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Handicap, vie en établissement médico-social et mobilités quotidiennes dans le périurbain Est francilien

Disability and daily mobilities in the suburbs. The case of users of a residential care facility
Noémie Rapegno

Résumés

Cet article s’appuie sur une enquête qualitative effectuée auprès de résidents d’un établissement médico-social situé dans une ville nouvelle, dans une commune périurbaine de l’Est francilien. Les résidents ont des pratiques centrées sur l’espace local, ils se déplacent essentiellement à pied lorsqu’ils restent à proximité de leur lieu de vie tandis qu’ils ont recours aux déplacements automobiles - et non aux transports en commun - pour les déplacements plus lointains. Le manque d’accessibilité au sein de la commune, qui se traduit par la faible largeur des trottoirs ou par un accès difficile aux transports en commun, complique l’ensemble des déplacements des résidents. Les contraintes liées à la vie en établissement rendent difficile la rencontre avec les autres populations périurbaines.

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Texte intégral

Introduction

  • 1 Qualifié de périurbain par l’INSEE (ZAU 2010).

1Les choix résidentiels dans les espaces périurbains ont souvent été décrits comme un moyen d’accéder à la maison individuelle (Debroux, 2011; Rougé, 2009), d’acquérir un jardin (Dodier, 2007) mais aussi plus largement de se rapprocher de l’espace rural, « l’attrait pour le vert » allant bien au-delà du jardin (Aguilera et al., 2014 : p. 34). La recherche de mise à distance des autres (Rougé, 2007), de « réassurance sociale » (Jaillet, 2004) a aussi été analysée comme un facteur important dans les stratégies résidentielles des habitants du périurbain. Néanmoins le périurbain recouvre des réalités géographiques très diverses ; les pratiques et les modes de vie y sont pluriels, notamment selon l’itinéraire résidentiel, les caractéristiques sociodémographiques des personnes ou les contextes résidentiels locaux (Berroir et al., 2016; Cailly, 2008; Cailly & Dodier, 2007; Dodier et al., 2012; Rougé, 2014). Dans cet article, nous nous intéressons à un espace périurbain particulier, celui de Val d’Europe1, d’une superficie de 2000 hectares, situé à quarante kilomètres de Paris, et résultant d’un partenariat public-privé pour l’aménagement du territoire depuis 1987 – cas unique en France, le développement du Val d'Europe ayant été confié au groupe Disney, cela jusqu’en 2030.

2Les recherches périurbaines ont essentiellement étudié les modes de vie de ménages composés de couples avec enfants, souvent issus des classes moyenne ou supérieure. Les travaux qui se sont intéressés aux populations vulnérables en milieu périurbain se sont plutôt concentrés sur les liens entre pauvreté périurbaine, dépendance automobile et possible exclusion des ménages n’y ayant pas ou peu accès. En France, les ménages pauvres en milieu périurbain centrent leurs pratiques sur l’espace local, ce qui leur permet de vivre sans voiture (Coutard et al., 2002). Cela se traduit par un « regroupement des pauvres » (Coutard et al., 2002, p. 161) autour des lieux pourvus de nombreuses commodités et concentrant les ressources. Les comportements peuvent aussi différer d’une population à l’autre. Tandis que les actifs les plus modestes non motorisés cherchent à fuir les territoires exposés à la dépendance automobile, les plus âgés envisagent peu la mobilité résidentielle (Motte-Baumvol, 2007), souhaitant vieillir dans leur maison (Lord, 2011; Morel-Brochet & Rougé, 2017). Le vieillissement en milieu périurbain s’accompagne souvent d’un recentrage des déplacements et d’un recours aux aidants et aux services à domicile si nécessaire (Aragau & Morel-Brochet, 2013; Lord & Després, 2011). Les offres en termes de déplacements, d’équipements et de services pour des catégories de populations autres que les adultes actifs et motorisés, y sont cependant mal organisées (Louchart, 2007).

3Cet article propose d’étudier les pratiques territoriales d’adultes handicapés vivant en établissement médico-social, en milieu périurbain à dominante pavillonnaire. Appelés « institutions stigmates » par C. Dargère (2012), les établissements médico-sociaux, qui sont les héritiers des anciens hospices, constitueraient un « enfermement social et spatial » (Mus, 2010), en mettant à l’écart une population jugée indésirable. Nous souhaitons revenir sur cette notion en étudiant les pratiques territoriales développées par les résidents de l’établissement et ainsi comprendre les rapports qu’ils entretiennent avec les autres populations périurbaines. Nous étudierons plus particulièrement l’accès des résidents aux différents services et leurs modes de déplacement, qu’ils soient pédestres ou motorisés, collectifs ou individuels.

4Nous faisons l’hypothèse que les populations handicapées vivant en établissement médico-social font face à des logiques toutes autres que celles des autres habitants périurbains, notamment en termes d’accès aux loisirs. Cet article s’appuie sur une enquête menée auprès d’adultes handicapés résidant dans un établissement médico-social situé en milieu périurbain, dans l’Est francilien (Encadré 1).

5Dans un premier temps, nous analyserons les motivations ayant poussé les porteurs du projet à implanter l’établissement sur ce territoire périurbain en pleine croissance et développé par un groupe privé, et plus particulièrement la façon dont la commune d’implantation a été perçue comme favorable au développement de l’autonomie des futurs résidents. Dans un second temps, nous verrons que les pratiques territoriales des résidents de l’établissement se rapprochent de celles des autres habitants périurbains mais que ceux-ci ont une sensation d’isolement.

Encadré 1 : une enquête centrée sur les pratiques des résidents

L’article s’appuie sur des entretiens et des observations. Nous avons d’abord réalisé un entretien auprès du directeur de l’établissement et un entretien collectif auprès de parents membres du conseil d’administration de l’association gestionnaire. L’entretien auprès du directeur portait sur trois thèmes : l’historique du projet et de l’établissement ; la nature et le nombre de professionnels et de résidents présents au sein de l’établissement ; le fonctionnement de l’établissement (admission des résidents, personnes sur liste d’attente, activités et partenariats initiés sur le territoire). L’entretien auprès du groupe de parents portait sur l’historique du projet et de l’établissement.
Dans un deuxième temps, nous avons réalisé des entretiens auprès de huit résidents de l’établissement. Pour cela, nous avons demandé au directeur de l’établissement de rencontrer dix résidents, selon une sélection aléatoire. Le but était d’avoir accès aux résidents, qu’ils aient des troubles associés à leur déficience motrice ou non, et qu’ils soient impliqués ou non dans la vie de l’établissement. Le directeur a cependant écarté 20 résidents jugés dans l’impossibilité de répondre à un entretien en face-à-face sans l’intermédiaire d’une tierce personne. Parmi les dix personnes tirées au sort sur la liste composée de 23 résidents, huit ont accepté de s’entretenir avec nous. Afin de pouvoir nous entretenir avec les résidents ayant aussi des troubles cognitifs, nous avons élaboré un questionnaire qui a servi de base aux entretiens lorsque cela était nécessaire (Rapegno, 2014). Les entretiens portaient sur trois thèmes : la trajectoire résidentielle et biographique ; les pratiques territoriales (individuelles ou collectives) à travers un recensement des lieux fréquentés, des activités réalisées et des modes de transport utilisés ; le rapport au quartier et à l’établissement. L’ensemble de ces entretiens s’est déroulé entre 2010 et 2012. L’enquête étant centrée sur les pratiques spatiales des résidents, nous n’avons pas réalisé d’entretien avec les pouvoirs publics.
En complément des entretiens, nous avons effectué de l’observation participante, de façon discontinue, dans la semaine comme le week-end, en participant aux repas du midi et du soir, en assistant à certaines activités organisées au sein de l’établissement et en accompagnant plusieurs sorties. A l’issue de la recherche, des restitutions ont été organisées auprès du conseil d’administration et de l’ensemble des résidents et des professionnels intéressés.
Depuis 2012, nous retournons une à deux fois par an au sein de l’établissement, ce qui permet de suivre les changements internes à l’établissement mais aussi l’évolution de la commune (construction de logements, implantation de commerces, etc.).

1. L’implantation d’un établissement médico-social sur un territoire « prometteur »

1.1. Un projet d’établissement pensé pour favoriser l’autonomie des résidents

  • 2 En France, l’offre en structure d’hébergement pour les adultes handicapés représente une solution n (...)

6L’établissement étudié propose des places d’hébergement en maison d’accueil spécialisé (MAS) et en foyer d’accueil médicalisé (FAM) pour 43 personnes ayant une déficience motrice avec ou sans troubles associés2. Ces deux types d’établissements médico-sociaux accueillent des adultes n’ayant pas accès à une activité professionnelle, que ce soit en milieu ordinaire ou protégé, et ayant besoin d’une assistance pour la plupart des actes essentiels de la vie courante. Ils assurent l’hébergement, les aides à la vie quotidienne, les soins d’entretien, des activités sociales et les soins médicaux et paramédicaux. Ils ont pour vocation d’accueillir les résidents à temps complet et forment ainsi leur lieu de vie (Makdessi, 2012).

  • 3 Soit un an avant l’adoption de la loi du 11 février 2005 « pour l'égalité des droits et des chances (...)

7L’établissement dans lequel s’est déroulée l’enquête a ouvert en 20043, soit quinze ans après que la gestion de Val d’Europe ait été confiée à Disney. Les résidents ont tous une déficience motrice d’origine cérébrale. En 2012, lors de notre enquête, la moyenne d’âge y est de 28 ans, le plus jeune résident ayant 18 ans et le plus âgé, 48 ans. Parmi les 43 résidents, 27 se déplacent principalement en fauteuil électrique, 14 en fauteuil manuel et deux marchent avec une aide technique, que ce soit une canne ou un déambulateur. L’établissement est géré par une association de parents ; il est composé de parties privatives et collectives. Chaque résident vit dans un studio de 37 m². Une salle à manger occupe l’ensemble du sous-sol, les autres étages comportent à la fois des studios, des salles d’activité (salle informatique, salle d’ergothérapie, etc.) et des locaux réservés aux personnels. En 2010, dans le prolongement du projet d’établissement, l’association gestionnaire a fait l’acquisition de trois appartements situés dans le centre-ville de la commune, à un kilomètre de l’établissement, ce qui a permis à trois résidents du FAM d’emménager dans leur propre appartement tout en bénéficiant de l’intervention des professionnels de la structure. Les trois appartements, situés au rez-de-chaussée d’un immeuble, sont dotés d’une entrée individuelle donnant sur une cour privative (Planche 1).

Planche 1 : Des studios dans un immeuble récent du centre-ville

Planche 1 : Des studios dans un immeuble récent du centre-ville

Source : auteur, 2012

8L’association gestionnaire qui a porté le projet est animée par la volonté d’accompagner les résidents vers plus d’autonomie. Les caractéristiques de la commune d’implantation ont donc été étudiées en ce sens. Le choix de la commune résulte d’un compromis entre prix du terrain, disponibilité du foncier et possibilité de concrétiser l’autonomie des futurs résidents.

1.2. Pourquoi s’implanter ici ?

9Avant d’évoquer les pratiques spatiales des adultes interrogés, il est nécessaire de revenir sur les conditions de création de l’établissement et les motivations des porteurs du projet.

10Le projet est issu d’une réflexion entamée par des parents d’enfants et d’adolescents handicapés dans les années 1990. Peu satisfaits par l’offre proposée, principalement gérée par de grands organismes gestionnaires, ces parents ont souhaité inventer d’autres solutions garantissant un accès à la vie sociale aux futurs résidents. Un groupe de parents a commencé à se réunir régulièrement dans le but de créer un établissement pour adultes, avec le bénéfice secondaire que leurs enfants y soient accueillis. Cadres supérieurs ou professions intellectuels de la classe moyenne, ils ont su mobiliser des acteurs locaux (tel le maire de la municipalité dans laquelle l’établissement est implanté), convaincre des financeurs et les tutelles, en montant des dossiers et en présentant leur projet dans différentes instances. Ce mode d’action, proche de l’entreprenariat social, s’inscrit dans une mouvance déjà existante dans le champ du handicap, avec souvent un engagement citoyen fort (Alter, 2000).

11La volonté de favoriser l’autonomie des résidents s’est accompagnée d’une réflexion sur la dimension architecturale de l’établissement et sur sa localisation, notamment sur son accessibilité géographique. Ils ont ainsi eu une réflexion sur la superficie envisagée, qui était de 4 000 m² (comprenant les espaces privatifs, les locaux de soins, les locaux collectifs d’activité, les locaux administratifs, les locaux de service et de rangement comme la laverie, la lingerie) et le secteur dans lequel il était possible d’avoir cette surface. Ils étaient à la recherche d’une meilleure qualité de logement (superficie des espaces privatifs supérieure à la moyenne, grand nombre de salles d’activité collectives) à moindre coût. Ils souhaitaient aussi que l’établissement soit situé près des commerces et des transports en commun. Les parents habitant majoritairement Paris et sa petite couronne, ils ont d’abord recherché un terrain dans Paris et sa proche banlieue mais les coûts d’investissement s’y sont révélés trop élevés. Face au prix du foncier et aux moyens financiers dont disposait l’association, ils ont peu à peu élargi leur périmètre de recherche.

  • 4 L’Americans with Disabilities Act, une loi énonçant de grands principes d’accessibilité a été promu (...)

12Au fil de leurs investigations, les caractéristiques d’une ville nouvelle en cours d’élaboration et donc dans une dynamique constante de création, avec un fort potentiel de développement (notamment des infrastructures), mais aussi avec des réserves foncières importantes, ont paru attrayantes. Sur une commune de Val d’Europe, actuellement en plein essor et en pleine urbanisation, la localisation de l’établissement a été déterminée par la disponibilité d’un terrain et son prix abordable pour l’association gestionnaire ainsi que par le dynamisme du territoire. Le développement progressif de la commune et l’implication de la firme américaine Disney ont été perçus comme des conditions favorables pour garantir l’accès à la vie sociale des résidents. La culture américaine de la firme Disney4 ainsi que le fait d’être implanté dans une ville nouvelle, et donc en cours de développement, paraissaient garantir – du moins dans l’imaginaire parental - une accessibilité de l’espace urbain et des bâtiments aux personnes en situation de handicap. Enfin, la croissance démographique leur semblait propice à l’ouverture de commerces de proximité et de services.

  • 5 Il est toutefois important d’avoir en tête que la localisation périurbaine, dans des espaces plus a (...)

13Ainsi, la localisation de l’établissement relève d’une logique de compromis. Ni en pleine campagne comme certains établissements résultant de dons de propriétés ou de reconversion de sanatoriums, ni en centre urbain, l’établissement a été construit dans une commune périurbaine dynamique en cours de transformation. Les parents ont misé sur le potentiel de développement de la commune tout en respectant les contraintes financières de l’association. L’implantation de l’établissement a donc été une décision exercée par l’association gestionnaire, rencontrant des contraintes similaires à la population générale, notamment en termes de coût et de disponibilité du foncier (Rougé, 2009)5.

1.3. Une « nouvelle ville »6 en expansion démographique dont le développement est assuré par un groupe privé

  • 6 Cette expression est reprise de différents auteurs (Gasnier, 2006 ; Belmessous, 2007).
  • 7 En 1987, Disney signe une convention avec l’Etat, la région, le département de la Seine-et-Marne, l (...)

14L’établissement est ainsi implanté sur une commune de Val d’Europe développée par Disney7, dans la couronne périurbaine de Paris. Ce secteur le plus à l’Est et le plus récent, est actuellement en plein essor et en pleine urbanisation. Cette expansion a commencé au début des années 1990 avec l’extension du RER A en 1992 jusqu’à la station Marne-la-Vallée – Chessy, la station la plus proche de l’établissement, et l’ouverture du parc d’attraction Disneyland Paris. Au début des années 2000, l’expansion a continué avec l’ouverture du centre commercial de Val d’Europe.

  • 8 Ces informations sont toutes issues du site de l’Insee.

15La commune au sein de laquelle est implanté l’établissement a connu un développement démographique spectaculaire entre 1990 et 2014, sa population étant passée de 330 habitants à plus de 8 000 habitants, ce qui représente une multiplication par 24. C’est l’une des communes ayant connu la plus forte croissance en France8. La population communale est composée à plus de 60 % de couples avec enfants. En 2014, le taux de chômage y était de 7,8 %, soit plus de 2 points de moins qu’en France métropolitaine. Les résidents des établissements se distinguent fortement des autres habitants de la commune : ils ne travaillent pas, occupent leur logement privatif seuls, sans enfants, et vivent dans une structure collective.

16Cette augmentation de la population s’est traduite par un recul rapide des zones agricoles au profit d’une artificialisation des espaces, avec par exemple la création de zones pavillonnaires et de zones naturelles aménagées composées de plusieurs plans d’eau paysagers au Sud de la commune (zone naturelle aménagée sur la Figure 1 ; planche 2). Cela a aussi entraîné l’ouverture de commerces et de services dans le centre-ville (restaurants, bars-tabacs, commerces de proximité, salle de sport, etc.) et d’autres commodités comme une crèche, une école ou encore un gymnase. Notre commune d’étude suit donc une dynamique de transformation que l’on retrouve dans différents environnements périurbains.

Figure 1 : une commune d’accueil à dominante pavillonnaire

Figure 1 : une commune d’accueil à dominante pavillonnaire

Source : Auteur

17Le territoire de Val d’Europe se distingue par son urbanisme particulier. « Privatisé » puisqu’il échappe à la règle du droit commun (Belmessous, 2007), il est sous l’influence de Disney qui est au cœur de toutes les décisions d’urbanisme et d’aménagement. La firme veille à la cohérence de l’espace et effectue un « travail de codification de l’espace » (Belmessous, 2007). Pour cela, elle a élaboré un cahier des charges concernant l’architecture, les matériaux de construction ou encore l’agencement des espaces publics (hauteur des façades, proportions des fenêtres, matériaux) que chaque partenaire doit veiller à respecter au plus près.

Planche 2 : un quartier résidentiel à l’américaine

Planche 2 : un quartier résidentiel à l’américaine

Source : auteur, 2012

18Le quartier résidentiel dans lequel est implanté l’établissement (Figure 2) se rapproche ainsi des banlieues pavillonnaires américaines et se distingue par le soin apporté aux espaces extérieurs. Les constructions donnent pour la plupart à voir des maisons rectangulaires et des jardins aux haies bien taillées (Planche 2).

2. Le rapport au quartier et aux voisins : une difficile appropriation de l’espace périurbain ?

19Les résidents ont une autonomie et une appropriation individuelle de l’espace relatives qui peut s’expliquer par les contraintes de la vie en établissement comme par les caractéristiques urbanistiques de leur commune de résidence.

2.1. Un quotidien rythmé par l’organisation de l’établissement

20Avant d’évoquer le rapport au quartier et les pratiques territoriales des résidents, il est nécessaire de décrire plus finement les personnes rencontrées ainsi que leur lieu de vie.

21Les huit personnes enquêtées n’ont ni véhicule motorisé personnel, ni activité professionnelle, ce qui les différencie fortement des populations périurbaines. N’ayant pas d’activité professionnelle, elles ne connaissent pas de mobilité pendulaire et aucun de leurs déplacements n’est régi par le travail (comprenant la recherche d’un emploi). Elles perçoivent toutes l’allocation aux adultes handicapés (AAH), soit environ 240 euros mensuels. Ce montant est pour certaines complété par une aide financière familiale. Les personnes interrogées ont globalement un faible pouvoir d’achat, ce qui limite en partie transports et activités payantes.

22Les enquêtés sont tous célibataires. Ils ont tous un handicap moteur dont l’origine est une paralysie cérébrale, ce qui se traduit par des troubles cognitifs associés (dysphasie, dyspraxie, troubles de la mémoire, troubles de l'attention, ou troubles globaux du fonctionnement intellectuel). Cependant, ils ont tous été scolarisés au minimum jusqu’au CP et ont appris à lire. Ils ont des niveaux de dépendance différents : tandis que certaines peuvent effectuer leurs transferts seuls, d’autres ne peuvent sortir sans l’intervention d’un tiers qui doit les mettre dans leur fauteuil roulant et les aider à enfiler un manteau. Sur les huit personnes rencontrées, six se déplacent en fauteuil électrique, une en fauteuil manuel et une marche à l’aide de cannes (Tableau 1). Deux résidents ne sortent pas seuls et effectuent leurs sorties accompagnés par les professionnels ou par d’autres résidents. Pour l’un, des mouvements brusques et incontrôlés rendent la conduite de son fauteuil électrique difficile, pour l’autre, ses problèmes de vue et ses difficultés à se repérer dans l’espace ne la mettent pas en confiance pour déambuler seule. Aucune des personnes rencontrées ne prend les transports en commun régulièrement, le bus desservant la commune n’étant pas systématiquement accessible. L’utilisation d’un fauteuil électrique permet toutefois de se déplacer dans un périmètre relativement important, l’autonomie d’une batterie étant généralement d’une dizaine de kilomètres.

Tableau 1 : Caractéristiques des enquêtés

Nombre d’enquêtés

8

Age

Tranche d’âge

27 à 35 ans

Age moyen

29

Sexe

Hommes

4

femmes

4

Nature du handicap

Infirmité motrice cérébrale

8

Niveau d’étude

Sans diplôme

4

BEP

1

Baccalauréat technologique

3

Etudes supérieures

1

Lieu de vie

Etablissement

5

Appartements

3

Dernier lieu fréquenté avant l’admission

Etablissement pour adultes

1

Etablissement pour enfants

5

Domicile parental

2

Mode de déplacement

Fauteuil manuel

1

Fauteuil électrique

6

marche

1

Date d’entrée dans l’établissement

Entre 2004 et 2005

Source : auteur, terrain 2010-2012.

23La vie en établissement implique un mode de vie particulier avec un accompagnement quotidien au sein de la structure. Les repas sont le plus souvent pris collectivement ; des activités régulières ou ponctuelles sont proposées aux résidents par les professionnels ; les transports peuvent aussi être pris en charge par un véhicule de l’établissement. Le quotidien est rythmé par la collectivité même si selon la direction de l’établissement, l’accompagnement se veut le plus individualisé possible. Ainsi, les résidents sont généralement levés entre 7h45 et 10h. Les repas peuvent être pris dans la salle à manger ou dans les studios dans des créneaux horaires restreints (jusqu’à 10h30 pour le petit déjeuner ; à midi pour le déjeuner et à 18h30 pour le dîner). Pour l’ensemble des repas, les résidents doivent s’y inscrire à la semaine et se tenir à leur demande initiale (manger dans le réfectoire, dans les petits salons ou dans leur studio). Chez eux, les résidents peuvent choisir de manger les repas distribués par le prestataire ou de demander aux professionnels de cuisiner ; il faut alors faire la demande suffisamment tôt pour le prévoir dans l’emploi du temps des professionnels. La matinée est dédiée aux soins tandis que l’après-midi, de nombreuses activités sont proposées tous les jours, à l’initiative des professionnels ou des résidents. Ponctuelles ou régulières, elles peuvent avoir lieu dans l’établissement ou non. Les personnes ont la possibilité de participer à ces activités ou de s’organiser et se déplacer par elles-mêmes. Les résidents sont donc contraints par un emploi du temps relativement rigide par rapport à la vie en milieu ordinaire, ce qui limite la variété des modes d’habiter et d’appropriation de l’espace.

2.2. Des mobilités quotidiennes balisées par l’organisation de l’établissement et la faible accessibilité de l’environnement

24Les personnes allient pour la plupart une mobilité individuelle et collective, elles ne sortent pas quotidiennement mais plutôt deux à quatre fois par semaine et se rendent régulièrement dans le centre-ville de la commune, que ce soit pour faire des courses, aller au restaurant ou flâner.

2.2.1. Un centre-ville difficilement accessible pour des personnes en fauteuil

25Toutes les personnes sortant seules fréquentent quelques commerces de proximité comme la supérette, la boulangerie, et pour certaines, la pharmacie dans le centre-ville (Figure 2). Elles font la majorité de leurs courses dans la commune, les courses alimentaires étant pour la plupart assez faibles, les repas étant le plus souvent pris collectivement. Les résidents rencontrés ont donc peu de déplacements liés aux courses alimentaires hormis les résidents des appartements qui s’approvisionnent plus régulièrement et qui effectuent leurs courses dans un supermarché de la commune voisine. Ils y vont accompagnés par des professionnels et s’y rendent individuellement, en fonction de leurs disponibilités. Les enquêtés fréquentent peu d’autres commerces de la commune, quelques-uns vont chez le coiffeur ou l’esthéticienne situés à quelques mètres des appartements. Les autres préfèrent faire venir le coiffeur dans l’établissement ou faire appel à des professionnels pour les maquiller, les épiler, les raser ou encore leur mettre du vernis. Les enquêtés fréquentent, pour la plupart, seuls ou en groupe, accompagnés ou non par des professionnels de l’établissement, les bars et restaurants du centre-ville (pizzeria, crêperie…), qu’ils jugent suffisamment nombreux et agréables.

  • 9 Zone naturelle aménagée sur la Figure 1.

26Quelques-uns flânent aussi dans un parc à proximité de l’établissement : ils font le tour d’un petit lac en fauteuil9 (Planche 1), ce qui leur permet de se ressourcer, de se retrouver seuls et au calme. Comme on peut le voir sur la Figure 2, l’essentiel des mobilités est tourné vers le centre-ville et les commerces de proximité.

Figure 2 : Pratiques territoriales des résidents

Figure 2 : Pratiques territoriales des résidents

Source : auteur, 2012

27Les résidents profitent des ressources de proximité sur la commune, ils se sont bien appropriés leur environnement et connaissent les possibilités que celui-ci réserve. Cependant, ils critiquent fortement l’accessibilité de la commune, notamment au regard des critères attendus pour une « ville-nouvelle » :

Au niveau de l’accessibilité, je dirais que malgré que ce soit une ville nouvelle, il y a quand même encore beaucoup de progrès à faire. A [nom de la commune], il y a quand même pas mal de progrès à faire, par rapport au bus, et plus généralement aussi. Il y a des endroits, les trottoirs, ils sont tellement petits que tu es obligé de passer sur la route. La nouvelle boulangerie, par contre, elle est accessible. (Monsieur D)

  • 10 Le jour de notre entretien, Madame B. n’est pas dans son fauteuil électrique habituel mais dans un (...)

Le côté nouveau village est beaucoup plus accessible que le côté vieux village où il y a tous les commerces en gros. Par rapport à d’autres villes, c’est moins galère. Là, on a quand même des trucs pas mal abaissés. Les commerces, en général, tu peux rentrer dans la pharmacie, tu peux rentrer dans la boulangerie, tu peux rentrer dans les commerces principaux, quoi. La fleuriste aussi. Mais après, c’est quand même plus des histoires de trottoirs. Dans le nouveau [nom de la commune], ça va mais dans le vieux [nom de la commune], il faut être un peu casse-cou, quoi. Il ne faut pas avoir peur. Moi, ce que je fais de moins en moins, ce que je n’aime pas trop, c’est aller sur la route. Ou ça passe entre le poteau et le trottoir, ou je traverse, ou je fais un détour. Je préfère ça… Donc l’accessibilité, pas à 100 %. Mais ce qu’il y a à faire, c’est pas possible, c’est le vieux [nom de la commune]. Mais les trottoirs, ils ne sont pas assez larges. Là, par exemple, je ne suis pas dans mon fauteuil10 et il est plus difficile à manœuvrer… Enfin, ça va, je ne vais pas me vautrer dans un fossé. Mais c’est surtout le trottoir de la route [nom de la route menant du centre-ville à l’établissement], il est super étroit et c’est celui qu’on prend le plus souvent. Le trottoir de la boulangerie, il est aussi trop étroit. Moi, je passe mais c’est juste. Avec quelqu’un qui a plus de mal, c’est pas accessible. (Madame B)

28Malgré leur bonne appropriation de la commune et une fréquentation des commerces, les résidents témoignent de difficultés pour se déplacer, dues à un manque d’accessibilité de l’espace urbain. Bien qu’un résident oppose ancien centre et nouveau centre, la majorité, à l’instar de Monsieur D., se plaignent de la faible largeur des trottoirs, que ce soit dans le nouveau ou l’ancien centre (planche 3). Les photos de la planche 3 illustrent la large place accordée aux voitures, avec notamment des places de stationnement rognant sur la largeur des trottoirs.

Planche 3 : Des espaces peu accessibles à des personnes en fauteuil et pensés pour la voiture

Planche 3 : Des espaces peu accessibles à des personnes en fauteuil et pensés pour la voiture

Source : auteur 2012

29Les témoignages de Monsieur D. et Madame B. montrent aussi leurs attentes particulières lorsqu’ils parlent positivement des commerces n’ayant pas de marche et qui leur sont accessibles de façon autonome. Cela montre qu’ils ont intégré la difficulté à se déplacer seuls et à accéder aux commerces de proximité. Bien que les normes d’accessibilité soient respectées, l’usage des populations fragiles – handicapées ou vieillissantes – n’a pas été obligatoirement pensé. La faible largeur des trottoirs ainsi que la présence de mobilier urbain comme des lampadaires (Planche 3) rendent les déplacements compliqués et dangereux. De plus, dans la commune, peu de bancs permettent la flânerie ou la promenade.

2.2.2. Des déplacements « automobiles » privilégiés aux transports en commun

30Pour les déplacements plus lointains, les résidents n’utilisent pas les transports en commun, malgré l’existence d’une ligne de bus qui dessert l’établissement. Ils privilégient les déplacements automobiles en faisant appel à un véhicule de l’établissement ou à un service de transport spécialisé (Figure 3). Le non-recours aux transports en commun limite les déplacements individuels réalisés de façon autonome.

31Ainsi, les résidents vont le plus souvent accompagnés par des professionnels de l’établissement, dans le centre commercial Val d’Europe, que ce soit pour y acheter des vêtements, des produits culturels, ou des produits alimentaires spécialisés (thé, chocolat…), s’y promener, ou aller au restaurant. Bien que certains y aillent seuls, en transport spécialisé, la plupart s’y rendent collectivement avec le véhicule de l’établissement.

Figure 3 : Des déplacements pédestres ou automobiles privilégiés

Figure 3 : Des déplacements pédestres ou automobiles privilégiés

Source : auteur, 2012

32Lors de l’enquête, tous les résidents s’accordent à critiquer la ligne de bus desservant l’établissement. Bien qu’indiquée comme accessible, ils ont rencontré de nombreuses difficultés pour l’utiliser, ce qui les a découragés. Ils recourent alors majoritairement à un service de transport spécialisé, le service PAM77 :

Et au niveau accessibilité transport, moi, je n’essaie même plus. Au début, j’ai écrit des lettres à la compagnie de bus. Les rampes, elles ne marchent pas, les chauffeurs ne veulent pas descendre la rampe… Peut-être qu’ils ont fait des progrès maintenant mais bon, maintenant, tout le monde prend la PAM même pour aller au Carrefour Market. Il y en a beaucoup qui ne s’embêtent plus du tout avec le bus. Et pourtant, la PAM, c’est compliqué, il faut avoir les bons horaires. Mais pour des petits trajets, c’est plus facile d’avoir la PAM, ça coûte deux euros, et on est plus tranquille, on est sûr d’arriver à bon port et de revenir à bon port. Avec le bus, on peut partir mais on n’est pas sûr de revenir. (Madame B)

  • 11 Une telle démarche n’a pas pu être réalisée avec l’équipe municipale pour améliorer l’accessibilité (...)

33De plus, même si Marne-la-Vallée compte de nombreuses lignes de bus, les liaisons intra-ville nouvelle demeurent difficiles et la dilatation de l’urbanisation rend les déplacements à pied peu aisés. Cependant, depuis notre enquête de terrain, des résidents prennent le bus plus régulièrement. En effet, le conseil de la vie sociale (CVS), une instance qui vise à associer les usagers au fonctionnement des établissements médico-sociaux, s’est saisi de la question de l’accessibilité des bus. Après plusieurs réunions avec le syndicat des transports d’Ile-de-France, des représentants du conseil départemental, ainsi que le groupe d’exploitation des bus, les résidents ont pu faire un retour détaillé sur les difficultés rencontrées lors de leurs déplacements en bus, ce qui a permis d’améliorer leur accessibilité11. Pour autant, les résidents ont encore majoritairement recours à des véhicules motorisés pour leurs déplacements.

34Les résidents investissent leur quartier à différents degrés, seuls ou en groupe, en autonomie ou accompagnés par des professionnels, cela dans un faible périmètre : ils ont essentiellement des pratiques locales. Leur mobilité semble se rapprocher des populations âgées vivant en milieu périurbain, ou des populations pauvres dont les pratiques sont centrées sur l’espace local. Leurs pratiques se rapprochent des autres habitants du périurbain, les activités réalisées au sein de la commune sont fréquentes et correspondent principalement aux activités de loisir et les déplacements liés aux achats quand ils ne sont pas réalisés dans la commune de résidence se font quasi exclusivement en voiture (Aguilera, 2007).

2.3. Rapport au quartier et aux autres habitants : une sensation d’isolement au sein de l’espace périurbain

35Bien que les personnes investissent la commune, elles sont nombreuses à critiquer son manque de dynamisme. Pour des jeunes citadins ayant habité Paris et sa proche banlieue, le manque d’animation en semaine est mal vécu. La relative faiblesse des infrastructures de proximité pénalise les personnes se déplaçant essentiellement à pied et ne prenant pas les transports en commun.

A X [nom de la commune], tu as deux restos mais au bout d’un moment, tu en as marre. Les commerces, c’est pareil. Y’a pas de musée, y’a pas de théâtre. [nom du centre culturel], c’est un genre de musique hein. Il faut aimer… Bon maintenant, il y a la salle des fêtes, il y a des soirées d’organisées, c’est pas très loin donc on y va de temps en temps. Mais bon, c’est pas une grosse salle des fêtes. On n’a pas trop le choix comme si on était dans une grande ville avec plusieurs commerces. Après c’est mieux qu’avant. Avant, il n’y avait même pas de resto, il n’y avait rien, hein… Même au niveau des commerces, il n’y a qu’une pharmacie, un fleuriste… Enfin une pharmacie, ce n’est pas gênant mais qu’une crêperie et qu’une pizzeria… Enfin, au tout début, il n’y avait rien… Donc bon… ils construisent encore pas mal mais c’est plutôt des grandes baraques.
(Madame B)

36Comme le souligne cette résidente, depuis le début des années 2000, la commune s’est toutefois fortement développée et urbanisée. Un centre médical et une pharmacie ont ouvert dans le centre-ville mais aussi une supérette, une boulangerie, un salon de coiffure, un fleuriste et plusieurs bars restaurants. Un centre culturel (médiathèque et salle de concert) ainsi qu’un complexe sportif ont aussi ouvert au début des années 2000. Un supermarché a aussi ouvert après notre enquête de terrain. La commune est donc en constante évolution et tend à se développer, ce qui avait été espéré par les porteurs de projet.

37Les personnes interrogées déplorent également le peu de liens développés avec la population locale. Les résidents évoquent un sentiment d’isolement. Vivant dans une commune périurbaine dans laquelle ils n’ont pas d’attache, peu autonomes pour prendre les transports en commun, ils croisent peu de gens dans la journée. Originaires de Paris et sa proche banlieue, ils ont grandi avec un référentiel très différent des espaces périurbains à dominante pavillonnaire, que ce soit en termes de densité et de variété des commerces ou encore de fréquentations piétonnières. Habitués à la concentration urbaine, certains vont jusqu’à dire qu’« il n’y a pas un chat ».

X, c’est loin de tout. Dès que tu veux sortir quelque part, il vaut mieux sortir de X. Quoi que… c’est une ville qui est en train de s’agrandir, donc ça va mieux mais bon c’est quand même assez isolé. Si tu es aidée, tu peux bouger pas mal dans X mais si tu n’es pas aidée, ce n’est pas très pratique… X, je l’ai connu, c’était un petit village. Ça se construit beaucoup.
(Madame C)

38Par ailleurs, peu participent à des activités de loisirs destinées à la population générale, les horaires – souvent en soirée – ne convenant pas au rythme de la vie en institution et les prix étant souvent jugés peu abordables. Cependant, quelques résidents participent à des activités socio-culturelles au sein de la commune. Ainsi, une résidente des appartements prend des cours de poterie particuliers et s’y rend seule, à quelques mètres de chez elle tandis qu’une chorale regroupe des résidents et des personnes valides. Malgré ces quelques moments, les résidents évoquent le peu de relations de proximité, que ce soit avec les commerçants ou avec leurs voisins. Les personnes vivant en appartement, qui se déplacent plus souvent pour aller des appartements à l’établissement, et qui sont amenées à croiser plus souvent leurs voisins, font le même constat : elles n’ont pas de relation de voisinage et plus généralement, ont peu de relations sociales. Un résident explique :

Il y a pas mal de familles avec des enfants. C’est surtout des personnes qui ont une bonne situation quand même. C’est assez riche. C’est ça qui ressort pour moi à X., le fait que ce soit une ville un peu sédentaires, les gens, ils sont un peu… ils ont leur vie tranquille, ils restent chez eux pépère avec leurs enfants dans leur jardin. Voilà. Ils sont bien dans leur maison et ils font leur vie tranquillement. Il n’y a pas trop d’échanges avec nous. (…). A X, en plus, les gens, quand ils sortent, ils prennent tout de suite leur voiture pour aller quelque part. Ils ne sortent pas dans X. (Monsieur A)

39Monsieur A évoque non seulement un sentiment d’isolement mais il fait aussi allusion à une différence sociale et spatiale. Cet espace périurbain de l’Est francilien pensé pour la voiture, dominé par la maison individuelle avec jardin, et peuplé par des populations actives soumises à la mobilité pendulaire, se prête peu à la rencontre. De plus, l’espace de la rue garantit difficilement le jeu classique des interactions urbaines, l’espace public étant dévoué à la circulation selon les normes fixées par l’urbanisme de l’habitat résidentiel.

40Le non-recours aux transports en commun et l’utilisation de services spécialisés (que ce soit un véhicule de l’établissement ou le service PAM77) renforce cette absence de contact avec les autres populations. Le mode de vie en établissement où il est possible de vivre en autarcie, en ne faisant que des activités proposées par les professionnels, de se déplacer en groupe, et de faire venir des professionnels extérieurs à l’établissement renforce aussi ce faible « frottement » entre populations. Les résidents témoignent toutefois d’une très bonne connaissance de la commune, ils ont conscience des changements survenus depuis leur arrivée et du développement du territoire.

Conclusion

41En étudiant les mobilités quotidiennes d’adultes handicapés vivant dans un établissement médico-social en milieu périurbain, cette recherche interroge les frottements possibles entre deux populations ayant des logiques et des modes de vie différents.

42Bien que les personnes enquêtées mobilisent des ressources de l’espace local, elles n’ont pas développé d’interconnaissance ou de relations de voisinage. Elles ont une mobilité proche de celle des classes populaires, « réduite à des territoires relativement restreints » (Coutard, et al., 2002). Toutefois, les pratiques des résidents et des habitants du périurbain tendent à se rapprocher, ceux-ci profitant de plus en plus, sur leur commune de résidence, des ressources de proximité qui se sont étoffées avec l’arrivée de nouveaux habitants. La vie en établissement permet à la fois de dépasser les contraintes périurbaines, en permettant une motorisation des déplacements, un apprentissage à l’autonomie et aux déplacements individuels, et en facilitant l’accès à des activités de loisirs, mais elle peut aussi se révéler être un frein, en isolant les personnes dans un quotidien rythmé par le collectif.

43La localisation dans une ville nouvelle dynamique, pensée par l’association de parents, a finalement peu facilité le développement de l’autonomie des résidents : le manque d’accessibilité des transports en commun desservant l’établissement n’a pas permis un élargissement de leur espace de vie. L’espace périurbain étudié a été peu pensé pour des populations vulnérables, les ressources territoriales à disposition les mettant à distance des autres habitants.

44Cependant, différentes pistes sont envisageables pour améliorer l’accessibilité du territoire et la participation des personnes handicapées. Dans le cas d’établissements existants, à l’instar de l’initiative du CVS dans la monographie étudiée, il est possible de sensibiliser les responsables locaux (municipalité, Conseil départemental, compagnies de transport, etc.) pour améliorer l’aménagement de la voirie ou l’accessibilité des transports. Mais cela ne peut se faire sans un intérêt des acteurs locaux pour ces questions.

45La création d’unités plus petites relevant du droit commun et mieux ancrées dans l’espace urbain permettrait aussi de s’affranchir en partie des contraintes foncières. La mise en œuvre de tels projets est facilitée par la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique dite loi ELAN (2018) qui définit « l’habitat inclusif » à destination des personnes âgées et des personnes handicapées et facilite son financement.

46Le développement de services communautaires impliquant l’ensemble des citoyens peut aussi permettre d’améliorer l’inclusion des personnes handicapées. Il est possible de s’inspirer du Pflegemix, une initiative qui s’est développée en Allemagne dans le champ du vieillissement et qui a pour objectif de constituer un réseau de soutien local en impliquant les acteurs politiques locaux, le monde associatif, les professionnels de terrain (notamment des services d’accompagnement et de soin) et les acteurs de la société civile (dont les citoyens âgés). L’appui sur les ressources d’un territoire et l’implication de l’ensemble des acteurs locaux en amont de la création d’habitats paraissent indispensables pour améliorer l’inclusion des personnes handicapées.

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Bibliographie

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Notes

1 Qualifié de périurbain par l’INSEE (ZAU 2010).

2 En France, l’offre en structure d’hébergement pour les adultes handicapés représente une solution non négligeable avec près de 146 000 places (Falinower, 2016). Plus de 40 000 adultes handicapés vivent en MAS ou en foyer d’accueil médicalisé FAM (Makdessi & Mordier, 2013).

3 Soit un an avant l’adoption de la loi du 11 février 2005 « pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ».

4 L’Americans with Disabilities Act, une loi énonçant de grands principes d’accessibilité a été promulguée en 1990 aux Etats-Unis, soit 15 ans avant la loi de 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées qui définit l’obligation d’accessibilité de l’ensemble de la chaîne des déplacements.

5 Il est toutefois important d’avoir en tête que la localisation périurbaine, dans des espaces plus anciens, ne procède pas de la seule rationalité économique mais aussi d’un attachement au territoire (Aguilera, et al., 2014).

6 Cette expression est reprise de différents auteurs (Gasnier, 2006 ; Belmessous, 2007).

7 En 1987, Disney signe une convention avec l’Etat, la région, le département de la Seine-et-Marne, la RATP et l'établissement public d'aménagement EPAMARNE-EPAFRANCE. La puissance publique s’engage alors à octroyer un droit de commercialisation prioritaire du foncier à Euro Disney à Val d'Europe, avec des conditions tarifaires préférentielles. La convention engage les secteurs privés et publics à développer en partenariat le territoire Val d'Europe jusqu'en 2030. Seule la gestion des villes et de leurs habitants reste une prérogative exclusive de l'intercommunalité.

8 Ces informations sont toutes issues du site de l’Insee.

9 Zone naturelle aménagée sur la Figure 1.

10 Le jour de notre entretien, Madame B. n’est pas dans son fauteuil électrique habituel mais dans un fauteuil de prêt.

11 Une telle démarche n’a pas pu être réalisée avec l’équipe municipale pour améliorer l’accessibilité de la commune, celle-ci n’ayant pas accepté l’invitation du CVS.

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Table des illustrations

Titre Planche 1 : Des studios dans un immeuble récent du centre-ville
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Titre Figure 1 : une commune d’accueil à dominante pavillonnaire
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Titre Planche 2 : un quartier résidentiel à l’américaine
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Titre Figure 2 : Pratiques territoriales des résidents
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Titre Planche 3 : Des espaces peu accessibles à des personnes en fauteuil et pensés pour la voiture
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Titre Figure 3 : Des déplacements pédestres ou automobiles privilégiés
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Pour citer cet article

Référence électronique

Noémie Rapegno, « Handicap, vie en établissement médico-social et mobilités quotidiennes dans le périurbain Est francilien »Territoire en mouvement Revue de géographie et aménagement [En ligne], 47 | 2020, mis en ligne le 18 novembre 2020, consulté le 16 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tem/6672 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/tem.6672

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Auteur

Noémie Rapegno

Ingénieur de recherche
Arenes, EHESP, 20 avenue George Sand, 93210 La Plaine-Saint Denis, France
Chercheure associée au Lab’Urba
noemie.rapegno@ehesp.fr

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