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Editorial

Former à l’aménagement et l’urbanisme

The teaching of spatial planning
Nicolas Douay, Anna Geppert, Caroline Leininger-Frézal et Maryvonne Prévot

Texte intégral

1Plus de trente après la création des associations européenne et française réunissant les écoles d’aménagement et d’urbanisme, et alors que l’Institut des Hautes études urbaines (ancêtre de l’École d'urbanisme de Paris) va fêter son centenaire et que plusieurs autres écoles françaises (à Aix-en-Provence, Grenoble, Paris et Tours) s'apprêtent à fêter leurs cinquantenaires, ce numéro de la revue Territoire en Mouvement propose d’appréhender la diversité des enjeux liés à la formation aux métiers de l’aménagement et de l’urbanisme.

2Ce numéro s’inscrit à la suite de débats internationaux, notamment ceux accueillis dans le Journal of Planning Education and Research1 ou Planning Education2. En lien avec le réseau de l'Association pour la Promotion de l'Enseignement et de la Recherche en Aménagement et Urbanisme (APERAU), on peut aussi noter la parution, en 2015, du premier numéro de la Revue Internationale d’URBAnisme (RIURBA)3 et le lancement du réseau thématique de recherche “PédagAU” (Pédagogie en Aménagement et Urbanisme) lors des 20èmes rencontres internationales en urbanisme organisées à l'Université de Lille en 2018 : « Cette initiative veut pallier la rareté des lieux d'échange sur les pratiques d'enseignement supérieur dans le champ disciplinaire de l'aménagement et de l'urbanisme. Elle vise également à promouvoir le développement des recherches sur les pratiques d'enseignement et la pédagogie de l’aménagement de l’urbanisme, qui sont peu nombreuses dans le monde francophone. »4

3Ces initiatives sont en lien avec les réflexions, qui émergent sur les métiers de l’urbanisme et de l’aménagement et invitent au débat. Ainsi, le dossier réuni par Michel Lussault et Guillaume Faburel dans la revue Tous Urbains (Lussault et Faburel, 2018) mais aussi, les Cahiers RAMAU (Cohen et Devisme, 2018) apportent-ils des éclairages et des points de vue sur la formation aux métiers de l’architecture mais aussi de l’urbanisme que ce dossier de Territoire en Mouvement vient à point compléter. Nous pouvons ainsi noter des travaux français tels que le rapport de Jean Frébault et Bernard Pouyet (2006). Plus récemment, quelques initiatives collectives ont renouvelé le débat. D’abord avec le colloque Champ libre ? L’aménagement et l’urbanisme à l’épreuve des cadres théoriques5 (Collectif Champ Libre ?, 2018) dont une partie des échanges a porté sur l’enseignement et qui a donné lieu à plusieurs publications (Bognon et Lehec, 2018 ; Collectif Champ Libre ? 2018 ; Frouillou et al., 2017). Dans la continuité de travaux plus anciens (Claude, 2006 ; Biau et Tapie, 2006), le dossier de la revue Cybergeo sur les métiers de la ville6 apporte de nouvelles perspectives ; on peut notamment pointer l’article de Guillaume Faburel (2018).

4Ce double volume est constitué de neuf articles ; il propose une perspective historique et questionne des enjeux à la fois épistémologiques, didactiques et pédagogiques avec un large panorama d’interrogations, de lieux d’enseignement et de pratiques.

5La première contribution renvoie aux enjeux épistémologiques avec la question de la normativité dans l’urbanisme. Daniel Pinson nous invite à dépasser l’ambigü héritage des Lumières. Le postulat kantien d’une (pseudo)-rationalité axiologiquement neutre semblait invalider les valeurs ou, selon les mots de l’auteur, la normativité ; il a fortement influencé les sciences sociales, et notamment les études urbaines, science « de l’observation ». Cette « normativité », en particulier le bien commun, restait alors l’apanage du projet urbain, ancré dans l’action, déconnecté des référentiels théoriques. Daniel Pinson propose de redonner une légitimité à la normativité. Cela conduirait à réduire l’écart entre recherche et pratique en urbanisme-aménagement, et à porter une attention renouvelée aux apports du visuel, et des écoles d’architecture, à la recherche et à l’enseignement en urbanisme.

6A la suite, une série de trois articles proposent une approche empirique à partir de différents lieux d’enseignement.

7La contribution de Jennifer Buyck, Samuel Martin, Maryvonne Prévot et Fleur Romano porte sur la genèse des formations en urbanisme en France. A partir d’un dépouillement d’archives inédites, les auteurs reviennent sur la naissance de l’UER d’urbanisation et aménagement de Grenoble, à la fin des années 1960, soit en même temps que l’Institut d’Aménagement Régional d’Aix-en-Provence, le Centre d’Etudes Supérieures en Aménagement de Tours, et le Centre Universitaire Expérimental de Vincennes. Elle participe d’un contexte national, l’intérêt pour l’urbanisation et l’urbanisme a entraîné le développement d’une recherche urbaine contractuelle, source de co-financement de l’UER naissante. Elle est également portée par la conjonction d’hommes et d’idées contemporaines des années du socialisme municipal d’Hubert Dubedout, postulant que “l’urbanisme n’est pas un corps de connaissances mais une manière de comprendre et d’agir sur un phénomène : l’urbanisation”. Cela entraîne des pratiques pédagogiques interdisciplinaires, centrées sur les “phénomènes”, et en rupture avec les pratiques traditionnelles de l’université : une formation sans cours magistraux, où les frontières entre universitaires, praticiens, et étudiants, tendent à s’estomper.

8L'article d’Hélène Dang Vu et Laurent Devisme s’intéresse au cas d’une formation en urbanisme sans institut. Les auteurs présentent la trajectoire de la formation à l’urbanisme nantaise, depuis sa création en 1985. Conçue à partir d’un triptyque droit-géographie-architecture idéalement équilibré, la formation apparaît davantage pluridisciplinaire qu’interdisciplinaire. L’exercice pédagogique de l’atelier, où les apports des différentes disciplines s’intègrent, fait figure d’exception. Dans ce contexte, l’urbanisme peine à prendre son autonomie, comme discipline, et comme plateforme d’institutionnalisation d’une formation portée conjointement par trois entités distinctes, sans qu’aucun des nombreux projets de fondation d’un institut d’urbanisme, éternel horizon nantais, n’ait pu aboutir.

9Toujours autour d’un lieu d’enseignement, l’article de Nicolas Douay, Caroline Leininger-Frézal et Matthieu Pichon s’intéresse à l’Université Paris Diderot pour analyser l’autonomisation progressive du champ disciplinaire de l’aménagement dans un cursus de géographie. A l’échelle nationale, le champ disciplinaire de l’urbanisme-aménagement, s’est progressivement affirmé, et son autonomie est formalisée depuis les années 1980, avec la création de l’APERAU et de la 24ème section du Conseil National des Universités (CNU). A Paris Diderot, l’aménagement apparaît dans un premier temps comme une application, quelque peu utilitariste, de la géographie ; à partir des années 1980, l’injonction de la professionnalisation des études donne de l’importance à l’aménagement, bon vecteur d’intégration sur le marché de l’emploi ; cependant, son ancrage au champ disciplinaire de l’aménagement demeure partiel, avec notamment un Master de développement local. Malgré la poursuite du mouvement dans les années 1990 et 2000, et un changement de nom de la Licence en 2014, la Géographie reste dominante.

10La suite du dossier est constituée par cinq articles qui portent sur différentes pratiques pédagogiques.

11Maud Hirczak, Yoann Morin et Grégoire Feyt analysent, à partir de l’exploitation des données de l’Observatoire des Stages en aménagement et développement des territoires de Rhône-Alpes et d’entretiens menés avec des cadres territoriaux, la pratique du stage dans 130 formations en lien avec l’ingénierie territoriale, entre 2007 et 2013. Au-delà de leur importance pour la formation des étudiants, les stages apparaissent comme miroirs et catalyseurs de la relation entre l’université et les territoires, qui en font une ressource précieuse pour les territoires, malheureusement trop souvent restreinte aux territoires métropolitains.

12L'article de Brigitte Bertoncello et Benoit Romeyer s’appuie sur l’expérience d’études de cas menées dans le Master 2 « Urbanisme et aménagement » de l’Institut d’Urbanisme et d’Aménagement Régional (IUAR) de l’Université d’Aix-Marseille. Les auteurs montrent l’apport particulier de cet exercice. A la différence de l’atelier visant à construire une proposition, l’étude de cas vise à “décortiquer” un projet pour comprendre l’ensemble de ses ressorts. Les études de cas menées en 2014-2016 sous la conduite des auteurs ont porté sur huit ensembles résidentiels des Trente Glorieuses entrés dans le patrimoine aixois. Elles les ont analysées au regard d’une approche multiscalaire, dans l’articulation entre théorie et pratique, et portant un regard rétrospectif sur les acteurs en action. Complémentaire de l’atelier, l’exercice de l’étude de cas permet aux futurs urbanistes de saisir la relation entre l’urbanisme et les autres disciplines, telle l’architecture, dans le projet urbain.

13Pedro Gomes et Sabine Bognon analysent l’apport des commanditaires, ici la Ville de Paris, à l’atelier, élément identitaire des formations à l’urbanisme, ici de la première année de Master de l’Ecole d’Urbanisme de Paris. Le sujet, urbanisme et santé environnementale, était nouveau pour le commanditaire, qui attendait un apport théorique et méthodologique, un renouvellement de sa culture professionnelle, et une aide pour déverrouiller le jeu des acteurs. Les deux groupes ont adopté une démarche différente : un groupe a élaboré une grille d’analyse préalable, dans une démarche hypothético-déductive, aboutissant à un rendu apprécié pour sa méthodologie ; l’autre groupe a mobilisé ad hoc une pluralité d’outils et de méthodes d’enquête, dans une démarche plus inductive mais appréciée pour son interactivité.

14Jean-Yves Toussaint et Sophie Vareilles ont adapté un exercice pédagogique issu du champ de l’architecture, l’approche par les objets urbains. Du mobilier urbain à la rue, différents types d’objets sont confrontés à leurs usages par des méthodes d’observation empiriques, amenant les étudiants à réfléchir à l’impact qu’ont ces objets, nouveaux ou anciens, créées ou transformés par les urbanistes, sur le monde et la vie des habitants.

15Et enfin, l’article de Nicolas Douay interroge le sens des théories de la planification dans un champ disciplinaire souvent interprété comme relevant d’abord d’une pratique, ou d’un art. Vis-à-vis de l’extérieur, il montre que l’existence d’un corpus théorique légitime l’existence d’une discipline. L’urbanisme et l’aménagement ne sont pas étanches aux autres disciplines, cependant un corpus propre est désormais identifié, particulièrement dans le monde anglo-saxon. Au sein de la discipline elle-même et de son enseignement, les théories de la planification permettent d’exercer la réflexivité et l’esprit critique des étudiants, notamment en comprenant mieux la finalité de l’action : Pour qui ? Pour quoi ? Avec quel socle idéologique ? Face aux injonctions qui se multiplient, savoir prendre du recul est une compétence indispensable à transmettre aux générations futures.

16Bien entendu, ce numéro n’a pas un caractère exhaustif et es réflexions pourraient se prolonger et explorer d'autres aspects inédits. Nous pouvons penser à l’histoire des organisations universitaires (CNU, APERAU, AESOP...), aux liens avec les organisations professionnelles (SFU, CFDU, OPQU...), aux enjeux de l’interdisciplinarité et du rapport aux disciplines voisines (géographie, architecture, études urbaines…), à l’internationalisation des formations ou encore à l’évolution des objectifs assignés à la pratique de l’aménagement (compétitivité territoriale, changement climatique, transition énergétique…), aux nouvelles notions (durabilité, résilience…) ou encore aux nouveaux outils (« smart city ») qui viennent transformer les pratiques pédagogiques.

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Bibliographie

Biau V. et Tapie G., 2009, La fabrication de la ville : métiers et organisations, Marseille, Éditions Parenthèses.

Bognon S. et Lehec E. (dir.), 2018, « Quelle place pour l’aménagement et l’urbanisme dans les sciences sociales ? », Revue européenne des sciences sociales, n° 56, pp. 145-262, mis en ligne le 25 mai 2018, URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ress/4019.

Claude V., 2006, Faire la ville. Les métiers de l’urbanisme au XXe siècle, Marseille, éditions Parenthèses.

Cohen C. et Devisme L. (dir.), 2018, « L’architecture et l’urbanisme, Au miroir des formations », Cahiers Ramau, n° 9, Paris, éditions de la Villette.

Collectif Champ Libre ? 2018, « Quelle place pour la théorie dans le champ de l’aménagement et de l’urbanisme en France ? », Environnement Urbain, 13. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.7202/1052705ar

Faburel G., 2018, « Les formations universitaires en urbanisme en France : un nouveau gouvernement des corps (de métiers) », Cybergeo : European Journal of Geography [En ligne], Débats, Les métiers de la ville, mis en ligne le 30 juin 2017, URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cybergeo/28473

Frébault J. et Pouyet B., 2006, Renforcer les formations à l’urbanisme et l’aménagement, Paris, Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche & Ministère de l’équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.

Frouillou L., Gimat M., Persyn N. et Raad L., 2017, « Enseigner à l’université, ça s’apprend ? », Carnets de géographes, 10, mis en ligne le 30 septembre 2017, URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cdg/1233 ; DOI : 10.4000/cdg.1233

Lussault M., Faburel G. (dir.), 2018, « Les métiers de l’urbain sous tension », Tous urbains, n°24, Presses Universitaires de France, pp. 30-75.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Nicolas Douay, Anna Geppert, Caroline Leininger-Frézal et Maryvonne Prévot, « Former à l’aménagement et l’urbanisme  »Territoire en mouvement Revue de géographie et aménagement [En ligne], 39-40 | 2018, mis en ligne le 21 décembre 2018, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tem/5065 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/tem.5065

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Auteurs

Nicolas Douay

Professeur
Université Grenoble Alpes
UMR 5194 PACTE
Institut d’Urbanisme et de Géographie Alpine
14bis, avenue Marie Reynoard
38100 Grenoble – France
nicolas.douay@université-grenoble-alpes.fr

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Anna Geppert

Professeur
Sorbonne Université
UFR de Géographie
191, rue Saint Jacques
75005 Paris - France

Caroline Leininger-Frézal

Maître de conférences
Université Paris Diderot
EA 4434 LDAR
Bâtiment Olympe de Gouges
23, rue Antoine Baif
75013 Paris – France
carolinefrezal@wanadoo.fr

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Maryvonne Prévot

Maîtresse de conférences HDR
Université de Lille
Laboratoire TVES EA 4477
UFR de Géographie et Aménagement
prevot.maryvonne@neuf.fr

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