1La capacité à atteindre une ressource donnée devient un critère fondamental de la problématique des inégalités sociales : elle renvoie non seulement à la localisation des équipements dans la ville, mais aussi au potentiel des populations à se déplacer en fonction de leurs caractéristiques individuelles. Dans des métropoles de plus en plus étalées, les inégalités d’accès aux opportunités offertes par les espaces urbains sont de plus en plus prononcées (Caubel, 2006). La mobilité s’impose comme une condition majeure d’insertion dans la société actuelle, ce qui contribue à écarter une partie non-négligeable des populations (Bacqué et Fol, 2007). Ces inégalités tendent à s’accentuer encore plus lorsque l’on s’éloigne du centre des agglomérations (Jouffe et al., 2015) : les espaces périurbains, moins desservis en services et équipements, reposent de plus en plus sur une mobilité automobile qui construit une offre à la carte des équipements et services urbains (Chalas, 2000). Dans un contexte marqué par l’injonction à la mobilité automobile, certains ménages périurbains ne peuvent pas satisfaire à ces exigences et deviennent alors tributaires des réseaux de transports collectifs ou des services localisés à proximité du lieu de résidence. Ainsi, certaines catégories de la population tendent à être davantage confrontées à des obstacles en matière d’accessibilité dans le périurbain : les populations modestes, les populations âgées (Berger et al., 2010), les femmes, les non-motorisés (Rougé, 2005).
2Si le périurbain a été longtemps stéréotypé comme un des lieux majeurs d’homogénéité sociale et spatiale, la littérature insiste aujourd’hui sur un processus de « maturation » de ces espaces, qui va de pair avec la restructuration des mobilités, la diversification socio-spatiale, la densification des espaces périurbains (Berger et al., 2014). À l’heure actuelle, le desserrement des activités favorise l’émergence de centralités nouvelles qui contribuent à une réorganisation du modèle de mobilité périurbain, historiquement basé sur une forte dépendance au centre-ville. Dans des contextes périurbains de plus en plus diversifiés, on s’interroge sur une reconfiguration de la capacité des habitants de ces espaces à accéder aux équipements : les pratiques des périurbains sont désormais lues comme l’exemple des multi-appartenances socio-spatiales. Plusieurs travaux (Bonnin-Oliveira et al., 2012 ; Berger et al., 2014 ; Berroir et al., 2017) démontrent la diversité des comportements de mobilité, qui dépassent les classiques navettes domicile-travail et relations de dépendance vis-à-vis des centres villes. Ces mobilités conjuguent des logiques de proximité et de voisinage avec des mobilités à l’échelle métropolitaine.
3Dès lors, nous interrogeons l’accessibilité aux ressources dans les franges périurbaines, en faisant l’hypothèse que la « maturité » de ces espaces pourrait contribuer à nuancer les inégalités. La démarche s’inscrit sur le terrain de la métropole lilloise, qui offre un cas d’étude intéressant du fait de son caractère multipolaire et des importants clivages socio-spatiaux qui ont marqué son développement. L’article se décline en trois parties : dans un premier temps, nous réalisons une revue de la littérature portant sur les principaux enjeux des inégalités d’accessibilité dans les franges périurbaines. Ensuite, l’accessibilité aux équipements est estimée pour l’ensemble de la métropole lilloise. Enfin, la troisième partie vise à évaluer les inégalités d’accessibilité entre les différents habitants périurbains de Lille par catégorie sociale.
4Depuis les années 1990, la question des inégalités d’accès à la ville a fait l’objet de nombreux travaux dans la recherche urbaine, en premier lieu au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. L’accessibilité devient une composante de l’intégration sociale : une faible accessibilité se traduit souvent par une incapacité de participer aux activités considérées comme normales par la société et, par conséquent, par des situations d’exclusion sociale. « The resources exist yet they are not available to all » (Figueroa Martinez et al., 2018). Les inégalités d’accessibilité sont donc une construction multidimensionnelle, associée à la localisation résidentielle et aux contraintes liées aux caractéristiques individuelles et sociales. Ces inégalités tendent à être davantage prononcées dans les espaces périphériques, là où l’offre de transports publics et les équipements locaux sont réduites. Dans ces espaces, où certains équipements sont rares et certains services concentrés au sein des centres commerciaux, l’accessibilité devient plus complexe : l’accès à un nombre croissant d’activités suppose une capacité de mobilité dont la forme principale est l’usage d’une voiture individuelle. Le renforcement des niveaux de services intermédiaires (comme les supermarchés et centres commerciaux) au détriment des services de proximité témoigne d’une recomposition progressive de la proximité physique, au profit d’une proximité basée sur l’accessibilité automobile et la réticularité (Motte-Baumvol, 2008).
5Les ménages défavorisés habitant dans les franges périurbaines sont souvent confrontés à de nombreux obstacles d’accessibilité. Des contraintes comme l’absence d’une voiture particulière, le manque de services locaux, des obstacles physiques et cognitifs ou l’absence de permis de conduire impliquent que ces ménages aient recours aux modes de transport alternatifs à l’automobile, les conduisant à limiter leurs mobilités en termes de distance, mais aussi de nombre de déplacements. Cela diminue leur participation aux activités et, par conséquence, leurs opportunités d’intégration sociale (Jouffe et al., 2015).
6Ainsi, dans un contexte marqué par la prévalence de la mobilité motorisée, les ménages périurbains qui ne peuvent pas satisfaire cette exigence subissent une série de contraintes qui vont de la forte pression budgétaire à la perte de repères sociaux et à la désillusion face à un mode de vie valorisé (Rougé, 2005). Ils sont confrontés à une restriction de leurs mobilités, se déplaçant seulement pour les motifs les plus indispensables comme le travail et les achats domestiques. Pour Coutard et al., (2002) les périurbains modestes sont souvent confrontés à une faible accessibilité qui découle d’une situation de « dépendance locale », caractérisée par un mode de vie basé sur la proximité. Ces ménages ont recours à une série de moyens comme « l’utilisation parcimonieuse de l’espace-temps », le recours aux transports en commun, à la marche à pied et aux proches pour les déplacements en voiture.
7Par ailleurs, les ressources financières n’apparaissent pas exclusivement comme le seul obstacle à l’accès aux ressources dans le périurbains. En effet, des facteurs comme l’âge peuvent également jouer sur l’accessibilité des habitants périurbains. Les personnes âgées sont confrontées à un double obstacle d’accessibilité, car le vieillissement rend les longs déplacements à pied de plus en plus difficiles et les éventuelles contraintes physiques et cognitives peuvent intervenir dans leur capacité à conduire (Berger et al., 2010). De même, l’absence de permis de conduire ou d’une voiture particulière à disposition limite l’accessibilité des populations jeunes, qui se retrouvent dans une situation de dépendance vis-à-vis des transports en commun et de la disponibilité des réseaux familiaux.
8Les travaux récents portant sur le périurbain en France ont mis l’accent sur une recomposition de ces espaces, qui va de pair avec un processus de diversification sociale, de densification, de recomposition des structures socio-spatiales et des mobilités. À l’ampleur des évolutions sociodémographiques répondent la diversification des pratiques de mobilité des habitants périurbains, qui s’inscrivent dans un cycle de stratégies, tactiques et réajustements (Berger et Chaléard, 2017). On assiste à l’émergence de contextes de plus en plus complexes, marqués par la cohabitation de populations de plus en plus diversifiées : les premiers périurbains, maintenant vieillissants, dont les besoins et pratiques évoluent ; leurs enfants, davantage ancrés (Aragau et al., 2016), qui continuent la trajectoire périurbaine, le seul référentiel qu’ils ont connu ; des nouveaux arrivants originaires de différents lieux (centre-ville, couronne périurbaine, autres départements) et qui s’installent en périurbain pour des raisons distinctes (accession à la propriété, cadre de vie, pression foncière). On observe désormais des populations qui ont vieilli sur place, qui s’y sont ancrées, signal de territoires qu’on ne peut plus définir par l’entre-deux ou le temporaire.
9Malgré la dépendance à l’automobile, une recomposition les mobilités tendrait de plus en plus à s’organiser dans la proximité, en construisant des modes de vie plus durables. Bonnin-Oliveira et al. (2012) ont démontré que les franges périurbaines parisiennes et toulousaines sont de plus en plus structurées par des polarités secondaires qui certes ne remettent pas vraiment en cause la structuration monocentrique de ces métropoles, mais offrent néanmoins des centralités partielles, sas de « décompression » de la complexité métropolitaine. Pour Le Néchet et al. (2016) le développement des ressources locales et des polarités secondaires, notamment à l’échelle communale, permet la poursuite de l’inscription de la vie quotidienne des périurbains dans leur territoire de résidence. En effet, il n’y a pas contradiction entre la permanence de pratiques en direction de l’agglomération et un désir d’être à proximité d’une offre locale. Ainsi, si d’une part, on assiste à un processus d’éclatement de l’espace de vie, d’autre part des formes de proximités sociales et territoriales se renforcent.
10Le périurbain actuel fait donc face au défi de s’adapter aux besoins d’habitants pluriels et diversifiés, qui composent le paysage des espaces périurbains dans leur processus de maturation. Ainsi, l’hypothèse que nous avançons est celle selon laquelle la maturation du périurbain pourrait engendrer des configurations moins inégalitaires en termes d’accessibilité. L’évolution des structures périurbaines vers une moindre dépendance du centre-ville pourrait engendrer une meilleure accessibilité des populations défavorisées, qui sont souvent plus dépendantes de l’offre de proximité. Dans ce contexte, la suite de l’étude se concentrera sur l’analyse de l’accessibilité aux équipements dans la métropole lilloise, territoire caractérisé à la fois par des inégalités socio-spatiales marquées, mais aussi par une structure spatiale historiquement multipolaire.
11La métropole lilloise offre un terrain d’étude intéressant du fait de sa configuration multipolaire et des inégalités socio-spatiales importantes qui ont marqué son développement. L’agglomération lilloise est une conurbation organisée autour de différentes villes : Lille qui en est le centre indéniable, Roubaix, Tourcoing et Armentières, les centralités périphériques structurantes. Au fil du temps, un cinquième pôle s’est imposé, la ville nouvelle de Villeneuve-d’Ascq. Si les cas de Roubaix et Tourcoing sont ceux le plus souvent investigués dans la littérature en raison de leur constitution comme polarités paupérisées et précarisées au sein de l’agglomération (Miot, 2012), les espaces périurbains de Lille ont été peu étudiés jusqu’à présent.
12Les travaux de Sylvie Letniowska-Swiat (2005) ont démontré l’émergence, au sein de la zone périurbaine métropolitaine, de pôles dits « secondaires », comme Orchies, Bailleul, Armentières ou encore Seclin, qui captent une large partie des flux engendrés par la recherche des équipements et services quotidiens. L’auteure affirme qu’une organisation interne des espaces périurbains lillois se met progressivement en place, dépassant les schémas classiques de relation centre-périphérie.
13L’ensemble de l’aire d’analyse a été délimitée à partir des enquêtes ménages déplacement. L’enquête est délimitée en deux grands périmètres d’analyse : la Métropole Européenne de Lille (ancienne LMCU) et le territoire périmétropolitain, qui prend en compte notamment les communes périurbaines du Sud de la métropole. Il faut, cependant, souligner que le choix du périmètre investi peut, sans doute, cacher certaines logiques périurbaines, écartant des territoires qui pourraient s’articuler à la métropole lilloise en termes d’accessibilité aux équipements. De même, ce périmètre ne permet pas de prendre en compte les dynamiques transfrontalières à l’œuvre dans la métropole. Pourtant, ce choix se justifie par le fait que l’enquête déplacements fournit une source importante pour articuler les données de mobilité à l’accessibilité aux équipements.
- 1 La grille communale de densité s’appuie sur la distribution de la population à l’intérieur de la co (...)
14En ce qui concerne la délimitation des espaces périurbains, il convient de signaler que l’INSEE définit officiellement les communes périurbaines comme « des communes qui voient au moins 40 % de leur population résidente ayant un emploi travailler dans le pôle urbain ou dans les communes attirées par celui-ci ». Pourtant, cette méthode qualifie une partie majeure des communes de l’aire urbaine lilloise comme des « communes appartenant à un grand pôle », du fait du caractère multipolaire de cette métropole. C’est pourquoi, nous avons jugé que la définition classique de l’INSEE s’avérait inadaptée pour l’analyse du périurbain lillois. Ainsi, la méthodologie adoptée s’appuie sur la grille communale de densité élaborée par l’INSEE1. Les communes qualifiées comme « catégorie intermédiaire », « communes peu denses » et « communes rurales » ont été retenues, tandis que les communes « densément peuplées » ont été écartées de l’analyse (Figure 1).
Figure 1- Délimitation de l’aire d’analyse
Source : INSEE, élaboration de l’auteur
15Malgré le fait d’être une commune de plus de 25.000 habitants avec sa propre unité urbaine, nous avons pris le parti de classer Armentières en zone périurbaine, ce qui se justifie du fait de sa position géographique et du flux de mobilités attirées par la commune, qui sont des mobilités entre communes périphériques. D’après Letniowska-Swiat (2005) : « Par sa taille et son rôle initial dans la conurbation lilloise, son classement en zone périurbaine peut se discuter. Mais il est indéniable que dans la pratique des populations, Armentières n’est plus assimilée à un des centres de la métropole et ne bénéficie pas de la même dynamique que Villeneuve-d’Ascq en matière d’emploi ou d’attractivité commerciale. »
16Le périurbain lilllois est caractérisé par une diversité importante (Paris, 2002) : les communes périurbaines proches du nord de la métropole (Bondues, Wambrechies) ont une surreprésentation importante des cadres. De même, cette dernière décennie le périurbain à l’ouest et au sud de la métropole ont attiré les classes moyennes dans des lotissements pavillonnaires neufs (Miot, 2012). Enfin, certaines communes périurbaines plus denses concentrent des populations plus modestes (Armentières, Halluin, Seclin).
17La Figure 2, qui illustre la distribution des communes périurbaines par revenu médian (regroupé par quintiles et selon cinq catégories de quartiers), permet d’identifier cette diversité : « riches », « moyens aisés », « classes moyennes », « petits moyens », « pauvres ». Les quartiers périurbains les plus aisés se situent à la proximité du cœur urbain dense. Ces communes, comme Bondues, Verlinghem, Mérignies, Avelin au nord de la métropole et Sainghin-en-Mélantois, Gruson, dans le versant sud, se caractérisent par une surreprésentation des cadres et des professions intermédiaires. Les communes ayant une surreprésentation des classes moyennes et classes moyennes aisées se situent notamment dans le versant sud de la métropole, plus éloigné du cœur urbain dense. Ces dernières décennies, ces communes ont attiré les classes moyennes dans des lotissements pavillonnaires neufs, offrant des prix plus abordables que les communes à la proximité de Lille.
18On y retrouve quatre poches principales de quartiers à bas revenu : au Nord, autour des communes d’Armentières et Halluin ; au sud, Aniche et Seclin, cette dernière étant plus proche du cœur urbain dense. Ces communes regroupent également une part plus élevée d’ouvriers. Ces derniers se concentrent surtout dans les extrémités de la métropole : dans des communes du versant nord comme Armentières, Halluin, Comines, dans le versant ouest, Seclin, Ostricourt et dans l’extrême sud, Auberchicourt, Fenain.
Figure 2- Type de quartier par revenu médian (quintile)
- 2 Au moment de le réalisation de ce travail, particulièrement le calcul de l’accessibilité, les donné (...)
19La diversité de la métropole lilloise concerne aussi la maille de transports en commun, établie par Ilévia (ancien réseau Transpôle) et qui s’est considérablement étoffée au fil des années (Figure 3). Aujourd’hui ce réseau compte deux lignes de métro, deux lignes de tramway, un réseau de bus et six Lianes (lignes de bus à haut niveau de service en site propre)2. Les réseaux de métro et de tramway relient notamment les villes de Lille, Roubaix, Tourcoing et Villeneuve-d’Ascq, tandis que le réseau de bus irrigue l’ensemble du territoire métropolitain. En comparaison avec les autres grandes agglomérations françaises, la part modale des transports collectifs demeure relativement modeste à Lille, aux alentours de 10 % (SCOT MEL, 2016). Les communes en dehors du périmètre de la MEL sont desservies par des lignes de bus périurbaines, gérées par Arc-en-Ciel. Ce réseau dessert notamment les franges périurbaines au sud-ouest de l’agglomération, dont la densité est plus faible que les franges du versant Nord. Ce réseau de bus relie les communes périurbaines au cœur urbain, mais aussi les territoires périurbains entre eux. Au sud de la métropole, la commune d’Orchies compte une concentration de lignes de bus qui desservent les communes périurbaines proches et qui mènent jusqu’au cœur urbain.
Figure 3- Le réseau de transports en commun de la métropole lilloise
20La méthode adoptée associe deux démarches : la première vise à estimer l’accessibilité spatiale aux équipements dans la métropole lilloise, afin d’identifier les principales inégalités territoriales. Ensuite, une deuxième partie se concentre sur les inégalités individuelles d’accessibilité, mobilisant les CSP, les types de quartier par revenu moyen et le nombre de voitures par ménage. L’analyse est menée au niveau des IRIS et mobilise plusieurs bases de données, décrites dans le Tableau 1.
Tableau 1-Données mobilisées
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Données mobilisées
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Accessibilité spatiale
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-Base Permanente des Équipements (INSEE) - Données GTFS (transports en commun) - Open Street Map (réseau routier)
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Accessibilité individuelle
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-Enquêtes ménages-déplacements + accessibilité spatiale
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- 3 Le calcul de l’accessibilité a été mené avec le package Spatial Position sur la plateforme R (Comme (...)
21Le potentiel d’accès aux équipements est quantifié à partir de la Base Permanente des Équipements (BPE) 2017, qui renseigne sur l’ensemble des équipements distribués sur le territoire français. L’approche utilisée est celle d’une mesure gravitaire, qui exprime la gamme de choix parmi la somme de destinations potentielles3. Les niveaux d’accessibilité sont calculés pour trois modes de transport principaux : voiture, transports en commun et marche à pied. Par ailleurs, le potentiel d’accès est calculé pour les trois gammes d’équipements établies dans la BPE : équipements de proximité, intermédiaires et supérieurs. Nous estimons ainsi que des inégalités d’accessibilité seraient rencontrées non seulement en fonction des caractéristiques des habitants périurbains, mais aussi en fonction des types d’équipements fréquentés et leur portée. S’il n’existe pas de définition stabilisée des « équipements », dans cet article nous prenons en compte quatre types majeurs d’activités qui correspondent aux besoins quotidiens des individus : les commerces, les démarches, les activités de santé et les loisirs (Caubel, 2006).
- 4 Benoit et al. (2002) soulignent dans leur ouvrage « La France à 20 minutes » que les services n’ont (...)
22Nous avons choisi de travailler avec le temps d’accessibilité aux équipements. En effet, dans un contexte périurbain, la notion d’espace-temps relève davantage de la mesure du temps de déplacement. Pour la métropole lilloise le choix consiste à s’appuyer sur un seuil de 20 minutes4. D’après l’enquête ménages-déplacements de Lille, près de 80 % des déplacements ayant pour motif les équipements (d’achats, de loisir, santé etc) ont une durée inférieure ou égale à 20 minutes. La figure ci-dessous illustre le potentiel d’accès moyen aux équipements dans la métropole lilloise en 20 minutes, c’est-à-dire le potentiel d’accès pour les trois modes de transport calculés (voiture, transports en commun et marche à pieds). Le cœur urbain de Lille et les pôles de Roubaix, Tourcoing et Villeneuve d’Ascq ressortent très visiblement comme les lieux de plus fort accès potentiel grâce à leur concentration en équipements.
23Dans la métropole lilloise, l’accessibilité aux équipements en 20 minutes est très supérieure en voiture. Si le cœur urbain dense affiche naturellement les niveaux les plus élevés, certaines communes périurbaines ont des niveaux d’accessibilité qualifiés comme moyen ou fort. Des communes du périurbain proche au Nord de la métropole, comme Bondues, Linselles, Wambrechies profitent de la proximité physique du cœur urbain, facilement accessible par le réseau routier. De même, certaines communes plus éloignées affichent des niveaux d’accessibilité moyens, voire supérieurs : au nord de l’agglomération, la commune d’Armentières et la commune d’Halluin, du côté de la frontière belge, ont des niveaux d’accessibilité relativement élevés. Enfin, les communes périurbaines lointaines au Sud et au Nord-Ouest de l’agglomération ont une faible accessibilité en voiture, à l’exception de certaines communes qui jouent un rôle de polarités périurbaines, comme Orchies, située au croisement de plusieurs voies routières.
24Le calcul de l’accessibilité en transports en commun révèle des configurations diffèrentes de celles observées pour la voiture. En effet, on constate des niveaux d’accessibilité plus importants dans le cœur urbain et les polarités secondaires (Roubaix, Tourcoing et Villeneuve-d’Ascq). Cette structure renvoie directement aux réseaux de transports en commun (lignes de métro et de tramway), qui se concentrent dans la partie plus dense de l’agglomération. De même, certaines communes périurbaines connectées au centre-ville par le réseau ferroviaire régional (comme Armentières) affichent des niveaux d’accessibilité plus élevés aux équipements en transports. Les communes périurbaines dont le seul lien au centre par transport en commun se fait par bus sont celles qui ont un faible niveau d’accessibilité aux équipements (notamment les communes périurbaines du sud de la métropole). Enfin, la troisième carte démontre que les espaces les plus denses offrent une meilleure l’accessibilité à pied. Les niveaux d’accessibilité très forts se concentrent surtout dans le centre de la métropole, très dense et desservi en transports en commun.
Figure 4- L’accessibilité aux équipements en 20 minutes dans la métropole lilloise
- 5 Calculé à partir de la moyenne des trois modes de transports pris en compte dans la partie 1.
- 6 L’accès potentiel pris en compte est celui de l’unité spatiale en question (unité spatiale de résid (...)
25La deuxième partie de notre travail consiste à évaluer les inégalités d’accessibilité dans les périurbain lillois en introduisant la composante individuelle dans l’analyse. Il s’agit de comprendre les inégalités d’accessibilité à partir des différentes caractéristiques socio-économiques des individus. Pour ce faire, un appariement est réalisé entre l’enquêtes ménages-déplacements de la métropole lilloise (CEREMA, 2016) et l’accessibilité calculée dans la partie précédente. Pour chaque habitant renseigné dans l’enquête, on observe le lien entre son accessibilité moyenne5 depuis le lieu de résidence et ceux de travail/études6 et ses caractéristiques socio-économiques.
- 7 La définition du quartier est très débattue dans la littérature urbaine. Nous ne rentrerons pas dan (...)
26Le but est donc d’identifier les principales inégalités d’accessibilité à partir de trois variables qui permettent de saisir différents types d’inégalités : les catégories socio-professionnelles, le revenu moyen du quartier7 de résidence et le nombre de voitures par ménage. L’analyse fait donc référence à trois niveaux : celui des individus (catégories socio-professionnelles), du ménage (nombre de voitures par ménage) et de l’unité spatiale (type de quartier par revenu médian).
27Si les travaux classiques sur l’accessibilité ont majoritairement porté sur l’évaluation du potentiel d’accès des individus depuis le lieu de résidence, il faut considérer que l’accessibilité des individus ne peut pas être résumée de la sorte. En effet, en considérant les lieux fréquentés par les habitants pour leurs activités quotidiennes, il devient possible non seulement d’identifier les équipements qu’ils ont effectivement pratiqués et utilisés, mais aussi d’estimer ceux auxquels ils sont en mesure d’accéder à partir de leurs lieux référentiels (lieux de résidence, travail, d’études, d’activités, etc.). Certaines populations, en dépit du fait qu’elles sont peu mobiles, disposent d'un nombre important de ressources à proximité de leur lieu de résidence tandis que d'autres populations peuvent souffrir d’un mauvais accès aux équipements si leur quartier de résidence ainsi que les espaces qu’elles fréquentent quotidiennement ne comportent qu’un nombre limité de ressources (Vallée et al., 2015).
28Les résultats de l’analyse quantitative révèlent que, selon la catégorie socio-professionnelle des individus, l’écart entre les niveaux d’accessibilité depuis le lieu de résidence n’est pas aussi important (Figure 5). En effet, les professions intermédiaires sont celles bénéficiant d’un plus fort niveau d’accès potentiel, suivies des cadres et des ouvriers. De fait, les cadres se situent majoritairement dans les communes périurbaines les plus proches du pôle centre, tandis que les professions intermédiaires sont la catégorie la plus distribuée dans l’ensemble du périurbain. Les ouvriers, pour leur part, se regroupent souvent dans des communes plus denses, qui jouent un rôle de polarités locales, comme Armentières, Halluin, Seclin. Les employés sont ceux confrontés aux niveaux d’accès potentiel les plus faibles.
29La mesure de l’accessibilité en fonction du type de quartier, met en évidence que les habitants des quartiers aisés bénéficient d’une accessibilité considérablement plus élevée que la moyenne depuis le lieu de résidence. Comme démontré plus haut, ces quartiers se situent notamment dans les espaces périurbains adjacents au pôle centre, offrant aux habitants un avantage en termes d’accessibilité aux équipements. Les individus les moins favorisés sont les habitants des quartiers « Pauvres » et « Petits Moyens », dont les niveaux d’accessibilité sont plus faibles que la moyenne. Deux hypothèses sont avancées : premièrement, on suppose que les quartiers d’habitants à revenus moyens plus faibles disposent de moins d’équipements et de services de proximité, comme d’autres études l’ont déjà démontré (Vallée et al. 2015). De même, la localisation périphérique de ces quartiers suggère un niveau plus faible de connectivité avec le reste de la métropole, notamment en ce qui concerne les transports en commun.
30En ce qui concerne le niveau de motorisation, l’accessibilité des individus depuis le lieu de résidence est similaire, qu’ils appartiennent à des ménages motorisés ou non-motorisés. Il ne semble pas y avoir de configuration particulière qui explique directement ces résultats, car la grande majorité des habitants périurbains recensés dans les enquêtes ménages-déplacements appartiennent à un ménage motorisé. Or, les individus issus d’un ménage non-motorisé habitent le plus souvent des communes périurbaines plus proches du centre ou autour des communes qui jouent le rôle de polarités secondaires périurbaines, comme Armentières et Halluin. En effet, lors de leur choix résidentiel, les ménages non-motorisés favorisent des communes plus proche du cœur urbain, bien desservies en transports en commun, afin d’avoir une meilleure accessibilité aux équipements (Viana Cerqueira, 2018).
Figure 5- L’accessibilité depuis le lieu de résidence par catégories d’individus
- 8 Local spatial Autocorrelation
31Afin de mieux identifier les inégalités décrites au niveau individuel, nous avons utilisé l’indice de Moran et la méthode LISA8 Cluster, qui indique le niveau d’autocorrélation spatiale pour chaque unité spatiale, comparant les caractéristiques locales à l’ensemble global. L’indice de Moran mesuré était de 0,60, ce qui indique une autocorrélation spatiale significative. L'autocorrélation spatiale de la distribution résidentielle des CSP et de l’accessibilité aux équipements a permis de vérifier la prédominance des niveaux plus élevées d’accessibilité dans le périurbain proche du pôle centre, que ce soit pour les communes ayant une surreprésentation des cadres (en rouge) ou d’ouvriers (en bleu clair). De même, les franges périurbaines du versant sud apparaissent comme celles ayant les niveaux d’accessibilité les moins élevés pour les deux catégories, ainsi que des communes de l’ouest de la métropole pour les cadres, en particulier. Des résultats similaires sont observés pour les employés : la proximité du cœur urbain dense, ainsi que la maille des transports en commun jouent un rôle majeur dans ces autocorrélations. Ainsi, des logiques analogues semblent s’opérer pour toutes les catégories socio-professionnelles.
Figure 6- L’autocorrélation spatiale entre les CSP et l’accessibilité aux équipements
32Si peu d’écarts ont été constatés selon le lieu de résidence, l’accessibilité depuis le lieu de travail/études est hiérarchisée selon le niveau de qualification des habitants : les individus les plus qualifiés (les cadres et les professions intermédiaires) bénéficient de niveaux d’accessibilité plus élevés que les individus les moins qualifiés (Figure 7). Cela pourrait s’expliquer en partie par la localisation des emplois supérieurs : une partie importante des habitants périurbains les plus qualifiés travaille dans les zones les plus denses, dont le niveau d’accessibilité est supérieur (38 % des emplois des cadres se situent dans le cœur urbain dense). Ces tendances sont similaires en ce qui concerne l’accessibilité depuis le lieu de travail par type de quartier : les habitants des quartiers « riches » et « moyens aisés » sont ceux bénéficiant le plus des niveaux d’accès potentiel depuis le lieu de travail/études, ce qui leur confère un double avantage, car ils profitent également d’une meilleure accessibilité depuis le lieu de résidence. Les emplois et lieux d’études situés dans le cœur urbain dense représentent autour de 50 % des emplois habitants des quartiers riches et moyens, tandis qu’ils ne correspondent qu’à 32 % des emplois des habitants des quartiers à faible revenu.
Figure 7- L’accessibilité depuis le lieu de travail par catégories d’individus
33Le nombre de voitures par ménage semble engendrer des écarts beaucoup plus conséquents depuis les lieux de travail et d’études : l’accessibilité des individus appartenant à des ménages possédant au moins deux voitures est près deux fois plus importante que celle des ménages non-motorisés. De fait, l’accès à une voiture particulière semble être le facteur le plus déterminant du lieu d’emploi des périurbains : à peine 15 % des emplois et lieux d’études des individus non-motorisés sont localisés dans le cœur urbain dense et plus de 55 % des emplois de ces habitants se situent dans la même commune de résidence. De l’autre côté, les individus motorisés peuvent choisir de travailler ou étudier plus loin, dans des zones mieux desservies en termes d’équipements, mais aussi des réseaux de transport. Ces résultats, attendus, démontrent que même si les habitants motorisés et non-motorisés ont des niveaux d’accessibilité similaires depuis le lieu de résidence, le fait de disposer d’une voiture particulière entraîne des importants gains d’accessibilité depuis les lieux de travail/études.
34La troisième étape de cette recherche consiste à analyser les gains d’accessibilité aux équipements des habitants périurbains lillois (Figure 8). Si les parties précédentes ont permis de démontrer que habitants du périurbain lillois bénéficient d’une meilleure accessibilité aux équipements depuis leurs lieux de travail/études que depuis leurs lieux de résidence, le différentiel est cependant plus important chez les classes moyennes et chez les moins qualifiés que chez les populations aisées (Figure 8). Ces résultats rejoignent ce que Vallée et al. (2015) ont démontré pour l’Île-de-France, où les catégories moyennes et les catégories plus défavorisées bénéficient de la meilleure accessibilité depuis leur lieu de travail. Cela démontre que certaines populations peuvent en effet modérer la mauvaise accessibilité aux équipements à laquelle ils font face à partir de leur lieu de résidence. En revanche, dans le cas de la métropole lilloise, les ouvriers sont ceux ayant les plus faibles gains d’accessibilité, ce qui est surement lié à la fois à leur plus faible motorisation et à la localisation des emplois les moins qualifiés.
35En ce qui concerne les CSP, les employés sont ceux affichant des gains d’accessibilité les plus importants, suivi des cadres. Les habitants des quartiers « Moyens Aisés » et « Petits Moyens » ont des gains d’accessibilité importants, alors que les habitants des quartiers « aisés » affichent des faibles gains. Cela peut être lié au fait que les quartiers aisés disposent déjà d’un nombre plus important des ressources de proximité que les autres quartiers, engendrant des écarts moins conséquents. Il convient de noter que les habitants des quartiers « Pauvres » ont des gains d’accessibilité plus significatifs que les CSP les moins qualifiées, ce qui renforce le caractère individuel des inégalités. En termes de motorisation des ménages, les résultats sont attendus : les ménages motorisés sont ceux qui bénéficient des gains d’accessibilité plus importants, ce qui confirme le rôle de la capacité à se déplacer pour compenser la faible accessibilité dans le périurbain. On constate aussi que les gains d’accessibilité augmentent au fur et à mesure que le nombre de voitures par ménage augmente.
Figure 8-Les gains d’accessibilité dans la métropole lilloise depuis les lieux de travail/études par rapport au lieu de résidence
36L’indice LISA démontre que pour toutes les corrélations entre les CSP et les gains d’accessibilité, les gains les plus importants sont observé chez les habitants du périurbain sud lillois (Figure 9). Ces gains sont liés notamment à l’écart entre la faible accessibilité dans le périurbain sud lillois et les lieux de travail des habitants des quartiers en question. Par ailleurs, on observe une autocorrélation importante entre la surreprésentation d’ouvriers/employés et les faibles gains d’accessibilité dans les communes d’Armentières, Seclin, La Chapelle-d’Armentières. Ce résultat peut s’expliquer par deux facteurs :
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les emplois les moins qualifiés se situent dans le périurbain proche, ce qui engendre une plus faible accessibilité depuis le lieu de travail ;
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ces individus habitent des communes bien desservies en équipements et/ou en transports en commun, ce qui entraîne un faible écart d’accessibilité entre le lieu de résidence et le lieu de travail et donc, un gain d’accessibilité moins important.
Figure 9- L’autocorrélation spatiale entre les CSP et les gains d’accessibilité
37Les résultats de cette recherche permettent de dégager des pistes importantes. L’accessibilité spatiale à Lille est marquée par un écart d’accessibilité entre les secteurs Nord et Sud/Ouest de la métropole. Les communes au Nord de la métropole profitent de la densité et de la maille de transports en commun, tandis que les communes du Sud et du Ouest présentent de plus faibles niveaux d’accessibilité. L’analyse par catégorie d’individus démontre que les niveaux d’accessibilité des différentes catégories d’habitants périurbains de Lille sont similaires depuis le lieu de résidence. En effet, cela pourrait s’expliquer par la configuration socio-spatiale diversifiée du périurbain lillois. Par ailleurs, la multipolarité de la métropole lilloise semble profiter aux espaces périurbains : en effet, la présence du centre-ville, conjuguée aux polarités secondaires comme Roubaix, Tourcoing et Villeneuve-D’Ascq, configure des niveaux d’accessibilité assez élevés dans le périurbain.
38En revanche, les inégalités d’accessibilité se renforcent lorsqu’on on considère la capacité des individus à se déplacer : les catégories les plus aisées et les plus qualifiées sont celles qui bénéficient le plus de l’accessibilité depuis les lieux de travail/études. Leur plus grande capacité à se déplacer (expliquée par le taux plus élevé de motorisation et des ressources financières plus importantes). Un des apports de cette recherche est de souligner le rôle de la mobilité quotidienne comme vecteur d’accroissement de l’accessibilité aux équipements. L’analyse des gains d’accessibilité démontre que, malgré les niveaux les plus élevés d’accessibilité des populations privilégiées depuis le lieu de travail/études, ce sont les catégories moyennes qui sont les principales bénéficiaires de la mobilité. De par leurs déplacements quotidiens, elles modèrent en effet la faible accessibilité aux équipements à laquelle elles font face dans leur espace de résidence et réduisent l'ampleur des inégalités sociales d'accès aux équipements.
39Si d’un côté les résultats rejoignent un constat de dépendance automobile, déjà très discuté dans les travaux portant sur le périurbain, de l’autre côté, ils permettent également de nuancer l’idée souvent avancée des inégalités d’accessibilité dans les espaces de densité intermédiaire. Dans un contexte de maturation et diversification du périurbain, les évolutions constatées ces dernières décennies (comme le desserrement des activités et la diversification sociale de ces espaces) pourraient donc converger vers des configurations moins inégalitaires et plus durables.