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Le tournant qualitatif de la prospective et ses effets sur le gouvernement urbain : les enseignements de l’expérience lilloise

The Qualitative Turn of Urban Planning and its Effects on Urban Governance
Taoufik Ben Mabrouk
p. 113-127

Résumés

Tout d’abord, les références de plus en plus fréquentes à la « métropolisation » comme projet politique local marquent l’émergence de nouveaux rapports entre « savoir » et « pouvoir ». Ce nouvel équilibre se traduit par une réorganisation de la prise de décision au sein de la coopération intercommunale, avec de nouvelles légitimités et capacités d’action qui supplantent le précédent système.
Une deuxième transformation du gouvernement urbain intervient avec les jeux symboliques mis en œuvre pour parler de l’agglomération. En effet, la mise en récit du local et les autres techniques qualitatives de la prospective urbaine visent à contenir ou à neutraliser la conflictualité sociale liée à la contradiction d’intérêts qu’ils soient sociaux et/ou territoriaux. En organisant la coexistence de différentes visions et définitions de la ville et en atténuant ainsi la contradiction d’intérêts liés à l’espace, la prospective urbaine permet de changer progressivement les conditions et les modalités de la régulation politique de l’espace urbain en légitimant de nouveaux échanges politiques à l’échelle de l’agglomération.

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Texte intégral

Introduction

1Cette contribution examine un aspect significatif de l’évolution de l’activité des agences d’urbanisme pour comprendre leur rôle en tant qu’outil du gouvernement urbain. Elle vise en effet à montrer que le tournant qualitatif de la prospective urbaine et du travail des agences d’urbanisme permet un certain nombre de jeux de pouvoir et de jeux d’acteurs qui ont des effets sur les conditions de la gestion politique des villes. Ce tournant qualitatif se manifeste de deux façons. Tout d’abord, le développement de la prospective urbaine qualitative transforme les rapports entre « savoir » et « pouvoir », avec une technicisation accrue de la prise de décision. Le nouvel équilibre qui se dessine entre « savoir » et « pouvoir » favorise ainsi une réorganisation du système d’acteurs avec une redistribution des capacités d’action et des légitimités liées à la gestion urbaine. Ce tournant qualitatif de la prospective urbaine se manifeste également par la production de nouvelles représentations et images de la ville visant à réduire la contradiction d’intérêts (sociaux et territoriaux) liée à l’utilisation de l’espace urbain, et à contenir ainsi la conflictualité sociale qui en résulte.

2Cette étude renvoie plus fondamentalement à la question des conditions et des modalités de la gestion politique des grandes villes, espaces marqués par la diversité sociale et culturelle. Nous savons que l’espace n’est pas neutre socialement, et notamment du point de vue de ses logiques d’organisation et de fonctionnement (Castells, 1972 ; Cox, 1996, 1998a, 1998b ; Harvey, 1985 ; Lefebvre 1976, 1977 ; Smith, 1992). En outre, la ville peut être appréhendée comme le lieu où coexistent (et se confrontent) plusieurs définitions et intérêts liés à l’espace, et ce, en raison des différentes échelles spatiales d’activités et d’intérêts (Delaney & Leitner, 1997 ; Marston 2000 ; Purcell, 2003). Des travaux insistent ainsi sur l’importance de la dimension spatiale dans les dynamiques de mobilisation et de contestation politique et sociale, puisque l’espace détermine aussi la construction sociale des identités et des intérêts (et donc des dispositions à agir des acteurs) à travers les usages qui en sont faits (Agnew, 1993, 1995, 1997 ; Brenner, 1999, 2001, 2004 ; Friedberg, 1975 ; Herod & Wright, 2002 ; Jonas, 1994 ; Nizard, 1975 ; Staeheli, 1994 ; Swyngedouw, 1997b). Si cet aspect est bien identifié dans les travaux sur la gouvernance urbaine, nous savons très peu de choses en revanche sur les dispositifs et les techniques de gouvernement urbain qui sont actuellement élaborés pour répondre à cette contradiction d’intérêts dans un contexte de diversité sociale et culturelle. La prospective urbaine, et plus précisément les usages politiques et sociaux qui en sont faits, semble donc un bon terrain d’étude pour examiner cette dimension du gouvernement urbain.

  • 1 Pour une analyse du cas de l'agence d'urbanisme de Lyon, on se reportera à notre ouvrage (Ben Mabro (...)

3De nos jours, la coopération et la concertation sont des caractéristiques essentielles de la gestion urbaine dans le cadre d’une production négociée de l’action publique (Stoker, 1998 ; Gaudin, 2001). Toutefois, dans le domaine de la prospective urbaine où il s’agit de produire des scénarios de développement de la ville par le biais du débat et de la concertation (Healey, 2007), nous connaissons encore assez peu l’impact de ces nouvelles pratiques sur la régulation politique des grandes agglomérations. Or, la prospective urbaine occupe une place croissante dans la gestion de ces espaces où se concentrent les populations, la production des richesses ainsi que les inégalités et les tensions sociales. En effet, que constatons-nous ? Nous observons tout d’abord une généralisation de la démarche prospective comme le montre la multiplication des projets et stratégies d’agglomération. Nous remarquons également une inflexion dans le contenu même de cette prospective, qui ne repose plus seulement sur des méthodes quantitatives pour objectiver des interdépendances territoriales mais intègre, de plus en plus, une dimension qualitative, en mobilisant les registres de l’identité collective, du patrimoine et de l’histoire locale.

4Ces phénomènes suggèrent que les conditions et les modalités de production des représentations de l’espace urbain sont en train de changer. Ils suggèrent également que le tournant qualitatif pris par les agences d’urbanisme dans leur travail de prospective ne se limite pas seulement à la production de nouvelles images ou représentations de la ville, mais vise plus profondément à la formulation de principes et d’objectifs « consensuels » de la gestion urbaine. Cet effort de production de la « consensualité » doit être pris au sérieux. Non pas pour parvenir à la conclusion que ces principes et objectifs tentent de produire du consensus, mais pour voir plutôt ce que la formulation et le maniement de ces principes et objectifs consensuels nous permettent de comprendre des caractéristiques actuelles du gouvernement urbain à travers le cas, notamment, de la coopération intercommunale. Nous nous intéressons donc principalement à l’instrumentalisation de la prospective urbaine et à ses effets sur les conditions et les mécanismes du gouvernement urbain. Ainsi, nous voudrions montrer que les ressorts d’action de cette prospective urbaine, davantage qualitative et axée sur l’animation d’un débat concernant le devenir de la ville, ont un impact sur les conditions de la régulation politique de l’espace urbain. En effet, cette prospective urbaine fait coexister plusieurs types de définitions, d’intérêts et de visions relatifs à la ville, ce qui invite à voir quels peuvent en être les effets sur le gouvernement urbain, si on considère notamment cette coexistence du point de vue de la conflictualité sociale liée aux différents usages sociaux de l’espace.

5Pour étudier ce tournant qualitatif de la prospective et son impact sur le gouvernement urbain, nous examinerons le cas de l’agence d’urbanisme de Lille (ADULM) ainsi que la révision du SDAU de l’agglomération lilloise, intervenue au lendemain de la refondation de cette structure en 19901 La présentation et l’analyse des données empiriques s’articuleront autour de trois points : les logiques du renouveau de la prospective urbaine, les usages socio-politiques des savoirs académiques et, enfin, les jeux symboliques et politiques rendus possibles par le tournant qualitatif de la prospective urbaine. Au cœur de la construction de nouvelles représentations de la ville, ces trois phénomènes sont en effet essentiels pour comprendre les jeux d’acteurs et les intérêts qui contribuent à ancrer durablement les nouvelles pratiques, normes et finalités du travail des agences d’urbanisme et de la prospective urbaine plus largement. L’examen de ce tournant qualitatif de la prospective urbaine permet également de saisir sous un nouvel angle l’évolution des caractéristiques et les logiques d’action du gouvernement urbain.

1. Le renouveau de la prospective urbaine comme outil de transfiguration de la gestion urbaine

  • 2 Le texte appelle à la réalisation d’un certain nombre d’infrastructures pour conduire la « métropol (...)

6À la veille du renouvellement du Conseil de Communauté en 1989, une nouvelle coalition politique est scellée entre les maires des cinq principales villes de l’agglomération lilloise. Emmenée par le maire de Lille, Pierre Mauroy, cette coalition tire son origine de l’insatisfaction d’élus qui estiment que les besoins de leurs villes sont relativement négligés par l’agenda intercommunal et le mode de gouvernement du président sortant, Arthur Notebart. Après un travail de médiation et de rapprochement effectué par les responsables techniques et administratifs de ces communes, un pacte de gouvernement est noué entre les maires de Lille, Roubaix, Tourcoing, Villeneuve d’Ascq et Mons-en-Barœul avec la signature, le 18 novembre 1988, de la « charte des grands maires »2. C’est dans ce contexte que Pierre Mauroy accède quelques mois plus tard à la présidence de la Communauté Urbaine de Lille. Pour légitimer le pacte de gouvernement communautaire, les signataires de la charte présentent l’ensemble des opérations prévues par le document comme le moyen de moderniser l’économie et l’organisation spatiale de l’agglomération. À l’image des métropoles européennes, situées au croisement des différents flux d’échange et de communication, et qui concentrent les sièges de décision des entreprises ainsi que les centres de recherches et de développement, les signataires de la charte ambitionnent de « métropoliser » l’agglomération.

7Toutefois, il manque encore à la série d’opérations prévues par la charte un cadre plus large de croyances et de représentations qui permettraient de les présenter comme les outils d’une modernisation urbaine et d’une reconversion économique. Il revient à la nouvelle agence d’urbanisme qui conduit la planification urbaine et la prospective pour le compte de la Communauté Urbaine de Lille de produire ces nouvelles images de la ville. Les ressources humaines et techniques engagées dans le travail de l’agence permettent d’identifier la nature du discours et des représentations censés appuyer la nouvelle ligne politique de l’exécutif intercommunal.

1.1. Le renouveau de la prospective urbaine comme signe de l’émergence de nouvelles attentes et visées en matière de coopération intercommunale

  • 3 Francis Ampe
  • 4 Giuseppe Buonaccorsi
  • 5 Cf., (Syndicat d’Études et de Programmation de l’Agglomération Lyonnaise, 1988).
  • 6 Au cœur de la planification stratégique, la construction de scénarios de développement socio-économ (...)
  • 7 Cf., (Syndicat d’Études et de Programmation de l’Agglomération Lyonnaise, 1988).
  • 8 Cette méthode explique notamment l’accueil favorable réservé aux thèses de « métropolisation » défe (...)

8En 1990, la mise en place de l’agence d’urbanisme correspond à une mobilisation des connaissances et des savoir-faire propres aux différents métiers de l’urbanisme. Le recrutement du directeur3 et de son adjoint4 met en évidence une sélection basée sur l’expérience, mais aussi sur le capital professionnel et relationnel acquis par ces deux personnes. Ce choix s’explique en grande partie par les caractéristiques d’une profession où l’échange permanent d’informations sur les expériences conduites dans d’autres agglomérations est central. Le nouveau directeur de l’époque, ancien maire de Chambéry, est en effet reconnu dans les milieux de l’urbanisme. Son adjoint vient de l’agence d’urbanisme de Lyon où il a participé à l’élaboration du projet d’agglomération qui a marqué le renouveau de la planification stratégique5. Celle-ci tend en effet à se construire désormais autour de scénarios de développement flexibles censés permettre à la ville de s’adapter aux contraintes posées par les mutations socio-économiques, le tout étant formulé via la concertation et le débat6. L’expérience lyonnaise7 servira d’ailleurs de modèle à la relance de la planification stratégique à l’échelle nationale avec l’arrivée de l’ancien directeur de l’agence d’urbanisme de Lyon - Jean Frébault - à la tête de la Direction de l’Architecture et de l’Urbanisme du Ministère de l’Équipement. Pour la nouvelle agence d’urbanisme de Lille, cette logique de recrutement met en évidence une caractéristique importante de la conception des projets de prospective urbaine dans les grandes agglomérations : la circulation des idées et des individus qui est à la base de la propagation de nouveaux contenus et d’approches en matière de prospective. En effet, de cette circulation découle la tendance à l’importation, au niveau local, de formules et de procédés mis en œuvre dans d’autres agglomérations confrontées aux mêmes enjeux de gestion et de développement8. Cette façon d’opérer, qui tient une place importante dans le travail des agences d’urbanisme et autres structures de prospective urbaine, n’est d’ailleurs pas étrangère au mimétisme dans la conception des projets locaux de « métropolisation » - mimétisme qui explique aussi les accents incantatoires et performatifs de ce type de projets construits autour d’un certain nombre de thèmes récurrents (accessibilité, atouts humains et géographiques, cadre de vie). Les discussions entre P. Mauroy et les deux dirigeants de l’agence font ressortir deux objectifs pour conforter la légitimité politique de la « charte des grands maires » et consacrer la « métropolisation » comme nouvelle ligne politique de la gestion urbaine.

9Le premier objectif est la mobilisation d’une expertise locale autour des nouveaux principes et méthodes de la planification stratégique. Pour les dirigeants de l’agence, cette mobilisation de l’expertise s’inscrit dans une entreprise de renouvellement des analyses et des représentations relatives à la ville en général, avec l’objectif de consacrer l’image de la métropole pour présenter (et se représenter) l’agglomération lilloise. Promouvoir l’idée d’une dimension métropolitaine de l’agglomération nécessite donc la rencontre et la convergence, provoquée et entretenue, de différentes formes d’expertise, avec le souci de faire reconnaître des caractéristiques structurantes de l’espace urbain à cette échelle territoriale. En effet, dans ce travail de renouvellement des catégories d’analyse du fait urbain, l’impératif pour l’agence d’urbanisme est moins de produire seule des scénarii de développement que de favoriser des questionnements sur ce qui fait la ville et son devenir, en faisant en sorte que les différents réseaux professionnels concernés par l’urbain (académiques, consultants, experts) se saisissent du débat et l’alimentent avec leurs réflexions sur les nouvelles dynamiques socio-spatiales.

  • 9 Notons à cet égard la persistance de l’influence des services de l’État puisque le chef d’arrondiss (...)

10Le second objectif est d’imposer la figure de la métropole comme référence intellectuelle et politique pour justifier les principaux chantiers de la Communauté Urbaine de Lille. Pour son président, le contenu de la prospective urbaine et les propositions opérationnelles de l’agence d’urbanisme s’apprécient donc au regard de leurs effets escomptés sur la négociation des politiques publiques intercommunales. En effet, avec de nouvelles représentations de la ville et une nouvelle conception de son développement, il s’agit de peser sur le registre des revendications communales pouvant être considérées comme légitimes (et donc recevables), et de peser par la même occasion sur les pouvoirs de pression et les facultés de négociation des élus dans le système intercommunal. De telles attentes politiques permettent à l’agence d’urbanisme d’asseoir son influence en matière de planification urbaine, alors que ce type de réflexion avait été jusqu’ici assuré par les services déconcentrés de l’État9.

1.2. Jeux d’acteurs et dynamiques institutionnelles autour de la production de nouvelles représentations de la ville

11Pour conforter son autonomie par rapport à une conception traditionnelle de l’intercom-munalité(en tant que dispositif technique de mutualisation des moyens) et structurer du même coup le marché local de l’expertise urbaine, l’agence d’urbanisme sous-traite une grande partie des études visant à établir un état des lieux de l’agglomération. À l’instar du précédent lyonnais, l’implantation du paradigme de la « métropolisation » passe donc par l’instauration d’un débat continu avec des experts. Par l’intermédiaire du directeur de l’agence, le président de la Communauté Urbaine maîtrise donc politiquement ce processus de substitution de nouvelles catégories d’analyse du fait urbain aux conceptions traditionnelles de l’intercommunalité. Les interactions entre les experts-conseils et les membres de l’agence jouent un rôle important dans l’ancrage de ces nouvelles représentations - interactions qui permettent à ces derniers de structurer les produits de l’expertise.

12En effet, en tant que commanditaires d’études, les dirigeants techniques de l’agence sont aussi des professionnels de la prospective, au même titre que les experts qu’ils mobilisent. Entre production de diagnostics et conseil, les relations de travail qui lient les dirigeants de l’agence aux experts ne sont pas neutres, puisque les premiers sont intellectuellement armés pour évaluer et discuter (et donc accepter ou rejeter) les propositions avancées par leurs prestataires d’études. La nature duale de ce lien (qui implique à la fois une logique de « prestation de services » et celle d’un « dialogue-débat entre professionnels de l’urbain ») se traduit par un débat étroitement encadré du point de vue de la problématique de réflexion et par une certaine prévisibilité des propositions. Elle explique ainsi pourquoi la référence à la centralité économique et urbaine, à laquelle doit parvenir tout processus volontariste de « métropolisation », devient une réponse quasi-incontournable à une demande de conseil qui comporte en elle-même ses propres critères de pertinence et de satisfaction, à travers l’expertise des dirigeants techniques de l’agence d’urbanisme. Rares sont en effet les études qui discutent la faisabilité ou bien critiquent le principe même d’une « métropolisation » de l’agglomération lilloise.

  • 10 Extrait d’un entretien avec un ancien cadre de l’agence d'urbanisme de Lille, octobre 1999.

13« Pierre Mauroy nous avait confié la mission de renouveler le tissu professionnel et culturel local des métiers de la ville. Il fallait faire émerger de nouvelles représentations de l'agglomération car pour quelqu'un qui avait un projet de métropolisation, il fallait quand même avoir une nouvelle image de l'agglomération avec ses nouvelles caractéristiques et les logiques urbaines qui vont avec. On a donc eu un budget conséquent pour sous-traiter un nombre important de réflexions qui ont permis à des équipes locales d'émerger de façon très forte en termes de professionnalisme. On ne pouvait pas être les seuls à porter le discours sur la métropole, il fallait qu'on puisse être en phase avec les analyses ou ce que les gens pouvaient dire dans différents domaines d'expertise car le métier d'urbaniste c'est un métier de rencontres, de dialogues et de mise en synergie. On a organisé des colloques, c'était en fait une grande partie de mon travail. On a sorti des cartes analytiques sur les typologies urbaines. On faisait des conférences et des séminaires, on a aussi monté la conférence des urbanistes de la métropole qui était un club des collègues urbanistes de toutes les collectivités françaises et belges. »10

14Dans ce type d’interactions, qui touche plus largement aux rapports entre « savoir » et « pouvoir » en matière de prospective urbaine, le vocabulaire et les représentations associés à la production de l’expertise ne mettent pas seulement en jeu un contenu. Pour ceux qui aspirent à être reconnus comme experts, il est aussi question d’une légitimité intellectuelle et professionnelle qui se joue essentiellement dans la tenue d’un rôle de l’« expert conseil » en prospective urbaine par le biais de références obligées (en termes de description de processus socio-spatiaux) et de jeux de langage. Comme l’a montré Jacques Lagroye (1994), les attentes liées à un rôle ou à une fonction déterminent en grande partie les contraintes comportementales qui s’imposent au titulaire de ce rôle ou de cette fonction. En effet, la légitimité de ce dernier dépend de la pertinence de ses propos et actions, pertinence qui est appréciée en fonction de l’idée que se font les acteurs, à un moment donné, des compétences et des obligations liées à ce rôle. Nous touchons ici un aspect essentiel du tournant qualitatif de la prospective urbaine qui explique la tendance à la généralisation d’un certain nombre de préoccupations et de discours en matière de gestion urbaine. En effet, la multiplication des démarches de prospective urbaine, avec l’apparition d’un vocabulaire, de méthodes et de contenus-types, semble favoriser l’émergence de ce rôle d’expert en prospective urbaine, où le mimétisme intellectuel et langagier se conjugue au maniement de savoirs sur l’espace urbain (savoirs non établis sur la réfutation d’hypothèses précises et non systématiquement testés mais bénéficiant néanmoins d’un consensus vague). Cette tendance, confortée par la double dimension réflexive et marchandisée de la prospective urbaine (via la consultance), contribue plus largement à ancrer durablement de nouvelles représentations de la ville. Il s’agit ici sans nul doute de l’une des causes au développement actuel du « packaging territorial » identifié par François Ascher (1995) où l’espace local est promu comme un produit, en étant présenté comme la source d’un avantage comparatif dans le cadre de la nouvelle économie qui repose sur la présence d’une main d’œuvre qualifiée et la localisation près des flux d’échange et de communication. D’un point de vue plus global, le recours aux disciplines de la géographie économique, de la sociologie, de l’anthropologie, de l’économie et de l’architecture indique que la conception et les pratiques de la prospective urbaine ont évolué. Celles-ci s’articulent davantage autour de l’analyse continue des dynamiques sociales et spatiales, pour l’étude desquelles ces sciences sociales et ces savoir-faire représentent des outils de questionnement et une source de connaissances malgré la diversité, au sein d’une même discipline parfois, des cadres théoriques et des perspectives d’analyse.

15Les coopérations de l’agence avec les institutions extra-locales sont également un levier important de la transformation des catégories légitimes de pensée et d’action en matière de gestion urbaine. La collaboration avec des instances nationales comme la Direction de l’Architecture et de l’Urbanisme (DAU) du Ministère de l’Équipement ou la Fédération Nationale des Agences d’Urbanisme (FNAU) et les rencontres « inter agences » (d’urbanisme) permettent à l’agence de se présenter comme une structure en prise directe avec l’actualité de la prospective et les chantiers mis en place. La DAU lance en 1989 un programme intitulé « Renouveau de la planification urbaine » avec l’organisation de colloques et de séminaires ayant pour objectif de présenter les métiers de la planification stratégique et la méthodologie pour l’élaboration de documents de planification stratégique (DAU, 1989).

16Plus que la production d’un ensemble fini de représentations sur la ville moderne, les jeux d’acteurs qui entourent le renouveau de la prospective urbaine sont décisifs à un double titre : en alimentant, d’abord, un débat sur le fait urbain dans ses logiques d’organisation spatiale et ses dynamiques socio-économiques, en étayant l’idée, ensuite, qu’il serait possible de « métropoliser » l’agglomération en mettant en œuvre des protocoles d’action donnés. Cependant, ces jeux d’acteurs, qui contribuent également à transformer les catégories légitimes de pensée et d’action, n’expliquent pas à eux seuls les changements qui interviennent dans le gouvernement urbain, et plus particulièrement dans la coopération intercommunale. En fait, c’est la conjonction de ces nouvelles représentations de la ville et d’une tendance croissante à la technicisation de la prise de décision, dans le cadre d’une nouvelle coalition de gouvernement légitimée en grande partie par ces nouvelles représentations, qui est à l’origine de l’apparition de nouvelles pratiques et méthodes de gestion intercommunale. L’importance prise par la dimension technique dans le processus de décision (ingénierie financière et programmation pluriannuelle notamment) contribue à transformer le système d’acteurs. La technicisation des débats instaure en effet de nouvelles exigences de justification et d’argumentation ainsi que de nouvelles contraintes de formulation des demandes (transcrire, par exemple, des projets d’investissements en programme pluriannuel, ou simuler l’impact d’un investissement sur la pression fiscale) face auxquelles les différentes parties en présence ou les élus se trouvent inégalement dotés pour y répondre. Dans le cas lillois, cette situation permet de légitimer de nouveaux échanges politiques sur la scène intercommunale et de dégager, par le biais d’une coalition formée autour de ces nouvelles représentations modernistes de l’agglomération, des moyens d’investissement pour des projets d’équipements et d’infrastructures importants. Toutefois, dans ce processus, une attention toute particulière doit être portée aux usages socio-politiques des savoirs académiques, car ces usages mettent bien en évidence les ressorts d’action liés à la mobilisation du savoir et à la professionnalisation d’un champ académique. Nous nous intéresserons plus particulièrement au cas de la l’Unité de formation et de recherche (UFR) de Géographie et Aménagement de Lille.

2. Les usages socio-politiques des savoirs académiques

  • 11 Pour une présentation de ces cas de métropolisation, on se reportera à (Gachelin, 1994).
  • 12 Pour une présentation des dynamiques socio-économiques et spatiales qui contribuent à l’affirmation (...)

17Parallèlement à l’agence d’urbanisme, l’UFR de Géographie et Aménagement de Lille est le théâtre d’études sur les phénomènes de « métropolisation ». Les travaux du géographe Charles Gachelin portent sur les agglomérations où ont été conduites des politiques d’aménagement volontaristes dans le cadre d’une reconversion socio-économique11. La possibilité de planifier et conduire la « métropolisation » est une conclusion centrale de ces travaux. Selon le géographe, en sus des principales métropoles internationales reconnues12, certaines agglomérations ont acquis le statut de métropole grâce à des politiques d’aménagement et de rénovation urbaine qui ont permis à celles-ci de devenir des espaces de vie et d’activité au carrefour de plusieurs échelles territoriales (régionale, nationale et internationale) et d’assumer ainsi des fonctions de centralité et de régulation.

2.1. Les usages socio-politiques de la recherche

18Le directeur de l’agence d’urbanisme et son adjoint s’intéressent à l’agenda scientifique du géographe. Pour donner plus d’écho à ces recherches sur la scène locale, l’agence d’urbanisme constitue un comité de pilotage qui réunit les principaux représentants des institutions publiques (Communauté Urbaine de Lille, Conseil Général du Nord, Conseil Régional, Direction Régionale de l’Équipement, Secrétariat Général aux Affaires Régionales, Direction de l’Architecture et de l’Urbanisme et la Fédération Nationale des Agences d’Urbanisme), des membres d’organismes consulaires (la Chambre de Commerce et d’Industrie de Lille-Roubaix-Tourcoing, la Chambre Régionale de Commerce) autour du thème de la « métropolisation », au moment où le Préfet prend un arrêté de révision du SDAU (1991).

  • 13 On peut en effet remarquer la similitude entre le contenu de la stratégie de « métropolisation » pr (...)

19Présentés aux membres du Bureau du syndicat mixte pour la révision du schéma directeur (réunis à l’agence d’urbanisme), les travaux du géographe soulignent l’importance d’un certain nombre de caractéristiques considérées comme essentielles pour conduire une « métropolisation ». Parmi ces caractéristiques, le parti-pris de l’accessibilité et de l’organisation interne de l’agglomération (en termes de transports publics, associés à la mise en place d’une nouvelle structure spatiale) tient une place importante dans le modèle de « métropolisation » proposé par le géographe. Selon lui, toutes les métropo- les émergentes remplissent une fonction de « hub » en assurant, sur leur territoire, le croisement de flux de communication et de transport. Le passage du TGV, qui est au cœur du pacte de gouvernement communautaire, est censé matérialiser cette accessibilité. Les nouvelles métropoles se distinguent également par une nouvelle organisation spatiale où les fonctions et l’image du centre-ville se conforment aux canons de l’urbanisme de prestige, et où l’extension et l’amélioration du réseau de transports publics et de la voirie sont censés améliorer la communication interne. Ces éléments d’analyse viennent à point nommé pour transfigurer les jeux d’échange politique (qui sont à la base du pacte de gouvernement communautaire) en un projet conforme aux entreprises de « métropolisation » effectivement observées dans d’autres agglomérations. Ainsi, sur la base de ces analyses qui mettent en lumière un lien entre une série d’actions et des effets sur l’espace urbain, la « charte des grands maires » peut-elle se présenter comme l’outil d’une « métropolisation » en marche13. Mais là n’est pas le seul élément qui contribue à transformer les catégories de pensée et d’action sur l’espace urbain et à légitimer également le nouvel agenda intercommunal. La convention d’étude qui lie l’agence d’urbanisme à l’UFR de Géographie et aménagement joue également un rôle important dans l’ancrage durable des nouvelles représentations de l’espace urbain et l’institutionnalisation du discours sur la « métropolisation » sur la scène politique intercommunale.

2.2. Passerelles et jeux de transferts entre la recherche académique et la gestion urbaine en action : conditions, logiques et impensés

  • 14 Les métropoles Nord-américaines constituent le terrain d’études privilégié du géographe et de ses é (...)

20La campagne d’études14 qui intervient dans le cadre de cette convention permet d’identifier cinq « critères d’excellence » dans la plupart des processus de « métropolisation » observés à travers le monde. Ces critères sont respectivement l’économie (vitalité du développement économique et positionnement concurrentiel), le social (offre d’éducation et de formation ainsi que le logement), l’environnement (indicateurs de qualité environnementale et prise en compte de l’impact des activités urbaines), l’esthétique urbaine, l’animation culturelle et artistique comme vecteur d’identité collective avec la participation citoyenne aux grandes décisions (sensibilisation, communication par l’événementiel) (Gachelin, 1994 : 35). Les voyages d’études confirment non seulement les premières observations du géographe, mais contribuent aussi plus largement à former professionnellement plusieurs promotions d’étudiants qui se retrouveront par la suite, pour certains d’entre eux, au sein de l’agence d’urbanisme lors de la révision du SDAU et de la préparation de la candidature de Lille aux Jeux Olympiques de 2004. La nature des initiatives et le contenu des politiques publiques mises en œuvre dans les agglomérations étudiées forment en effet le socle d’un enseignement sur les conditions et les actions nécessaires à une métropolisation réussie.

  • 15 On retrouve ici les caractéristiques d’une communauté de politiques publiques tenant notamment à l’ (...)

21L’affirmation d’un dessein métropolitain de l’agglomération passe ainsi par la métropole « faite corps » en la personne de chargés d’études chez qui l’espace urbain donne lieu à des représentations et des réflexes de langage dont les fondements ne sont plus interrogés15. Loin d’être un cas particulier, cet épisode met en évidence l’importance des circuits de formation initiale et continue dans le renouvellement et l’ancrage durables d’un certain nombre de représentations concernant la ville, et la transformation des pratiques et des finalités de la prospective urbaine (et de la gestion urbaine) considérées comme légitimes. La collaboration entre l’UFR de Géographie et Aménagement et l’agence d’urbanisme est une illustration typique de la professionnalisation actuelle liée à l’enseignement de l’urbanisme et de l’aménagement - filières qui sont les principales pourvoyeuses de nouvelles recrues au sein des agences d’urbanisme et des métiers de la planification urbaine. En constituant la ville comme une réalité sociale et spatiale multidimensionnelle à travers des notions et des concepts spécifiques, l’enseignement de l’urbanisme et de l’aménagement aide à formaliser l’idée que la ville est un objet de connaissances et de savoir-faire opérationnels, mais aussi qu’il est possible de piloter la fabrication de la ville sur la base de protocoles d’action aux effets prédictibles.

  • 16 Les Conseils de développement, instaurés par la loi du 25 juin 1999 (dite loi Voynet), sont actuell (...)

22Entre le monde de l’Université et celui de la planification urbaine, la valorisation des travaux universitaires occupe également une place importante dans l’inflexion de la prospective urbaine et du travail des agences d’urbanisme. Comme en témoigne l’exemple lillois, qui n’est pas isolé quand on pense aux cas de Lyon, Grenoble, Toulouse et Bordeaux notamment, la rencontre entre ces deux univers est souvent l’occasion d’une valorisation et d’un réinvestissement de connaissances et de recherches académiques pour répondre à une demande des autorités locales désireuses de mieux comprendre l’organisation et le fonctionnement de la ville16. Lors de cette valorisation, à l’occasion de rencontres et de séminaires, ou encore lors de la recension par les praticiens de travaux académiques existants, l’élément le plus crucial tient indubitablement au changement de statut de la connaissance qui, de produit de l’analyse académique devient subrepticement un outil d’action publique, à la faveur d’exigences et d’attentes différentes entre les deux univers professionnels. Ces jeux de passage ou de transfert entre les deux mondes, l’académique et l’opérationnel, sont d’autant plus décisifs et importants à analyser qu’ils s’inscrivent dans le cadre de la consultation et de la participation par lesquelles se conduit en grande partie la prospective urbaine actuelle.

23Toutefois, l’ensemble de ces dynamiques ne suffit pas pour comprendre l’impact de la prospective urbaine sur la gestion des grandes agglomérations. En effet, cet impact tient également au fait que la prospective sert aussi à neutraliser ou à réduire les contradictions d’intérêts entre les différentes façons de vivre et d’utiliser l’espace, en faisant de l’« euphémisation » de la conflictualité sociale un moyen de gouvernement des grandes agglomérations.

3. La révision du SDAU : caractéristiques et ressorts politiques de la prospective urbaine en action

24Dans ses conditions d’élaboration et les usages qui en sont faits, le SDAU met en évidence la pluralité des intérêts liés aux différents usages sociaux du territoire - pluralité dont il s’agit de réduire les sources de contradiction, de contestation et de confrontation comme autant d’obstacles pour le gouvernement de la ville. Les usages sociaux du territoire se définissent comme l’ensemble des pratiques sociales, des activités et des intérêts qui lient un groupe social donné à une échelle spatiale donnée (Claval, 2003 ; Soja, 1994 ; Swyngedouw, 1997a). Ce lien, qui correspond à différentes échelles de territoire, peut prendre différentes formes : le mode identitaire et affectif (le territoire du quartier ou de la commune comme vecteur d’identité et d’appartenance sociale) ; le mode des activités socio-politiques (le territoire comme espace d’activités économiques, espace de pouvoir, espace de mobilisation et de contestation) ; le mode rationnel-technique (le territoire construit à partir d’observations et d’outils statistiques), etc. Dans nos systèmes démocratiques, où la décision publique se doit d’être justifiée (en raison et en droit), la légitimité et la responsabilité politiques des élus dépendent également de ces différentes dimensions et définitions du territoire vécu, au sens où ces usages sociaux peuvent être à l’origine de revendications ou de mobilisations et qu’ils déterminent la façon dont les politiques publiques sont reçues et perçues par la population. Trop souvent négligée par l’analyse, cette confrontation des usages sociaux du territoire, saisie à travers le cas de la révision du SDAU, aide à comprendre l’importance de la neutralisation ou de la réduction de la conflictualité sociale dans la conduite du gouvernement urbain.

25Lancée en 1991, la révision du Schéma Directeur illustre ce jeu sur les différentes définitions du territoire pour des élus qui y jouent leur légitimité et leur influence politiques. En cherchant à réduire les contradictions entre plusieurs visions de l’espace urbain, l’objectif pour les dirigeants de la Communauté Urbaine est de parvenir à un document consensuel, susceptible de légitimer les nouvelles pratiques de la coopération intercommunale qui se mettent en place à la suite de la « charte des grands maires ».

3.1. La planification urbaine du point de vue des dirigeants communautaires : Construire de la métropole en jouant sur les différentes définitions du territoire vécu

26Deux périodes marquent la révision du SDAU : une première, d’une année environ, où les techniciens de l’agence jouissent d’une relative autonomie pour élaborer leurs propositions, et puis une seconde marquée par l’apparition de tractations politiques qui sont à l’origine de modifications substantielles du document.

  • 17 Rappelons en effet que le périmètre de révision du SDAU, établi sur la base de l’arrondissement de (...)
  • 18 Cf., la manifestation organisée par l’agence d’urbanisme et le syndicat mixte de révision du SDAU : (...)

27Au début de la procédure, les pratiques professionnelles liées à la prospective urbaine (i.e., s’inspirer des expériences réussies, rechercher et échanger des informations concernant d’autres expériences via les réseaux professionnels) expliquent pourquoi les premières propositions se focalisent principalement sur des équipements et infrastructures censés produire une excellence territoriale, gage de prospérité future de l’agglomération. Par ailleurs, la concertation et le dialogue avec les différentes catégories d’acteurs priment sur le contenu proprement dit du document. La révision du SDAU est en effet l’occasion pour les principaux dirigeants de la Communauté Urbaine de nouer des contacts avec des élus et des groupes d’intérêts (associations et représentants d’intérêts économiques)17. Elle est aussi l’occasion pour ces dirigeants de prendre position et d’afficher leur volontarisme par le biais de déclarations informelles et d’annonces officielles18. Le témoignage d’un des rédacteurs du SDAU montre bien comment la production du document de planification répond à différentes utilités et logiques d’action :

  • 19 Extrait d’un entretien avec un membre de l’agence d’urbanisme de Lille, mars 1998.

28« Au début, on crée des commissions thématiques, c'est classique. Les premières orientations sont approuvées et là on entre dans une phase beaucoup plus politique. Jusqu'aux assises de la métropole, on est dans une stratégie « métropole transfrontalière », etc. et après on va rentrer dans une phase beaucoup plus politique où se trament des accords politiques, des compromis, et où s'exerce la pression des groupes d'intérêts. Les contraintes géopolitiques, pour parler clairement ce sont les demandes et les exigences des élus, ont beaucoup pesé sur les décisions portant sur le SDAU. La contrainte majeure, c'est la ligue des petits maires contre les grands maires. C'est bien beau de parler de métropole, mais quand vous allez dans la Pévèle ou dans les Weppes, vous rencontrez des petits maires qui vous disent : « nous la métropole on n'en a rien à cirer. Nous ce qu'on veut, c'est être tranquilles et se développer comme les autres ». Il y a là deux cultures différentes : le périurbain rural et l'agglomération. On a donc géré ces contradictions et le problème c'est qu'on n'a pas fait de choix et c'est qu'en plus de la stratégie de ville renouvelée on a satisfait les demandes des petits maires. On a essayé de saupoudrer les zones d'activités. Toutes les erreurs qu'on avait commises, on les a commises une nouvelle fois à travers la révision du SDAU et ça on ne le dit pas. »19

29La déclinaison spatiale de l’ambition métropolitaine heurte principalement les maires de l’espace périurbain qui ne se reconnaissent pas forcément dans cet idéal métropolitain et qui estiment être les principaux acteurs de la gestion et du développement de leur commune. Le SDAU fait ainsi l’objet de tractations systématiques avec l’ensemble des communes, ce qui contribue à le vider de ses fonctions d’organisation et de hiérarchisation de l’espace urbain. Dans un tel contexte, conduire la procédure à son terme devient un impératif en soi, ce qui n’est pas sans effet sur la formulation des arbitrages. En effet, pour recueillir le plus grand nombre d’avis favorables et s’assurer une adoption sans encombre, les rédacteurs du SDAU négocieront directement avec les élus périurbains. Le témoignage suivant illustre bien l’enjeu de la substitution de l’impératif du consensus à l’idée d’organisation et de hiérarchisation prévue par le document :

  • 20 Ibid.

30« En ce qui concerne les choix, la commande de Pierre Mauroy était claire à l'époque et elle s'oppose à celle du monde économique : « faites-moi un SDAU qui soit voté presque à l'unanimité ». Et donc c'est évident qu'on est allé négocier le vote dans chaque petite commune et je l'ai vécu moi-même puisque j'ai fait entre cinquante et soixante communes pour présenter le SDAU comme un représentant de commerce pour demander « qu'est-ce que vous voulez monsieur le maire ? » et ça c'est fait comme ça le vote du SDAU. L'immense poids des petits maires n'a fait que se renforcer en cours de procédure. Au départ, on est parti sur des choix stratégiques puis à la fin on a abouti à un SDAU qui effectivement fait un certain nombre de choix mais des choix qui ne sont pas des choix clairs. Plus on avance dans le processus, en passant à la traduction spatiale des orientations, plus la stratégie métropolitaine s'efface. »20

31La seconde période, celle de la validation politique, montre le poids des contraintes posées par ces définitions et pratiques concurrentes du territoire. Sur les 126 communes concernées par la révision du SDAU, 80 d’entre elles ont moins de 5 000 habitants avec un profil rural ou semi-rural. Les propositions axées autour de grands projets et grands partis d’aménagement ne correspondent donc pas aux attentes et intérêts d’une majorité de petites communes. Dans cette période de validation politique, l’objectif du président de la Communauté Urbaine de parvenir à un document qui soit le plus consensuel possible explique pourquoi les représentants des 80 petites communes ont réclamé et obtenu un certain nombre d’assurances et de compensations (préservation de l’espace naturel, rénovation de places publiques et zones d’activités économiques). D’un point de vue plus global, ces tractations montrent comment l’idée d’échelle métropolitaine ou de politiques de « métropolisation » met en jeu des représentations et des intérêts qui ne sont pas partagés par toutes les catégories de la population locale.

  • 21 Le document sera finalement approuvé le 6 décembre 2002 après la contestation du contournement auto (...)
  • 22 Cet effet est d’autant plus intéressant à analyser que la planification et la prospective prennent (...)

32Cependant, on ne peut interpréter l’histoire de la rédaction du SDAU seulement comme une succession de compromis et de concessions. En effet, en faisant office d’opérateur symbolique, l’élaboration du SDA.U a aussi permis aux dirigeants de la Communauté Urbaine de légitimer l’échelle métropolitaine par un jeu sur différentes définitions du territoire21. En effet, en amenant plusieurs catégories d’acteurs à réfléchir et à faire des propositions sur les perspectives de développement de l’agglomération, dans le cadre de la problématique imposée de la « métropolisation », la prospective urbaine favorise la coexistence de différentes visions de la métropole et de la « métropolisation ». La coexistence de ces visions permet de développer les références discursives à la métropole sans qu’aucune définition précise ne vienne réfuter ces déclarations22. Cette coexistence des différentes visions de l’agglomération est le principal mode opératoire de la prospective qui, au prétexte de dégager des perspectives de développement socio-économiques dans un registre performatif faisant consensus, vise en fait à minimiser ou à contenir la conflictualité sociale liée aux différents types d’intérêts et modes de vie urbains. Le ton général et consensuel adopté par les documents d’urbanisme met en évidence ce ressort d’action de la prospective urbaine actuelle. Avant de nous pencher sur le contenu du SDAU, qui est emblématique du contenu-type des documents de prospective et de planification, examinons la communication officielle de l’instance intercommunale pour voir en quoi celle-ci participe au formatage du langage institutionnel sur l’espace urbain.

3.2. Le jeu permanent sur les symboles et les échelles territoriales pour produire de la métropole

33La stratégie de légitimation de la « métropolisation », et par conséquent des programmes communautaires, passe également par l’usage de symboles dont le but est de susciter le sentiment d’une communauté de destin parmi la population. Ce jeu sur les symboles est visible dans la communication officielle de la Communauté Urbaine. Plusieurs caractéristiques méritent en effet d’être soulignées car elles montrent comment les responsables de la coopération intercommunale cherchent à légitimer, à travers ces symboles, la prétention de la Communauté Urbaine à incarner et à gérer l’espace de l’agglomération.

  • 23 Il intéressant de noter que la thématique récurrente de la coopération transfrontalière avec la Bel (...)

34Il y a tout d’abord le contenu du bulletin mensuel d’information : Lille Métropole Info (qui a succédé au Métropolitain). L’analyse des différents numéros met en évidence une ligne éditoriale spécifique. Les programmes communautaires conduits dans l’agglomération sont toujours présentés avec l’idée de valoriser un territoire donné (un quartier, une commune), tout en présentant ce territoire comme une partie intégrante d’un ensemble plus vaste : la métropole23. Ainsi, ce genre de publication joue régulièrement sur les différentes échelles de territoire vécu (quartier, commune, espace « trans-communal »), avec la particularité de lier ces différentes échelles, et de fondre le tout dans un ensemble aux limites spatiales floues pour consacrer l’existence d’une entité socio-spatiale métropolitaine.

  • 24 Sans qu’il ne soit possible d’identifier un lien de cause à effet avec le changement de nom de la C (...)

35Ce ressort d’action est renforcé par la deuxième caractéristique de la communication officielle qui concerne cette fois les mots et les expressions utilisés dans ces bulletins d’information, mais aussi dans les discours officiels et dans les médias locaux plus largement. Des expressions comme « Communauté Urbaine » seule, « agglomération », ou encore « Établissement de coopération intercommunale », sont rarement utilisées pour désigner la Communauté Urbaine. Elles ont en effet l’inconvénient de présenter l’institution intercommunale comme un simple outil technique et ne mettent pas suffisamment en valeur l’idée qu’il existerait un territoire métropolitain. L’adoption du nom « Lille Métropole Communauté Urbaine » (LMCU) est significative à cet égard et témoigne d’une tendance attestée dans les autres agglomérations françaises et européennes à nommer ou à renommer les instances de coopération intercommunale en utilisant le terme « métropole »24.

36Dans ce contexte, le recours systématique dans les différents supports de communication à des métaphores telles que « faire bouger la métropole », « faire vivre la métropole », « rendre la métropole plus forte », tend à appuyer l’idée d’une communauté organique à l’échelle de l’agglomération élargie. La candidature de Lille pour recevoir les Jeux Olympiques de 2004 et sa candidature réussie pour être capitale culturelle en 2004 ont participé de ce travail de conversion. L’impact de ces stratégies discursives et symboliques sur la constitution d’un sentiment d’appartenance à une « communauté métropolitaine » parmi la population reste difficile à évaluer. En revanche, il semble que ces stratégies visent bel et bien à légitimer les nouvelles pratiques de la coopération intercommunale. Ce faisant, elles mettent en évidence une quête de reconnaissance démocratique de la Communauté Urbaine en tant qu’instance spécifique de gouvernement à l’échelle de l’agglomération.

37Ce jeu sur les symboles et les stratégies discursives qui les accompagnent est rendu possible en grande partie par les fonctions et caractéristiques actuelles de la prospective urbaine. Celle-ci ne relève plus seulement de la production de diagnostics et de constats, mais tend de plus en plus à assumer l’animation de débats et de rencontres. La nature délibérative de la prospective urbaine favorise les échanges de vues entre témoins, professionnels et experts – échanges qui ont souvent pour conséquences de provoquer des phénomènes de transfert et de ré-appropriation dans la façon de se représenter l’espace urbain dans son organisation et son fonctionnement. Le développement d’une économie du conseil (« consultance ») et de l’expertise urbaine contribue à amplifier les effets de la tenue de ces débats permanents, en termes de transfert ou de propagation de représentations de la ville moderne.

38Un dernier élément de taille est à prendre en compte pour comprendre les effets de la prospective urbaine sur le gouvernement des agglomérations. Il s’agit de la tendance à mettre en récit l’espace local et à avoir recours plus fréquemment aux dimensions historiques et patrimoniales pour composer les documents de prospective urbaine. De cette tendance découle la capacité de la prospective urbaine à faire coexister différentes visions et conceptions de la ville au sein d’un projet d’ensemble volontariste qui vise à légitimer, avec de nouveaux symboles et images, les choix et les pratiques de la coopération intercommunale. Comme l’illustre l’exemple du SDAU lillois, un certain nombre de ressorts symboliques sont à l’œuvre autour de cette mise en récit de l’espace local. Ainsi, le diagnostic sur les contraintes de l’économie contemporaine (qui imposeraient flexibilité et réactivité) et la mondialisation des échanges commerciaux et financiers sert de mise en contexte pour présenter l’échelle métropolitaine comme la seule échelle d’action viable pour résister à ces contraintes. Au cœur du SDAU, réside l’idée que l’effet de taille est décisif dans la compétition économique actuelle que se livrent les villes. Le SDAU met également en avant un certain nombre de principes et de valeurs de justice sociale articulés autour du vivre ensemble et de la cohésion sociale comme préoccupations complémentaires du développement économique. Ainsi la métropole est-elle présentée comme le meilleur moyen pour lutter contre la fragmentation sociale et spatiale qui accompagne souvent la compétition économique, avec l’idée d’inciter la population à adhérer à cette entité synonyme de prospérité future. La combinaison de différents types de considérations (urbanistique, économique, social et éthique) contribue à rendre floue la distinction entre les différents registres d’expression : celui du constat sur les caractéristiques socio-économiques et spatiales de l’agglomération, et celui du potentiel et des évolutions souhaitées. Il en résulte un contenu et une construction du document qui s’organisent principalement autour de principes et d’idéaux positifs (créativité, compétitivité, adaptation, solidarité et justice sociale) dans lesquels tout un chacun peut se reconnaître, et dont la caractéristique est de permettre la tenue d’un discours général sur l’espace local et de défendre l’idée d’un développement volontariste sans qu’il ne soit fait systématiquement référence à des projets précis. La mise en récit rend ainsi possible la substantialisation d’un certain nombre de traits et de caractères associés à l’espace local qui est d’autant plus cruciale qu’elle permet la coexistence de représentations, de visions et d’intérêts hétérogènes, voire contradictoires.

Conclusion

39Des premiers éléments que nous avons examinés ici, il ressort que les nouvelles caractéristiques de la prospective urbaine rendent possibles de nouveaux jeux de pouvoir et jeux d’acteurs qui contribuent à transformer les conditions et les ressorts d’action du gouvernement urbain, notamment à travers la coopération intercommunale. L’analyse met en évidence l’importance de trois facteurs dans ce processus. Le premier concerne les usages politiques de la prospective urbaine, et notamment sa fonction de légitimation des nouvelles pratiques et finalités de la gestion urbaine. À sa façon, le tournant qualitatif de la prospective met en évidence la transformation des attentes et des intérêts liés à la gestion urbaine et à la coopération intercommunale plus particulièrement. Cette transformation est à rattacher au travail de rénovation des catégories légitimes de pensée et d’action en matière de gestion urbaine - travail facilité par le tournant qualitatif de la prospective, puisque ce dernier se traduit par le primat du débat et la circulation des idées et des individus qui sont autant de leviers permettant de faire évoluer les critères de pertinence et de « justesse » de la gestion urbaine. Le deuxième facteur est celui de la diffusion/circulation des idées et des représentations concernant l’espace urbain, où le savoir académique (en situation d’enseignement ou en situation de recherche) joue un rôle d’autant plus important qu’il est régulièrement sollicité dans le cadre de réflexions et d’études prospectives. L’importance des nouveaux rapports entre « savoir » et « pouvoir » ne se joue plus seulement sur la question des diagnostics ou constats comme aide à la décision (en tant que contenu proprement dit). Elle tient, de plus en plus, à l’interpénétration des cercles de l’Université et de l’urbanisme. Cette interpénétration se traduit concrètement par des recrutements et des collaborations, et contribue plus largement à entretenir, en tant que processus continu, des questionnements et des attentes d’éclaircissement sur le fait urbain auxquels répondent des savoir-faire constitués à cet effet et qui résultent eux-mêmes de cette interpénétration (développement de l’économie de la consultance, filières universitaires professionnelles). Le troisième facteur concerne la neutralisation relative de la conflictualité sociale. Sous ses aspects participatifs, et à travers la confrontation des points de vue, la prospective urbaine fait coexister différents types de vision, de projet et d’utilités liés à l’espace urbain. Combiné aux accents performatifs de la prospective urbaine, le flou de la « métropolisation » (sur le plan programmatique, spatial et sémantique) permet cette coexistence entre différents usages sociaux du territoire qui ne sont pas forcément compatibles. Neutraliser ou limiter les contradictions entre les différents intérêts, conceptions et identités liés à la ville, tel semble être le rôle des agences d’urbanisme dans la gestion urbaine actuelle.

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Notes

1 Pour une analyse du cas de l'agence d'urbanisme de Lyon, on se reportera à notre ouvrage (Ben Mabrouk, 2006)

2 Le texte appelle à la réalisation d’un certain nombre d’infrastructures pour conduire la « métropolisation » de l’agglomération. Ces projets d’infrastructures sont localisés sur le territoire de chacune des villes-signataires de la charte, avec l’idée de tirer profit de la connexion de l’agglomération lilloise au réseau ferroviaire à grande vitesse.

3 Francis Ampe

4 Giuseppe Buonaccorsi

5 Cf., (Syndicat d’Études et de Programmation de l’Agglomération Lyonnaise, 1988).

6 Au cœur de la planification stratégique, la construction de scénarios de développement socio-économique doit, pour susciter l’adhésion ou bien éviter les contestations, procéder à l’articulation d’intérêts et de visions diverses du devenir de l’agglomération, raison pour laquelle le débat tend à y occuper une place significative de nos jours.

7 Cf., (Syndicat d’Études et de Programmation de l’Agglomération Lyonnaise, 1988).

8 Cette méthode explique notamment l’accueil favorable réservé aux thèses de « métropolisation » défendues par Charles Gachelin (Professeur de Géographie à l'Université Lille 1) qui fonde ses travaux sur une étude comparative des initiatives conduites à travers le monde en termes de rénovation urbaine appliquée aux grandes agglomérations, initiatives qui sont présentées dans le milieu des urbanistes comme des entreprises de « métropolisation » (Gachelin, 1994).

9 Notons à cet égard la persistance de l’influence des services de l’État puisque le chef d’arrondissement de Lille (de la DDE) sera détaché auprès de l’agence d’urbanisme pour contribuer à la rédaction du SDAU. Quelques temps auparavant, le SGAR du Nord-Pas-de-Calais s’est distingué, par l’entremise de son service d’études, comme un acteur central de la réflexion stratégique pour la reconversion socio-économique du Nord (Secrétariat Général aux Affaires Régionales, 1988, 1989). Si les approches convergent, il n’en reste pas moins que l’existence de cette agence traduit une maîtrise d’œuvre politique inédite des représentations et des objectifs liés à la « métropolisation ».

10 Extrait d’un entretien avec un ancien cadre de l’agence d'urbanisme de Lille, octobre 1999.

11 Pour une présentation de ces cas de métropolisation, on se reportera à (Gachelin, 1994).

12 Pour une présentation des dynamiques socio-économiques et spatiales qui contribuent à l’affirmation d’une hiérarchie urbaine à l’échelle mondiale, on se reportera à (Brenner, 1999 ; Sassen, 1996).

13 On peut en effet remarquer la similitude entre le contenu de la stratégie de « métropolisation » proposée et le contenu de la « charte des grands maires ». La revalorisation de l’image et des fonctions du centre correspond au projet Euralille, l’accueil par la périphérie d’activités à haute valeur ajoutée fait penser ici à l’Eurotéléport de Roubaix (centre international d’affaire et de télécommunications), au projet de la plate-forme logistique de Tourcoing et à la technopôle de Villeneuve d’Ascq, l’amélioration du réseau de transport public correspond quant à elle au projet d’extension du métro pour relier Roubaix, Tourcoing et Mons-en-Barœul.

14 Les métropoles Nord-américaines constituent le terrain d’études privilégié du géographe et de ses étudiants. On y trouve ainsi, Atlanta, Denver, Portland, et Tampa. Barcelone sera également le théâtre d’une étude sur les retombées des Jeux Olympiques de 1992 comme vecteur de reconversion socio-économique (Gachelin, 1994).

15 On retrouve ici les caractéristiques d’une communauté de politiques publiques tenant notamment à l’importance de la dimension cognitive. Remarquons avec Andy Smith (1995 : 110) que les membres d’un réseau d’action publique « n’échangent pas simplement des ressources palpables » mais ont aussi en commun des représentations et des « significations partagées » concernant un secteur d’activité ou un domaine d’intervention.

16 Les Conseils de développement, instaurés par la loi du 25 juin 1999 (dite loi Voynet), sont actuellement un lieu privilégié de ces rencontres et transferts entre le champ académique et le champ de l’urbanisme opérationnel. Didier Paris, Professeur à l’UFR de géographie de Lille1 vient d’être porté à la tête du Conseil de développement de la LMCU.

17 Rappelons en effet que le périmètre de révision du SDAU, établi sur la base de l’arrondissement de la Direction Départementale de l’Équipement du Nord, déborde le périmètre de la Communauté Urbaine en intégrant 126 communes.

18 Cf., la manifestation organisée par l’agence d’urbanisme et le syndicat mixte de révision du SDAU : Les assises de la métropole, 11 et 12 juin 1992. Source : Agence d’urbanisme de Lille.

19 Extrait d’un entretien avec un membre de l’agence d’urbanisme de Lille, mars 1998.

20 Ibid.

21 Le document sera finalement approuvé le 6 décembre 2002 après la contestation du contournement autoroutier de l’agglomération par la « Fédération Nord Nature » et une critique du Préfet sur les décalages entre l’avant-projet sur lequel les différentes institutions partenaires se sont prononcées et la version adoptée lors d’un premier vote en décembre 1994.

22 Cet effet est d’autant plus intéressant à analyser que la planification et la prospective prennent une place croissante dans les structures de coopération intercommunale. L’absence de définition précise de la métropole n’est pas surprenante puisque la spécificité de la planification urbaine est de verbaliser des « avenirs » de l’espace urbain. Pour cela, une relative indétermination est nécessaire face aux différents usages sociaux du territoire.

23 Il intéressant de noter que la thématique récurrente de la coopération transfrontalière avec la Belgique (à l’origine de l’appellation de métropole transfrontalière souvent utilisée dans ce bulletin d’information) empêche toute délimitation spatiale précise de cette entité.

24 Sans qu’il ne soit possible d’identifier un lien de cause à effet avec le changement de nom de la Communauté Urbaine, notons l’usage récurrent du terme « métropole » ou « métropole du Nord » dans la presse et les médias locaux ou nationaux pour parler de l’agglomération.

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Pour citer cet article

Référence papier

Taoufik Ben Mabrouk, « Le tournant qualitatif de la prospective et ses effets sur le gouvernement urbain : les enseignements de l’expérience lilloise »Territoire en mouvement Revue de géographie et aménagement, 2 | 2007, 113-127.

Référence électronique

Taoufik Ben Mabrouk, « Le tournant qualitatif de la prospective et ses effets sur le gouvernement urbain : les enseignements de l’expérience lilloise »Territoire en mouvement Revue de géographie et aménagement [En ligne], 2 | 2007, mis en ligne le 15 mai 2012, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tem/709 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/tem.709

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Auteur

Taoufik Ben Mabrouk

Docteur en science politique
Chercheur associé à l’UMR PACTE (5194) de Grenoble
Institut d'Études Politiques
BP 48
38040 Grenoble Cedex 9
benmabrouktaoufik@gmail.com

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