pâtissent désormais d’une situation déplorable. Cette remarque doit être reconsidérée si on intègre la redistribution démographique autour d’elles. À la fin des années 1970, et dans les décennies qui ont suivi, le phénomène de périurbanisation s’est développé et s’est concrétisé par un redéversement des habitants de la petite ville vers les communes alentours. L’ampleur de ce phénomène a même pu aboutir à la formation de banlieues, avant de se manifester sous la forme plus diffuse et classique de la périurbanisation. Ce faisant, la crise démographique des petites villes n’est peut-être pas aussi grave qu’on pourrait le prétendre si l’on raisonne à l’aune des aires et des unités urbaines. Les lieux thermaux étudiés suivent-ils la tendance générale des petites villes ?

2.1 L’évolution sur le moyen terme (1975-2007) : une majorité de villes thermales en croissance démographique

29Entre 1975 et 2007, l’évolution est à la hausse. Les deux-tiers des lieux thermaux urbains témoignent ainsi d’une bonne santé démographique, soit une statistique légèrement meilleure que pour les communes thermales inférieures à 2 000 hab (doc n°2). Le taux de progression de 20 villes est même au-dessus de la moyenne nationale (17,5%) et certaines caracolent en tête avec des taux vraiment très impressionnants : + de 100% pour Balaruc, Uriage, Challes, + de 50% pour Thonon, Divonne, Châtel Guyon, Montrond les Bains, Bagnoles de l’Orne et Gréoux les Bains.

Document 2 : Évolution démographique des stations thermales entre 1975 et 2007

Taille en 2007

Plus + de 20 000 hab

10 000 à 20 000 hab

5 000 à 10 000 hab

2 000 à 5 000 hab

Lieux thermaux urbains

Lieux thermaux ruraux (moins de 2 000 hab.)

Ensemble des stations thermales

En hausse

8

5

12

7

32 (64%)

20 (51%)

52 (58%)

En baisse

0

2

6

10

18 (36%)

19 (49%)

37 (41%)

Les données proposées sont établies à périmètre géographique identique, dans la géographie en vigueur au 01/01/2020.

Source : INSEE, RP 1967 à 1999 dénombrements, RP 2007 au RP 2017 exploitations principales.

30D’autres n’affichent pas une aussi bonne santé ; le déclin frappe. Salins et Bourbonne perdent ainsi près de 25% de leur population en 30 ans ; d’autres villes s’atrophient aussi : Vittel (-18,21%), Bourbon-Lancy (-13,35%) Contrexeville (-13,49%), La Léchère (-11,93%), et Salins (-10,31%).

31La tendance générale est certes à la croissance mais elle masque des disparités catégorielles. Toutes les villes moyennes, comme quasiment toutes les petites villes les plus importantes, voient leur population augmenter. La situation devient plus critique pour le bas de la hiérarchie urbaine. Si les deux-tiers des stations de 5 000 à 10 000 progressent encore numériquement, il n’en est rien pour celles de moins de 5 000 habitants qui sont, à 59%, touchées par une crise démographique et ce, à l’instar des lieux thermaux ruraux.

32Spatialement, et à quelques exceptions près (Jonzac, Salies de Béarn et La Léchère), les stations dont la population diminue se situent dans la Diagonale du Vide, partant des Pyrénées jusqu’au massif vosgien en passant par le Massif central.

  • 6 Echantillon comparatif formé de 42 Aires Urbaines, 24 Unités Urbaines et de 6 communes isolées situ (...)

33La croissance générale observée pour les petites villes thermales doit être comparée à celle d’autres petites villes. Si nous regardons notre échantillon comparatif6, nous voyons que 70% des villes petites et moyennes s’étoffent numériquement. La situation démographique des lieux urbains thermaux étudiés n’est donc pas une surprise et suit une tendance générale. Cela se confirme avec l’analyse plus détaillée. Plus on descend dans la hiérarchie urbaine et moins l’évolution est favorable.

  • 7 Avec un taux d’emplois secondaires supérieur à la moyenne nationale sont considérées comme industri (...)

34Dans notre échantillon comparatif, la grande majorité des villes qui subissent une crise démographique sont des villes industrielles (Decazeville, Carmaux, Graulhet, La Grand Combe, Bessèges…). Le volet industriel accentue-t-il ou est-il la cause du déclin démographique de certaines de nos stations thermales ? N’oublions pas en effet que quelques-unes d’entre elles présentent la particularité d’avoir un secteur secondaire important7. Prenons l’exemple de Bagnères de Bigorre dont la population a diminué de 16 165 à 14 713 (-9%) entre 1975 et 2007 et les emplois de 1 216 en 2010 à 866 en 2017.

35Au mitan du XIXe siècle, ses marbreries (1 millier d’ouvriers en 1871) et ses usines textiles (2 fabriques de tricot avec 800 ouvriers, 5 tissages de laine, 4 teintureries, 1 carderie, 2 foulons) font d’elle la capitale industrielle des Hautes-Pyrénées (PLU de Bagnères, 2010). Malheureusement, le contexte concurrentiel exacerbé par la mondialisation et la fermeture de la ligne ferroviaire Tarbes-Bagnères sonne le glas de ces entreprises dont la plupart étaient de petite taille. Aujourd’hui ne subsistent que des friches industrielles.

2.2 Les tendances du dernier recensement (2007-2017) : une situation démographique générale plus inquiétante

36Récemment, entre 2007 et 2017, 56% des lieux thermaux ont subi, dans leur ensemble, des pertes démographiques. Une réelle dichotomie se fait jour entre les lieux thermaux urbains et ruraux puisque les premiers ne sont "que" 48% en perte de vitesse contre 67% pour les seconds (doc n°3). Par rapport à la période étudiée précédemment, les petites villes de niveau supérieur sont moins protégées. Néanmoins, celles de 2 000 – 5 000 hab sont encore les plus touchées. Leur situation s’assimile vraiment à celles des lieux thermaux ruraux.

Document 3 : Évolution démographique des stations thermales de 2007 à 2017

Taille des unités urbaines en 2007

Villes moyennes

Villes de 10 000 à 20 000 hab

Villes de 5 000 à 10 000 hab

Villes de 2 000 à 5 000 hab

Lieux thermaux urbains

Lieux thermaux ruraux (moins de 2 000 hab.)

Ensemble des stations thermales

En hausse

7

3

10

6

26 (52%)

13 (33%)

39 (44%)

En baisse

1

4

8

11

24 (48%)

26 (67%)

50 (56%)

Source : INSEE, RP2007, RP2012 et RP2017, exploitations principales, géographie au 01/01/2020.

37Positifs comme négatifs, les pourcentages d’évolution affichent des taux beaucoup moins extrêmes que pour la période 1975-2017. L’amplitude est beaucoup plus faible, allant de -13,80% à Salins à 27,36% à Divonne. Pour période 1975-2007, rappelons-le, elle allait de -26,37% à Bourbonne à 188% pour Uriage.

Document 4 : Évolution démographique des villes thermales entre 2007 et 2017

Document 4 : Évolution démographique des villes thermales entre 2007 et 2017

38Le dynamisme est bien réel pour les stations de la façade atlantique et du massif alpin tandis que celles en perte de vitesse se repèrent, à quelques exceptions près (Digne, Bagnoles de l’Orne, Enghien), dans le massif vosgien, le Massif central et les Pyrénées (doc n°4). Il faut donc mettre en relief l’évolution des lieux thermaux avec leur espace régional. Les premiers se situent dans les espaces qualifiés par le CGET (2018) de « campagnes et vallées urbanisées, à forte croissance résidentielle et à forte économie présentielle » (les Alpes par ex.) et les seconds dans « les campagnes vieilles, à très faibles densités et faibles revenus, éloignées des services d’usage courant » (les Pyrénées) et dans « les campagnes agricoles et industrielles sous faible influence urbaine » (les Vosges et le Massif central). Comme pour la période précédente, l’héliotropisme est également une raison à mettre en avant pour expliquer l’attractivité des stations atlantiques et méditerranéennes.

39Cette tendance à la baisse démographique observée dans les petites villes thermales n’est pas exceptionnelle et concerne aussi notre échantillon comparatif. Entre 2007 et 2017, 43% perdent des habitants contre 29% seulement les trente années précédentes. Malgré tout, dans le cas de notre échantillon-étalon, les petites villes de 10 000 à 20 000 hab. résistent mieux que les villes thermales de même taille.

2.3 L’évolution du solde naturel et migratoire depuis 45 ans

40L’analyse du bilan démographique depuis 1975 permet de préciser les étapes et les ressorts de l’évolution de la population.

2.3.1 Des tendances profondes

41Pour analyser l’évolution du système démographique dans son ensemble, nous avons établi une matrice (doc n°5) avec un code couleur bien spécifique pour chacun des scenarii démographiques éventuels. Pour chaque période intercensitaire (1975-1982, 1982-1990, etc), 4 types de croît démographique sont possibles en fonction de l’évolution du solde naturel et du solde migratoire. Le 1er type de croît est celui pour lequel les deux facteurs sont positifs. La couleur rouge lui sera assortie. À l’inverse, le 2ème type de croît démographique est un scénario "catastrophe" avec des soldes naturels et migratoires négatifs. La couleur noire est donc idéale pour ce type d’évolution. Les deux autres types suivants reflètent des positions intermédiaires. Il y a un 3ème type de croît avec un solde migratoire positif et un problème de solde naturel négatif (taux de natalité bas, structures par âge défavorables) ; la couleur verte synonyme d’espoir caractérise ce cas de figure. Enfin, il existe des cas avec un croît naturel positif et un solde migratoire négatif ; ceux-ci seront en jaune. Précisons que d’autres types de croît démographiques, très rares, peuvent survenir, ceux où le solde naturel ou le solde migratoire sont égaux à zéro ; la couleur grise permettra de les repérer.

Document 5 : Extrait de la matrice

Document 5 : Extrait de la matrice

Source : INSEE, RP2007, RP2012 et RP2017, exploitations principales, géographie au 01/01/2020.

42Le premier enseignement de notre analyse est que chaque ville évolue différemment de sa catégorie urbaine. En fait, son évolution est plus liée au contexte régional voire local (crise économique par exemple liée à la fermeture d’une usine). Le deuxième enseignement, plus important, est que l’évolution du système démographique marque des tendances profondes, ce qui peut inquiéter lorsqu’on a affaire à des dynamiques défavorables. Six villes combinent apports naturels et apports migratoires depuis 1975 (ou 1982 pour trois d’entre elles). Toutes appartiennent à l’agglomération franco-genevoise ou aux Alpes en général (Thonon, Divonne, Challes, Uriage, Evian et Allevard). La seule en dehors de ce périmètre est Montrond dans la Loire. Digne aurait pu apparaître dans ce groupe, mais dernièrement, elle a connu un renversement de situation totale avec des bilans négatifs dans les deux cas. Par contre, nous pouvons associer aux villes à la dynamique favorable : Gréoux et Lons pour lesquelles le contexte démographique est bon pour quatre recensements sur six.

43Il n’existe pas de scénario strictement opposé, quoique Salins affiche quand même depuis 1982, une décroissance démographique liée à la négativité des deux critères. Quatre autres villes (La Bourboule, Bourbon Lancy, Vals et Bourbonne) sont aussi en mauvaise posture, cumulant déficit naturel et déficit migratoire lors de trois recensements sur six. De toutes, c’est la Bourboule qui montre la situation la plus préoccupante avec des bilans négatifs depuis ces vingt dernières années alors que les autres villes ont enrayé le déclin en étant désormais attractives.

Document 6 : Bilan Naturel & Solde Migratoire de 1975 à 2017 des 50 villes thermales françaises

Document 6 : Bilan Naturel & Solde Migratoire de 1975 à 2017 des 50 villes thermales françaises

44Finalement, force est de reconnaître que le scenario le plus fréquent est un bilan naturel négatif et un solde migratoire positif (-+ soit MP) sans discontinuer depuis 1975 (doc n°6). Dix villes sont en ce cas. Elles sont complétées par sept ayant uniquement "une anomalie" (- - soit MM) au cours de ces 45 ans. Le cas de Vichy est à suivre car elle est la seule à être caractérisée par des bilans négatifs depuis 2012.

2.3.2 Un solde naturel déficitaire compensé par un solde migratoire positif pour la dernière période intercensitaire

45Si nous regardons plus en détail la dernière période intercensitaire (2012-2017), le bilan naturel reste très souvent déficitaire (doc n°7). 34 villes (soit 68% de l’échantillon) sont ainsi pénalisées avec plus de décès que de naissances. Dans 15 cas, le solde naturel déficitaire est même entièrement responsable de la chute du nombre d’habitants, le solde migratoire étant lui positif.

46La bonne nouvelle est cet attrait qu’exercent les stations thermales. Pour 35 d’entre elles (70% de l’échantillon), il y a plus d’habitants qui arrivent qu’il n’en part. Les villes sont donc attractives et ceci a son importance en termes d’aménagement du territoire et de politiques publiques à leur encontre. Elles ne diffèrent pas en cela des villes de l’échantillon comparatif pour lequel 76% ont également un solde migratoire positif.

47Dans 14 cas par contre, le solde migratoire est négatif. Un phénomène de périurbanisation autour de ces villes thermales "repoussantes" est-il en cause ? La réponse est ambivalente.

Document 7 : Bilan naturel et solde migratoire des lieux thermaux urbains entre 2012 et 2017

Document 7 : Bilan naturel et solde migratoire des lieux thermaux urbains entre 2012 et 2017

48En ce qui concerne l’analyse du solde naturel et du solde migratoire pour chaque catégorie urbaine, aucun enseignement ne se dégage. Nous aurions pu nous attendre à une importante différence entre les catégories de villes. Mais en fait, il n’en est rien, comme ce fut le cas précédemment pour l’évolution démographique sur le moyen terme. Quelle que soit la taille de la ville, l’évolution la plus courante est un bilan naturel négatif et un solde migratoire positif. La seule indication à tirer est que les villes de 5 000 à 10 000 hab. et celles de moins de 5 000 sont celles qui affichent des dynamiques démographiques les plus défavorables avec une fréquence plus élevée de SN et SM négatifs corrélés.

2.3.3 Masse démographique et nombre d’emplois : une évolution intimement liée8

  • 8 Souhaitant travailler sur un périmètre constant et partant du constat que les emplois se concentren (...)

49Précédemment a été mis en exergue le rôle du solde migratoire dans l’évolution démographique de nos stations thermales. Or, fréquemment, les départs et les arrivées dans une ville dépendent de la situation économique et donc des offres d’emplois. Il est donc approprié d’analyser brièvement l’évolution conjointe des emplois et de la population.

Document 8 : Évolution de la population (2007-2017) et des emplois (2010-2017) des villes thermales

Document 8 : Évolution de la population (2007-2017) et des emplois (2010-2017) des villes thermales

EMP2 - Emplois au lieu de travail par sexe, statut et secteur d'activité économique en 2017
NB : Le tableau EMP2 est indisponible pour la Léchère en 2010

Source : Insee, RP 2010, RP2017 exploitation complémentaire, géographie au 01/01/2020.

50Si nous comparons l’évolution démographique et fonctionnelle récente, nous remarquons que les pertes ou les gains sont corrélés dans 74% des cas (doc n°8 – doc 4 et 9). En revanche, cinq villes (10% de l’échantillon) perdent des habitants en gagnant des emplois tandis que pour 8 (16%) c’est l’inverse.

51Dans le premier cas, pour Argelès Gazost, Contrexeville, Bagnoles de l’Orne, Bourbon l’Archambault et Salies du Salat, la situation est bonne économiquement et attire de nouveaux habitants ; le solde migratoire positif le prouve. Malheureusement, dans ces villes, le solde naturel négatif contrecarre le solde migratoire positif sur les périodes intercensitaires 2007-2012 et 2012-2017. À Argelès Gazost, la valeur du bilan naturel risque de ne pas s’améliorer dans les prochaines années. « À la retraite, certains curistes ou touristes vendent chez eux et achètent des maisons ici pour y vivre à l’année. Depuis le COVID, il y a ceux également qui veulent se mettre à l’abri au vert quitte à changer de vie. Et surtout tous ceux qui voient Argelès "comme un marché de niche" !! oui oui je l’ai entendu !!!! Qui investissent uniquement pour locatif saisonnier, et depuis le COVID il y en a beaucoup ! Finalité : population un peu vieillissante (mais cela a souvent été). Il y aura dans un premier temps moins de location à l’année, et beaucoup de saisonnier. Et les prix grimpent, d’où la difficulté d’acquérir sa première résidence principale pour les jeunes gens » (C. Martins, agent immobilier). En revanche, à Bagnoles de l’Orne, grâce au télétravail, des actifs parisiens viennent s’y installer. Un excédent de naissances par rapport au décès sera-t-il alors possible ?

52Ensuite, il arrive que les petites villes pâtissent économiquement de la proximité d’une grande ville et deviennent des banlieues-dortoirs. C’est ce qui se passe dans notre second cas. Plusieurs stations sont dans cette position : Amnéville à 25’ de Metz et à proximité de villes transfrontalières, Balaruc où 66% des habitants travaillent à l’extérieur, vers Béziers ou Sète (PLU, 2016), Lamalou où 40% de la population migre quotidiennement (PLU, 2016) ou encore Gréoux à 25’ de Manosque et 50’ d’Aix en Provence pour laquelle 40% des habitants travaillent en dehors (PLU de 2011).

Document 9 : Évolution des emplois des lieux thermaux urbains et de la proportion d’actifs ayant un emploi

Document 9 : Évolution des emplois des lieux thermaux urbains et de la proportion d’actifs ayant un emploi

53Pour clore ce paragraphe à la teinte davantage "économique", quelques mots sur l’évolution de la proportion d’actifs ayant un emploi (doc n°9). Ce dernier critère est intéressant à analyser car il met en lumière la solvabilité des personnes résidant dans la ville. Plus un territoire héberge des actifs avec une rémunération professionnelle, plus il est susceptible de bénéficier des revenus de ces personnes. Majoritairement, à 52%, les lieux thermaux urbains se caractérisent par un taux d’actifs ayant un emploi en progression entre 2007 et 2017. Les 48% restants voient au contraire leurs actifs avec emploi se restreindre alors même que le nombre d’emplois augmentent dans certains cas (8 villes sont dans cette position).

54Comme nous l’avons évoqué, le solde naturel est souvent déficitaire. Une des causes en incombe à une part importante de personnes âgées. Attardons-nous maintenant sur ce phénomène.

3. « Des stations accueillantes pour les personnes âgées » (CNT, 2011)

55« Moins rajeunies que les autres villes par la reprise de natalité des années 50 et 60, elles [les stations thermales] sont aujourd’hui [dans les années 1980] vieilles, moribondes pour certaines, ou maintenues artificiellement en vie par des injections répétées de population elles-mêmes fort âgées. Leur avenir démographique paraît sombre, dans l’hypothèse d’un développement qui se fait de plus en plus en vase clos » (Jamot, 1988 : 400). Cette prophétie s’est réalisée ; les stations urbaines ont continué et continuent de subir un processus de vieillissement. Mais le terme "subir" est-il approprié ? Avoir une masse importante de seniors dans sa ville est-il vraiment néfaste pour le dynamisme urbain ?

56Comme le dit J-C. Edouard (2008), le vieillissement de la population est ambigu. On peut avoir une double lecture de cet enjeu démographique : « Négative en considérant le vieillissement comme source de difficultés car peu favorable, à long terme, au maintien quantitatif de la population, sans renouvellement de celle-ci, avec son corollaire de problèmes pour le tissu économique (problème du maintien des commerces et services, problème d’attractivité pour les entreprises). Positive, surtout à court et moyen termes, dans la mesure où le vieillissement peut s’avérer favorable au développement d’une économie résidentielle adaptée (développement de services ou commerces destinés aux besoins de ces populations), mais aussi au maintien d’une bonne fréquentation des commerces et services locaux en raison d’une moindre mobilité » (Edouard, 2008 : 9).

3.1 Une population permanente âgée et vieillissante

57Comme dans les années 1980 (Jamot, 1988), la population des stations thermales françaises est indéniablement beaucoup plus âgée que la moyenne française : 36,6% contre 25,7% (doc n°10). Le même constat s’observe pour les villes thermales dont la part des plus de 60 ans s’élève à 35,3%, soit 3 points de plus que celle des lieux thermaux ruraux.

58Au sein des petites villes, une vraie division se dénote entre celles "de niveau supérieur" et celles "de niveau inférieur". Les moins de 10 000 hab. ont 36-39% de plus de 60 ans alors que pour les autres le taux avoisine uniquement les 30%, comme les villes moyennes. Encore une fois, les stations de 2 000 à 5 000 habitants ressemblent davantage aux lieux thermaux ruraux (38% de plus de personnes âgées). Le palier de 5 000 habitants est donc vraiment fondamental. Mais son importance n’est pas une surprise car nous le retrouvons dans le cas du Massif central voire même en France en général (DATAR, 2012).

Document 10: Poids des 60 ans et plus dans les stations thermales en 2007 et en 2017

Taille des stations en 2007

Part des moins de 15 ans ans en 2007

(en%)

en 2017

(en %)

Evolution en points entre 2007 et 2017

Part des + de 60 ans en 2007

(en %)

en 2017

(en %)

Evolution en points entre 2007 et 2017

Villes moyennes

17,1

16,3

-0,8

25,3

30,5

+5,2

Villes de 10 000 à 20 000 hab

17,5

14,10

-3,4

23,1

30,5

+7,2

Villes de 5 000 à 10 000 hab

15,8

14,6

-1,2

29,6

36,1

+6,5

Villes de 2 000 à 5 000 hab

14,8

13,1

-1,7

31,7

38,9

+7,2

Ensemble des lieux thermaux urbains

15,9

14,6

-1,3

28,7

35,3

+6,6

Communes de moins de 2 000 hab

14,5

12,7

-1,8

30,2

38,2

+8

Ensemble des stations thermales

15,3

13,7

-1,6

29,4

36,6

+7,2

Moyenne France métrop

18,3

18

-0,3

21,7

25,7

+4

NB : Cilaos n’a pas été incorporée dans les calculs concernant les classes d’âge en raison de ses caractéristiques ultra-marines.

Source : Insee, RP2007, RP2012 et RP2017, exploitations principales, géographie au 01/01/2020.

59Ces constats généraux cachent des cas remarquables au sein de chaque catégorie. Certaines pyramides des âges en témoignent (doc n°11). Pour Bagnères de Bigorre (14 088 hab), Luchon (5 359 hab.) ou encore Saujon (7 165 hab.) par ex., une base étroite et un sommet large sont typiques de structures démographiques vieillissantes. À l’opposé, Divonne (3 334 hab) comme Allevard (14 554 hab.) se caractérisent par une base "jeunes" plus imposante.

Document 11 : Exemples de pyramides des âges

Document 11 : Exemples de pyramides des âges

60En ce qui concerne le processus de vieillissement de ces cinq dernières années, il est beaucoup plus accentué au niveau des stations thermales (+7,2) que dans la France métropolitaine (+4) et dans les petites villes comparatives. Le vieillissement de la population est inversement proportionnel à l’augmentation de la taille des stations ; il s’aggrave, très régulièrement, des communes rurales aux villes moyennes (doc n°10). Individuellement, et en valeurs absolues, ce vieillissement s’accompagne d’une gérontocroissance, tout comme le rajeunissement va de pair va une gérontodécroissance. Il n’y a pas de cas au niveau des villes thermales où l’un ne va pas sans l’autre, à la différence de quelques exceptions en milieu rural.

61Spatialement, les stations "les moins jeunes" s’éparpillent un peu partout en France (doc n°12). La seule concentration notable est dans les Pyrénées. Par ailleurs, si certaines villes se démarquent, elles le doivent à leurs équipements (Luchon par ex. possède 4 EHPAD d’une capacité de 174 lits - site mairie de Luchon) ou à leur situation préférentielle au soleil, idéale pour passer sa retraite (« Sur 1 708 migrants qui se sont installés sur la commune entre 82 et 90 [sic], les deux tiers sont des inactifs, très majoritairement des personnes âgées qui s’installent à Saujon pour y prendre leur retraite », PLU, 2005 : 19). À l’opposé, les stations "les plus jeunes" s’insèrent dans les réseaux urbains lyonnais et grenoblois, sur la façade atlantique et dans le Nord, espaces où la croissance tient beaucoup à la dynamique naturelle (CGET, 2017b).

Document 12 : Part des plus de 60 ans dans les villes thermales en 2017

Document 12 : Part des plus de 60 ans dans les villes thermales en 2017

3.2 Les stations thermales : des petites villes adaptées à la population âgée

62Pour M. Chaze (2009), les petites villes ne sont pas des milieux très favorables pour les personnes âgées. En dépit de distances plus courtes, d’un trafic routier moins dense, il considère qu’elles ne disposent pas de réseau de transport en commun intra-urbain adapté à la clientèle du troisième et quatrième âge. L’accès aux commerces périphériques serait donc difficile et les personnes âgées dépendantes de conducteurs tiers.

63Malgré ce désagrément, les stations thermales sont bien enclines à recevoir une population âgée. Ce sont des villes accueillantes pour les anciens, et pas uniquement pour la seule clientèle thermale (la moyenne d’âge est d’aujourd’hui de 63%). Certains retraités viennent s’installer dans les villes d’eaux car le cadre et les infrastructures sont adaptés et car ils connaissent déjà la station. Ce constat renvoie aux conclusions de Ph. Duhamel (2013 : 50) pour qui le tourisme est une activité peuplante. « Les retraités optent soit pour un retour au pays, soit pour une place au soleil, au pays des vacances, dans des lieux fréquentés pendant les séjours touristiques de la vie active ». Nos enquêtes auprès des notaires et surtout des agences immobilières le confirment. Parmi leurs acheteurs figurent d’anciens curistes ou touristes qui sont déjà familiarisés avec la station et qui décident d’y passer la fin de leur vie. Très souvent, les interlocuteurs qui s’avançaient à nous donner un pourcentage les ont estimés à 25-30% (à Cambo, au Boulou ou encore à Bagnoles de l’Orne) voire à beaucoup plus (à Salies de Béarn, 20% est un minimum). « Les curistes font connaissance avec la vie de la commune pendant plusieurs années. Ils la jugent agréable, vivante, avec des commerces en nombre suffisant, des structures médicales et pas loin de Paris. Ils trouvent à Bagnoles la qualité de vie, le calme et la sérénité (la verdure, pas de vandalise, des règles d’urbanisme strictes). Retenez cela : des stations thermales se dégage une sérénité que les autres villes n’ont pas. Et c’est ce que recherchent les retraités » (Agence Century 21 de Bagnoles de l’Orne). Cet intérêt ne concerne néanmoins que les stations situées dans des régions attractives ; à Niederbronn, Salies du Salat ou Contrexeville par ex, un tel phénomène ne se remarque pas. « Que voulez-vous qu’ils viennent faire à Niederbronn ? C’est un petit village, au fin fond de l’Alsace » (Agence immobilière Alsace Loisirs).

64Le CNT (2011 : 38) aboutit au même constat d’inégalité entre les stations. « Il s’agit de villes moyennes bénéficiant de fonctions tertiaires et résidentielles bien développées, d’une bonne desserte et d’une douceur de vivre liée au climat ou à l’ambiance particulière des stations thermales. Citons notamment Vichy, Thonon, Évian, Aix les Bains. On peut ajouter à cette liste des stations qui font figure de banlieues résidentielles comme Châtel Guyon, Uriage, Royat, Amnéville ou encore Balaruc. À l’inverse, les stations de montagne de même que les stations situées en espace rural isolé paraissent moins loties pour accueillir de nouveaux résidents âgés et souvent malades, en dehors de ceux qui y ont déjà des affinités ». L’accueil des seniors peut prendre de l’ampleur si l’ensemble des stations thermales se placent sur le créneau du bien-vieillir avec des équipements adaptés à cette population aux besoins spécifiques. Les municipalités devront focaliser leurs efforts sur le renforcement d’équipements et de compétences dédiés au bien-vieillir (services à la personne, aménagement des espaces publics…). « Les structures de soin sont le critère n°1 (associé bien sûr à la qualité de vie) dans le choix de Cambo par les anciens curistes ou touristes » (Agence Guy Hoquet, Cambo). Les retraités qui s’installent à Challes les Eaux évoquent aussi comme raison de leur choix la présence de l’hôpital et des services de santé (dans le cas de cette commune, ce ne sont pas d’anciens villégiateurs).

65La plupart des stations possèdent donc déjà des atouts qui ne peuvent que satisfaire les seniors. Les stations thermales ont tout d’abord la particularité, contrairement à d’autres petites villes, d’offrir un cadre de vie très agréable (Carribon, 2014). Force est de reconnaître que les stations urbaines possèdent aussi un équipement commercial bien supérieur à la moyenne nationale et à celle des petites villes dans leur ensemble (CNT, 2011). Ceci est un élément qui les singularise, héritage de la période ancienne. « Les loisirs contribuent à l’urbanité des villes d’eaux en dotant les cités hydrothermales d’infrastructures (espaces de promenades, équipements sportifs, casinos…) sans aucune mesure avec celles des communes ordinaires de taille équivalente » (Carribon, 2014 : 103). Par ailleurs, la population temporaire s’échelonnant désormais sur une grande partie de l’année, la plupart des commerces deviennent pérennes, avec une forte proportion de commerces anomaux (Chaze, 2014) et une ouverture bien souvent dominicale. Ce constat de sur-équipement est aussi valable pour les services, les infrastructures culturelles, sportives, etc. Signalons que ce sur-équipement est d’autant plus accentué que la ville d’eaux est une ville touristique diversifiée avec des axes de développement autres que le thermalisme.

66Certaines stations ont déjà des projets en lien avec l’accueil supplémentaire de seniors. Prenons quelques exemples. À Luxeuil par ex., la municipalité a réfléchi à des zones d’habitat créées spécialement à leur intention : les "papys loft". Rentrant dans le contrat d’objectifs HABITAT 2020, ce projet consiste à donner à la ville un rôle moteur au sein de la Communauté de Communes sur cette thématique précise. Cilaos, elle, profite de l’Appel à Manifestation d’Intérêt (AMI) destiné aux bourgs et petites villes pour amplifier ses actions vis-à-vis des personnes âgées même si leur proportion est moindre qu’en métropole (uniquement 17,8%) : création d’un espace intergénérationnel de partage de l’histoire, création d’aires de loisirs familiales agrémentées de mobiliers urbains adaptés aux seniors et politique d’adaptation des logements pour les ménages en perte de mobilité (CGET, 2017a). Dax est devenue la 1ère ville en France à voir s’installer "un village Alzheimer" de 120 résidents (avec 120 emplois à la clé). Quant à Châtel-Guyon, un complexe thermal a été inauguré, en 2020, en plein cœur de ville, rassemblant, entre autres, un nouvel établissement thermal, une résidence de tourisme**** et une résidence-services pour seniors autonomes de 59 appartements.

Conclusion

67Au final, trois enseignements majeurs sont à tirer de cette enquête. Par rapport aux autres petites villes, la cité thermale n’a aucune spécificité en termes d’évolution démographique. Les différences entre catégories intra-urbaines sont similaires. Hormis quelques exceptions, les villes thermales ne montrent pas non plus de spécificités par rapport à leur environnement régional. Là encore, elles ne diffèrent pas de l’ensemble des petites villes françaises. « Certaines villes petites et moyennes sont fragilisées : chute démographique et vieillissement accentué de la population, désertification médicale, dévitalisation commerciale, pertes d’emplois, etc. Ce sont surtout les villes petites et moyennes des campagnes à fortes orientations agricole et industrielle qui sont dans ce cas. Cette fragilisation est particulièrement marquée dans l’arc nord-est de la France, de la Normandie à la Bourgogne - Franche-Comté et jusqu’au sud du Massif central. À l’inverse, le tissu urbain du littoral atlantique, des contreforts pyrénéens et du sillon rhodanien résiste mieux, inséré dans des dynamiques de croissance bien connectées aux espaces métropolitains » (CGET, 2018 : 14).

68Le deuxième enseignement est que les villes thermales hébergent un bon tiers de seniors. Ce constat n’est pas une surprise. Les stations thermales reçoivent durant la saison thermale une population âgée, les équipements publics sont donc adaptés à ce type de clientèle. Des équipements conformes à leurs attentes et un cadre de vie agréable ne peuvent qu’attirer des seniors intéressés par une résidentialisation à l’année. N’est-il pas alors opportun d’envisager le vieillissement de la population (évolution naturelle de la population permanente et venue de nouveaux seniors) non pas comme un drame mais comme une opportunité économique en lien avec l’accroissement de la consommation locale et la création d’emplois inhérents et ce, dans l’optique d’un positionnement sur la fonction résidentielle. Pourquoi ne pas se servir des savoir-faire des stations en la matière pour en faire de véritables pôles de santé au sein de leur bassin de vie ? Avec cette idée, nous nous inscrivons pleinement dans un des scenarii élaborés par la Communauté Européenne (2011 : 30) et dans lequel « les petites villes isolées ayant un potentiel économique basé sur l’industrie, les services (administration, santé) ou le tourisme (y compris l’économie résidentielle) prospéreraient. Leur objectif ne serait pas nécessairement de grossir mais de se stabiliser en offrant une bonne qualité de vie ». D’autres chercheurs, en l’occurrence des sociologues, réfléchissent également à approfondir cette question en lien avec l’accueil de touristes/curistes seniors: « Les stations thermales pourraient bien se présenter comme un terrain de choix pour observer dans quelle mesure se mettent en place de nouvelles formes de vieillissement différentiel fondées sur des facteurs sociaux mais aussi, et peut-être plus encore, directement reliées à l’inégale détention de capitaux économiques » (Sonnet et al., 2017 :70).

  • 9 Quelques données chiffrées pour montrer l’engouement après le confinement : en 2019, Béarn Immobili (...)

69Le dernier enseignement est que les villes thermales ne sont pas des repoussoirs (70% bénéficient d’un solde migratoire positif !) et ce, malgré une situation économique quelquefois défavorable (uniquement 43% des villes thermales connaissent une hausse des emplois). En sus, même si toutes n’en bénéficient pas (par ex. Luchon, Contrexeville), certaines (proches du littoral ou de la région parisienne) ressentent déjà l’effet Covid/confinement avec un regain d’achats d’appartement ou de maison, en habitation principale, de la part de retraités et/ou d’actifs (des jeunes retraités à Luxeuil ou Salies de Béarn9 par ex. et une majorité d’actifs à Bagnoles de l’Orne). Les pouvoirs publics auraient donc tout intérêt à les aider à consolider cette attractivité, notamment en réaffirmant leur centralité. Les programmes Action Cœur de Villes (ACV) pour les villes moyennes et Petites Villes de Demain (PVD) peuvent y contribuer. Cinq lieux thermaux (Dax, Digne, Lons, Rochefort et Vichy) ont été retenus pour le premier et les deux tiers des petites villes thermales pour le second. En 2017, certaines ont déjà profité de l’AMI destiné à la revitalisation des centres-bourgs. Salins et Cilaos avaient ainsi l’intention d’améliorer leur centre-ville du point de vue urbanistique et commercial. Salins envisageait même une incitation à l’installation se traduisant par l’octroi d’une prime aux ménages restant au moins six ans. Il sera alors intéressant de regarder les axes choisis dans ces programmes et d’analyser leurs impacts sur nos villes thermales dans les 5-10 années à venir.

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Notes

1 « Villes petites et moyennes : un regard renouvelé », Tours, 9-10 déc. 2010 ; « Aux frontières de l’urbain, petites villes du monde », Avignon, 22-24 jan. 2014 ; « Quelles centralités hors des métropoles ? La trajectoire des petites villes européennes comme enjeu d’équité territoriale », Lamballe, 22-23 mars 2018.

2 L’expression ne devient usuelle et officielle qu’après 1890 (Wallon, 1981).

3 Cet OESTH est en effet un outil politique utilisé (détourné) pour montrer l’importance des stations au plan économique et contrer ainsi les velléités de certains politiques à dérembourser les cures thermales. « Certains au plan national expliquent que le thermalisme n’aurait que peu de retombées économiques au sein des territoires, militant de fait pour un déremboursement de la cure thermale » (B. Lanet, adjointe au maire de Balaruc-les-Bains, Midi-Libre, 14/08/2020 ».

4 La 90ème station, Camoins, est un quartier de Marseille.

5 Par substitution comme Vichy prenant la place de la ville historique Cusset ou par opportunisme les stations bénéficiant d’une relative vacuité dans la polarisation de leur espace régional (dans 75% des cas).

6 Echantillon comparatif formé de 42 Aires Urbaines, 24 Unités Urbaines et de 6 communes isolées situées dans le Massif central.

7 Avec un taux d’emplois secondaires supérieur à la moyenne nationale sont considérées comme industrialisées (Edouard, 2001) les unités urbaines de : Thonon, Rochefort, St Amand, Aix, Montrond, Contrexeville, Salies du Salat, Luxeuil, Niederbronn, Bourbon Lancy, Vittel, Vichy, Lons, Allevard, Amnéville, Casteljaloux et La Léchère. Pour certaines, l’industrie est née de l’activité thermale (embouteillage, extraction du sel).

8 Souhaitant travailler sur un périmètre constant et partant du constat que les emplois se concentrent majoritairement dans les noyaux urbains, nous avons utilisé pour ce paragraphe les Unités Urbaines et non les Aires Urbaines. Après vérification, il n’y a en fait que quatre villes qui ont vu leurs limites évoluer entre 2010 et 2017. De plus, nous avons pris comme référence 2010 car avant cette date les emplois ne sont pas connus au niveau des unités urbaines.

9 Quelques données chiffrées pour montrer l’engouement après le confinement : en 2019, Béarn Immobilier a fait 35-40 ventes maximum ; en 2020, 52 avec 3 mois d’arrêt dans l’année ; et en 2021, 46 à la date du 28 juin seulement !

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Table des illustrations

Titre Document 4 : Évolution démographique des villes thermales entre 2007 et 2017
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Titre Document 5 : Extrait de la matrice
Crédits Source : INSEE, RP2007, RP2012 et RP2017, exploitations principales, géographie au 01/01/2020.
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Titre Document 6 : Bilan Naturel & Solde Migratoire de 1975 à 2017 des 50 villes thermales françaises
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Titre Document 7 : Bilan naturel et solde migratoire des lieux thermaux urbains entre 2012 et 2017
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Titre Document 8 : Évolution de la population (2007-2017) et des emplois (2010-2017) des villes thermales
Légende EMP2 - Emplois au lieu de travail par sexe, statut et secteur d'activité économique en 2017 NB : Le tableau EMP2 est indisponible pour la Léchère en 2010
Crédits Source : Insee, RP 2010, RP2017 exploitation complémentaire, géographie au 01/01/2020.
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Titre Document 9 : Évolution des emplois des lieux thermaux urbains et de la proportion d’actifs ayant un emploi
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Titre Document 11 : Exemples de pyramides des âges
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Titre Document 12 : Part des plus de 60 ans dans les villes thermales en 2017
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Pour citer cet article

Référence électronique

Marie-Eve Férérol, « Contribution à l’étude des petites villes françaises– Focus sur les petites villes thermales et leurs caractéristiques démographiques »Territoire en mouvement Revue de géographie et aménagement [En ligne], 50 | 2021, mis en ligne le 07 juillet 2021, consulté le 15 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tem/7729 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/tem.7729

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Auteur

Marie-Eve Férérol

Docteur ès géographie
Qualifiée maître de conférences en géographie & aménagement
mefererol@gmail.com

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