Ce travail de recherche portant sur l’ergonomie d’accès aux ressources de la vie quotidienne en mobilité douce, est mené dans le cadre pluridisciplinaire de l’ANR RED (Risques Émergents de la mobilité Durable). Les auteurs remercient tous les participants à ce programme lors des séminaires de travail.
1La réduction de l’usage de la voiture dans les déplacements en ville est un objectif majeur pour répondre à l’impératif de développement durable. Un intérêt particulier est porté aux systèmes de transport en commun et à la mobilité douce (au sens de mobilité active : la marche et le vélo). Dans la plupart des grandes villes françaises, suite notamment à la mise en place des Plans de Déplacements Urbains (PDU) introduits par la loi n° 96-1236 du 30 décembre 1996 sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie les politiques publiques ont conduit à la réduction de la place de l’automobile dans l’espace urbain, en faveur du tramway, des aménagements cyclables, des zones 30, des zones de rencontre ou des zones piétonnes. Ainsi, « depuis 2006 et pour la première fois en trente ans, toutes les enquêtes ménage-déplacement montrent une baisse de la part modale de la voiture » (De Solere, 2012). Des politiques visent par ailleurs la réduction des distances parcourues en privilégiant la densification urbaine. En effet, selon S. Munafò et M. Bierlaire, « la densité est la forme territoriale la plus à même de générer une mobilité durable, c’est-à-dire une mobilité basée essentiellement sur des courtes distances et une utilisation faible de la voiture » (Munafò & Bierlaire, 2017). D’autres stratégies visent à rompre avec la spécialisation urbaine (zones d’habitation, commerciale, industrielle…) en encourageant la mixité sociale et fonctionnelle, en incitant les ménages à se localiser à proximité de leurs lieux de travail ou en implantant des ressources (commerces, écoles, loisirs…) à proximité (Bentayou, 2015).
2Cependant, si les PDU prônent la mobilité durable à l’échelle de l’ensemble d’une agglomération, les politiques actuelles de mobilité durable semblent se focaliser sur les centres urbains ou quelques espaces vitrines (écoquartiers, technopôles…) au risque de renforcer les disparités socio-spatiales. Par ailleurs, « les ressources sont inégalement distribuées dans l’espace, et n’exigent pas les mêmes compétences de mobilité dans la vie courante sur l’ensemble du territoire » (Orfeuil, 2015).
3Dans ce contexte, on peut s’interroger sur les nouvelles conditions d’accès des populations aux ressources de la vie quotidienne (commerces, loisirs, écoles…) via les modes doux et leurs disparités au sein des grandes agglomérations.
4Les aménagements en faveur de la mobilité durable, en particulier les modes doux, offrent-ils une alternative à la voiture pour mobiliser les ressources dont la population a besoin, dans des conditions de desserte, de sécurité et de confort acceptables ? Partout et pour tout le monde ?
5La recherche en cours vise à répondre à ces questions en se basant sur le concept d’ergonomie spatiale, entendu comme la capacité d’un territoire à fournir à sa population les ressources socio-économiques qui leurs sont nécessaires au moindre coût/effort/risque (Saint-Gérand, 2002). Après avoir explicité le concept d’ergonomie d’accès, nous exposerons la démarche d’ensemble d’évaluation des conditions d’accès aux ressources en chaque point de l’espace permettant d’étudier les disparités induites par les politiques de mobilité durable. L’expérimentation porte sur l’Eurométropole de Strasbourg qui mène une politique très volontariste en faveur de la mobilité douce.
6Le concept d’ergonomie a été introduit au 19e siècle dans le domaine de l’industrie pour désigner la science du travail. Il s’attache à l’adaptation du travail à l’Homme (Jastrzebowski, 2000). L’association internationale d’ergonomie (IEA) considère l’ergonomie comme « une discipline scientifique qui vise la compréhension fondamentale des interactions entre les humains et les autres composantes d’un système, et la profession qui applique des principes théoriques, des données et des méthodes en vue d’optimiser le bien-être des personnes et la performance globale des systèmes » (IEA, 2018). L’ergonomie considère ainsi tous les aspects du travail (les tâches à accomplir, les contraintes de l’environnement de travail, les coûts globaux sécuritaires ou autres), et s’inscrit dans une démarche multiscalaire : la micro-ergonomie vise à améliorer le rapport entre l’opérateur et son outil de travail direct, tandis que la macro-ergonomie voit le processus dans sa globalité et se focalise sur l’environnement du travail (De Montmollin, 1987).
7Des transferts conceptuels ont conduit à son application à différents domaines tels que l’informatique, l’architecture, l’urbanisme, ou encore la géographie. La ville a alors été assimilée à une usine, les activités pratiquées en ville à des processus visant la réalisation d’une tâche.
8J-Ph. Antoni présente « l’ergonomie urbaine » comme « l’aménagement d’un espace donné en compatibilité avec les diverses caractéristiques des activités ou des utilisateurs en vue d’un plus grand confort ou d’une plus grande efficacité » (Antoni, 2014). Elle revoit la manière dont les individus « bougent » pour effectuer un travail ou une tâche. Elle s’intéresse particulièrement à l’accessibilité à travers notamment l’étude des distances, aux paysages urbains et aux risques en ville. L’objectif de ce type d’ergonomie est de maximiser les proximités pour plus de confort et moins d’effort. L’auteur propose une réflexion théorique concernant la mobilité tridimensionnelle dans l’espace urbain (Reymond, 1998, Frankhauser, 1994).
9Selon une approche plus concrète, « l’ergonomie de la ville » a été abordée dans les débats du Centre d’Études sur les Réseaux, les Transports, l’Urbanisme et les constructions publiques (CERTU), pour évaluer des aménagements urbains existants (Lejeune, 2004). Le CERTU s’appuie sur le postulat stipulant que la ville et en particulier l’espace public sont comparables à des machines dont les citadins font usage pour atteindre les buts qu’ils se sont donnés. Ce type d’ergonomie met l’Homme au centre de l’espace et de l’aménagement urbain avec lesquels il interagit. D’autres auteurs tels que G. Bouché, consultant en ergonomie et en conduite de projets architecturaux, se focalisent sur la dimension psychologique de l’espace urbain, les scénarios de vie, l’étude des attentes réelles des gens, la qualité du mobilier urbain (Bouché, 2014).
10L’ergonomie d’accès aux ressources, développée dans cet article prend appui sur le concept d’ergonomie spatiale introduit par Th. Saint-Gérand. Pour cet auteur, l’ergonomie spatiale est le reflet de l’adéquation de l’espace à sa population qui se traduit par la facilité que le territoire offre aux citadins d’accéder aux ressources dont ils ont besoin au moindre coût/effort/risque (Saint-Gérand, 2002). Le « coût » est entendu au sens large englobant toutes les contraintes liées à la mobilisation des ressources (distance, temps, sécurité, confort, argent). L’ergonomie contribue ainsi à la connaissance des morphologies fonctionnelles de l’espace urbain. Elle aide aussi à mettre en évidence et à expliciter les disparités socio-spatiales.
11Le concept d’ergonomie et celui d’accessibilité présentent des connexions. L’accessibilité est couramment définie comme la plus ou moins grande facilité avec laquelle un lieu peut être atteint à partir d’un ou plusieurs autres lieux, à l’aide de tout ou partie des moyens de transport existants (Bavoux & al., 2005). Dans son sens le plus large, l’accessibilité considère la plus ou moins grande facilité pour les habitants d’un territoire à réaliser des activités (Huriot & Perreur, 1994 ; Conesa & L’Hostis, 2010). Cependant, malgré des similitudes dans les méthodes et les données utilisées, les finalités sont différentes. L’ergonomie considère le territoire dans son fonctionnement d’ensemble à travers l’agencement de son potentiel de ressources et sa capacité à répondre aux besoins. L’accessibilité s’intéresse à un aspect bien particulier du fonctionnement du territoire, celui des déplacements et des transports. Si, ponctuellement, des éléments comme les emplois du temps individuels (Fosset & al. 2016) ou les risques d’accident (Cui & Levinson, 2018) sont pris en compte dans les études d’accessibilité, les implications systémiques à l’échelle du territoire ne sont généralement pas envisagées.
12Par ailleurs, l’ergonomie présente des connexions avec des concepts voisins tels que « capabilité », « motilité », « marchabilité » et « cyclabilité ». La capabilité en géographie est entendue comme la capacité (au sens large : physique, psychologique, cognitive, culturelle…) d’un individu ou d’un groupe d’individus à accéder à un lieu qui corresponde à ses besoins. En effet, un individu peut avoir à disposition des ressources (cinéma, théâtre…), mais sans que sa condition lui permette d’en profiter (revenus, handicap…) (Bénicourt 2007). Vincent Kaufmann développe dans ce sens le concept de « motilité », à savoir « la manière dont une personne ou un groupe fait sien le champ du possible en matière de déplacement et en fait usage » (Kaufmann, 2014). La marchabilité et la cyclabilité reflètent la capacité d’un endroit à faciliter l’accès à pied ou à vélo (Miserey, 2013).
13L’ergonomie spatiale, telle que définie plus haut, intègre les potentiels du territoire en termes de disponibilité des ressources et conditions d’appropriation par la population.
14L’« ergonomie d’accès » aux ressources constitue une première étape dans la mise en œuvre du concept d’ergonomie spatiale. Elle s’attache à la distribution des ressources dans la ville et à leurs conditions d’accès, dans un temps raisonnable, au moindre coût/effort/risque. Elle souligne l’importance d’un espace urbain de qualité pour l’accès aux ressources et rappelle en ce sens la démarche HQE en architecture qui vise à améliorer le confort et la santé des usagers d’un bâtiment, tout en limitant son impact sur l’environnement.
15La localisation géographique est une donnée essentielle conditionnant l’accès aux ressources de toute population. L’ergonomie considère ainsi les conditions d’accès aux ressources au moindre coût/effort qu’offre un territoire à ses occupants à l’endroit où ils vivent (Propeck-Zimmermann & al., 2018).
16Un niveau d’ergonomie d’accès aux ressources de la vie quotidienne peut être évalué en se basant sur deux ensembles de critères complémentaires (Figure 1) :
-
La répartition spatiale des ressources et les conditions d’accès aux ressources de proximité, dans le sens courant où la proximité évoque le voisinage, la contiguïté, la faible distance (Huriot & Perreur, 1998). La répartition des ressources et les moyens d’y accéder renvoient à la structure du territoire.
-
Les alternatives de ressources et d’accès dans un rayon d’action acceptable. Il s’agit d’un potentiel de choix de ressources et de modes d’accès alternatifs considérés comme de « proches substituts, c’est-à-dire qui sont capables de satisfaire un même besoin » (Huriot & Perreur, 1998). L’ergonomie d’accès est ici conditionnée par la notion de ductilité/plasticité de l’espace, ou « Plastic space » (Wood, 1978).
17Les ressources de la vie quotidienne sont visées par cette étude en considérant qu’elles correspondent à un besoin universel. L’ergonomie d’accès est alors étudiée pour évaluer l’accès des citadins aux commerces, aux écoles, aux loisirs, aux services de santé et services publics. L’accès quotidien à l’emploi demandant des développements spécifiques (en termes notamment de collecte de données) est à ce stade exclu. Il sera intégré dans de futures recherches. Les caractéristiques sociales des populations jouent un rôle important dans la capacité à mobiliser des ressources, elles seront prises en compte dans un second temps.
18La démarche consiste à calculer un indicateur synthétique en chaque point de l’espace, selon différents modes, à partir de critères appliqués aux deux ensembles ci-dessus (proximité et alternatives). L’indicateur synthétique mis en perspective avec les aménagements de la mobilité durable et les types d’environnements socio-spatiaux permet d’évaluer l’impact de la politique de mobilité durable sur les potentialités d’accès aux ressources et de caractériser les disparités socio-spatiales.
Figure 1 : Modèle de l’ergonomie d’accès (Propeck et al., 2018)
19La démarche nécessite l’élaboration d’une importante base de données localisées comprenant notamment la répartition des ressources, les infrastructures, la voirie, l’environnement urbain… et son exploitation à l’aide des fonctionnalités d’un Système d’Information Géographique.
20Le territoire est découpé en mailles de 200 m x 200 m (maillage le plus fin de l’INSEE). À partir d’un point de départ (centroïdes d’une maille habitée), la démarche d’ensemble comprend 4 étapes :
-
calcul de la zone de proximité : calcul, par le plus court chemin, des itinéraires d’accès aux ressources les plus proches (les 32 ressources relevées dans le Tableau 1). Le calcul est effectué par mode (marche, vélo, voiture), et pour différents pas de temps (5, 10 et 20 minutes).
Les ressources les plus proches pour chaque type forment une zone de proximité (Carte 1). Les temps de déplacement « 5,10 et 20 minutes » ont été définis en fonction de la zone de pertinence des modes de déplacement, de la capacité physique des citadins, du budget temps-déplacement et du nombre de déplacements dans le territoire d’étude issus de l’enquête ménages-déplacements de 2009.
-
calcul des critères se rapportant à la zone de proximité et aux itinéraires :
- nombre et diversité des ressources dans la zone de proximité ;
- conditions d’accès aux ressources de proximité sur les itinéraires (répartition des ressources, sécurité, confort et coût monétaire) ;
-
calcul de la zone des alternatives représentant l’ensemble de l’espace accessible par les réseaux, à partir du point de départ, en un temps donné (isochrones 5, 10 et 20 minutes) et où seraient susceptibles de se trouver des ressources supplémentaires (Carte 1).
-
calcul des critères rattachés à la zone des alternatives :
- nombre et diversité des ressources alternatives ;
- indicateurs se rapportant aux alternatives d’accès aux ressources (différents itinéraires, différents modes en particulier présence de transports en commun) ;
-
Dans une dernière phase, un score entre 0 et 100 est attribué à chaque critère calculé précédemment où 100 représente, pour un critère donné, le résultat le plus élevé de l’ensemble des mailles du territoire d’étude. Par exemple, le score du « nombre de ressources de la zone de proximité » sera égal à 100 pour la maille à partir de laquelle on accède au nombre le plus élevé de ressources dans le territoire étudié, et 0 pour la maille à partir de laquelle on n’a accès à aucune ressource. La moyenne des scores des critères (telle que présentée plus loin) fournit l’indicateur synthétique d’ergonomie en chaque point de l’espace.
Carte 1 : Calcul de la zone de proximité et de la zone des alternatives (Hached, 2019)
21Les ressources prises en compte sont listées dans le tableau 1 et classées en 5 catégories : commerces, écoles, santé, services publics et loisirs. Des classes sont définies pour chaque catégorie en tenant compte plus précisément de la nature des activités, des surfaces d’activité, du nombre de salariés et des niveaux de recours par la population (Tannier, Houot & Epstein 2014). La diversité correspond dès lors à la présence d’un plus ou moins grand nombre de classes de ressources présentes dans la zone de proximité ou la zone des alternatives (isochrone).
Tableau 1 : Ressources de la vie quotidienne (Auteurs, ANR RED)
catégories
|
classe
|
ressource de la vie quotidienne
|
Commerces
|
A
|
Boulangerie et boulangerie-pâtisserie
|
Pâtisserie
|
Commerce d’alimentation générale
|
Commerce de détail de fruits et légumes en magasin spécialisé
|
Commerce de détail de viandes et de produits à base de viande en magasin spécialisé
|
B
|
Supérette
|
Supermarché
|
C
|
Hypermarché
|
D
|
Commerce de détail de produits à base de tabac en magasin spécialisé
|
Commerce de détail de journaux et papèterie en magasin spécialisé
|
E
|
Commerce de détail de produits pharmaceutiques en magasin spécialisé
|
F
|
Marché
|
Écoles
|
G
|
Enseignement pré-primaire
|
Enseignement primaire
|
H
|
Enseignement secondaire général
|
Santé
|
I
|
Activités hospitalières
|
Activités chirurgicales
|
J
|
Activités des médecins généralistes
|
Activités des infirmiers et des sages-femmes
|
K
|
Activités de radiodiagnostic et de radiothérapie
|
Pratique dentaire
|
Laboratoires d’analyses médicales
|
Services publics
|
L
|
Mairie
|
Commissariat — Gendarmerie
|
Centre médico-social
|
Pôle Emploi
|
Loisirs
|
M
|
Cinéma
|
Musée
|
Salle de spectacles
|
N
|
Bibliothèque — Médiathèque
|
O
|
Activités de clubs de sports
|
Infrastructure sportive
|
22Le diagramme de la figure 2 résume l’ensemble des critères pris en compte et explique leur combinaison pour aboutir à l’indicateur synthétique. L’indicateur synthétique résulte de la moyenne calculée de l’indicateur global « Ergonomie d’accès aux ressources les plus proches » (EARP) et de l’indicateur global « Alternatives dans un rayon acceptable » (ARA).
23Les indicateurs globaux (EARP et ARA) sont obtenus par les moyennes emboîtées des scores des indicateurs de niveau inférieur (figure 3). Ainsi, le score de l’« Ergonomie d’accès aux ressources les plus proches (EARP) » est la moyenne des scores de « disponibilité des ressources » (défini lui-même par la moyenne des scores du nombre et de la diversité) et des scores des « Conditions d’accès ». Ce dernier est la moyenne des scores de 4 critères :
-
la répartition des ressources (distance, temps et dispersion des ressources dans la zone de proximité) : la distance et le temps sont calculés en fonction des vitesses propres à chaque mode. La dispersion des ressources prend en compte la surface de la zone de proximité (plus cette surface est petite, plus les ressources sont concentrées et meilleure est l’ergonomie), la distance au centre de gravité de la zone de proximité (plus cette distance est courte, plus le point de départ est proche de l’ensemble des ressources) et la forme de la zone de proximité (une forme circulaire signifie que les ressources sont réparties d’une façon homogène autour du point d’étude, une forme elliptique indique que les ressources sont situées dans une direction privilégiée).
-
la sécurité : taux d’accidents (nombre d’accidents impliquant un mode donné par rapport à la longueur des itinéraires) et taux d’accidents graves (nombre d’accidents graves impliquant un mode donné par rapport à la longueur des itinéraires. Les accidents sont rapportés à la longueur des voies à défaut de données sur les flux en particulier des modes doux.
-
le confort [caractéristiques des réseaux et infrastructures et de l’environnement urbain] : part des voies favorables au mode donné, nombre d’intersections [considérées comme ralentissements], part des sens de circulation favorables par mode [les sens bidirectionnels pour les vélos et unidirectionnels pour les voitures sont susceptibles d’offrir un meilleur confort], stationnement à moins de 50 mètres des ressources [y compris les attaches vélo]. La qualité de l’environnement urbain s’intéresse à : la topographie, la part de trajet qui jouxte une trame bleue, verte, non polluée ; la sinuosité [nombre de changements de direction rendant l’orientation plus difficile] ; le flux routier (un flux faible entraîne moins de nuisances sonores et un meilleur sentiment de sécurité) ; la part d’itinéraires avec un bon revêtement (des routes, des pistes cyclables ou des trottoirs), le nombre de points remarquables offrant un espace urbain plus agréable et représentant des points repères lors des déplacements (sculptures, monuments, bâtiments classés patrimoine historique), le nombre et la diversité du mobilier urbain utile pour chaque mode (poubelles publiques, bancs publics…).
-
Le coût monétaire est estimé en fonction de la distance parcourue avec un coût kilométrique par mode. Il est de fait fortement corrélé à la répartition des ressources. Il présente essentiellement un intérêt dans la comparaison entre modes. Ce coût est difficile à évaluer. Sur la base de la littérature scientifique et d’études locales (Papon, 2002 ; STIF, 2005 ; SMTC, 2008 ; Beauvais, 2012) et en excluant les frais vestimentaires pour les piétons et cyclistes, un prix moyen a été adopté pour les différents modes : à pied 0 euro/km, vélo : 0,036 euro/km et voiture : 0,41 euro/km. Ce prix moyen est sujet à discussion. En effet, la marche n’est pas gratuite mais les coûts vestimentaires (pour les piétons et cyclistes) sont difficiles à évaluer. Par ailleurs, quels que soient les modes, les chiffres peuvent varier selon les études réalisées dans des contextes différents. Il s’agit ici essentiellement de relativiser les prix des différents modes pour leur comparaison.
24Le score des « alternatives dans un rayon acceptable » est la moyenne des scores de « disponibilité des ressources alternatives » et « d’alternatives d’accès ».
25Dans le cadre de cette étude, les alternatives d’accès demandant des données complémentaires et une chaîne de traitements lourde et spécifique feront l’objet d’une recherche ultérieure. De fait, pour ne pas accorder un poids trop important à la disponibilité des ressources alternatives, une pondération a été adoptée : Un facteur de « 2 » pour l’indicateur « Ergonomie d’accès aux ressources les plus proches » (EARP) et un facteur de « 1 » pour l’indicateur « Alternatives dans un rayon acceptable » (ARA).
26Pour finir, l’indicateur synthétique calculé pour chaque maille sur une échelle de 0 à 100, permet d’analyser les disparités spatiales de l’ergonomie d’accès aux ressources, tous modes confondus, selon différents modes ou différents pas de temps. Dans un deuxième temps, une étude approfondie permet de saisir les combinaisons de critères conduisant à un niveau donné, et donc de renseigner sur la contribution de chaque critère au niveau global. La mise en perspective des niveaux d’ergonomie avec une typologie des environnements socio-urbains permet finalement d’étudier les disparités socio-spatiales d’accès aux ressources sur le territoire.
Figure 2 : Indicateurs d’ergonomie d’accès aux ressources (Hached, 2019)
Figure 3 : Méthode de calcul de l’indicateur synthétique (Hached, 2019)
27La démarche a été appliquée à l’Eurométropole de Strasbourg qui s’affirme en tant que collectivité innovante et leader de la mobilité durable en France : « 1re ville cyclable de France », « 21 véloparcs », « 19000 arceaux », première ville à expérimenter la « vélorue : une rue où les voitures doivent rouler derrière les vélos avec interdiction de les doubler. » (Eurométropole de Strasbourg, 2017). F. Héran affirme que « La capitale alsacienne caracole en tête des villes cyclables françaises avec, en 2009, 8 % de l’ensemble des déplacements réalisés à vélo dans la communauté urbaine de Strasbourg […] en compagnie de La Rochelle, ville cependant beaucoup plus modeste, et suivie de loin par Grenoble, Bordeaux et Rennes avec 4 %, mais elle est bien loin de Fribourg (19 %) et Bâle (17 %). » (Héran, 2011).
28Les résultats présentés ici portent sur les déplacements des personnes à vélo dans un rayon d’action de 10 minutes (distance réseau).
29Le territoire de l’Eurométropole de Strasbourg compte 2645 mailles habitées de 200 m x 200 m. Pour tester la méthode développée, 12 zones d’études ont été sélectionnées (carte 2).
30Le choix des zones tests est crucial pour mener des comparaisons au sein du territoire et révéler les disparités socio-spatiales. Deux critères de sélection ont été retenus : d’une part la répartition géographique sur l’ensemble de l’Eurométropole prenant en considération la morphologie urbaine structurant le territoire (centre, centre planifié, première et deuxième couronne péri-urbaine), et d’autre part, les caractéristiques socio-environnementales des différents quartiers issues d’une typologie basée sur des données de population (âge, taille des ménages, catégories socio-professionnelles,…) dans leurs environnements urbains respectifs (occupation du sol, trame bleue, trame verte…). La typologie (réalisée dans le cadre de l’ANR RED) distingue 8 classes représentées sur la carte 2. L’ensemble des zones tests a fait l’objet d’une validation par les experts de l’urbanisme à l’Eurométropole de Strasbourg.
Carte 2 : Typologie et points d’études à l’Eurométropole de Strasbourg (Propeck et al., 2017 ; Hached, 2019)
31Une Base de données a été élaborée sur le territoire de l’Eurométropole de Strasbourg (EMS) à partir des données de l’EMS, de la BD Topo de l’IGN, de l’INSEE, de sources complémentaires et de relevés terrain.
32Chaque point de départ est projeté sur la route la plus proche (à moins de 300 m). Le plus court chemin en distance-temps est calculé en respectant les caractéristiques du réseau routier et cyclable (restrictions par modes, sens de circulation, possibilité de tourner aux jonctions…) ; les coupures urbaines (Héran 2011) sont ainsi intégrées dans le calcul.
33La vitesse est définie pour chaque mode (4 km/h à pied, 14 km/h à vélo, 20 km/h au centre-ville et vitesse réglementaire sur les autres voies pour la voiture). Les vélos à assistance électriques (VAE) sont en plein essor, ils permettent d’augmenter la portée des déplacements grâce à des vitesses plus élevées, cet engouement étant récent (les données recueillies datent de 2015).
34L’application aux 13 zones tests montre des disparités au niveau de l’Eurométropole de Strasbourg. En effet, l’indicateur synthétique, pour un pas de temps de 10 minutes, varie de 41,0 à 86,2 pour le vélo et de 38,9 à 76,9 pour la voiture (Tableau 2 et carte 3).
Tableau 2 : Scores de l’ergonomie d’accès aux ressources de la vie quotidienne en 10 minutes à vélo (Hached, 2019)
Point de départ
|
Ergonomie d’accès aux ressources à vélo
|
Ergonomie d’accès aux ressources en voiture
|
distance au centre en km
|
Hypercentre
|
86,2
|
38,9
|
0,0
|
Esplanade
|
73,6
|
76,3
|
1,8
|
Schiltigheim
|
69,4
|
76,9
|
2,6
|
Meinau
|
65,2
|
71,6
|
3,2
|
Hautepierre
|
63,9
|
69,6
|
3,6
|
Robertsau
|
61,4
|
66,8
|
3,7
|
Port du Rhin
|
41,0
|
44,6
|
3,9
|
Ostwald
|
54,1
|
63,4
|
4,4
|
Holtzheim
|
43,1
|
62,9
|
7,6
|
Vendenheim
|
49,9
|
57,2
|
10,0
|
La Wantzenau
|
60,6
|
64,1
|
10,6
|
Plobsheim
|
57,6
|
59,8
|
12,3
|
Carte 3 : Ergonomie d’accès aux ressources de la vie quotidienne par mode en 10 minutes (Hached, 2019)
35À vélo, le score d’ergonomie le plus élevé (86,2) est situé dans l’hypercentre de Strasbourg. Cela s’explique à la fois par des aménagements de longue date en faveur des modes doux (grand secteur piétonnier, nombreux aménagements cyclables), par un nombre et une diversité élevés de ressources et des conditions d’accès favorables au regard des critères retenus. À l’inverse, les déplacements en voiture présentent l’ergonomie la plus faible (38,9) du fait des aménagements dissuasifs à l’usage de ce mode (point d’étude situé dans l’hypercentre piéton).
36L’ergonomie à vélo diminue dans la première couronne, elle est encore plus faible dans la deuxième couronne. En voiture, on constate un niveau d’ergonomie relativement homogène. La carte 3 et le tableau 2 mettent ainsi en évidence un gradient centre-périphérie, mais ce gradient n’est pas parfait, certains lieux présentent des particularités bien marquées.
37La Robertsau au Nord-Est du centre-ville offre une ergonomie plus faible à vélo que les autres points situés à une distance équivalente. Il s’agit d’un quartier aisé présentant une mixité générationnelle où les cadres et professions intermédiaires sont surreprésentés. Les ressources regroupées au centre du quartier sont nombreuses et diversifiées, mais le potentiel de ressources accessible à vélo en 10 minutes est dans l’ensemble plus faible du fait d’un environnement urbain peu dense et relativement éloigné des autres quartiers. La part des voies dédiées au vélo est faible, les conditions sont par contre favorables à la voiture.
38Le Port du Rhin (point rouge à l’Est) présente également une situation atypique dans la première couronne péri-urbaine. Il s’agit d’un quartier populaire avec familles nombreuses, bas revenus et grands ensembles, enregistrant l’ergonomie la plus faible à vélo et l’un des scores les plus bas en voiture. Les ressources y sont très limitées et les alternatives quasi inexistantes du fait de l’isolement de ce quartier entre une zone industrielle et l’Allemagne. Le résultat en ce point est cependant à considérer avec prudence vu l’absence de données du côté allemand, qui offre cependant des ressources de proximité (en particulier à vélo depuis la création d’une nouvelle passerelle franchissant le Rhin jusqu’à la ville de Kehl).
39Dans les quartiers péricentraux et les faubourgs les plus denses, le vélo semble, au regard des critères d’ergonomie retenus, pouvoir constituer une alternative à la voiture pour l’accès aux ressources à la vie quotidienne (nombreuses ressources accessibles avec des réseaux favorables à l’usage du vélo, arceaux à vélo, mobilier urbain surtout à l’Esplanade, Schiltigheim et Hautepierre). Les scores d’ergonomie en voiture restent cependant toujours un peu plus élevés.
40Les communes de la deuxième couronne sont propices à l’usage du vélo grâce à la sécurité relative des déplacements et à une faible exposition aux flux routiers.
41En deuxième couronne, la situation devient plus hétérogène entre des communes de taille comparable. Dans certains cas, le score global est assez bon, les ressources sont nombreuses et bien réparties au centre bourg, l’environnement urbain y est de qualité (La Wantzenau, Plobsheim). Dans d’autres, les ressources sont plus éclatées entre commerces de détail et grand centre commercial, le réseau plus complexe avec un nombre d’accidents graves plus élevé (Vendenheim). Enfin, pour certaines communes marquées par un certain isolement par rapport à Strasbourg (telle Holtzheim à l’Ouest), les ressources sont limitées et dispersées, leur ergonomie s’améliore cependant rapidement en voiture du fait de leur intégration dans le réseau des communes environnantes.
42Les exemples présentés ci-dessus montrent que si l’indicateur synthétique donne un niveau global d’ergonomie permettant de révéler les disparités à l’échelle de l’Eurométropole, il faut recourir aux combinaisons de critères pour expliquer ces disparités. Par ailleurs, à un même score peuvent correspondre des profils d’ergonomie fort différents.
43Deux exemples permettent d’illustrer des situations variables dans l’espace conduisant à des scores d’ergonomie proches, mais avec des profils différents. Ces profils peuvent par ailleurs être mis en perspectives avec les caractéristiques socio-urbaines des quartiers.
44Dans un premier cas de figure, nous sommes en présence de deux faubourgs denses, la Meinau en bleu et Schiltigheim en orange, situés à environ 3 km du centre-ville. Ils sont tous les deux habités par des cadres et professions intermédiaires avec une mixité générationnelle dans des zones d’habitat mixte. Leurs scores relativement proches (respectivement 65,2 et 69,4) masquent des profils d’ergonomie contrastés (figure 4). Si la disponibilité des ressources apparait équivalente, ces deux quartiers se distinguent grandement du point de vue des réseaux et de la sécurité. Schiltigheim dispose d’aménagements, en faveur du vélo, plus importants, mais inclus dans un réseau de circulation plus dense (en matière de flux routier, d’intersections, de part du réseau routier à double sens), le nombre d’accidents y est plus élevé. Inversement, à la Meinau, la part des aménagements en faveur du vélo est moindre, les accidents sont moins nombreux dans un environnement marqué par de nombreux axes à sens unique. Cette analyse demande à être complétée notamment par les flux de déplacement à vélo. Il ne faut pas perdre de vue non plus que même si le choix des points d’études a fait l’objet d’un soin particulier, les scores des différents critères pourraient varier de façon significative sur de courtes distances.
Figure 4 : Comparaison de l’ergonomie d’accès à vélo en 10 minutes en deux points d’études aux profils similaires, mais aux scores différents (Hached, 2019)
45Dans le deuxième cas de figure, les points d’étude se rapportent à des quartiers ayant des caractéristiques socio-spatiales fortes différentes (figure 5) :
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Hautepierre, en rouge, est un Quartier Prioritaire de la Politique de la Ville (QPV) avec des familles nombreuses, de grands ensembles et de faibles revenus ; la Wantzenau, en vert, est une zone aisée d’habitat individuel en compagne périurbaine. Hautepierre a un score de 63,9 et La Wantzenau un score de 60,6.
46Le quartier de Hautepierre se distingue par un urbanisme particulier basé sur une structure hexagonale qui forme des « mailles » en nid d’abeilles. Il est aussi caractérisé par une forte disponibilité des ressources en nombre et diversité (pour les commerces présence d’un grand centre commercial avec galerie marchande). L’offre de ressources alternatives y est aussi importante, mais les ressources sont dispersées. Les itinéraires à partir du point d’étude situé dans une « maille » présentent une bonne qualité des réseaux avec relativement une grande part de réseaux favorables au vélo. Par contre, les conditions y sont moins favorables en matière de flux routiers et de sécurité. La Wantzenau a un profil opposé. En effet, elle se distingue par une disponibilité plus faible des ressources (nombre et diversité). Ces dernières sont d’avantages regroupées au bourg centre, la part des aménagements favorables au vélo est très faible, mais la sécurité des déplacements à vélo y est relativement meilleure, l’exposition aux flux routiers est plus faible et les réseaux présentent moins d’intersections. L’environnement urbain est par contre similaire dans les deux zones : une absence de trame bleue, une trame verte similaire, une qualité de l’air similaire, mais un équipement en mobilier urbain et un confort d’accès légèrement meilleur à Hautepierre.
Figure 5 : Comparaison de l’ergonomie d’accès à vélo en 10 minutes en deux points d’études aux profils différents, mais aux scores similaires (Hached, 2019)
47La démarche adoptée conduit ainsi, à des niveaux d’information complémentaires. Dans un premier temps, un niveau global d’ergonomie révèle le potentiel des ressources courantes et leurs conditions d’accès en différents lieux de l’Eurométropole. Dans un deuxième temps, les profils d’ergonomie peuvent apporter un diagnostic sur les moyens de mobilisation des ressources en lien avec les aménagements de la mobilité durable.
48La confrontation des différentes situations avec les caractéristiques des populations et l’identification de leurs besoins permettra in fine de déterminer les mesures d’aménagement adaptées.
49La recherche présentée dans cet article s’inscrit dans la problématique contemporaine des politiques urbaines en faveur de la mobilité durable, en particulier les modes doux. Elle interroge l’efficience de ces politiques sur le plan d’accès aux ressources du quotidien dont la population a besoin. L’ergonomie spatiale apparait dans ce cadre comme un concept opératoire pertinent pour étudier selon une approche globale et circonstanciée les risques d’inégalités de traitements des espaces urbains.
50Une démarche globale d’évaluation d’un niveau d’ergonomie d’accès aux ressources courantes a été développée prenant en considération le fonctionnement global du territoire à travers, d’une part, la disponibilité et répartition du potentiel de ressources et d’autre part, un panel de critères caractérisant leurs conditions d’accès. L’application à 12 zones tests, à l’aide d’un système d’information géographique et d’une base de données adaptée, a permis de déceler des disparités au sein de l’Eurométropole de Strasbourg, d’analyser finement les situations différenciées et de les mettre en perspective des profils socio-démographiques. Les différents niveaux d’information (cartographies qui peuvent être déclinées par mode de déplacement, par pas de temps et critère par critère) renseignent sur les marges de manœuvre dont dispose les habitants, là où ils se trouvent, pour changer de mode de déplacement. Le dispositif permet d’élaborer des diagnostics territoriaux pour aider les collectivités territoriales à définir les aménagements adaptés au contexte local et ainsi promouvoir des politiques de mobilité durable effectives. Les résultats montrent clairement une ergonomie plus favorable à la marche et au vélo qu’à l’automobile dans l’hypercentre et des degrés très divers d’ergonomie pour le vélo dans les quartiers péricentraux et périurbains. Il est à noter que le quartier prioritaire de la politique de la ville enregistre des scores supérieurs à la moyenne.
51Une application sur l’ensemble de l’Eurométropole est maintenant nécessaire pour cerner globalement l’agencement des situations différenciées décelées à travers les zones test. Une approche diachronique, s’avère également essentielle pour saisir les tendances en matière de disparités socio-spatiales.
52La démarche initiée appelle bien d’autres développements par ailleurs pour s’approcher encore davantage de la complexité réelle sur le terrain. Du point de vue méthodologique, les habitants effectuant des chaînes d’activités au quotidien (travail, accompagnement à l’école, courses…) ne privilégient pas forcément les ressources les plus proches ou le plus court chemin pour y accéder. Les enquêtes ménage-déplacement apportent des informations, mais les résultats demandent in fine à être validés par des enquêtes terrain auprès des usagers. D’autres ressources ou services peuvent être intégrés, se pose tout particulièrement la question cruciale de l’accès à l’emploi. Enfin, d’autres modes comme les transports en commun et l’intermodalité non pris en compte dans un premier temps (car nécessitant des données et traitements particuliers), mais faisant partie intégrante des alternatives de la politique de mobilité durable, sont également à intégrer dans l’étude.