1L'objectif de la présente analyse est de mieux intégrer la mesure des réseaux économiques dans la réflexion sur les régions métropolitaines polycentriques en tant que nouveaux territoires dont le développement est aussi ambitieux qu'incertain. En effet, la politique régionale européenne ne distingue pas les métropoles produites par la mondialisation, des dynamiques politiques de métropolisation qui sont, quant à elles, beaucoup plus généralisées. Le seul mot d'ordre est que les villes voisines les unes des autres doivent désormais faire territoire pour faire métropole à l'échelle de grandes régions urbaines , le projet étant de gagner en compétitivité et, ce faisant, de maintenir la cohésion territoriale européenne dans la globalisation. Le fait que la plupart de ces nouvelles régions ne présentent guère d'évidence, de ce point de vue, contraste avec leur multiplication rapide, partout en Europe. Pour expliquer cette contradiction, nous adoptons la thèse formulée par Manuel Castells (2009) d'une opposition entre espace de lieux (ou de territoires) et espace de flux (ou de réseaux). Alors que la géographie économique tend à être produite par des réseaux mondialisés, le pouvoir politique, quant à lui, ainsi que la majeure partie des pratiques sociales, reste toujours référé à une logique de territoire. D'après Castells, ces deux espaces se développeraient de plus en plus indépendamment l'un de l'autre. Dès lors, les grandes reconfigurations territoriales orchestrées depuis deux décennies ne sont pas forcément cohérentes avec la géographie économique. Dans l'objectif de représenter l'espace de flux, nous interrogeons les réseaux d'entreprises aux trois échelles régionale, nationale et mondiale. La littérature spécialisée sur cette question montre qu'il existe des métropoles, dites « locales », qui se différencient nettement des métropoles, dites « mondiales », et que la régionalisation d'un tissu d'entreprises est le corollaire de son niveau d'internationalisation. La stratégie métropolitaine de la Grande Région transfrontalière SaarLorLux représente un terrain original pour tester cette problématique. Premièrement, alors que les villes transfrontalières ont été pionnières dans le développement de régions urbaines, dans les années 1990, elles connaissent aujourd’hui des difficultés à passer à une échelle supérieure de métropolisation. Nous nous demandons si ce n'est pas parce qu'elles sont composées de métropoles « locales ». Deuxièmement, un micro-état comme Luxembourg, que la littérature définit comme un « territoire relationnel », présente l'originalité d'être mondialisé tout en restant économiquement coupé de la région transfrontalière qui l'environne. Certaines dynamiques d'entreprises se produisent néanmoins à cette échelle. Nous voudrions en mesurer l'intensité.
2Depuis la publication du (SDEC) Schéma de Développement de l'Espace Communautaire en 1999, l'Europe se couvre de régions métropolitaines fondées sur des alliances à large échelle entre grandes villes voisines. S'il est entendu que cette nouvelle politique régionale trouve son origine dans la reconnaissance par les États de la puissance économique des métropoles dans la mondialisation (Jonas 2013), cependant, l'aspect contradictoire de ces deux mouvements bien différenciés, l'un géopolitique et l'autre géo-économique reste une question rarement abordée.
- 1 En 2006, la publication du modèle spatial (ou Leitbild) pour la « croissance et l'innovation » alle (...)
3Dans sa lecture de la globalisation, Sassen (1996) postule que l'expansion mondiale des réseaux de production a pour effet de générer une inégalité croissante dans la concentration des ressources et des activités stratégiques entre quelques métropoles dites mondiales ou globales, et les autres villes du même pays. Dans une autre approche économique, régionaliste, Scott (2005) décrit les super économies d’agglomération au sein des régions urbaines les plus peuplées, étendues et mondialisées. Si ces dernières forment entre elles une sorte d'archipel mondial qui défie la cohésion sociale et politique des Etats-nations (Veltz 1996), elles sont aussi identifiées comme les nouveaux « moteurs » du développement territorial. Ces travaux influents ont eu pour effet de propulser la métropole en tant que nouvel enjeu de la politique régionale. Toutefois, la perception d'un mouvement de multiplication des métropoles, et, ce faisant, d'une conservation possible de la finesse et de la richesse de la trame urbaine et régionale européenne dans la mondialisation, n'a été rendue possible que grâce à la capacité, démontrée par de nombreuses grandes villes, à se mobiliser politiquement et à réorganiser leur espace régional pour gagner en compétitivité. En effet, dans un sens géopolitique, les métropoles désignent les villes industrielles en crise des années 1980/90 qui se métamorphosent en initiant spontanément des « dynamiques de métropolisation » (Ginet 1999). Une « nouvelle gouvernance » locale (réunissant politiques, administrateurs, universitaires, banques, grands patrons...) soucieuse du devenir de la cité, cherche à obtenir l’adhésion au projet métropolitain des territoires adjacents à la ville centrale, tout en se positionnant à l'international pour attirer des investissements et des entreprises, selon une recherche de développement exogène. C'est, vraisemblablement, pour poursuivre et augmenter ces dynamiques que les États européens orchestrent, depuis les années 2000, l'élargissement des aires de métropolisation à une échelle régionale supérieure. Il en résulte la reconnaissance de l'expansion et de la complexité des agglomérations les plus puissamment mondialisées, mais également, et surtout, un effort d’intégration des espaces fragmentés mais disposant néanmoins d'une masse critique d'activités potentiellement mobilisables, dès lors que l'on fait abstraction des frontières politiques et administratives qui les divisent et que l'on encourage la création de réseaux à une échelle suffisamment large. En Allemagne, l'instauration de grandes régions métropolitaines a tout d'abord concerné sept cœurs métropolitains affirmés tels que Rhin Ruhr (Cologne, Düsseldorf...) ou Rhin Main (Francfort, Mayence, Darmstadt...) reconnus depuis 1995 et jugés faire le poids, du fait de leur polycentrisme, face aux deux archétypes de villes globales que sont Londres et Paris. Puis, cette politique s'est étendue, en deux vagues successives (2006 et 2013), tout d'abord à des grappes de villes moins métropolitaines, puis de plus en plus périphériques, jusqu'à aujourd'hui recouvrir des régions rurales dynamiques ainsi que des régions transfrontalières (Knippschild et Wiechmann 2012)1. Cette incorporation des périphéries dans le projet métropolitain est aussi visible en France. L'appel à la coopération métropolitaine de la DATAR (Délégation à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale) conduit, en 2010, à l’instauration de Pôles métropolitains, afin d'accumuler des ressources et ainsi contribuer à la compétitivité et à l'attractivité des territoires provinciaux (Paris n'étant pas concerné) économiquement vulnérables (Demazière 2008). En 2019, 26 Pôles sont actés ou planifiés, aussi bien autour d'une métropole attestée comme Lyon, que d'une ville de taille moyenne isolée comme Pau. La seule condition pour former un Pôle est que l’agglomération centrale compte plus de 100 000 habitants.
4Dès sa mise en place, en Allemagne, en France mais aussi, notamment, au Royaume-Uni et en Irlande, cette politique régionale pose question. En effet, alors que certaines régions urbaines polycentriques ont désormais vocation à mieux gérer et répartir une richesse effectivement produite, celles qui cherchent, au contraire, à stimuler une croissance faisant défaut ne présentent, quant à elles, aucune évidence à cette échelle (Davoudi 2003). Bien que l'alliance entre grandes villes voisines soit présentée comme la meilleure des stratégies de développement possible, Bailey et Turok (2001) formulent des doutes sur sa capacité à initier ou à augmenter des synergies. Harrison et Growe (2014) notent que ce nouveau modèle régional abuse de concepts spatiaux tels que l' « aire d'influence » ou le « système urbain » pour représenter une hypothétique diffusion de la richesse de la métropole d'un territoire vers un autre. Les régions urbaines polycentriques sont ainsi qualifiées de possibles « chimères » (Bailey et Turok 2001) ou « rêves » (Davoudi 2007), rendant d'autant plus problématique l'aspect « normatif » de leur agenda, associé à un « puissant discours politique » (Davoudi 2003). Depuis ces travaux initiaux, la question de la discordance entre volonté politique et réalité économique n'a guère été approfondie. En effet, l'étude des régions urbaines reste fondamentalement associée à une problématique territoriale qui laisse peu de place à la mondialisation des entreprises, spécifiquement dans les espaces de moindre évidence métropolitaine. Jonas (2013) ou Harrison et Hoyler (2014) appellent ainsi à se concentrer sur l'analyse géopolitique des régions urbaines qu'ils estiment occultée par le mot d'ordre omniprésent de la compétitivité territoriale. Ces auteurs soulignent que peu de choses sont connues sur les stratégies et les enjeux poursuivis par les acteurs impliqués dans la construction de ces nouveaux édifices. Bien qu'un tel questionnement soit crucial, il nous paraît tout autant nécessaire de clarifier l'amalgame entre les centres et les périphéries désormais contenu dans le discours sur la métropole (Harrison et Hoyler 2014). Cette préoccupation semble cohérente avec les travaux de Castells (2009). Ce dernier, en identifiant l'émergence brutale, dans l'Histoire, d'une économie globalisée (c'est-à-dire en réseau) souligne la difficulté des territoires de se projeter dans un « espace de flux » dont la nature leur échappe, mais aussi les aliène (Castells 2009 p. 459). Dans ce sens, il devient possible de proposer que la multiplication des grandes régions métropolitaines résulterait d'une représentation partiellement illusionnée d'un « nouveau monde régional » (Harrison et Growe 2014).
- 2 Le World City Network (Tayor et Derudder 2016) est l'objet de recherches du groupe GaWC (Global and (...)
- 3 On retrouve également ces liens directs avec Paris dans Berroir et al. (2017)
5Dans une étude initiée par la DATAR, Berroir et al. (2017) établissent la cartographie française des réseaux d'entreprises représentant les « aspects économiques et financiers qui donnent du sens aux flux » dans une société mondialisée. L'étude montre que l'expansion régionale des entreprises qui crée des liens entre villes voisines suivant une logique territoriale de contiguïté, vient se superposer à celle d'autres flux, notamment les relations domicile/travail. Un grand nombre de régions urbaines polycentriques sont ainsi reconnues partout en France. Elles encouragent autant de redécoupages territoriaux ainsi que la création de nouveaux outils de gouvernance. Il nous semble essentiel de faire remarquer, cependant, que ce dynamisme apparent de la maille régionale se trouve largement relativisé dès lors que l'on prend en compte la mesure internationale des réseaux d'entreprises (ce que ne font pas Berroir et al.). Une telle mesure reste relativement rare du fait de la difficulté à mener des analyses sur les villes et les firmes à l'échelle mondiale. Nous retenons, dans le cadre de cet article, les nombreuses données produites sur ce thème par le groupe GaWC dans le cadre du World City Network2. Taylor et al. (2012) montrent, en particulier, à partir de l'analyse, pays par pays, de la connectivité de 500 villes du monde dans les réseaux de plus de 2000 firmes, qu'il existe une distinction claire entre deux types de métropoles : seul un nombre très faible de métropoles globales (les super nœuds du réseau mondial) ont la spécificité de connaître des connexions internationales qui dépassent (ou leur sont équivalentes) les connexions restant à l'intérieur de l'espace national. En France, il s'agit de Paris, et, dans une bien moindre mesure, de Lyon. Au contraire, la quasi-totalité des villes dites par opposition « locales » (les nœuds plus faibles) est intégrée dans des réseaux de firmes restant, pour l'essentiel, à l'intérieur du cadre national, tandis que leur internationalisation représente une part très variable, mais toujours nettement plus ténue, de leur connectivité. Dès lors, si l'on définit la compétitivité d'un territoire par son intégration dans un marché d'échelle supérieure (Levy 2007), il semble que cette dernière fasse défaut aux villes « locales » et que l'on puisse par conséquent parler de métropolisation à deux vitesses. Le lien de cause à effet entre internationalisation et régionalisation est démontré empiriquement par Hall et Pain (2006). Ces derniers mesurent en Europe le développement de « méga-cité régions » (MCR), où les firmes multi/transnationales basées dans la métropole globalisée se déploient également dans les centres urbains voisins, à l'échelle d'un bassin de population multimillionnaire. Dans une étude sur les principales firmes industrielles et de services avancés en Allemagne, Luthi et al. (2013) précisent qu'un maximum de six MCR (Munich, Rhin-Main, Hambourg, Rhin-Ruhr, Stuttgart et, dans une moindre mesure, Berlin) sont pertinentes dans la globalisation. Les auteurs posent alors la question de la signification en termes économiques des neuf autres régions métropolitaines allemandes en train de se construire politiquement. Contrairement aux MCR, ces dernières semblent limitées dans leurs efforts d'affirmation régionale du fait de la faiblesse de leur internationalisation. Une importante dynamique à l'œuvre dans ces villes dépend de ce que l'on peut appeler une nouvelle centralité. En effet, au sein de l'espace national, les relations économiques directes entre une métropole « mondiale » et de multiples métropoles « locales »3 contribuent à réduire l'importance du système urbain régional fondé sur la logique des places centrales (Luthi et al. 2013). La maille régionale s'efface alors au profit de ce que Veltz (2012), dans son hypothèse sur la « ville-France », nomme une méga-région, dont le centre est représenté par Paris, les nœuds par les grandes villes françaises, et le cadre, par les frontières nationales. Afin de démontrer cet espace de flux et de mesurer jusqu'à quel point il contraste avec les nouveaux édifices métropolitains en construction, nous prenons le cas d'étude de la Grande Région transfrontalière SaarLorLux qui exacerbe l'opposition entre réseaux et territoires.
- 4 La région Lorraine, fusionnée, par l’État, en 2015 avec l'Alsace et la Champagne-Ardenne au sein d' (...)
6Les agglomérations transfrontalières d’Europe du nord-ouest ont été, autour des années 1990, pionnières dans la mise en œuvre d'un processus de métropolisation. Les frontières de la métropole ont ainsi pu gagner en signification sur les frontières nationales (Ginet 1999). L'instauration planifiée de régions urbaines polycentriques à large échelle, s'y est, toutefois, effectuée avec un certain retard. C'est seulement durant les années 2010 que ces dernières sont venues renouveler les structures de coopération inter-régionales (ou eurorégions) initiées dès les années 1970. Ces édifices récents ne disposent, cependant, pas encore, actuellement, de l'autonomie juridique qui leur serait nécessaire pour devenir des territoires à part entière. Malgré cette carence, les régions métropolitaines polycentriques transfrontalières (RMPT) s'inscrivent pleinement dans les enjeux territoriaux de cohésion et de compétitivité portés par la politique régionale européenne. En effet, les espaces frontaliers d'Europe du nord-ouest entre l'Allemagne, le Luxembourg, la France, la Belgique (Wallonie) et la Suisse, sont dotés d'un caractère rural ou (et) sont anciennement industrialisés. Ils représentent les lignes de faiblesse internes du « pentagone », la principale « zone européenne d'intégration économique mondiale » (représentant 50% du PIB de l'UE et 75 % de sa recherche-développement) délimitée par une ligne reliant Paris, Londres, Hambourg, Munich et Milan. Ce n'est donc, à notre sens, pas un hasard si les cinq États que nous venons de citer ont été les initiateurs de l'élargissement du SDEC à la question frontalière en initiant le programme de recherche ESPON Metroborder (2010). Le Land allemand de la Sarre semble représentatif de cette volonté. Membre fondateur de la Grande Région SaarLorLux, qui participe activement à la promotion de l’Initiativkreis Metropolitane Grenzregionen (IMEG) (le « groupe d'initiative pour les régions métropolitaines transfrontalières ») au niveau fédéral allemand, ce petit Land (1 million d'h.), frontalier avec la France et le Luxembourg, fortement frappé par la crise de l'industrie lourde et relativement éloigné des grandes métropoles européennes a initié, avec un certain succès, une première dynamique de métropolisation lorsque la ville de Sarrebruck a consolidé politiquement son aire urbaine transfrontalière (15000 navetteurs en 2015, d'après l'Insee) en s'associant, à partir de 1997, avec 26 communes françaises voisines de l'Est du département de la Moselle. Concomitamment, les points forts du Land en termes de politique économique, qui sont, par exemple, les relations rapides et directes entre entreprises et administrations, ainsi que, notamment, l'adaptabilité de la formation universitaire aux demandes du marché (Georgi 2014), ont contribué à faire de la Sarre un rouage significatif de plusieurs chaînes de valeur mondiales (l'automobile, les logiciels informatiques...) impliquant des entreprises allemandes de toutes tailles ainsi que de grands groupes français. La relation avec la France, perçue comme stratégique par le gouvernement sarrois, génère une certaine économie métropolitaine à travers, par exemple, l'existence d’une représentation consulaire française à Sarrebruck ou encore la localisation d'une partie du service franco-allemand du cabinet transnational d'audit et de comptabilité PWC, dont le réseau de bureaux est, pour le GaWC, un marqueur de la globalisation. Le Land, soutenu par le niveau fédéral allemand, entrevoit un bénéfice à s'engager dans une collaboration inter-territoriale, à l'échelle d'une grande région urbaine transfrontalière disposant d'un PIB agrégé de plus de 100 milliards d'euros et trois millions d'habitants, répartis dans une grappe de villes voisines (ESPON Metroborder 2010) ; une telle région urbaine ne pouvant être rendue possible que par une intégration politique considérablement renforcée, mise en œuvre par de multiples acteurs poursuivant un projet métropolitain commun. Outre la Sarre, le vaste Land de la Rhénanie-Palatinat est également impliqué dans la construction de la RMPT à travers les deux districts municipaux de Trêves (proche de Luxembourg) et de Kaiserslautern (proche de Sarrebruck). Côté français, le Sillon Lorrain, un Pôle métropolitain institutionnalisé en 2012 qui a émergé de la défunte région Lorraine4, pourrait venir enrichir le partenariat. Bien que connaissant une certaine stagnation, il s'agit du seul territoire de la Grande Région à disposer juridiquement d'une nature métropolitaine à l’échelle d'une petite région polycentrique qui confère à 4 villes associées (Épinal, Nancy, Metz, Thionville) des compétences stratégiques restant, toutefois, encore peu affirmées.
- 5 D'après une interview menée par l'auteur auprès de l'une des principales entreprises immobilières d (...)
7Au sein de la RMPT, le territoire économiquement le plus significatif est sans conteste le Grand-Duché de Luxembourg. Il s'agit d'un micro-état que l'on peut qualifier de « relationnel » (Hesse et Wong 2020) dont la forte intégration dans certains réseaux mondialisés présente la spécificité de ne pas être associée à des économies d'agglomération au niveau régional (ce qui correspond à l'exact opposé du modèle d'Allen Scott). Il en résulte, par conséquent, un espace économique de faible étendue (Luxembourg-ville ne compte guère plus 100 000 résidents) mais doté d'une taille « empruntée » qui confère au Grand-Duché d'importants attributs métropolitains. Ainsi, Luxembourg est-il l'un des principaux centres financiers européens et un territoire fiscalement attractif où la plupart des groupes mondiaux sont représentés ; certains d'entre eux, à l'image d'Amazon Europe, y disposant de leur siège opérationnel. L’économie de Luxembourg ne se réduit pas aux activités financières et comptables, puisque la ville dispose également d'un aéroport de fret dans le top 30 mondial qui contribue à articuler le pentagone européen à la chaîne d'approvisionnement mondiale. Le Grand-Duché est entièrement recouvert par un unique bassin d'emplois qui transgresse très largement la frontière nationale, générant le plus grand nombre de navetteurs transfrontaliers d’Europe (180 000 en 2016, d'après la statistique nationale). Ce bassin justifie, sans doute, l'engagement de l’État luxembourgeois dans la promotion de la RMPT. Luxembourg assure, en effet, l'hébergement de la plupart des entités de la Grande Région institutionnelle, ainsi que la coordination entre les parties prenantes impliquées dans chacune des étapes de son développement (Grande Région 2016). Il convient de souligner que cette région urbaine reste largement dysfonctionnelle du fait de la saturation des routes et des trains régionaux par des navetteurs transfrontaliers qui n'ont pas accès à l'immobilier dans le Grand-Duché. En contraste, la mobilité aérienne des cadres supérieurs à l'intérieur des grandes firmes de services mondialisées met en valeur, à Luxembourg-ville, un espace fonctionnel beaucoup plus réduit et d'une toute autre qualité5.
- 6 L'incapacité à opérer de fortes synergies entre les deux clusters automobiles lorrain et sarrois il (...)
8Malgré la stratégie métropolitaine adoptée dans le cœur historique et urbain de l'espace SaarLorLux (voir carte 1 en annexe), la question de la « fantaisie politique ou de la réalité économique » (Hahn 2013) d'une telle région n'est toujours pas tranchée. Les synthèses préparatoires à l'élaboration du volet économique du Schéma de développement territorial de la Grande Région (Grande Région 2016), de même que la plupart des recherches consacrées à ce sujet, ne cessent de s'interroger sur la pertinence de conférer une « ambition métropolitaine » (Evrard et Schulz 2015) à un espace régional divisé par six frontières nationales et présentant économiquement d'indéniables faiblesses structurelles (Neumann 2015). En effet, le processus de métropolisation que l'on reconnaît, certes, au sein de chacune des aires urbaines composant la Grande Région, depuis déjà quelques décennies, a cependant du mal à se traduire, à une échelle régionale plus large, par une claire mise en réseaux des principaux bassins socio-économiques voisins les uns des autres, bien qu'il y ait toutefois certaines évidences en termes de flux transfrontaliers (Knippschild et Wiechmann 2012). Si l'on envisage la Grande Région SaarLorLux dans les réseaux mondialisés des firmes, Taylor et al. (2012) nous indiquent que les villes françaises et allemandes composant la RMPT souffrent d'un fort « localisme ». La RMPT semble d'autant plus contrariée que la frontière nationale, bien qu'idéalement effacée par le discours politique, serait en réalité particulièrement significative pour les métropoles « locales » et viendrait donc contrebalancer l'avantage international que procure la proximité du pentagone. Suivant ce principe, les parties françaises et allemandes de la Grande Région métropolitaine devraient actuellement s'écarter l'une de l'autre en regard des liens beaucoup plus puissants qui les attachent à l'espace national6. En contraste, une métropolisation transfrontalière en SaarLorLux est sans doute rendue possible par le Luxembourg. En effet, le Grand-Duché semble, de plus en plus, attirer des entreprises de la Grande Région qui viennent s'y domicilier juridiquement. Il n’est de même pas exclu que certaines entreprises luxembourgeoises connaissent, elles aussi, un processus de croissance transfrontalier au sein de la RMPT.
9Les réseaux d'entreprises sont mesurés avec la méthode de Berroir et al. (2017) qui consiste à cartographier les « différentes localisations des établissements d’une même entreprise, notamment entre son siège social et ses autres établissements, tous secteurs d’activité confondus ». L'usage de la base internationale d'entreprises ORBIS nous permet de porter l'analyse à un niveau mondial et transfrontalier. A partir d'ORBIS (durant l'année 2015) nous élaborons trois listes d'entreprises. Pour constituer la liste 1 (un exemple est présenté tableau 1 en annexe), on extrait dans les parties administratives française (Région Lorraine), allemande (Land de la Sarre, ainsi que les arrondissements voisins de Trèves et de Kaiserslautern) et luxembourgeoise, les 2500 entreprises dominantes par chiffre d'affaires, tous secteurs confondus. Nous complétons cette liste (en éliminant les doublons) par les entreprises dont la tête de groupe est située dans un autre pays aussi bien que dans une autre région. Cette requête est destinée à accentuer la représentation des firmes non locales, en plus de celle des firmes leaders. Pour constituer les listes 2 et 3, une seconde requête consiste à extraire d'ORBIS les entreprises « têtes de groupes » natives de la Grande Région disposant de filiales contrôlées à plus de 50 %. Pour chaque tête de groupe sont également indiqués l'entreprise mère possédant le « contrôle ultime », lorsqu'il y en a une, ainsi que les actionnaires, lorsqu'il y en a. Ces deux dernières informations sont agrégées pour établir la liste 3. Cette dernière vient donc s'ajouter à la liste 1 pour représenter l'espace depuis lequel sont contrôlées les entreprises présentes dans la RMPT.
- 7 On retient les 4 AUF principales composant le Sillon Lorrain (Épinal, Nancy, Metz et Thionville), l (...)
10La nomenclature territoriale que nous utilisons pour situer les entreprises correspond à la classification en aires urbaines fonctionnelles (AUF) définies par ESPON 1.1.1 (2004), à partir des déplacements domicile/travail autour d'un centre urbain morphologique. Ce cadre statistique a l'avantage de prendre en compte des agglomérations correspondant à un bassin d'emplois et ainsi de dépasser les limites administratives ou autres cadres statistiques arbitrairement délimités. Huit AUF sont identifiées au sein de la RMPT7. Les sites des entreprises extérieurs à la RMPT sont également tous attachés à des AUF. En dehors de l'Union européenne, cette classification n'étant pas disponible, nous avons fabriqué nos propres AUF à partir d'atlas routiers et d'encyclopédies en ligne, en considérant la distance/temps de 45 minutes en voiture autour d'une ville centre de plus de 200 000 habitants.
11Les listes définitives des entreprises sont élaborées en recensant uniquement les entreprises multi-situées dont la tête de groupe, l'actionnaire ou la filiale est située dans une AUF différente de celle où est sise l'unité locale. Ce faisant, nous éliminons les relations intra-AUF, ainsi que les relations qui s'effectuent en dehors du cadre des AUF, c'est-à-dire impliquant les espaces considérés par ESPON (2004) comme ruraux. Les relations inter-AUF (ou dyades) sont calculées de la manière la plus simple possible : c'est le nombre d'entreprises impliquées dans une même relation entre deux AUF qui permet de mesurer l'intensité de ce lien. Pour la liste 1 (entreprises étrangères et entreprises leaders) chaque unité locale disposant d'un statut de filiale est reliée à sa tête de groupe, nationale ainsi qu'à sa « tête de groupe » globale. Pour les listes 2 et 3 (entreprises natives de la Grande Région) chaque unité locale est reliée à ses filiales, ainsi qu'à sa tête de groupe globale, ou/et à ses actionnaires assurant le contrôle de l'unité locale. Au final, les AUF composant la RMPT sont impliquées dans (liste 1) 4284 liens inter-urbains formés par autant de filiales qui appartiennent à 2823 têtes de groupes. Pour pouvoir être cartographiés plus simplement, ces deux nombres sont additionnés pour parvenir à une valeur unique (soit 7107 liens). La liste 2, quant-à-elle, est composée de 6459 liens inter-urbains portés par les entreprises « filiales » qui sont contrôlées par les firmes natives des AUF de la RMPT. La liste 3 de 2778 liens inter-urbains représente les actionnaires et maisons mères contrôlant ces entreprises natives.
12Conformément à notre hypothèse, les résultats montrent que la Grande Région métropolitaine est bien partagée en deux espaces. L'un est surtout représenté par Luxembourg, un petit territoire mondialisé qui porte quasiment à lui seul les relations polycentriques à l'échelle de la RMPT ; l'autre est composé des AUF des parties françaises et allemandes de la RMPT qui présentent de fortes caractéristiques « locales ».
Graphe 1. Régions urbaines d'origine des entreprises leaders et étrangères présentes dans les principales aires urbaines composant la RMPT SaarLorLux. Le graphe visualise 95% de la distribution totale (liste 1) soit 6743 liens inter-urbains intra-firmes.
Graphe 2. Régions urbaines vers lesquelles croissent les entreprises natives des principales aires urbaines composant la RMPT SaarLorLux. Le graphe visualise 87% de la distribution totale (liste 2), soit 5592 liens inter-urbains intra-firmes.
Graphes 3. Régions urbaines d'où sont contrôlées les entreprises natives des principales aires urbaines de la RMPT par les maisons-mères et les actionnaires. Le graphe visualise 90% de la distribution totale (liste 3), soit 2487 liens inter-urbains intra-firmes.
Graphes 1B, 2B, 3B. Focus issu des trois graphes 1, 2 et 3 présentant les relations entre aires urbaines au sein de la RMPT SaarLorLux
13Luxembourg apparaît comme fortement mondialisé en comparaison des parties françaises et allemandes de la RMPT, étant donné sa population d'entreprises plus importante (56% de la population d'entreprises de la liste 1) et du fait de la portée mondiale de ces dernières, ainsi que les graphes 1, 2 et 3 le mettent en évidence. Le pentagone nord-ouest européen est particulièrement bien représenté (graphe 2 : 60 % des entreprises luxembourgeoises y disposent de filiales). L'espace de croissance des firmes natives met en valeur la Randstad Holland (Amsterdam, Rotterdam, La Haye, Utrecht), suivie de Londres, de la Belgique centrale (Bruxelles, Anvers, Gand, Charleroi) et de Paris. L'Allemagne est le pays le mieux représenté malgré des liens inter-urbains un peu moins intenses avec Rhin-Ruhr et Rhin-Main, puis Berlin et Munich. Les graphes 1 et 3 (firmes leaders & étrangères et actionnaires & maisons-mères) soulignent, quant-à-eux, un contrôle depuis Londres, d'abord, puis, depuis Paris, la Belgique centrale, les îles offshore britanniques de Jersey et Guernesey et la Randstad Holland. L'Allemagne ne représente cette fois que le second pays européen d'origine des firmes du graphe 1 (derrière le Royaume-Uni). Elle est étrangement peu représentée dans le graphe 3 (2% de la population d'entreprises, derrière la Belgique).
14Les relations au-delà du pentagone sont plus nettement partagées entre deux géographies. Les USA sont le premier pays étranger d’où sont contrôlées les entreprises luxembourgeoises (à hauteur de 22% de l'AUF graphe 3 et de 16% du graphe 1) et semblent venir combler la faible présence de l'Allemagne dans ces graphes. New York et le Delaware sont mis en évidence (particulièrement dans le graphe 1) ainsi qu'une population très dispersée d'autres villes (graphe 3). On note que l'Asie est très nettement moins représentée que les USA (les villes chinoises et japonaises représentent respectivement 3% et 2% de la base de données du graphe 1), ce qui décrit, d'après Taylor et al. (2012), un « mondialisme » traditionnel. En effet, un nouveau « mondialisme » verrait, au contraire, les métropoles asiatiques remplacer leurs homologues américaines, ce qui n'est absolument pas le cas au Luxembourg. Il faut noter qu'une autre partie de la population d'entreprises du Grand-Duché est contrôlée depuis des centres financiers offshore appartenant au Royaume-Uni ou au Commonwealth. Les îles Caïmans (George Town), les îles Vierges britanniques (Tortola) et les Bermudes (Hamilton) représentent ainsi 9% de la population totale du graphe 1 comme de celle du graphe 3. Si l'on se penche, à présent, sur l'espace de contrôle et d'investissement des firmes luxembourgeoises natives (c'est-à-dire dont la tête de groupe est luxembourgeoise - graphe 2), les USA y sont cette fois faiblement représentés (2% des réseaux), et, si l'Asie l'est davantage, la spécificité la plus importante de cet espace réside dans l'attractivité de l'Europe centrale et orientale, en particulier Prague, Vienne, Varsovie, Budapest. Par ailleurs, la péninsule ibérique (notamment Madrid) y est également visible.
- 8 3% de la totalité des entreprises non luxembourgeoises présentes dans le Grand-Duché sont originair (...)
- 9 Graphe 2, Sarrebruck représente la première et principale ville cible des firmes luxembourgeoises n (...)
15Conformément à son profil mondialisé, Luxembourg occupe une position centrale au sein de la RMPT. Les relations avec, en particulier Trèves, Sarrebruck, Metz et Thionville-Longwy ne semblent d’ailleurs pas « écrasées » par les liens à l'échelle mondiale que nous venons de décrire. Le Grand-Duché représente l'origine ou la destination de 56 % des réseaux de firmes leaders et étrangères internes à la RMPT (graphe 1), de 43 % des firmes natives (graphe 2) et de 52 % des actionnaires et des maisons-mères contrôlant ces entreprises natives (graphe 3). Il est ainsi possible de dire qu'une entreprise sur deux qui croît au sein de la RMPT, le fait depuis/vers Luxembourg. Cette centralité est particulièrement évidente en regard des réseaux spécifiquement transfrontaliers (toujours internes à la RMPT) puisque Luxembourg est impliqué dans 72 % d'entre eux (graphe 1), cette part montant à 87% et 86% sur les graphes 2 et 3. Le graphe 1B (firmes leaders et étrangères) met particulièrement en valeur une région urbaine de type aréolaire, plus que réticulaire, impliquant en particulier Trèves, une AUF contiguë à celle de Luxembourg et « chevauchée » par cette dernière8. Une seconde forme de métropolisation luxembourgeoise, que les entreprises natives mettent plus particulièrement en évidence (graphes 2B et 3B), représente une RMPT dont la configuration polycentrique et réticulaire est plus affirmée, car impliquant davantage Metz et Sarrebruck (ainsi que, toujours, Trèves)9.
- 10 Graphe 1et graphe 2 (RMPT non comprise), respectivement : 60% et 58% de la population d'entreprises (...)
- 11 Sur le graphe 3, l'espace des actionnaires et des maisons-mères de ces firmes natives, connaît, à n (...)
16Les graphes 1, 2 et 3 montrent que les parties françaises et allemandes de la RMPT connaissent un fort « localisme », en regard de la dominance des liens inter-urbains s'inscrivant dans le cadre national extra-régional. Soit environ 60% de la population d'entreprises des parties françaises et allemandes de la RMPT10. A ce stade de la description, il faut signaler le cas particulier représenté par Moselle-Est sur le graphe 1, qui se distingue nettement des autres AUF françaises de la RMPT, puisque la part des entreprises leaders et étrangères originaires d’Allemagne, y est plus importante que celle de leurs homologues originaires de France (respectivement 34% contre 29%, - hors RMPT) ce qui fait de Moselle-Est une agglomération davantage fonctionnellement allemande que française. En revanche, du point de vue de la croissance des entreprises natives (graphe 2), Moselle-Est redevient, cette fois, largement fonctionnellement française11.
17Les réseaux nationaux depuis lesquels sont contrôlées les entreprises leaders et étrangères de la RMPT (graphe 1) montrent une forte représentation de la métropole mondiale. Paris représente ainsi l'origine de 40% des firmes de Metz et de Nancy (graphe 1). Côté Allemand, on note qu'une large proportion d'entreprises présentes en Sarre est originaire de deux MCR allemandes : Rhin-Ruhr (Düsseldorf, Cologne, Essen...) puis Rhin-Main (Francfort, Mayence, Darmstadt...) (respectivement, graphe 1, 13% et 8%). Il en va de même à Trèves. Deux autres MCR significatives sont Rhin-Neckar (Mannheim, Heidelberg, Ludwigshafen) et Munich. En léger contraste, la géographie de l'espace contrôlé par les entreprises natives de la RMPT (graphe 2) apparaît comme plus dispersée dans le cadre national. La métropole mondiale ne compte, par exemple, plus que pour 16 % à Sarrebruck (Rhin-Ruhr et Rhin-Main cumulées) tandis que les « autres villes nationales » (indice de dispersion qui cumule l'ensemble des liaisons nationales les plus faibles) montent à 28% (contre 14% sur le graphe 1). Si la relation Metz-Paris reste forte (35%), le lien Nancy-Paris s'effondre à 11% au profit de connections vers les « autres villes » françaises. Dans ce contexte, Strasbourg se distingue légèrement, notamment, sur les graphes 2 et 3, en tant que destination cible de 7% des firmes natives de Nancy qui lui est géographiquement proche. Côté allemand, c'est Munich, qui, bien qu'éloignée de la Sarre, est bien mise en évidence sur ces deux mêmes graphes (dans les mêmes proportions que Rhin-Main).
- 12 Les réseaux extra-nationaux (et extra RMPT) sont représentés comme suit graphe 1 et graphe 2 : Metz (...)
- 13 La Belgique centrale représente la première région urbaine de destination des investissements des e (...)
- 14 Les USA y sont le second pays étranger derrière Luxembourg d’où sont contrôlées des entreprises nat (...)
18Si ce n’est dans leur lien depuis/vers Luxembourg, les relations internationales des AUF françaises et allemandes de la RMPT souffrent d'un manque de représentativité par rapport aux relations nationales que nous venons de mesurer12. L'intensité en moins, la géographie de ces relations internationales est en partie similaire à celle que connaît Luxembourg ; Londres et les centres offshore étant toutefois exclus. Le pentagone est ainsi mis en valeur, mais, nous le soulignons, de manière réduite par rapport aux ambitions souvent « cosmopolites » des villes frontalières. Côté allemand, la relation internationale (hors RMPT) la plus solide est celle reliant Paris à Sarrebruck, soit 3% des relations interurbaines totales incluant cette dernière ville (graphe 1) (du même ordre que depuis Hambourg). Du côté du Sillon Lorrain (graphe 1), si les villes allemandes sont (après Luxembourg) les mieux représentées, il s'agit de relations dispersées qui ne mettent pas de dyades particulièrement en valeur (à l'exception de Rhin-Ruhr et de Thionville-Longwy sur les graphes 1 et 3). On souligne, en revanche, l'importance de la Belgique centrale pour le Sillon Lorrain, une MCR particulièrement mise en valeur dans le graphe 2 par deux liens robustes depuis Metz et Nancy13. Hors du pentagone, le graphe 1 met en évidence les USA d'où est contrôlée une partie non négligeable des entreprises des AUF de Thionville-Longwy (4%) ; Trèves (4%) ; Sarrebruck (3%) ; Moselle-Est (3%), d'Epinal (8%) et de Kaiserslautern (12%). Le graphe 3 présente un profil similaire14. En termes, cette fois, d'espaces contrôlés par les entreprises natives (graphe 2) on remarque surtout que la Sarre, à l'image de Luxembourg, est présente dans toute l'Europe centrale. Le groupe de pays suivant : Pologne, Autriche, République Tchèque, Roumanie, Hongrie, Bulgarie, représente 9% des relations totales sarroises (en comparaison, le pentagone, Luxembourg inclus, recouvre 11% des relations sarroises), mais il s'agit, là encore, de liens relativement dispersés qui ne mettent pas de dyades en valeur.
- 15 Les entreprises originaires de Moselle-Est présentes à Sarrebruck sont suffisamment nombreuses pour (...)
19Le déficit d'internationalisation des parties françaises et allemandes de la RMPT se traduit à l'échelle régionale. Notre base de données fait ainsi apparaître le peu d'entreprises inter-reliant le Sillon Lorrain et les AUF allemandes de la RMPT. Les graphes 2 et 3 (entreprises natives) mettent plus particulièrement en évidence le contraste entre la force relative des réseaux régionaux non-transfrontaliers, et leur quasi-inexistence au niveau transfrontalier franco-allemand. On identifie ainsi un solide lien Metz-Nancy (relations réciproques) qui est la première paire de villes interne à la RMPT du graphe 2B (devant Luxembourg-Sarrebruck). Une autre forte relation régionale nationale est celle qui existe entre Sarrebruck et Trèves (8 % des relations totales internes à la RMPT). Il est intéressant d'observer, du point de vue des entreprises natives, que Thionville-Longwy a la spécificité de connaître davantage de relations avec Metz qu'avec Paris : la force de ce lien régional semblant expliquer la faiblesse des relations extra-régionales des entreprises de Thionville-Longwy avec le reste de la France (cf. note 10). Il en va de même, côté allemand, à Kaiserslautern, où la relation vers Sarrebruck (graphe 2) est supérieure à la relation avec la MCR Rhin-Main. Il s'agit là, sans doute, d'une lecture traditionnelle du système urbain régional, dans laquelle l'intensité du lien inter-urbain intra-firme dépend davantage de la proximité géographique. Au sein de la RMPT, Moselle-Est représente, une fois encore, un modèle opposé à celui du Sillon Lorrain. Si les relations avec Metz ou Nancy y sont relativement faibles (la Moselle-Est n'est donc pas une passerelle entre le Sillon Lorrain et l'Allemagne) en revanche, la relation transfrontalière réciproque avec Sarrebruck est la plus intense que connaissent l'une et l'autre de ces deux AUF, toutes échelles confondues15. Il est possible de dire que le lien entre Moselle-Est et Sarrebruck représente le pendant de la relation entre Trèves et Luxembourg. À elles deux, ces paires représentent 58 % des relations transfrontalières internes à la RMPT (graphe 1B). Ce dernier graphe renforce donc l'évidence d'une métropolisation de type aréolaire, plus que réticulaire, s’étendant sur des bassins d'emplois contigus et interpénétrés correspondant aux trois régions urbaines principales de la RMPT, soit Luxembourg, Sarrebruck, et le Sillon Lorrain.
20Cet article a montré que la mesure internationale des réseaux d'entreprises trouve sa place dans la réinterprétation du niveau régional par la métropole. Le modèle de flux que nous avons décrit, semble, en particulier, relativiser l'envergure des dynamiques de métropolisation remontant à la fin des années 1980, dont sont issues les régions métropolitaines polycentriques actuellement en construction dans toute l'Europe. Il est possible d'avancer que ces dynamiques de métropolisation ont représenté, durant un temps, une association réinventée entre territoires et réseaux, mais que, depuis que ces dernières sont devenues polycentriques (augmentation de l'aire de métropolisation) et dans le contexte de renforcement de la globalisation (affirmation des flux économiques mondialisés), elles subissent, au contraire, l'éloignement entre les réseaux et les territoires décrit par Manuel Castells. Afin de réarticuler ces deux espaces, nous avons montré la pertinence d'établir la distinction entre des métropoles dites « locales » (Nancy, Metz, Sarrebruck...) dont le tissu d'entreprises souffre d'un manque de densité et d'internationalisation, et des métropoles qui sont au contraire « mondiales ». Nous avons étayé la relation entre l'internationalisation et la régionalisation des entreprises en montrant que les métropoles « locales » n'entretiennent quasiment pas de relations réciproques à l'échelle d'une grande région transfrontalière. En effet, ces dernières non seulement se développent dans des aires régionales plus réduites, même si elles sont parfois remarquablement transfrontalières, mais elles se déploient également depuis/vers la (ou les) métropole(s) « mondiale(s) » appartenant au même cadre national. Contrairement à un territoire « relationnel » comme Luxembourg, dont la croissance est surtout produite par les réseaux mondialisés, qui s'inscrit également dans une dynamique d'entreprises à une large échelle régionale.
21Un approfondissement possible de l'article consisterait à explorer en détail les réseaux d'entreprises impliquant Luxembourg. En effet, la plupart des grandes entreprises françaises et allemandes originaires de la Grande Région (sidérurgie, production manufacturière, logistique, commerce de gros et de détail, conception de logiciels, gestion immobilière, banques et assurance régionales, gestionnaires d'énergie...) disposent au Luxembourg de filiales, d'actionnaires, sinon de leur siège social. Par conséquent se pose la question des fournisseurs de services avancés, et éventuellement celle de l'accès à certains marchés, dont bénéficient ces entreprises depuis Luxembourg. De même, avons-nous constaté qu'une grande entreprise française d’ingénierie informatique disposait d'un siège à Luxembourg et d'une filiale en Sarre, semblant posséder une responsabilité au niveau national allemand. Il serait intéressant d'explorer cette position de Luxembourg comme articulateur potentiel entre la Grande Région et le reste de l'Europe dans des secteurs qui entraînent l'économie métropolitaine.