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Comptes-rendus de lecture

Falaix Ludovic (Dir.), Surf à contre-courant. Une odyssée scientifique. 2018

Pessac, Presses de la Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine, broché, 381 p.
Christophe Gibout
Référence(s) :

Falaix Ludovic (Dir.), Surf à contre-courant. Une odyssée scientifique. 2018. Pessac, Presses de la Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine, broché, 381 p. ISBN : 978-2-85892-473-8

Texte intégral

1Empruntant la référence à Michel Foucault (1967), Ludovic Falaix conclue cet ouvrage en disant qu’il peut être envisagé comme une « hétérotopie scientifique [caractérisée] par sa plus grande réserve d’imagination » (p. 357). Il y a là une métaphore qui parait des plus pertinentes pour comprendre l’ambition de cet ouvrage collectif et des 17 parties qui le composent. Car « hétérotopie » il y a à un double titre. D’une part, parce que le surf s’incarne dans des espaces qui sont autant de localisations physiques de l’utopie que, présentement, les auteurs rassemblés sollicitent au fil de leurs travaux. D’autre part, parce que la production scientifique qui interroge ici l’objet « surf » n’est pas celle que nous sommes usuellement enclins à rencontrer dans la littérature tant elle propose des lectures tendanciellement hétérodoxes qui apparaissent comme autant d’espaces scientifiques concrets qui hébergent l'imaginaire.

2Ce lourd tapuscrit de près de 400 pages se découpe en 3 grandes parties, chacune composée de 4 chapitres et encadrées par une introduction et une conclusion du coordinateur, par une préface énergique et lumineuse de David Le Breton, Professeur à l’Université de Strasbourg, qui en présente l’ambition, par une généalogie des travaux scientifiques francophones et anglophones sur le surf, enfin par une postface de Jon Anderson, universitaire à Cardiff, qui questionne l’opportunité d’une science incarnée, spatialisée et passionnée pour renouveler le savoir sur des objets aussi marginaux que le surf. La première partie interroge les pratiques du surf comme « expression d’un rapport au monde ». La deuxième partie découvre les « esthétismes du surf ». Enfin, la troisième partie aborde « le surf dans l’espace public ».

3Parmi l’ensemble des contributions, nombreuses sont celles qui interpellent les enjeux d’espace, de territoire et d’environnement sous des angles variés qui, de facto, permettent d’enquêter sous cet angle le surf mais, plus largement, tant les pratiques récréatives que les enjeux contemporains de la frange littorale. Autant d’éléments qui permettent, de notre point de vue, d’élargir son audience possible à la fois chez tous les chercheurs en sciences humaines ou sociales et chez les décideurs territoriaux.

4Ainsi, dès l’introduction (pp. 19-45) par Ludovic Falaix, le surf devient un prétexte heureux pour sonder le rapport sensible et émotionnel à l’environnement, « l’expérience corporelle [qui] autorise le passage de l’espace spatialisé à l’espace spatialisant (Merleau-Ponty, 1945) » (p. 31), enfin la question de la « corpospatialité » (Di Méo, 2010) et d’un médium entre l’espace et le corps pour comprendre les enjeux de l’habitabilité des surfeurs. S’inspirant de Maurice Halbwachs (1925), Jérôme Lemarié (pp. 77-101) démontre, au début de la première partie, la façon dont le territoire est un objet mnésique qui permet d’écrire l’histoire du surf aux Etats-Unis. Comparant de façon très congruente les glisses aquatique et urbaine, Florian Lebreton (pp. 103-120) explique comment le vertige, comme expérience corporelle située, traduit une présence au monde. Ludovic Falaix encore (pp.141-169) investissant la commercialisation du surf, montre combien elle remet en cause les principes du développement durable des territoires, en particulier via l’artificialisation des espaces de pratique. Dans la deuxième partie, Jean Corneloup (pp. 197-215) approche la vague surfée et son esthétique en mobilisant de façon originale et pertinente les travaux de la géograficité (Dardel, 1952) et de l’écologie relationnelle (Ingold, 2013). Anne Gombault et al. (pp. 217-244) déroulent un propos fort utile quant aux mesures par lesquelles la culture surfique dessine de nouvelles dynamiques de développement des territoires littoraux et comment la vague devient un capital mobilisable comme ressource territoriale (Gumuchian & Pecqueur, 2007). Dans la troisième partie, Marina Honta (pp. 267-287) scrute la reconfiguration des rapports politiques locaux et la « dimension spatiale des stratégies d’acteurs » en mobilisant une stimulante analyse des discours institutionnels et des représentations symboliques afférentes. Un cadre d’analyse qui appelle assurément des déclinaisons ailleurs au regard de sa très grande intelligence. Au travers une lumineuse étude sur la Surfrider Foundation Europe, Julien Weisbein (pp. 289-305) explique les enjeux de technicisation et de concertation des surfeurs militant dans cette ONG, et plus largement un renouvellement des formes d’engagement politique dans la protection de l’environnement. Un texte qui est parfaitement complété par les entretiens entre le chercheur Ludovic Falaix et le surfeur et militant associatif et politique Marc Bérard (pp. 329-350). Ce travail dévoile comment l’expérience militante environnementaliste se met en branle puis se décline dans la sphère politique locale, nous rappelant finalement « qu’en dépit de son émancipation relative à l’égard de tel ou tel environnement, l’homme a toujours besoin d’être intégré à une sphère porteuse, et qui plus est non seulement une sphère culturelle, mais tout autant à une sphère naturelle dont on peut garantir que les fonctions vitales lui resteront durablement raccordées » (Sloterdijk, 2009, p. 32). Jean-Christophe Lapouble (pp. 307-327) met au jour les enjeux juridiques inhérents à la pratique du surf. Il revient utilement sur les textes législatifs et réglementaires, généralistes ou spécialisés, nationaux et européens, qui encadrent les pratiques récréatives littorales ainsi que leurs relations à l’environnement et à autrui, enfin, plus largement, qui sollicitent le domaine public maritime. Encore une fois, un chapitre qui dépasse le cadre strict de l’ouvrage et s’inscrit dans une perspective plus ample. La conclusion (pp. 351-365), enfin, revient, entre autres choses, sur l’approche trajective et mésologique (Berque, 1986 & 2014) qui rassemble l’essentiel des contributions ainsi que sur le surf comme figure de la cosmose (Andrieu, 2016), c’est-à-dire comme figure d’un rapport écologique d’interactions entre le corps et le monde qui l’entoure.

5Au travers de ces quelques éléments, et en dépit de quelques rares passages parfois inutilement jargonneux, le lecteur comprendra aisément tout l’intérêt, sinon l’impérieuse nécessité, d’une lecture de cet ouvrage pour qui s’intéresse au surf mais, plus largement, pour qui est curieux de comprendre les enjeux territoriaux, environnementaux, spatiaux et politiques des usages culturels du cordon littoral.

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Bibliographie

Andrieu B., 2016, Se fondre dans la nature. Figures de la cosmose, Montréal, Liber.

Berque A., 1986. Le sauvage et l’artifice. Les Japonais devant la nature, Paris, Gallimard.

Berque A., 2014, La mésologie, pourquoi et pour quoi faire ? Nanterre, Presses Universitaires de Paris Ouest.

Dardel E., 1952, rééd. 1990, L’homme et la terre. Nature de la réalité géographique, Paris, CTHS.

Di Méo G., 2010, Subjectivité, socialité, spatialité : le corps, cet impensé de la géographie, Annales de géographie, n°675, pp. 466-491.

Foucault M., 1967, Des espaces autres, Architecture, Mouvement, Continuité, n°5, pp. 45-49.

Gumuchian H. & Pecqueur B., 2007, La ressource territoriale, Paris, Economica.

Halbwachs M., 1925, Les cadres sociaux de la mémoire, Paris, PUF.

Ingold T., 2003, Marcher avec les dragons, Le Kremlin-Bicêtre, Zones Sensibles.

Merleau-Ponty M., 1945, Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard.

Sloterdijk P., 2009, Observation forte, pour une philosophie de la station spatiale, in P. Virilio, R. Depardon & D. Scofidio (dir.), Terre natale : ailleurs commence ici, Arles, Actes Sud, pp. 30-38.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Christophe Gibout, « Falaix Ludovic (Dir.), Surf à contre-courant. Une odyssée scientifique. 2018 »Territoire en mouvement Revue de géographie et aménagement [En ligne], 41 | 2019, mis en ligne le 02 avril 2019, consulté le 15 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tem/5219 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/tem.5219

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Auteur

Christophe Gibout

Université du Littoral – Côte d’Opale

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Droits d’auteur

CC-BY-4.0

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