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  • 1 Car nées dans la foulée du Schéma directeur d’aménagement de la région parisienne (SDAURP) de 1965 (...)
  • 2 Le premier séminaire fut consacré à la première agence de Lille (AUAM), celles de Dunkerque (AGUR) (...)
  • 3 PREVOT, Maryvonne/IFRESI/PUCA/CNRS/IAUL/Lille1 : Les agences d’urbanisme outils et acteurs de l’amé (...)
  • 4 PREVOT, Maryvonne, SIMARD, Pascale (2008), Les agences d’urbanisme au miroir de la recherche, Les A (...)

1Les agences d’urbanisme en France constituent un cas exceptionnel d’outil commun aux collectivités territoriales et à l’État. Organismes quadragénaires pour certaines d’entre elles1, elles n’en demeurent pas moins paradoxalement peu connues. Aussi leur avons-nous consacré trois séminaires – à Lille et à Aix-en-Provence entre mars 2005 et février 20062, puis un premier colloque national à Lille, les 8 et 9 février 20073, suivi d’une matinée de « restitution » partielle devant le personnel réuni de l’Agence de Lyon le 25 juin 2007. L’ensemble de ces travaux et réflexions a déjà donné lieu à deux publications récentes et collectives4. Le présent numéro de Territoire en mouvement, publié avec le soutien du PUCA, vient les approfondir et les compléter.

2Mêlant les disciplines (histoire, géographie, science politique, architecture), les articles témoignent tous de ce que les agences d’urbanisme ont constamment cherché à dépasser leur périmètre premier de compétences – à savoir l’urbanisme réglementaire stricto sensu – pour déployer leur savoir-faire dans des sphères de compétences virtuellement beaucoup plus étendues aux études générales et prospectives tous azimuts, à l’observation et l’animation des territoires aux différentes échelles, saisissant chaque occasion d’investir un champ nouveau et mobilisant, pour ce faire, des savoirs académiques variés.

3Marie-Clotilde Meillerand et Sébastien Gardon ont choisi de prendre la création de l’agence d’urbanisme de Lyon comme point d’aboutissement d’une période trentenaire de tâtonnements et de mises en place successives de structures et de groupes de travail – autour des problématiques de transport notamment – qui ont concouru aux premières réflexions, actions et propositions institutionnelles à des échelles intercommunale et métropolitaine. Prenant en quelque sorte le « relais », Gilles Bentayou reconstitue les héritages et les modalités complexes de création de l’agence d’urbanisme de Lyon en 1978. Il analyse ensuite la manière dont la « nouvelle » agence se saisit d’une circulaire de mars 1977 - redéfinissant les études d’urbanisme préparatoires - pour investir le champ de la réhabilitation des quartiers anciens de Lyon, donner un nouveau contenu qualitatif aux études, redistribuer les rôles entre organismes aménageurs d’une part et services techniques de la Communauté urbaine de Lyon (COURLY) de l’autre, que l’Agence « acculture » et prépare à leur mission de donneur d’ordre. Les conclusions de Rachel Linossier, Florence Menez et Fatiha Belmessous vont dans le même sens : les expérimentations de l’Agence de Lyon dans divers autres domaines étudiés par elles (quartiers d’habitat sociaux inscrits en procédure « Habitat et Vie sociale » (HVS) puis Développement Social des quartiers (DSQ), planification stratégique ou développement économique) vont toutes conduire la COURLY à créer et/ou restructurer des services répondant directement à une prise en charge de nouvelles compétences, mais reléguant, de fait, l’Agence dans l’ombre de la puissance publique. C’est une première limite – temporelle et politique - que l’on peut opposer aux démarches innovantes de cet organisme. Frédéric Saunier replace lui aussi la naissance des deux premières agences d’urbanisme en province – la SORETUR à Rouen en 1963 puis la SERH au Havre en 1965 – dans un contexte complexe, celui de la Basse-Seine qui connut au sortir de la Reconstruction, non seulement la poussée urbaine propre aux grandes agglomérations industrielles, mais surtout une concentration remarquable de structures nouvelles et d’expérimentations technico-administratives (à l’image du déploiement de la Société centrale d’équipement du territoire (SCET)), censées répondre à l’expansion des villes et contribuer aussi à la réforme des services déconcentrés d’un État vigilant. A travers l’étude de ces deux agences pionnières, il met en valeur quelques uns des traits communs à nombre d’agences qui verront ultérieurement le jour : la pluridisciplinarité, la jeunesse des personnels, leur propension - plus ou moins grande selon les époques - au militantisme syndical et/ou politique, leur fragilité financière, enfin, dans un contexte de tutelle concurrentielle exercée par les Directions départementales de l’Équipement (DDE), de fracture d’avec la culture opérationnelle des sociétés d’aménagement et de soumission plus ou moins obligée au pouvoir politique, qu’il soit municipal ou étatique.

4Les autres communications abordent le travail des agences dans la « fabrique » du territoire de manières différentes mais complémentaires. Catherine Guy revient sur le modèle rennais d’agglomération multipolaire résultant d’un choix volontariste des élus, défini à partir d’une réflexion portée par l’agence d’urbanisme (AUDIAR) créée en 1972, qui a ensuite fortement contribué à sa mise en œuvre en proposant une panoplie d’outils innovants et précurseurs.

  • 5 « CHRISTIANA : Les militants d’origine chrétienne dans la fabrique de la Ville des années 1960 à no (...)

5Pourtant, par delà la quête incessante et toujours renouvelée d’un périmètre d’observation et d’action pertinent à mesure que le processus d’étalement urbain s’accroît, c’est la capacité de l’Agence à orienter l’action qui est interrogée. En effet, celle-ci reste structurellement confrontée à la question sensible des franges du territoire, comme à la question des divergences temporelles. Elle a besoin du long terme pour observer et ceci entre en contradiction avec le fort sentiment d’urgence temporelle de l’action – notamment politique –et avec la perception d’une disponibilité désormais limitée du sol. Pour Isabelle Estienne, la fabrique du territoire passe par l’étude de la prise en compte pionnière des questions de qualité paysagère à grande échelle par les organismes d’études que sont l’OREAM-Nord, l’agence de Dunkerque (AGUR), la première agence d’urbanisme de Lille (AUAM) dissoute en 1977 puis celle recréée en 1990 (ADULM). « Coulées de verdure » (livre blanc AUAM), « ceinture verte » (SDAU dunkerquois) ou « armature verte » (SDAU lillois) : le vocabulaire employé par elles est le signe d’un renouvellement des pratiques, sous l’influence de l’Europe du nord-ouest dont les modèles – comme le bois d’Amsterdam ou les coulées vertes allemandes – commencent à être diffusés en France dans la première moitié des années 1960. Ainsi la notion d’espaces verts change-t-elle d’échelle, acquiert-elle davantage d’épaisseur et abandonne progressivement sa fonction d’accompagnement de l’architecture pour retrouver un rôle de structuration urbaine. A Dunkerque pourtant, autour d’une agence d’urbanisme qui compte parmi ses recrues des architectes-urbanistes ayant effectué de nombreux voyages d’études aux Pays-Bas - où la dimension paysagère est une composante systématique de l’aménagement - , des spécialistes de l’environnement ou bien encore des militants verts actifs, le bilan des mises en œuvre est rapidement probant, alors qu’à Lille il faut attendre la recréation d’une deuxième agence (l’ADULM) en 1990, pour que la révision du SDAU soit engagée et que le nouveau schéma directeur de 1994 reprenne, pour l’essentiel, les projets prévus 25 ans plus tôt. La question du militantisme « d’expertise » exercé, entre autre, au sein des agences - et de manière certes variable selon les lieux et les époques - est au cœur d’un programme de recherche nouveau qui s’amorce en partenariat avec des laboratoires de recherche du Nord-Pas-de-Calais, de Paris, de Rhône-Alpes et de Bruxelles mais aussi une association militante telle que l’Atelier de recherche et d’action urbaine (ARAU)5.

  • 6 EYMERI, Jean-Marc (2003), « Frontière ou marche ? De la contribution de la haute administration à l (...)

6Quant à Taoufik Ben Mabrouk d’une part, Nicolas Douay et Mathieu Beaugrard de l’autre, ils reviennent sur le concept de « métropolisation » ; moins pour en décrire les raisons de sa survenue tardive dans l’aire urbaine marseillaise comme c’est le cas pour les seconds, que pour analyser en profondeur ce qui se joue en terme de nouveaux contenus et approches en matière de prospective urbaine, en portant une attention toute particulière aux usages socio-politiques des savoirs académiques –ceux de géographes de Lille 1 en l’occurrence - mobilisés tout particulièrement par l’ADULM à partir des années 1990. Entre le monde de l’Université et celui de la planification urbaine, la valorisation des travaux universitaires occupe désormais une place de plus en plus importante dans l’inflexion de la prospective urbaine et du travail des agences d’urbanisme, que ce soit à Lille, Lyon, Grenoble, Bordeaux, Saint-Etienne, Rennes ou ailleurs. L’étude des agences et de leurs productions invite à scruter attentivement la professionnalisation d’un champ académique – celui de l’aménagement et de l’urbanisme -, mais aussi les liens que peuvent entretenir savoirs académiques, savoirs opérationnels et pouvoir politique au sein d’organismes qui semblent être moins des frontières que des « marches »6 entre le technique et le politique.

7Il est aussi et enfin question de circulation des idées et des individus entre agences sur le territoire (de Lyon à Lille, de Rennes à Marseille, de la direction d’agences aux services centraux ministériels) qui n’est peut-être pas étrangère au mimétisme observé dans la conception des projets locaux de métropolisation. Ce mimétisme expliquerait aussi les accents incantatoires et performatifs de ce type de projets construits autour d’un certain nombre de thèmes récurrents (accessibilité, atouts géographiques et humains, cadre de vie). Cette tendance à l’importation de formules et de procédés mis en œuvre dans d’autres agglomérations confrontées aux mêmes enjeux de gestion et de développement, ajoutée à la conformité des études produites par les agences aux modes dominants d’intervention sur la ville à chaque époque - rénovation pour les unes, réhabilitation pour les autres -, constituent deux autres limites majeures opposables au caractère innovant de l’action des agences. Elles invitent plutôt à s’interroger sur leur rôle dans la diffusion des référentiels ou paradigmes successifs communément observés chez les acteurs et les élus locaux.

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Notes

1 Car nées dans la foulée du Schéma directeur d’aménagement de la région parisienne (SDAURP) de 1965 puis de la Loi d’Orientation foncière (LOF) de 1967.

2 Le premier séminaire fut consacré à la première agence de Lille (AUAM), celles de Dunkerque (AGUR) et du Bassin de la Sambre (ADUBS). Le second fut consacré à Bernard Ecrement, ancien dirigeant de l’agence pionnière de Rouen (SORETUR) et le troisième aux agences d’Aix (AUPA) et de Marseille (AGAM).

3 PREVOT, Maryvonne/IFRESI/PUCA/CNRS/IAUL/Lille1 : Les agences d’urbanisme outils et acteurs de l’aménagement en France : identités, pratiques, enjeux, mutations (1967-2007).

4 PREVOT, Maryvonne, SIMARD, Pascale (2008), Les agences d’urbanisme au miroir de la recherche, Les Annales de la recherche urbaine, n° 104, pp. 84-95. PREVOT, Maryvonne et alii (2008), Les agences d’urbanisme en France. Perspectives de recherches pluridisciplinaires et premiers résultats autour d’un nouvel objet, Métropoles, n°3 revue scientifique en ligne diffusée par le CNRS. http://metropoles.revues.org

5 « CHRISTIANA : Les militants d’origine chrétienne dans la fabrique de la Ville des années 1960 à nos jours. France/Belgique », programme de recherche pluridisciplinaire 2009-2010, coordonné par Maryvonne Prévot, dans le cadre du Contrat de Plan Etat-Région (CPER) et de la Maison européenne des sciences de l’homme et de la société (MESHS) du Nord-Pas-de-Calais.

6 EYMERI, Jean-Marc (2003), « Frontière ou marche ? De la contribution de la haute administration à la production du politique », in LAGROYE, Jacques (dir), La politisation, Paris, Belin, pp. 47-77.

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Pour citer cet article

Référence papier

Maryvonne Prévot, « Éditorial »Territoire en mouvement Revue de géographie et aménagement, 2 | 2007, 1-3.

Référence électronique

Maryvonne Prévot, « Éditorial »Territoire en mouvement Revue de géographie et aménagement [En ligne], 2 | 2007, mis en ligne le 15 mai 2012, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tem/599 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/tem.599

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Auteur

Maryvonne Prévot

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