1Les cadres théoriques que l’on peut définir comme étant des « constructions intellectuelles prenant la forme de systèmes de concepts et servant à expliquer des phénomènes réels » (Dépelteau, 2010 : 131) sont souvent au centre de la structuration des champs disciplinaires. En tant qu’outils pour les chercheurs, ils permettent d’organiser les échanges scientifiques à travers différentes positions conceptuelles, analytiques ou encore méthodologiques (Bognon et Lehec, 2018). Dans un contexte où l’épistémologie du champ disciplinaire de l’aménagement et de l’urbanisme n’est pas encore stabilisée (Devisme, 2010), ces outils théoriques permettent aussi d’expliciter le rapport entre recherche et pratique opérationnelle (Devisme, 2010 ; Scherrer, 2013).
2La formation des futurs professionnels de l’aménagement et de l’urbanisme se construit donc dans le contexte de ces débats épistémologiques et pratiques en intégrant de nombreux apports théoriques dans les pratiques pédagogiques. Ainsi, dans le monde anglophone, notamment en Amérique du Nord, la formation des futurs urbanistes ne peut pas s’envisager sans le recours à des enseignements concernant les cadres théoriques de l’aménagement et l’urbanisme ou plutôt de la planification urbaine pour reprendre une traduction plus littérale de l’expression anglaise de « planning ». Dans ce contexte culturel, le recours à ces théories est assez central dans les démarches pédagogiques de l’enseignement universitaire de l’aménagement et de l’urbanisme car il s’appuie sur une forte structuration des champs académiques et professionnels de l’urbanisme.
3Au regard de la situation observée dans le monde anglophone, cet article a pour objectif d’étudier les enjeux et les usages pédagogiques mobilisant les théories de la planification urbaine dans l’enseignement de l’aménagement et de l’urbanisme à l’université en France. Nous souhaitons nous concentrer sur ce corpus théorique afin d’interroger les modalités de circulation, de réception et d’appropriation à l’échelle française de ces outils dans les pratiques d’enseignement dans l’enseignement supérieur. Nous formulons ainsi l’hypothèse selon laquelle les enseignements que l’on peut qualifier de théoriques ne sont pas moins importants en France mais ils ne sont pas aussi clairement identifiés que dans le contexte anglophone, avec un recours aux théories de la planification qui reste émergent. Celui-ci correspond à différents objectifs de structuration du champ de l’aménagement et de l’urbanisme et se traduit par différents objectifs pédagogiques.
4Ce questionnement renvoie donc d’une part, aux pratiques pédagogiques à travers la place et le sens des enseignements théoriques dans le cadre de formations en aménagement et urbanisme. D’autre part, au-delà des pratiques enseignantes, il vise à éclairer les débats didactiques et épistémologiques d’une discipline qui est encore jeune et qui est souvent d’abord définie par un ensemble de pratiques professionnelles avant de se structurer comme champ académique.
5La démarche méthodologique repose sur trois corpus différents. Tout d’abord, nous avons procédé à une étude des chartes et des documents de présentation des différentes associations regroupant les formations universitaires en aménagement aux échelles nationale (avant 1997) et internationale (après 1997) avec l’Association pour la Promotion de l’Enseignement et de la Recherche en Aménagement et Urbanisme (APERAU), européenne avec l’Association of European Schools of Planning (AESOP) et nord-américaine avec l’Association of Collegiale Schools of Planning (ACSP). L’analyse textuelle des documents de ces associations vise à observer la place des enseignements théoriques et leurs articulations avec les autres activités pédagogiques.
6Ensuite, nous avons réalisé une étude des structures des enseignements des diplômes en aménagement et urbanisme avec notamment 19 plans de cours (syllabus) de formations, situées en France, au Canada (francophone et anglophone) et aux États-Unis, mobilisant les théories de l’urbanisme ou plus spécifiquement de la planification urbaine. L’analyse porte sur les modes de justification du recours à ces outils théoriques par l’intermédiaire des objectifs pédagogiques qui sont énoncés.
7Et enfin, nous avons réalisé deux séries d’entretiens semi-directifs auprès d’enseignants-chercheurs français qui relèvent de la section 24 « aménagement de l’espace et urbanisme » du Conseil national des universités (CNU) et exerçant dans des instituts ou écoles d’urbanisme ou associant la géographie à l’aménagement et l’urbanisme. Tout d’abord en 2014, dans le cadre d’une recherche portant sur l’usage du cas et de l’exemple (Leininger-Frézal et al., 2016) dans l’enseignement à l’université, nous avons interrogé les liens entre l’usage des cas et exemples par rapport aux cadres théoriques avec l’interview de cinq enseignants. Puis en 2017, une série de cinq autres entretiens ou échanges de questionnaires avec un développement de longues réponses écrites qui a permis de mieux interroger les usages spécifiques des théories de la planification urbaine.
8Les résultats sont présentés en suivant un plan en deux parties : une première partie porte sur les effets externes de l’usage de ces théories avec la structuration du champ et une deuxième partie concerne les pratiques pédagogiques et les effets internes avec la posture réflexive développée chez les étudiants.
9Cette première partie vise à interroger la place et le rôle des théories, et notamment celle de la planification, dans la structuration de l’aménagement et de l’urbanisme comme champ professionnel, universitaire et disciplinaire.
10Dans l’enseignement de l’aménagement et de l’urbanisme, mais aussi dans les domaines de la recherche et de la pratique professionnelle, la nécessité d’une montée en généralité et d’une prise de recul par rapport à la pratique repose, entre autre, sur le recours aux théories. Dans le monde anglophone le corpus théorique de la planification urbaine est dominant et largement utilisé. À cet égard, les travaux d’Andreas Faludi (1973) sont parmi les plus cités. Ils proposent une distinction entre d’une part, les « theories in planning » qui s’intéressent à la dimension substantive de l’aménagement c’est-à-dire aux objets physiques de l’aménagement et d’autre part, les « theories of planning » qui questionnent la dimension procédurale de l’aménagement, c’est-à-dire les acteurs, processus et procédures de l’aménagement. Cette distinction n’est pas la seule mais elle polarise encore de nombreux débats notamment quant à ses implications pour l’enseignement (Ferreora et al.,2009). En France, cette distinction n’est pas forcément formulée de la même manière mais semble similaire avec une « segmentation dialogique au fond assez classique de la discipline, mettant en évidence son caractère de science ou de discipline appliquée. L’opératif ou opérationnel renvoie à l’action, à la réalisation ; et le spéculatif ou analytique, ou encore discursif, renvoie à l’étude et au discours » (Badariotti et al., 2015).
11Toujours dans cette perspective d’une double dimension, John Friedmann (1987) ; Friedmann et Hudson, 1974) considère la planification comme l’activité qui a pour objet de comprendre le rapport entre la connaissance et l’action organisée. Il précise d’ailleurs qu’il ne peut pas y avoir de pratiques d’aménagement sans une théorie qui s’intéresse à la façon dont s’effectue cette pratique. Cette théorie peut être nommée ou non, de manière consciente ou non, mais elle est toujours présente ; ainsi la pratique ne s’effectue jamais sans le recours à la réflexion ou en d’autres termes, il ne peut pas y avoir d’action sans connaissance même si celle-ci n’est pas consciente.
12Dans le milieu universitaire francophone de l’aménagement et de l’urbanisme, l’usage des théories a fait l’objet de transferts et s’est donc progressivement développé ces dernières décennies. Nous pouvons noter les travaux pionniers sur la planification stratégique spatialisée tels que ceux d’Alain Motte (2006) ou d’Anna Geppert (2009) et plus récemment de Fabien Nadou (2013) ou encore ceux de Christophe Demazière et Xavier Desjardins (2016). D’autres approches se concentrent plus spécifiquement sur les liens entre planification et projet à l’instar des travaux de Gilles Novarina (2003), puis de Markus Zepf et Lauren Andrès (2012) et enfin de Muriel Delebarre et Benoît Dugua (2017). Des travaux insistent par ailleurs sur les relations entre planification, débat public et participation citoyenne avec les travaux de Marie-Hélène Bacqué et Mario Gauthier (2011) (Gauthier et al., 2008) ou encore sur les approches historiques et prospectives (Proulx, 2008 ; Offner, 2017 ; Scherrer, 2010a). De nombreuses recherches se construisent autour de comparaison (Combe et al., 2012 ; Douay ; 2007 ; Motte, 2007 ; Zepf et Andrès, 2011). Et enfin des travaux questionnent les liens entre théories et pratiques (Alba et al., 2017 ; Dugua, 2017 ; Douay, 2013). L’appropriation et l’adaptation du corpus de la planification urbaine au contexte francophone participe à la structuration des champs professionnels et académiques de l’aménagement et de l’urbanisme.
13L’aménagement et l’urbanisme apparaissent d’abord comme une pratique professionnelle avant de se structurer comme un objet d’enseignement et de recherche. L’avènement d’une discipline académique à part entière n’est pas évident car l’aménagement se positionne plutôt comme une interaction entre art et sciences, entre savoirs théoriques et savoirs pratiques ou encore entre utopies et réalités (Choay, 1965). L’enjeu de la place et surtout de l’influence des théories dans la pratique de l’aménagement est assez ambigu. À une époque où le modernisme et son approche rationnelle commencent à être remis en cause, c’est bien ce que note Françoise Choay dans son travail sur les différents modèles théoriques : « Malgré les prétentions des théoriciens, l’aménagement des villes n’est pas l’objet d’une science rigoureuse. (...) À la racine de toute proposition d’aménagement, derrière les rationalisations ou le savoir qui prétendent la fonder en vérité, se cachent des tendances et des systèmes de valeurs » (Choay, 1965 : 74).
14Françoise Choay invite à prendre de la distance avec ces modèles en relativisant la prétendue nouveauté pour insister sur les dimensions de reprises et de répétitions de configurations discursives. Elle note toutefois que différents modèles ou utopies concourent successivement à façonner la ville : « par leur caractère à la fois rationnel et utopique, ces modèles se sont révélés des instruments d’action puissants : ils ont exercé une influence corrosive sur les structures urbaines établies, ils ont contribué à définir et mettre en place certaines normes urbaines de base » (Choay, 1965 : 75).
15Au-delà de la production urbaine, les théories participent également à la définition de l’urbanisme comme champ de connaissance (Cerda, 1979 – 1867). Cependant cette délimitation est rendue difficile par le foisonnement des travaux d’autres disciplines portant sur des objets relatifs à l’urbanisation, la ville et son organisation : études urbaines, architecture, sociologie, sciences politiques et bien sûr géographie traitent de ces objets, avec comme avantage une longue tradition de recherche et des cadres théoriques stabilisés. L’urbanisme correspond ainsi à une grande ouverture pluridisciplinaire, ce qui conduit Daniel Pinson à le présenter comme une discipline indisciplinée ou comme la rencontre de plusieurs traditions disciplinaires qui se retrouveraient autour des logiques de connaissance et de projets : « la connaissance des territoires et l’invention de projets font sans doute partie de cette identité qui le distingue à la fois de la tradition analytique de la géographie et des autres sciences sociales et humaines (campées sur une connaissance du monde réel qui ne prend que rarement le risque de la prospective) et de la tradition artistique ou technique de l’architecture et du génie civil (la première ramène l’humain à la personne de celui qui crée une œuvre d’art, le second le réduit à la performance technique de celui qui invente un ouvrage d’art) » (Pinson 2004 : 9). Dans cette perspective, l’usage des théories de la planification offre l’avantage de s’intéresser à la fois à la matérialité des projets ainsi qu’aux acteurs et processus qui les produisent.
16Au-delà de la pratique professionnelle, la structuration de l’aménagement et de l’urbanisme pose aussi la question de sa place dans le milieu universitaire. L’enjeu est alors de favoriser la reconnaissance du champ de l’aménagement et de l’urbanisme comme légitime.
17La structuration de formations en aménagement et urbanisme correspond d’abord à l’apprentissage de pratiques professionnelles qui sont en lien avec la demande sociale (Scherrer, 2010b). Franck Scherrer note la tension qui peut exister entre l’assujettissement à l’action et le refus de l’utilitarisme : « les savoirs qui ont constitué les études urbaines, et plus encore ceux qui relèvent de l’urbanisme, sont génériquement liés à une demande sociale de connaissances directement utilisables, et qui se sont progressivement élaborés dans la tension entre le refus de cette position strictement utilitariste et la réponse à une visée réformiste plus ou moins explicite. » (Scherrer, 2010b : 187). L’enseignement de l’aménagement et de l’urbanisme permet donc la rencontre entre des savoirs professionnels construits autour de la pratique du projet, et de savoirs universitaires organisés autour des objets que sont la ville et l’action collective.
18La discipline se structure largement en marge des autres champs disciplinaires, parfois en dehors même des institutions universitaires et souvent dans une logique de concurrence. Au début du 20ème siècle les premières institutions dédiées à l’enseignement de l’urbanisme apparaissent de chaque côté de l’océan Atlantique. En Grande-Bretagne, l’Université de Liverpool met en place le premier institut universitaire dédié aux questions d’aménagement en 1909. En France, en 1919, une École des hautes études urbaines est créée dans la foulée de la reconstruction qui suit la Première Guerre mondiale. Celle-ci se transforme en 1924 en Institut d’urbanisme de l’Université de Paris (IUUP) (Chevalier, 2000) puis en 1972 en Institut d’urbanisme de Paris lors du déménagement à Créteil. Il domine pendant plusieurs décennies la formation des urbanistes français. Gaston Bardet, diplômé de l’IUUP, crée en 1947 l’Institut international et supérieur d’urbanisme appliqué de Bruxelles (actuel ISURU). Du côté des États-Unis, le premier programme universitaire dédié au City and Regional Planning est créé à l’université de Harvard en 1923. Le Massachusetts Institute of Technology suit en 1932, en 1941 c’est au tour de l’université de Washington à Seattle et en 1945 de Columbia University à New York et de l’université de l’Illinois à Urbana-Champaign non loin de Chicago.
19Le boom économique et démographique que connait le monde occidental lors des années 1960 entraine un important mouvement d’urbanisation. De nouveaux instituts se créent pour former ces professionnels du développement urbain qui vont donner forme à ce processus (Merlin, 1999). On constate alors un mouvement de décentralisation de ces institutions universitaires. En France, après les évènements de mai 1968, la loi Faure va ouvrir le paysage universitaire en favorisant l’autonomie des universités et le développement de l’interdisciplinarité avec comme conséquence l’émergence de nouvelles formations et institutions. En 1969, se crée l’Institut d’aménagement régional (IAR) à Aix-en-Provence, devenu ensuite Institut d’urbanisme et d’aménagement régional (IUAR) et qui devrait se transformer en Institut méditerranéen de la ville et des territoires (IMVT) dans le cadre d’un déménagement à Marseille pour se rapprocher des formations en architecture et en paysage. Toujours en 1969, le Centre d’Études Supérieures d’Aménagement (CESA) est créé à Tours, il devient ensuite un département et une formation d’ingénieur de PolyTech Tours. En 1970 une UER « urbanisation-aménagement » fait son apparition à Grenoble alors que la ville connait une forte effervescence (Buyck et al., 2018), il devient ensuite Institut d’urbanisme et enfin Institut d’urbanisme et de géographie alpine (IUGA) en 2017. De même, en région parisienne, l’année universitaire 1968-1969 voit la création du « département d’urbanisme du Centre Universitaire Expérimental de Vincennes » qui devient ensuite l’Institut Français d’Urbanisme (IFU) et plus récemment encore l’École d’urbanisme de Paris (EUP) en fusionnant avec l’IUP.
20Ces formations et écoles se réunissent dans des associations qui participent à la reconnaissance et à la légitimation du champ. Depuis 1969, l’ACSP rassemble l’ensemble des acteurs universitaires américains. Les liens avec la pratique sont forts ; ainsi jusqu’en 1981 le congrès annuel de l’association est commun avec l’American Institute of Certified Planners et l’American Planning Association. En France, l’APERAU est créée en 1984 (Paris, 2010). Elle réunit alors les six institutions et devient une association internationale francophone en 1997 (avec 32 institutions en décembre 2018 dont 21 en France) offrant des formations en urbanisme et aménagement sur une base pluridisciplinaire. De même qu’en Amérique du Nord, un des objectifs était de « répondre à des critiques formulées dans les milieux professionnels sur la qualité de la formation en urbanisme et aménagement »1. À l’échelle européenne l’AESOP est créée en 1987 avec l’objectif de promouvoir et de développer un enseignement de qualité (Geppert et Cotella, 2010).
21Par ailleurs, dans le contexte universitaire français centralisé, la reconnaissance du champ disciplinaire passe par son intégration dans le Conseil National des Universités (CNU) qui est organisée en différentes sections. L’aménagement et l’urbanisme sont d’abord une sous-section de la géographie avant d’être intégré dans une section dédiée à partir de 19922. C’est un lieu important de débat sur la délimitation et la reconnaissance, voire la légitimation, du corpus scientifique du champ notamment lorsqu’il s’agit de délivrer les qualifications aux fonctions de Maître de conférences ou de Professeur des Universités3.
22L’émergence d’un champ universitaire plus large et plus autonome pose donc la question du corpus scientifique et de l’épistémologie de l’aménagement.
23La mobilisation des théories sert ainsi à la structuration de l’aménagement comme champ disciplinaire. Il permet l’affirmation de sa spécificité et de son indépendance par rapport aux autres champs, notamment la géographie ou l’architecture, ou encore les études urbaines qui sont très présentes dans le monde anglo-saxon (Collet et Simay, 2013). Dans le monde anglophone, ce processus de structuration et de reconnaissance est organisé avec un système d’accréditation4 des écoles et des formations en urbanisme. Cette labellisation est importante pour les universités car cela conditionne l’accès aux ordres professionnels et l’obtention du titre d’urbaniste. En France, il faut noter l’émergence de l’ Office Professionnel de Qualification des Urbanistes (OPQU)5 mais ce label ne conditionne pas l’utilisation du titre d’urbaniste et est donc beaucoup moins stratégique dans les carrières professionnelles ou la définition des programmes universitaires. Plus que l’OPQU c’est plutôt la liste des formations donnant accès aux concours de la fonction publique territoriale qui peut s’avérer discriminant avec le concours d’ingénieur territorial qui est maintenant réservé aux écoles d’ingénieur6.
24La charte définissant les critères d’accréditation des formations américaines insiste donc sur les objectifs pédagogiques de transmission de savoirs, de compétences et de valeurs propres à l’aménagement : « Planners integrate knowledge, skills and values to anticipate the future and improve the quality of decision-making affecting people and places. They understand the dynamics of cities, suburbs, regions, and the theory and practice of planning. They attend to the diversity of individual and community values. They develop and implement ethical plans, policies and processes. The minimum curriculum criteria below reflect these educational goals. » (PAB, 2012 :7).
25Les institutions universitaires proposant des formations en aménagement en Amérique du Nord ont donc la nécessité de développer des questionnements propres à la pratique de l’aménagement et ne peuvent pas uniquement associer différents enseignements disciplinaires ou pluridisciplinaires qui auraient la ville ou le projet comme point commun. La référence à l’enseignement des théories de la planification y est même explicite lorsqu’il s’agit de présenter le premier objectif d’une connaissance globale en aménagement :
26« General planning knowledge: The comprehension, representation, and use of ideas and information in the planning field, including appropriate perspectives from history, social science, and the design professions.
a) Purpose and Meaning of Planning: appreciation of why planning is undertaken by communities, cities, regions, and nations, and the impact planning is expected to have.
b) Planning Theory: appreciation of the behaviors and structures available to bring about sound planning outcomes.
c) Planning Law: appreciation of the legal and institutional contexts within which planning occurs.
d) Human Settlements and History of Planning: understanding of the growth and development of places over time and across space.
e) The Future: understanding of the relationships between past, present, and future in planning domains, as well as the potential for methods of design, analysis, and intervention to influence the future.
f) Global Dimensions of Planning: appreciation of interactions, flows of people and materials, cultures, and differing approaches to planning across world regions. » (PAB, 2012 :8).
27Du côté du réseau universitaire francophone de l’APERAU, l’acte fondateur de l’association renvoie à l’adoption d’une « charte enrichie tout au long des 30 dernières années par des discussions avec des partenaires publics (ministères en charge de l’urbanisme ou de l’enseignement supérieur) et les organisations de la profession et le débat entre institutions universitaires de différents pays lorsque en 1997, au congrès « refondateur » de Tours, l’APERAU est devenu internationale, avec l’entrée de membres d’Afrique du Nord et du Québec. »7 . Le contenu de la charte8 fait donc référence à « la construction d’une culture commune » en aménagement et au « souci de développer la recherche dans le champ de l’aménagement et de l’urbanisme et d’intégrer les apports de la recherche à l’enseignement ».
28Au terme de cette première partie nous avons pu constater que les différents champs (professionnel, universitaire et disciplinaire) pouvant caractériser l’aménagement et l’urbanisme ne sont pas évidents car ils relèvent d’une épistémologie encore assez trouble. Cependant, le recours aux théories participe à la structuration du champ, à sa délimitation mais aussi à sa légitimation. Dans la partie suivante, nous nous intéressons plus spécifiquement aux usages des théories dans les pratiques pédagogiques.
29Cette seconde partie porte sur les usages pédagogiques des théories qui permettent de questionner l’épistémologie de l’urbanisme et surtout d’interroger les modèles et modalités de l’action afin de pouvoir poser les bases d’une posture réflexive.
30Les interrogations sur l’épistémologie de l’urbanisme comme étant potentiellement une discipline spécifique renvoient notamment à l’existence d’un corpus théorique qui lui serait propre. Dans une étude des différents critères pouvant justifier une existence disciplinaire propre, Simin Davoudi note en troisième point la question des théories : « theories and concepts that help them organize their specialist knowledge effectively » (Davoudi, 2015 : 3). Aujourd’hui, la position dominante sur cette question considère que l’urbanisme et l’aménagement sont avant tout une pratique et dissipe cette ambition d’une quelconque indépendance disciplinaire : « L’idée d’une grande science de synthèse qui engloberait tous les savoirs de l’urbanisme et qui s’imposerait aussi bien aux praticiens qu’aux chercheurs a désormais fait long feu » (Bourdin, 2015 : 13).
31Cette vision s’inscrit dans la représentation de l’urbanisme comme étant fondamentalement pluridisciplinaire et tourné vers l’action. Ce trouble épistémologique (Devisme, 2010) a forcément un impact sur les enseignements du champ et sur les savoirs à transmettre qui sont donc multiples et peuvent apparaître comme manquant d’évidence (Pinson, 2004) : « le rôle spécifique d’une démarche scientifique appliquée à l’urbanisme peut se définir comme la capacité d’aller chercher dans les diverses disciplines et interdisciplines scientifiques les contenus qui permettront au corps des savoirs techniques et méthodologiques de l’urbanisme de se renforcer, de se structurer et d’évoluer » (Bourdin, 2015 : 7).
32Les enseignements en urbanisme mobilisent donc de larges corpus afin de donner une large culture générale sur la ville et le projet avant d’interroger le sens de l’action elle-même : « La thématique de la planification pose différentes questions sur la manière de prendre les décisions (cela renvoie à la science politique : qui décide ?), l’usage des savoirs et des expertises dans la décision (toute la question du rapport entre science et politique), la manière dont sont conduites les politiques publiques et l’action collective (la "science administrative" et la sociologie des organisations), l’évaluation de leurs effets sur le territoire et la société (à travers principalement, la sociologie et la géographie ). » (entretien 2.2).
33Ainsi le champ disciplinaire de l’urbanisme est d’abord défini par la diversité des pratiques plus que par une hypothétique discipline : « c’est une "praxis" (comme la médecine) et que pour cette raison, il ne faudrait pas clore un champ théorique propre (car ce n’est pas une discipline scientifique, à la manière de la biologie ou de la sociologie) mais donner à nos étudiants (et aux urbanistes en général) les outils théoriques qui permettent d’interroger la pratique de l’urbanisme dans ses multiples dimensions (éthiques, sociales, environnementales, etc.) » (entretien 2.2).
34Questionner la diversité des pratiques de l’urbanisme ferait alors de celui-ci une discipline d’abord clinique qui, à la manière de la médecine clinique, se forme et se transforme à partir de l’action et des problèmes concrets qu’elle rencontre. Ainsi, l’étude des réalisations et des problèmes qui peuvent apparaitre renvoie en premier lieu à la dimension substantielle de l’aménagement.
- 9 Le concept de pratique sociale de référence a été conçu par Jean-Louis Martinant pour répondre à un (...)
35L’étude des instruments de la planification et du projet occupe une place importante dans l’enseignement de l’aménagement. Dans les faits, il y a un aller-retour constant entre connaissances et actions. Ainsi, nous pouvons noter la mobilisation de cas ou d’exemples comme étant un élément central des pratiques pédagogiques (Leininger et al.,2016). Cas et exemples se présentent donc comme un moyen de convoquer dans les enseignements, le terrain ou plutôt les démarches de projet sur l’espace. Au-delà du projet, ce sont les questions des modèles d’action et de ville qui apparaissent comme des pratiques sociales de référence (Martinand, 1986) sur lesquelles se construisent les enseignements par le recours à de nombreux cas et exemples9. Finalement, le recours aux cas et exemples n’a de sens que si les étudiants sont capables de les situer par rapport à des concepts, des modèles et des débats théoriques.
36Cette dimension substantielle correspond donc souvent à l’étude des modèles. À cet égard, on peut noter le travail réalisé par Françoise Choay dans son ouvrage « L’urbanisme, utopies et réalités » (1965) qui présente une « synthèse claire et ordonnée des courants d’idées apparemment disparates et hétéroclites qui, depuis les débuts de la révolution industrielle, ont l’urbain pour objet (...) plus fondamentalement, c’est une thèse : l’urbanisme du XXe siècle n’est pas ce qu’il croit être – réponse nouvelle à des problèmes nouveaux – mais, pour l’essentiel, reprise, répétition, de configurations discursives inconscientes nées au siècle précédent, que Françoise Choay nomme modèles » (4e de couverture de l’ouvrage, présentation par l’éditeur). Aujourd’hui encore, le travail de Françoise Choay apparait systématiquement dans les bibliographies proposées aux étudiants et semble largement incontournable dans les pratiques pédagogiques (Carriou et Ratouis, 2016).
37L’approche historique des différents courants et modèles permet donc de relativiser les débats contemporains et notamment les nouvelles injonctions contemporaines (Carriou et Ratouis, 2014). Nous pouvons penser aux concepts de villes durable, créative, résiliente ou intelligente qui sont désormais des modèles dominants de la pratique sans forcément faire toujours l’objet d’un regard critique : « L’étude de la ville ne peut se satisfaire de discours aseptisés, consensuels ou politiquement corrects : le développement durable, la mixité sociale, le multiculturalisme… Le capitalisme mondialisé contemporain affecte si profondément les espaces urbains que l’idéal de liberté, de rencontres et d’émancipation que suppose la ville semble progressivement s’évanouir. Les textes étudiés dévoilent et, souvent, contestent les nombreuses contradictions spatiales et urbaines que le système capitaliste néolibéral produit et reproduit. (...) Ces approches nourrissent ainsi ce qu’on pourrait appeler une véritable analyse critique de l’urbain, et indirectement une critique profonde des sociétés urbaines contemporaines. » (Théories urbaines, 2014, Université Paris 10).
38Souvent ces enseignements théoriques sont abordés du point de vue historique comme dans ce cours de niveau M1 où les objectifs pédagogiques sont de :
39« - Permettre aux étudiants de tisser leur réflexion et leur future pratique professionnelle à partir d’un canevas intellectuel fondé sur l’évolution chronologique des courants de pensées et des interventions urbanistiques depuis l’origine jusqu’à nos jours.
- A travers une approche chronologique, acquérir les fondamentaux de l’histoire de l’urbanisme, qui permettront ensuite à chaque étudiant de pousser plus loin son savoir selon son intérêt spécifique. » (Histoire de l’urbanisme, 2016, Université Paris-Sorbonne). Dans ce cas, le détail des séances renvoie alors essentiellement à la substance des politiques urbaines plus qu’aux modes d’intervention.
40Au-delà des théories de l’urbanisme, nous avons pu observer quelques références à la planification spatiale. Toujours en Master 1ère année à l’Université Paris-Sorbonne, un cours s’intitule « planification urbaine » mais les objectifs sont plutôt opérationnels et ne semblent pas questionner prioritairement les modalités de l’action :
41« - Appréhender la planification urbaine et comprendre son évolution.
- Maîtriser les outils de l’urbanisme réglementaire
- Comprendre le rôle de la planification stratégique » (Planification urbaine, 2016, Université Paris-Sorbonne).
42C’est souvent par un détour international que les théories de la planification permettent de prendre de la hauteur et de remonter en généralité, notamment en développant une approche comparative qui permet de questionner les situations nationale ou locale : « dans le cadre d’un cours d’analyse comparée des politiques urbaines, la planification fait partie des thèmes abordés. Revenir sur les théories permet de faire comprendre aux étudiants l’évolution des conceptions au cours du temps ; et aussi de situer les pratiques actuelles dans des pays précis (Inde, Angleterre, France,..) par rapport à ces modèles. Les styles de planning renvoient à des modèles différents, pas seulement à des degrés de décentralisation divers. » (entretien 2.1).
43Finalement, du point de vue substantiel, les enseignements théoriques, et notamment ceux portant sur les théories de la planification urbaines, permettent d’interroger les impensés ou non-dits des savoirs opérationnels mais aussi performatifs. Ces interrogations sur le rôle des utopies (Friedman, 2000) et des postures visant la normativité (Martouzet, 2002 ; Pinson, 2018) dans la discipline permettent de prendre de la distance avec ce qui est représenté par les « best practices » des bons plans et bon projets dans de bonnes villes.
44Au-delà de la prise de distance par rapport aux concepts et modèles développés dans la pratique, le recours aux théories de l’urbanisme et de la planification permet aussi de s’intéresser à la dimension procédurale de l’aménagement qui renvoie aux acteurs, processus et procédures de l’aménagement. Il s’agit de déplacer l’attention de l’enseignement de l’urbanisme comme un champ de connaissances techniques ou instrumentales et de se concentrer sur la manière dont les urbanistes développent ces « savoirs de pratiques ». Les théories permettent alors d’interroger la construction de ces savoirs, les modalités ou encore les finalités de l’action (Davoudi, 2015).
45En France, il est assez difficile de trouver ce type d’interrogations de manière explicite dans les documents de présentation des cours. Souvent cela peut être intégrée dans des enseignements d’histoire de l’urbanisme : « Après une brève histoire de la formation des disciplines et des métiers de l’espace aménagé, le cours abordera les enjeux et les difficultés du travail pluridisciplinaire. Il présentera ensuite les courants de pensée récents en urbanisme apparus tant en Europe qu’aux Etats-Unis après l’effondrement de la théorie du Mouvement moderne : théorie de la ville réticulaire, du projet urbain, du New Urbanism, de la Just City, du Collaborative Planning et leur relation avec la question du développement durable… » (Théories de l’urbanisme, 2005, Université d’Aix-Marseille). Plus généralement, nous pouvons penser que ces questions sur les acteurs, le sens et leurs modalités d’action ne sont pas nécessairement absentes des enseignements en France mais elles sont peut-être moins explicites car les références bibliographiques d’origine anglo-saxonne sont souvent très rares dans les bibliographies consultées.
46Dans le monde anglophone, ces interrogations sont plus présentes. À cet égard, nous pouvons noter que les enseignements associent souvent les dimensions théoriques et pratiques. Ainsi, dans un plan de cours (Planning Theories and Practice, 2010, Western Washington University) on retrouve l’objectif d’adopter une approche critique et théorique et deux questions sont posées : pourquoi et pour qui planifions-nous ? Le déroulé du cours permet ensuite d’interroger l’histoire officielle de l’aménagement et de la critiquer.
47Au-delà des séquences pédagogiques, l’apport des enseignements théoriques ne peut avoir de sens que s’ils permettent d’interroger la future pratique professionnelle des étudiants à l’issue de leurs études. Ce passage de la connaissance à l’action demande une interrogation et une traduction de ces savoirs dans un univers opérationnel. Il s’agit donc du développement d’une dimension réflexive quant à la pratique professionnelle de l’aménagement et de l’urbanisme.
48Au-delà des enseignements des théories de la planification, il existe un besoin d’une traduction de ces savoirs académiques vers l’action. Il s’agit d’une exigence de réflexivité (Schön, 1985), c’est-à-dire pour l’aménagement d’une interrogation sur l’usage des savoirs reçus et des enjeux qu’ils représentent pour l’action (Bourdin, 2015 : 14). Les entretiens menés auprès d’enseignant-chercheurs en urbanisme et en aménagement mettent en avant le contexte spécifique de formations à visée professionnelle où le développement d’une posture réflexive permet de donner du sens auprès de futurs praticiens en leur demandant « d’effectuer un pas de côté et d’interroger leurs pratiques » (entretien 2.4). Nous retrouvons cet enjeu à l’échelle des lieux de formation. Ainsi, lors de l’harmonisation de l’offre de master de l’EUP, une démarche centrée sur les compétences attendues chez les futurs professionnels a mis en avant un référentiel composé de cinq compétences. La cinquième fait clairement mention de la posture réflexive :
49« Compétence 5 : Développer une activité professionnelle responsable et pérenne
Dans la perspective d’assurer son intégrité professionnelle dans le temps.
Principes :
- En adoptant une démarche réflexive et critique
- En étant attentif à l’évolution du contexte d’exercice du métier
d’urbaniste et en mobilisant les ressources pour s’y adapter
(journée professionnelle, presse, réseau formation...)
- En assumant les responsabilités sociétales de l’urbaniste sur le plan légal, éthique et moral ».
50La posture réflexive est favorisée avec l’ambition de « favoriser l’engagement des étudiants dans leur formation par une réflexion sur leurs expériences, sur les compétences qu’ils y ont développées, et sur leur projet de formation et leur projet professionnel. » (Huchette et al., 2018 : 125). Les résultats de la mise en œuvre du référentiel montrent que le développement de cette posture passe par les interactions lors de l’atelier de mise en pratique professionnelle et bien sûr dans le regard critique porté pendant et à la suite du stage.
51Pour reprendre les principaux éléments de Donald Schön (1985) sur l’approche de la pratique réflexive. Il s’agit de permettre aux professionnels de comprendre comment ils utilisent leurs connaissances dans des situations pratiques et comment ils combinent l’action et l’apprentissage d’une manière plus efficace. Grâce à une meilleure réflexion, les professionnels sont en mesure d’identifier les connaissances qui sont incorporées dans l’expérience de leur travail afin qu’ils puissent améliorer leurs actions en temps opportun, développer une plus grande flexibilité et des innovations conceptuelles.
52C’est dans cette perspective que les théories de l’urbanisme et de la planification peuvent être mobilisées comme cadre d’analyse des projets et surtout du sens des pratiques. Dans les pratiques d’enseignement cela peut s’appuyer sur l’étude de projets qui sont utilisés comme des cas ou des exemples. Par ailleurs, dans le cadre de formations professionnelles, la pratique du projet est souvent au cœur des enseignements dans le cadre d’atelier (Gomes et Bognon, 2018) où les étudiants répondent à une commande et développent donc un projet avec bien souvent une proposition concrète d’aménagement ou de développement local. Les théories de la planification peuvent alors donner des ressources pour développer une posture réflexive en s’interrogeant sur la manière d’agir ou de réagir. Au-delà des aptitudes de l’urbaniste à faire du projet, les théories de la planification peuvent donc donner les clés de réflexion sur les attitudes de l’urbaniste dans sa pratique quant aux valeurs qui fondent ses choix, au pouvoir qu’il exerce, au sens et aux effets de son action et enfin à sa déontologie professionnelle.
53Les plans de cours sur l’enseignement des théories de la planification peuvent clairement faire référence aux ambitions réflexives dans le recours à ces enseignements :
54« The purpose of the course is to:
- Prepare you to develop, over the course of your further studies and your career, the habit of reflecting on your own planning practice to judge “how you are doing” in your role as a professional planner;
- Deliberately pause to examine our beliefs, goals, and practices, with the intention of improving the practice of planning;
- Encourage you to recognize the central importance of information and communication in the work of planners and to strive to continually improve the quality of your professional communication; and
- Alert you to the hidden influences that channel planners’ work, especially values and power structures that are embedded in conventional planning processes, community institutions, and “professional” modes of communication. » (Planning Theories and Practice, 2010, University of Wisconsin-Milwaukee).
55Le titre du cours peut même clairement faire référence à la posture réflexive comme étant l’objet mais surtout l’objectif d’acquisition de compétences du cours portant sur les théories de la planification :
56« Motivate students to become informed and “reflective practitioners” (Schön 1983, 1990) by critically understanding and becoming prepared to assume their responsibility as professional agents of urban transformation.
- Understand some of the main historical ideas and decisions/actions in the field of urban planning
- Analyze the effects they have had in placemaking practices and the wellbeing of communities
- Compose a growing toolkit of theoretical/analytical frameworks and experiences of urban planning to draw from and build upon to inform decision-making and action
- Envision new planning ideas to tackle some of the urban challenges of our time » (Histories & Theories of Planning: becoming a reflexive practitioner, Columbia University, 2014).
57À l’issue de cette deuxième partie nous avons vu que les théories de la planification permettent d’interroger les modèles, modalités et postures de l’action d’aménagement. L’intérêt réside évidemment dans le croisement de ces différentes dimensions car dans les faits toute théorie contient un mélange variable des deux. Il est alors possible de mixer ces deux dimensions afin d’analyser les rapports de force entre les acteurs, identifier qui gouverne, repérer les intérêts et groupes d’intérêts qui dominent les processus de construction de l’action publique afin d’accéder au sens et à la substance des pratiques de planification. En effet, il y a des acteurs parce qu’il y a de l’action, il convient donc d’étudier les acteurs (professionnels, politiques, civiques…) incarnés dans et par l’action effectivement mise en œuvre et déployée spatialement dans les différentes scènes de la planification territoriale.
58L’enseignement de l’aménagement et de l’urbanisme est encore relativement récent et ne peut pas s’appuyer sur un champ théorique clairement délimité et identifié. Il existe donc une tension entre un enseignement comme savoir (champ de connaissance ancré dans un contexte pluridisciplinaire en constante évolution) et/ou comme savoir-faire (outils, techniques, professionnels, procédures). Toutefois, des enseignements théoriques sont forcément présents dans l’offre de formations en aménagement et urbanisme. Ceux relevant des théories de la planification semblent faire l’objet de transferts vers la France et d’adaptation au contexte national.
59Le recours à ces corpus théoriques qui se veulent « disciplinaires » permet donc de participer à la légitimation et la structuration du champ de l’aménagement et de l’urbanisme en développant un savoir propre à l’action d’aménagement qui vient enrichir une connaissance forcément pluridisciplinaire. Cette prise de distance par rapport à la pratique permet à la fois d’interroger la substance et la matérialité des plans et projets mais surtout d’interroger les modalités éthiques et le sens des postures professionnelles.
60À l’heure où les modèles urbains invitant à imaginer et réaliser des villes plus durables, intelligentes ou encore créatives et alors que tout le monde ou presque prétend faire de l’aménagement : architectes, géographes, écologues, ingénieurs, informaticiens … la réflexion sur un enseignement de l’aménagement de qualité semble plus que jamais nécessaire (Bertolini et al., 2012). Les théories de l’urbanisme et de la planification semblent donc offrir quelques clés pour mieux penser les aptitudes et attitudes des futurs urbanistes et aménageurs ou de tous ceux qui participent à la construction des villes et des territoires.