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Editorial

Les enjeux d’accessibilité dans la ville : entre équité spatiale et exclusion sociale

Pierre Zembri

Texte intégral

1L’accessibilité d’un territoire peut être considérée comme un indicateur d’équité spatiale, car elle rend compte de la situation d’exclusion de certains groupes sociaux, notamment dans l’accès aux services et à l’emploi (Lucas 2004). La littérature montre que l’exclusion dans le contexte spécifique de l’accessibilité peut être étudiée à partir de diverses approches. La première est une exclusion physique, où des barrières physiques diminuent l’accessibilité au territoire de certains groupes de population (ex. personnes utilisant des aides à la marche) (Victor et al., 2016; Gonzalez et Lord, 2018). On trouve aussi une exclusion géographique, lorsque vivre dans certains milieux (ex. régions rurales, périurbain) empêche les individus d’avoir accès aux services (Farrington et Farrington, 2005 ; Negron-Poblete, 2018). L’exclusion financière et temporelle peut aussi toucher des groupes plus vulnérables (ex. familles monoparentales) (Beyazit, 2011 ; Ravalet, 2015 ; Maksim, 2015). Finalement, l’exclusion spatiale survient notamment lorsque la gestion de l’espace urbain se fait au profit de certains groupes de population, affectant l’accessibilité aux aménités urbaines pour d’autres (ex. quartiers fermés, centres commerciaux) (Olessen et Lassen, 2012).

2Toutes ces exclusions intègrent aussi une composante plus subjective, qui découle du regard que pose l’individu sur sa propre situation d’exclusion. Afin d’être en mesure de mettre en place des actions afin d’améliorer l’accessibilité des territoires dans une perspective d’équité spatiale, ces diverses formes d’exclusion qui touchent l’accessibilité doivent être abordées de manière combinée.

3L’objectif de l’appel à textes destiné à nourrir ce numéro de la revue Territoire en Mouvement était de mettre en lumière les disparités complexes et contrastées qui existent entre les villes (métropoles, villes moyennes), mais aussi au sein d’un même espace (dans les quartiers denses, dans les banlieues, dans les périurbains), en matière d’accessibilité spatiale. L’appel à textes s’intéressait particulièrement aux effets complexes sur les individus des conditions d’accessibilité et de mobilité dans la ville.

4Malgré l’abondance des angles potentiels de traitement de cette question des enjeux d’accessibilité, cinq textes seulement ont pu aboutir au degré de maturation permettant d’envisager leur publication. De ce fait, l’ambition initiale très large s’en est trouvée restreinte, mais c’est le jeu normal des dossiers de revue, et cela n’ôte en rien de l’intérêt aux articles publiés dans le présent numéro.

5L’exclusion physique en constitue un premier volet, traité par deux articles. Celui de Meddy Escuriet sur la mise en accessibilité des commerces dans un centre-bourg rural auvergnat, très représentatif du cumul de difficultés liées au déclin de l’offre commerciale de proximité et à la faible marge de manœuvre financière des établissements subsistants qui sont souvent en état de survie. L’injonction de mise en accessibilité, pour vertueuse qu’elle soit, est avant tout une source de difficultés supplémentaire, qui pourrait paradoxalement accentuer le déclin des commerces de centre-bourg au profit de la grande distribution nettement plus éloignée, alors même que la clientèle comporte une proportion non négligeable de personnes à mobilité réduite du fait du vieillissement de la population. à travers l’exemple de Courpière (Puy-de-Dôme), l’auteur fait un état des difficultés rencontrées et des tactiques d’adaptation a minima des commerçants.

6L’article de Noémie Rapegno traite d’une question plus rarement abordée, celle de l’accès aux services de proximité des résidents d’un établissement médico-social situé dans une commune périurbaine d’Île-de-France. Encore une fois, on a affaire à une population qui se déplace avec difficultés, et pour laquelle les aménagements de l’environnement immédiat de l’établissement, et plus largement des territoires avoisinants constituent davantage une source de difficultés que de facilitation. Il en résulte pour les personnes concernées un sentiment d’isolement renforcé, ainsi qu’un recours accru -à leur corps défendant- au mode de déplacement le moins vertueux qui soit, l’automobile individuelle.

7L’article de Vandana Vasudevan sur la mobilité quotidienne de travail des femmes dans une agglomération du Nord de l’Inde (Jalandhar) combine accessibilité physique et spécificités liées au statut de la femme dans une société conservatrice. La longueur, le coût et l’incommodité des déplacements contribuent à rendre la vie des femmes en quête d’un minimum d’indépendance financière très difficile, au point d’en dissuader une part non négligeable d’entrer durablement sur le marché du travail. L’article rend compte d’un travail comportant une double dimension quantitative (sur la base des statistiques du recensement) et qualitative avec 49 entretiens.

8Les deux derniers articles du dossier ont des approches plus conventionnelles et davantage orientées outil de mesure de l’accessibilité et des facteurs physiques de sa modulation. Le texte d’Eugênia Viana Cerqueira nous replonge dans le périurbain, cette fois-ci de l’agglomération de Lille. Il résulte d’une recherche dont le principal acquis est de confirmer le lien entre accessibilité aux services ou équipements d’agglomération et multipolarisation. Il apparaît également que les inégalités d’accessibilité des habitants du périurbain sont plus importantes à partir du lieu de travail ou d’études qu’à partir du lieu de résidence. Les disparités de desserte par les transports collectifs, importantes sur le territoire de la Métropole Européenne de Lille, se traduisent par un choix modal qui leur est défavorable, celui de l’automobile, qui permet de maximiser l’accessibilité à moins de 20 minutes des équipements collectifs. L’article de Wassim Hached et d’éliane Propeck-Zimmermann rend pour sa part compte du développement d’un outil d’analyse spatiale mettant en œuvre le concept d’ergonomie spatiale pour l’accès aux ressources au sein de l’agglomération strasbourgeoise. L’ergonomie est d’autant plus importante qu’il s’agit de déplacements en modes actifs (comme le vélo), qui nécessitent des espaces de circulation apaisés et ne créant pas de sentiment d’insécurité susceptible de décourager les utilisateurs.

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Bibliographie

Beyazit, E. (2011). Evaluating social justice in transport: lessons to be learned from the capability approach. Transport reviews, 31(1), 117-134.

Farrington, J., et Farrington, C. (2005). Rural accessibility, social inclusion and social justice: towards conceptualisation. Journal of Transport geography, 13(1), 1-12.

Gonzalez, T., Lord, S. (2018) Les aides à la mobilité dans les chaî̂nes de déplacement en milieu urbain. Dans Vieillissement et aménagement. Perspectives plurielles, Lord, S., Piché, P. (dir.). Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 189-207.

Lucas, K. (2004). Running on empty. Transport, social exclusion and environmental justice. Bristol : Policy press, University of Bristol.

Maksim, H. (2015) La motilité comme facteur de différenciation sociale : Un outil de remise en question de l'action publique ? Dans Mobilité et exclusion, quelles relations ? Lord, S., Negron-Poblete, P., Torres, J. (dir.). Québec, Presses de l'Université Laval, 307-340.

Negron-Poblete, P. (2018) Vieillir et se déplacer dans un environnement de banlieue : les cas de Pointe-aux-Trembles et de Montréal-Nord. Dans Vieillissement et aménagement. Perspectives plurielles, Lord, S., Piché, P. (dir.). Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 141-159.

Olesen, M., et Lassen, C. (2012). Restricted mobilities: Access to, and activities in, public and private spaces. International Planning Studies, 17(3), 215-232.

Ravalet, E. (2015). La marche en ville, un choix par défaut ? Un regard social sur la proximité à Lyon, Dans Mobilité et exclusion, quelles relations ? Lord S, Negron-Poblete P, Torres J (dir.). Québec, Presses de l'Université Laval, 225-252.

Victor, N., Klein, O., et Gerber, P. (2016). Handicap de situation et accessibilité piétonne: reconcevoir l’espace urbain. Espace populations sociétés. Space populations societies, (2016/2).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Pierre Zembri, « Les enjeux d’accessibilité dans la ville : entre équité spatiale et exclusion sociale »Territoire en mouvement Revue de géographie et aménagement [En ligne], 47 | 2020, mis en ligne le 15 janvier 2021, consulté le 22 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tem/7063 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/tem.7063

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Auteur

Pierre Zembri

Professeur
Université Paris-Est Marne-la-Vallée – UPEM
pierre.zembri@enpc.fr

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