- 1 Sur la question des métiers du développement territorial, et notamment des compétences, voir par ex (...)
- 2 L’ingénierie de territoire a été par exemple définie par la DATAR en 2004 comme étant « l’ensemble (...)
1Depuis la fin des années 90, l’université fait face à des enjeux voire à des injonctions croissantes en matière de professionnalisation et d’insertion des étudiants. Cette évolution a conduit nombre de formations à développer et à diversifier les formes d’accroche à la pratique et au terrain, que ce soit à travers l’intervention de professionnels, les stages, les ateliers et projets tutorés, la formation à l’entrepreneuriat, le lien à la recherche-action etc. Ce constat s’applique particulièrement aux champs professionnels marqués par une pluridisciplinarité obligée ou par une grande diversité de cadres d’exercice. La parole des praticiens ainsi que la confrontation au réel sont alors nécessaires pour permettre aux étudiants de se construire une représentation de leur devenir professionnel et ainsi adhérer au contenu de formation proposé. Les métiers de l’aménagement et du développement des territoires sont dans ce cas car ils se caractérisent par une très grande diversité, voire une nébuleuse, de structures, de missions et de statuts. Cela s’explique notamment par l’origine de ces professions, liée entre autres à des démarches militantes et à la mobilisation collective et qui s’est peu à peu institutionnalisée (Landel, 2007). Cette situation a été décrite et rendue célèbre par l’expression de « métiers flous » de G. Jeannot (2011). S’exerçant dans tous types de territoires (métropolitains comme ruraux), au sein de structures publiques, parapubliques, associatives ou privées, à l’échelle d’une région, d’un groupement de communes ou d’un quartier, ces fonctions aux intitulés le plus souvent très génériques (chargé.e de développement, chef.fe de projet, chargé.e de mission…) supposent de concilier à la fois des connaissances très diverses (domaines variés tels que urbanisme, transports, tourisme, écologie…, cadres institutionnels, procédures etc.), des méthodologies spécialisées (diagnostic territorial, concertation, évaluation de politiques publiques, cartographie…), mais également de solides aptitudes professionnelles et personnelles en termes de conduite de projet, d’animation et d’analyse de jeux d’acteurs1. Certains auteurs ont aussi pu parler de « métiers de l’entre » (Vanier, 2008) dans lesquels « créativité, engagement, confiance, réseau et improvisation » ont une grande prégnance, comme c’est le cas par exemple du métier d’urbaniste (Levy, 2016). De fait, les praticiens concernés sont issus de formations variées (géographie, aménagement, science politique, droit, économie…), ayant construit une spécialisation thématique à partir d’un cœur de métier de développeur, ou inversement. Depuis quelques années, la notion d’ingénierie de territoire2 est également mobilisée pour qualifier ces métiers, même si elle fait l’objet de d’acceptations diverses (Janin et al., 2011 ; Trognon et al., 2012).
- 3 Par exemple avec les lois relatives à la Modernisation de l’action publique territoriale et l’affir (...)
2Par ailleurs, ce monde professionnel, son organisation et ses pratiques restent profondément influencés par les évolutions institutionnelles et réglementaires qui se sont succédé au cours des deux dernières décennies en matière de structuration et de découpage administratifs, de répartition des compétences3 ou de management (Epstein, 2013 ; Pesqueux, 2006). A ces évolutions structurelles se sont ajoutées d’une part, une multiplication et une complexification des domaines et des échelles d’intervention et d’autre part, des transformations fonctionnelles liées aux mutations technologiques, économiques et sociétales. En parallèle, les pratiques politiques et collectives imposent de plus en plus d’associer les acteurs, les habitants ou les usagers à la prise de décision.
- 4 On considèrera l'alternance/apprentissage comme une modalité particulière de stage dans la mesure o (...)
3C’est à partir de ce champ professionnel particulièrement tributaire et représentatif de la complexité et de la labilité du « monde réel » que nous proposons d’interroger cette forme privilégiée de lien entre l’université et les acteurs socio-économiques que constitue le stage professionnalisant. Elément déterminant et étape clé du processus de professionnalisation (Rose, 2014), le stage4 est un dispositif pédagogique de plus en plus répandu, et ce malgré une très forte hétérogénéité (durée, statut, contenu…). Il concernait près de 80 % des diplômés en 2010 interrogés en 2013 dans l’enquête Génération du Céreq (Bene, 2017). Par ailleurs, il joue un rôle pour l’insertion professionnelle au moins aussi important que la mobilisation des réseaux personnels ou liés la formation. A titre d’exemple, l’embauche suite à un stage concernait un quart des recrutements des jeunes urbanistes (CNJU, 2014). Symétriquement, les changements profonds ainsi que la complexification croissante de l’action publique territoriale évoquée précédemment, conjugués à une contraction des moyens humains et financiers mobilisables, conduisent les structures publiques comme privées à avoir recours à la « ressource stage » de manière croissante. Celle-ci permet en effet de disposer à moindre coût d’une force de travail flexible et motivée, mais également de « matière grise » et dans une certaine mesure d’expertise, mais également d’un outil de prise de recul et de « regard extérieur » précieux. Le stage permet ainsi à la structure d’accueil de bénéficier d’une ingénierie complémentaire tout à la fois d’appoint et d’appui (Bourdat, 2008). On peut dès lors imaginer que l’intervention des stagiaires universitaires au sein des structures d’accueil est susceptible de constituer un facteur, un vecteur ou un révélateur d’évolution sinon d’innovation dans les pratiques professionnelles et, en l’espèce, plus largement dans les politiques publiques territoriales.
4De nombreux travaux - en sociologie, en sciences de l’éducation ou encore en gestion - se sont penchés sur les relations entre stage, formation et professionnalisation et/ou insertion professionnelle, même si ces interrelations apparaissent complexes et loin d’être mécaniques (De Briant et Glaymann, 2013). A la différence de ces travaux, nous ne mobilisons pas les stages comme clé de lecture du parcours de formation ou d’insertion professionnelle, mais nous faisons plutôt l’hypothèse qu’ils peuvent être « témoins intimes » des réalités et des mises en tension au sein des sphères socio-professionnelles concernées. S’agissant du domaine de l’ingénierie de territoire considérée au sens large (les formations portant pour tout ou partie sur des thématiques à caractère territorial), la généralisation de l’obligation des stages dans nombre de masters et de licences permet d’envisager ceux-ci comme une source potentielle d’information originale et « de première main » sur les pratiques professionnelles et leurs évolutions. Dès lors que l’on dispose des éléments de base relatifs au stage (structure, contexte, contenu), il devient alors possible de différencier dans l’analyse les types et tailles de structures (public, associatif, privé), de terrains et de thématiques. Dans la continuité de travaux comme ceux de D. Badariotti et al. (2015), nous proposons une focale assez fine mais également originale dans la mesure où les données relatives aux stages -et surtout à leur contenu effectif- ne font que rarement l’objet d’une exploitation scientifique ou opérationnelle, tant par les universités que par les branches professionnelles. Pour ce faire, nous avons mobilisé un matériau empirique sur le champ de l’ingénierie de territoire, issu du croisement de deux sources de données : les enquêtes annuelles de l’Observatoire des Stages en aménagement et développement Territorial de l’ex Région Rhône-Alpes (ObSTer), ainsi qu’une enquête et une série d’entretiens auprès de cadres territoriaux à l’échelle nationale.
5Dans un premier temps, nous reviendrons brièvement sur les vocations du stage, puis, après avoir exposé la méthodologie, un troisième temps montrera que, considérés dans leur globalité et leur diversité, les stages peuvent constituer des révélateurs pertinents des pratiques et des transformations à l’œuvre dans l’action publique territoriale. Un quatrième temps abordera plus spécifiquement la place du stage et du stagiaire dans les processus de changement, voire d’innovation, au sein des structures d’accueil. Nous conclurons en montrant que l’acculturation et le recours à d’autres modalités de coopération avec l’université qui peut s’opérer à partir de l’accueil de stagiaires constitue à plusieurs titres une opportunité pour les deux « mondes ».
6Entendu dans sa définition institutionnelle, le stage représente « une période temporaire de mise en situation en milieu professionnel au cours de laquelle l’élève ou l’étudiant acquiert des compétences professionnelles et met en œuvre les acquis de sa formation en vue d’obtenir un diplôme ou une certification et de favoriser son insertion professionnelle » (Art. L124-1 du code de l’éducation). Il est classiquement présenté comme articulant les logiques de trois acteurs autour d’un « triangle » que sont l’élève/étudiant, la structure d’accueil et l’organisme de formation (Glaymann, 2015).
7Le premier acteur concerné est l’étudiant, pour qui le stage constitue un enjeu fort et pluriel pour son entrée dans le monde du travail. Comme le rappelle Escourrou (2008), le stage est à la fois une première expérience professionnelle et une occasion de mettre en pratique les compétences et connaissances acquises et/ou développées en formation. Le « stage mission ou projet » doit permettre à l’étudiant de devenir un professionnel au sens de G. Le Boterf (1999), c’est-à-dire d’être capable de « gérer une situation professionnelle complexe », puisque dans le cadre de son stage, l’étudiant doit « poser ou résoudre un problème ». Au-delà des questions de compétences, le stage a des apports multiples en théorie puisqu’il permet aussi aux jeunes de se socialiser, de développer leurs réseaux (sociaux et professionnels), voire d’accéder à un emploi à la fin des études (Giret et Issehnane, 2012). Toutefois, il n’en reste pas moins qu’il ne peut à lui seul résoudre toutes les questions de professionnalisation et d’insertion des jeunes sur le marché du travail, d’autres éléments liés à leurs parcours de « professionnalité » (Béduwé et Mora, 2017) ou à leurs appartenances sociales (Sarfati, 2015) étant également à prendre en compte.
8Le deuxième acteur concerné est la structure d’accueil du stagiaire, pour laquelle le stage peut sous certaines conditions constituer une véritable ressource. Dans les idées reçues, l’accueil de stagiaire apparait souvent comme un « devoir moral » et/ou une « charge » pour la structure. Or, dans les faits, même si l’encadrement du stagiaire nécessite un travail non négligeable pour le tuteur, le stagiaire n’en est pas moins un appui précieux à la réalisation d’activités ou de missions que les salariés ne peuvent voire ne savent pas assurer. Pour P. Domingo (2002), les usages des stages sont de natures différentes et on peut distinguer « quatre modes de recours » à des stagiaires : remplacement, renforcement de personnel, période d’essai avant un emploi et « expert externe » pour réaliser une étude. Par ailleurs, le regard « jeune » et « neuf » tout comme la « source d’idées nouvelles » est souvent évoqué. Ainsi, le stagiaire peut insuffler une dynamique et permettre à la structure de faire évoluer ses connaissances et ses pratiques grâce à la mobilisation de compétences de haut-niveau (Ingénieur, Master).
9Le troisième acteur concerné par le stage est l’organisme de formation dont l’étudiant est originaire (école, université, IUT etc.) et pour qui ce dernier peut être considéré comme une sorte de « cheval de Troie ». Instaurée par la loi relative aux libertés et responsabilités des universités dite LRU de 2007, la mission d’orientation et d’insertion professionnelle des étudiants est devenue un enjeu majeur, même si elle est difficile à concevoir et à mettre en œuvre, et si la gestion et le pilotage des stages restent parfois problématiques (Rose, 2014). Dans ce cadre, le stage est un dispositif essentiel, sans être le seul, qui permet aux établissements de compléter la formation, de favoriser l’insertion et de nouer des partenariats. Le réseau de professionnels créé grâce aux stages constitue une ressource non négligeable, aussi bien pour les responsables de département ou de filières (attractivité, réseau) que pour l’ensemble des enseignants-chercheurs concernés : « lien avec le terrain », meilleure connaissance des attentes et des besoins en formation, apports de connaissances renforcées sur des thématiques et sur les évolutions à l’œuvre (réseau pour développer d’autres activités partenariales telles que ateliers professionnels, contrats de recherche…).
10Par cette position d’interface, le stage permet alors la construction d’une information originale et nouvelle, et potentiellement partagée, sur les contenus, les évolutions ou encore les tensions à l’œuvre dans les champs professionnels concernés.
11Les données mobilisées proviennent de deux sources inédites et complémentaires : l’Observatoire des stages en aménagement et développement territorial et des enquêtes menées auprès de cadres territoriaux. Elles apportent toutes deux des informations relatives aux stages dans le champ de l’ingénierie de territoire, et de manière inductive, ont abouti aux différents axes de réflexion proposés dans ce texte.
- 5 ObSTer est piloté par la Direction des Politiques Territoriales de la Région Rhône-Alpes, il a voca (...)
12La première source de données de ce travail est l’Observatoire des Stages en aménagement et développement des territoires.
- 6 Ce chiffre assez élevé de 130 formations reflète la prise en compte de tous les parcours de licence (...)
13D’un point de vue méthodologique, ObSTer est alimenté par une enquête annuelle auprès des étudiants en ingénierie de territoire de l’ex région Rhône-Alpes, de niveau Licence professionnelle, Master 1 et Master 2, effectuant un stage. Plus de 130 formations à des degrés divers en lien avec l’ingénierie de territoires ont été identifiées, ce qui représente un total de près de 1 700 étudiants6. Neuf campagnes ont été menées (2007 à 2015) à partir d’un questionnaire en ligne. ObSTer compte à ce jour 1 253 fiches réponses valides issues d’une centaine de formations parmi les 130 sollicitées et de disciplines très diverses (urbanisme, géographie, économie, science politique, sociologie, architecture, agronomie, écologie droit etc.). L’échantillon est en majorité constitué d’étudiants de Master et d’écoles d’ingénieurs (Figure 1), ce qui s’explique évidemment par le fait que les stages sont réalisés le plus souvent en fin d’études.
Figure 1 : Répartition des étudiants par type de formation
Source : ObSTer, 2015
14Quantitatives et qualitatives, les questions couvrent des champs variés : identité de l’étudiant, structure d’accueil (statut, effectifs, source de l’offre de stage…), stage ou projet professionnel (mobilités et pratiques spatiales liées aux stages par exemple concernant l’hébergement), caractère innovant ou inédit de la mission et compétences mises en œuvre (intitulé et type de la mission, caractéristiques de la mission, connaissances et compétences mobilisés et acquis, place et rôle du stagiaire dans la structure, suivi du tuteur professionnel, suivi du tuteur académique, difficultés rencontrées…). Précisons qu’il s’agit d’une enquête en ligne sur une base volontaire et déclarative avec les limites associées en termes de validité des données, et dont la structure a par ailleurs pu évoluer au fil des années, rendant certaines corrélations délicates.
- 7 Les compétences sont appréhendées ici comme étant les combinaisons actives de ressources, qualités (...)
15L’observatoire permet donc de collecter des informations sur les missions réalisées et les compétences7 mobilisées, utiles à tous les acteurs du développement territorial pour leur ingénierie et leur territoire (Goulinet-Mathéo, 2011). Et comme M. Bourdat (2008) le précise, un observatoire des stages était nécessaire car, si la contribution des stages à la R&D dans les entreprises se concrétise naturellement avec des procédés ou des brevets, dans le champ de l’ingénierie de territoire, la valorisation des innovations et des avancées méthodologiques issues des stages ne peut s’opérer qu’au travers « d’un dispositif spécifique de repérage, de capitalisation et de diffusion de ces informations spécifiques ».
16La seconde source de données est une approche qualitative et complémentaire à ObSTer. Une enquête a été engagée dans le cadre d’une thèse (Morin, 2016) afin de comprendre et d’analyser les pratiques de (non)coopération entre structures ou professionnels de l’action publique locale et acteurs de l’université (enseignants-chercheurs et étudiants). Une partie de cette enquête était consacrée au recours aux stagiaires par les collectivités territoriales.
- 8 Cette enquête a été réalisée en lien avec le réseau UniTeR-RA et avec l'Assemblée des Communautés d (...)
- 9 Officialisés en 1995 par la loi Pasqua, les Pays sont des territoires de projet qui peuvent être gé (...)
17Dans un premier temps et avec l’aide d’associations de collectivités8, un questionnaire a été diffusé auprès des cadres de l’intercommunalité et des Pays9 (335 cadres ont répondu : 245 issus de l’intercommunalité et 90 issus de Pays). Il s’agit là aussi d’une enquête auto-administrée en ligne.
18Dans un second temps, une vingtaine d’entretiens semi-directifs ont été conduits afin de mieux comprendre les raisons mais également les différentes modalités de sollicitation des acteurs universitaires par les cadres territoriaux (tout autant que les situations où aucune collaboration de ce type n’existe). D’une durée moyenne d’une heure et demie, ces entretiens intégraient différents ensembles de questions : analyse des pratiques de coopération avec le monde de l’ESR, de la place de ces coopérations dans l’exercice de la profession de la personne interrogée, liens entre connaissances et instrumentation de l’action publique locale. Ces entretiens ont été retranscris intégralement afin de pouvoir les traiter avec un logiciel d’analyse qualitative et ainsi fournir des éléments de verbatim illustrant nos analyses.
19En lien avec les éléments de définition proposés en introduction, l’ingénierie de territoire implique une large diversité d’acteurs, et donc de structures d’accueil, mais également de missions et de thématiques.
20Même si les structures publiques d’Etat et des collectivités représentent près de 53 % des structures d’accueil (Figure 2), les stages ont été réalisés dans un large panel d’organisations, aussi bien mixtes ou parapubliques (chambres consulaires, agences d’urbanisme, agences de développement économique, maisons de l’emploi et de la formation…) qu’associatives (fondations, fédérations agricoles, comités d’expansion, ONG…) ou encore privées (bureaux d’études, cabinets d’architecture, exploitants d’infrastructures, opérateurs, grandes entreprises de services…).
21Dans le secteur public, tous domaines confondus, les collectivités territoriales arrivent en tête pour le recours aux stagiaires puisqu’elles totalisent à elles seules près de 44 % du panel des répondants, du fait à la fois des contraintes budgétaires et des nouvelles compétences dévolues au travers des lois de décentralisation successives.
Figure 2 : répartition des stages par type de structure d’accueil
Source : ObSTer, 2015
22Par ailleurs, l’enquête auprès des cadres territoriaux a mis en avant que 63% des 350 répondants avaient déjà accueilli des stagiaires au moment de leur réponse. Notons néanmoins qu’il ne s’agit d’une démarche proactive (c’est-à-dire l’émission d’une offre de stage) que dans moins d’un cas sur deux (46%), les autres stagiaires étant recrutés sur candidature spontanée (54% des cas).
23L’observatoire a fait apparaître que près des deux tiers de stages sont réalisés dans les aires urbaines de Lyon, Saint-Etienne et Grenoble, alors même que les problématiques et enjeux du développement territorial concernent tous les types de territoires (Figure 3).
Figure 3 : Répartition des stages par types de territoires
Source : ObSTer, 2015
24Les étudiants ont tendance à privilégier la proximité pour le stage. Pour réaliser leurs études dans une métropole universitaire, 40 % des étudiants parcourent plus de 70 km depuis leur lieu d’origine (que l’on estime être la commune où ils ont passé leur baccalauréat). Or, quand il s’agit de réaliser un stage, les étudiants préfèrent rester au sein de leur métropole d’étude. Cela s’explique assez naturellement par des raisons personnelles liées à l’hébergement et à la vie sociale, mais également du fait de la densité d’offres ou de structures d’accueil et des contacts professionnels développés grâce à la formation (intervenants extérieurs par exemple). Tout concoure donc à conforter un tropisme métropolitain. Ceci n’est pas non plus sans poser question quant à la forte concurrence entre les étudiants que cela peut entraîner parfois pour une même offre de stage ou pour une même structure (certaines comme les Conseils régionaux, des parcs naturels régionaux péri-urbains ou des agences d’urbanisme étant extrêmement sollicitées).
25Cependant, la corrélation entre le lieu d’origine et le lieu de stage permet de constater que les étudiants peuvent aussi avoir tendance à se rapprocher de leur lieu d’origine pour réaliser leur stage. Près de 35 % des stagiaires interrogés ont ainsi effectué leur stage dans une commune située à moins de 20 km de leur commune de résidence au moment du baccalauréat, afin notamment de profiter de conditions logistiques favorables (hébergement dans le réseau familial et/ou amical, réseau de connaissances, cadre de vie et loisirs…).
26Les réponses à la question portant sur le domaine d’intervention principal du stage témoignent de la très grande diversité thématique (Figure 4). Les principaux domaines traités durant les stages concernent l’environnement, l’urbanisme/aménagement, le développement territorial et la mobilité. On note que le développement rural perd près de 10 points sur la période 2007-2013, passant de 12% à 2%.
Figure 4 : Répartition des missions de stages par grands domaines
Source et données : ObSTer, 2015
27Les détails fournis sur les missions (sujet, contexte, objectifs, productions finales…) constituent un matériau intéressant aussi bien pour les acteurs socio-professionnels que pour les enseignants-chercheurs car permettant de repérer des signaux faibles s’agissant des évolutions des thématiques concernées, des pratiques professionnelles ou des compétences mobilisées. Par exemple, concernant la mobilité, la création d’un site partagé de co-voiturage, l’étude de la piétonisation d’un quartier ou encore le développement de la mobilité douce sur certains territoires étaient des missions davantage présentes en 2014-2015 qu’au début de l’observatoire. Hormis chez D. Badariotti et al. (2015), il s’agit là d’un point très peu soulevé dans les travaux portant sur les stages.
28Notons également que les missions des stagiaires sont très souvent liées à des instruments, outils et dispositifs classiques du développement territorial ou de l’action publique locale. Les stagiaires sont fréquemment sollicités pour réaliser ou contribuer à un diagnostic territorial, une charte (ex. de Pays), une évaluation (ex. de programme Leader), une démarche prospective (ex. dans le cadre d’une politique de transition énergétique), un document réglementaire (ex. plan local d’urbanisme). Cela confirme que le recours aux stages constitue bien une forme « d’ingénierie territoriale complémentaire » (Bourdat, 2008).
29Le stage peut donc être un révélateur des réalités plurielles de l’ingénierie de territoire, mais également des transformations de ce champ professionnel et des tensions qui peuvent le traverser. Ainsi, les stagiaires sont investis sur des missions qu’ils déclarent dans près de la moitié des cas « innovantes ou inédites », tout au moins du point de vue de leur structure d’accueil. Ce caractère inédit/innovant semble souvent plus marqué lorsque la structure ou le territoire est présenté comme connaissant un contexte de crise. Le stage peut ainsi être conçu comme relevant, de la part des structures et des praticiens, d’une stratégie d’adaptation à évolutions venant questionner les pratiques ou postures professionnelles usuelles (Morin, 2016).
30Bien qu’il s’agisse de réponses déclaratives et non basées sur une définition a priori de l’innovation, près de la moitié des missions de stage sont déclarées comme inédites ou innovantes par les stagiaires. Par ces adjectifs, il ne s’agissait pas de s’interroger sur l’innovation en tant que telle, mais plutôt de discerner de manière indirecte si le stage pour la structure concerne : une thématique jamais traitée localement, une thématique ou un sujet très peu traité par ailleurs, ou encore une solution nouvelle recherchée pour répondre à une problématique inédite.
31Les domaines d’intervention déclarés comme les plus innovants sont principalement le développement des activités sportives et touristiques, le développement durable, la protection de l’environnement et le développement social. A l’opposé, les fonctions qualifiées d’habituelles ou plutôt habituelles concernent plutôt des stages portant sur la gestion urbaine (eau, déchets, propreté, voirie), le développement culturel et patrimonial ou encore la coopération internationale.
32Ces différences se retrouvent en partie s’agissant des marges d’initiative laissées à l’étudiant dans sa mission. Celles-ci apparaissent là encore plus importantes dans les missions portant sur du développement touristique mais également économique, rural ou culturel, alors que les marges de manœuvre paraissent plus étroites dans des domaines comme la coopération internationale et décentralisée, la gestion urbaine, le développement social ou encore la mobilité et les déplacements.
33Contrairement à certaines idées reçues, c’est au sein des collectivités territoriales et des services déconcentrés de l’Etat que les stages sont déclarés inédits ou plutôt inédits (respectivement 55% et 50%), contre 37% au sein des structures privées (Figure 5). Le secteur privé est d’ailleurs le milieu professionnel où l’on demande le moins à l’étudiant de prendre des initiatives car les missions y sont plus encadrées.
Figure 5 : Caractère inédit ou innovant des missions de stage selon le type de structure d’accueil
Source : Morin Y., 2016
34Sans viser à l’exhaustivité, les réponses aux questions ouvertes de l’enquête permettent d’apprécier la pluralité des justifications de ce caractère inédit ou innovant :
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une mission à caractère nouveau dans l’absolu
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une mission à caractère inédit ou innovant pour la structure
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avec une redynamisation des dynamiques locales et du jeu d’acteurs.Par exemple,dans le cadre d’un stage au sein du service urbanisme d’une communauté d’agglomération, un stagiaire était en charge d’une partie de l’élaboration d’un plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) autour de la notion d’optimisation foncière : « C’est un travail à caractère innovant dans le sens où il faut construire quelque chose avec les élus, les sensibiliser et agir dans le sens de l’optimisation foncière… Il s’agit d’un travail très intéressant et enrichissant (…) Mon sujet et le travail que je mène ne peuvent que m’apporter puisqu’il est innovant pour les élus. Tout n’est pas à faire mais je participe activement à ce qui a été engagé dans le cadre de l’élaboration du PLUi ».
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avec de l’expérimentation au sein de la structure ou de la mise a mise en lumière de pratiques peu organisées. Par exemple, dans le cadre d’un stage de fin d’études d’un cursus d’ingénieur agronome au sein d’un chambre d’agriculture, un étudiant déclare avoir été en charge du développement d’actions et de services pour favoriser l’autonomie alimentaire des élevages herbivores. Pour lui, le caractère inédit/innovant de sa mission a résidé dans le fait d’organiser ce travail au sein de la structure et auprès des éleveurs. Il déclare « Il s’agit d’actions courantes au sein de la chambre mais qui n’avaient jamais été organisées (pas de comité de pilotage, pas de suivi) ».
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avec la mise en place d’outils nouveaux pour la structure. Par exemple, un diagnostic sur la biodiversité dans les collèges du territoire X : sensibilisation à la nature, aménagement pour la faune, création de mares pédagogiques, plantation de haies champêtres et gestion des espaces verts. Ce diagnostic n’avait jamais été effectué sur ce territoire.
35Par conséquent, le stage sert souvent d’expérimentation pour la structure, dans une visée à court terme pour tester une idée, une méthode, et/ou dans une visée à plus long terme avant d’engager des moyens financiers ou humains dédiés.
36L’importance du développement de l’innovation dans le cadre des stages peut s’expliquer par la position particulière des stagiaires au sein de la structure qui leur permet de pouvoir d’expérimenter et inventer de nouveaux outils ou de nouvelles méthodes de travail sans mettre en péril l’institution ou l’organisation (Bourdat, 2008). Ces innovations dites « méthodologiques » vont être favorisées par le milieu et les apports universitaires acquis par l’étudiant et transmis par son tuteur avec sa casquette « chercheur ». Le développement des innovations méthodologiques au travers des stages est renforcé par le fait que l’ingénierie de territoire est moins cadrée par un formalisme scientifique ou procédural que des ingénieries plus techniques ou technologiques.
37De manière logique, les stagiaires accueillis au sein de collectivités territoriales sont attendus autour de missions précises, par exemple la réalisation d’un schéma directeur d’aménagement numérique, un diagnostic territorial sur le télétravail, le pilotage de la mission e-tourisme à destination de publics jeunes etc. Les cadres de collectivité interrogés reconnaissent également que l’accueil de stagiaires leur permet de « disposer de ressources humaines occasionnelles », de « temps-homme ».
38Mais, au-delà de ces apports en termes de force de travail, les cadres territoriaux estiment aussi que le recours aux stagiaires peut leur permettre de bénéficier d’un regard extérieur, décalé, renouvelé, qu’ils n’auraient pas forcément pu obtenir par d’autres moyens, et qui peut finalement reconstituer leur attente principale (Figure 6).
Figure 6 : Principales attentes des cadres territoriaux vis-à-vis des différents types de liens à l’enseignement supérieur (stages, ateliers, CIFRE)
Source : Morin Y., 2016
39Une des questions posées aux cadres territoriaux portaient sur les apports des stagiaires. Les citations se référant à cette notion de « regard renouvelé » y sont très présentes :
« Proposition de solutions auxquelles les habitudes ne permettent pas de penser instinctivement »
« Apport d’un regard extérieur et spécialisé dans des domaines pointus : pour le dernier en date dans le domaine de l’agriculture et des paysages »
« Regard neuf et spontané ; parfois apport de méthodes dernièrement enseignée dans leur université »
« Apport d’une culture nouvelle complémentaire à celle de l’équipe. Temps consacré à cet objectif spécifiquement »
« Mise en œuvre d’une idée nouvelle »
« Les étudiants ne se censurent pas dans leurs propositions, créativité, forte capacité de veille et de retour »
« Un regard neuf et critique sur certains systèmes de fonctionnement ont permis une remise en question et une amélioration du service même si au départ, la principale mission du stagiaire n’est pas de critiquer la structure qu’il intègre »
« Une certaine ouverture à la réflexion ».
40Ce constat se trouve renforcé lorsque les enquêtés peuvent présenter les stagiaires comme :
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actifs au sein de dynamiques territoriales d’action collective :
« Le dernier stagiaire accueilli a clairement permis une mise en réseau d’acteurs qui sont rarement amenés à se rencontrer (association d’aide au maintien à domicile et hébergeurs touristiques) »
« Echanges entre habitants et élus via les étudiants et leur regard neuf, réalisation et projection locale d’un film »
« Prise de conscience de l’intérêt à mutualiser une opération (signalétique cyclable) à l’échelle de plusieurs communautés de communes »
« Elles ont permis d’initier de nouveaux projets sur le territoire, plus efficacement et plus rapidement que si on avait dû les initier seuls »
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moyens de ré-interroger sa pratique professionnelle :
« La rencontre d’étudiants m’oblige à formaliser le travail que j’effectue »
« Nos services ont parfois été plus enclins à s’ouvrir soit à la formation, soit à la recherche de nouvelles solutions techniques ou technologiques »
« Fait progresser les équipes internes »
« Dynamisme de l’équipe de travail par une réflexion conjointe sur le sujet à traiter »
- 10 Ce que S. Ségas (2004), à travers sa sociologie de la justification, caractérise comme « la Grammai (...)
41D’un point de vue plus théorique, comme cela a été évoqué au début de cet article, ces résultats témoignent du « flou » qui entoure ces métiers et de la difficulté pour les cadres territoriaux « agent de développement » de situer leur pratique professionnelle entre « contact direct avec les acteurs du développement et tâches de coordination de diverses administrations » (Jeannot, 2011). Dans un contexte de tensions liées à l’institutionnalisation croissante et à la complexification des pratiques de développement local, le recours aux stagiaires semble donc perçu par ces professionnels comme un moyen de ré-ancrer leur pratique quotidienne dans une conception du métier liée à l’animation, à la mobilisation collective, et à l’intérêt général10.
42L’enquête ObSTer avait montré précédemment que très souvent le stagiaire considérait sa mission comme inédite ou innovante du point de vue de la structure. S’agissant de collectivités et de praticiens enjoints de repenser leur place et leur rôle sur les territoires, ce constat est ici enrichi d’éléments permettant d’envisager l’accueil de stagiaire comme un des moyens de les y aider.
43Enfin, les stages sont également envisagés par une partie des cadres territoriaux interrogés comme la première étape d’un partenariat avec le monde de l’université et de la recherche, renforçant en ce sens l’idée d’un parti pris chez ces personnes d’une pratique professionnelle intégrant expérimentation et « réflexivité » (Alter, 2010).
44Le stagiaire semble également agir comme initiateur et facilitateur de la relation entre monde académique et monde de l’action publique territoriale.
45De plus, la posture des cadres territoriaux vis-à-vis du monde de la recherche, tout autant que la préexistence de coopération, sont largement corrélées à une habitude d’accueil de stagiaires (Figures 7 et 8). Cela confirme l’idée que le stage peut constituer une première étape dans de lien entre l’université et le monde professionnel. Il s’agit là d’un apport innovant de cette recherche.
Figure 7 : Corrélation entre accueil de stagiaires et existence de coopérations avec le monde de la recherche
Source : Morin Y., 2016
Figure 8 : Corrélation entre posture des cadres territoriaux enquêtés vis-à-vis du monde de la recherche et habitude d’accueil de stagiaires
Source : Morin Y., 2016
46Des éléments plus qualitatifs issus d’une série d’entretiens illustrent ce résultat :
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Extrait 1 : Directeur général des services de communauté de communes en Région Centre
DC: J’ai eu des échos de collègues sur des formations ou des apprentissages sur la politique de la ville avec des retours très positifs, parce que peut-être que l’apprentissage peut être une forme de partenariat qui permette une relation avec l’université…
YM : L’apprenti comme vecteur ?
DC: Oui l’apprenti qui est dans la confrontation entre ce qu’il apprend au quotidien, les retours, les allers-retours avec le maître d’apprentissage… Avec une dimension au-delà du stage…
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Extrait 2 : Directeur général des services de communauté d’agglomération en Région Haute-Normandie
TC: Avec mon expérience préalable ça permet quand même de démystifier les choses, ce n’est pas l’Université, ce sont des hommes et des femmes, qui sont là… Et puis j’ai cette appétence-là. C’est vrai que parmi mes collègues, même si beaucoup sont universitaires, c’est vrai qu’on est quand même beaucoup le nez dans le guidon le fait d’être gestionnaire et moins visionnaire, il faut laisser un peu de temps, mais je pense que des travaux tels que ceux que l’on mène, ou alors on accueille des stagiaires, ça permet une première accroche, un premier lien avec le monde universitaire et de la recherche.
YM : D’accord, pour vous le stagiaire, c’est un vecteur d’accroche à l’université ?
TC : Oui dès lors que le tuteur universitaire est présent. On ne prend pas un stagiaire que pour un travail… C’est d’ailleurs un problème. Un des facteurs de cette distanciation entre le monde des collectivités et celui de l’université, de la recherche c’est qu’on est amené à prendre des stagiaires de manière régulière mais ils sont un peu en autonomie par rapport à leur tuteur universitaire. S’il y avait plus de liens en termes de méthodes avec le chef de service, le délégué, le directeur qui suit ça, ça permettrait de concevoir quelque chose au-delà de l’aspect stage…
47Si certains cadres territoriaux envisagent le stagiaire comme un vecteur de liens plus affirmés vers le monde de l’université et de la recherche, ils regrettent néanmoins le manque de suivi pédagogique et de liens avec la structure de formation.
« Je n’ai pas l’impression d’avoir coopérer avec l’enseignement supérieur mais plutôt avec un étudiant qui en sort. C’est-à-dire que je pense que l’on manque de relation en amont avec l’équipe d’enseignement qui encadre pour se fixer de vrais objectifs communs comme l’implique concrètement les méthodes de développement de projet. En l’absence de cette mise au point, on peut observer des décalages entre les compétences opérationnelles des stagiaires et la mission qui leur est confié (en restant réaliste sur le fait que c’est une 1ère expérience professionnelle) ».
« (...) toutefois, la réussite de cette collaboration dépend beaucoup de l’implication de l’enseignant et de sa capacité à apporter de l’innovation par ses travaux de recherche ».
« Les formations universitaires nécessitent souvent un accompagnement très important. Les grandes écoles apportent une méthodologie souvent supérieure aux attentes et permettent de découvrir le sujet de stage sous des angles nouveaux ».
« Les stagiaires accueillis n’avaient pas l’encadrement nécessaire assurés par leur équipe de recherche, leur travail n’a été orienté que par la collectivité ».
48Il est vrai que la question de l’encadrement pédagogique des stagiaires reste une des problématiques majeures associées à la massification des stages (Glaymann, 2015). Les ratios nombre de stagiaires/nombre d’enseignants-chercheurs encadrants restent trop élevés pour qu’un réel suivi soit assuré et la réflexion sur ces démarches de suivi n’est que peu posée à l’université. Or, c’est bien la construction de la relation entre toutes les parties prenantes du stage qui va permettre de créer les conditions les plus favorables à l’innovation.
49De nombreux constats critiques ont été élaborés et étayés à propos de la massification des stages de l’enseignement supérieur. En intégrant ces analyses et en nous basant sur un ensemble de données empiriques inédites, l’objectif de cet article était de repenser le statut du stage au sein d’un champ socio-professionnel particulier, celui de l’ingénierie de territoire considéré dans une acception très large. L’analyse proposée permet d’envisager les stages de façon nouvelle, en mettant en évidence le fait que les stages sont tout à la fois témoins de la complexité d’un champ professionnel, mais également facteurs d’évolution de celui-ci, en participant par exemple d’une stratégie d’adaptation à un contexte professionnel ou territorial en mutation voire en crise. Enfin, les stages semblent également agir comme initiateurs et facilitateurs de la relation entre monde académique et monde de l’action publique territoriale.
50Pour autant, ces éléments amènent d’autres questionnements.
51Tout d’abord, les stages constituent un gisement de ressources inédites pour (re)penser les liens entre formation, recherche, pratiques professionnelles et demande sociale, et ce dans tous les champs professionnels. Pour peu qu’ils fassent l’objet d’une interrogation et d’une capitalisation, les stages peuvent produire un outil d’enrichissement mutuel : ouverture vers les ressources universitaires pour les structures d’accueil, capteur subtil des mutations d’un champ professionnel et disciplinaire et accès à des informations sur ses évolutions pour les acteurs de la formation et de la recherche.
52Cependant, ce gisement de ressources est inégalement réparti dans les territoires, puisqu’en raison de plusieurs facteurs tant individuels que structurels, la plupart de stages se concentrent autour des métropoles, même lorsqu’il s’agit de formations en ingénierie de territoire. Or, dans un souci d’équité et d’efficacité territoriales, ces stages devraient bénéficier à tous les territoires, y compris ceux éloignés des pôles métropolitains. Par conséquent, au-delà de l’enjeu académique du stage en tant qu’objet de recherche, il y a nécessité de (re)penser les dispositifs de pilotage qui leur sont liés, et ce, du côté des différents acteurs parties prenantes et quel que soit le champ professionnel (Feyt et al., 2012 ; Cuntigh et al., 2015).
53Enfin, les différents constats énoncés dans cet article invitent tout autant les universités que les structures professionnelles à envisager le stage au-delà de ses apports classiques et supposés en termes de formation, de professionnalisation ou d’accès à l’emploi. En effet, le stage peut contribuer à une médiation entre monde académique et monde professionnel qui dépasse la seule question de l’adéquation entre besoins des acteurs socio-économiques et offre de formation. Envisager un travail comparable sur d’autres domaines professionnels que l’ingénierie de territoire apparaît donc comme indispensable pour confirmer ou infirmer cette idée. Se donner les moyens de développer une véritable (re)connaissance des stages et des stagiaires, que ce soit du point de vue de leurs statuts, de leurs enjeux ou de leurs apports, constitue aujourd’hui un enjeu essentiel et partagé pour les deux « mondes » universitaire et professionnel.
Cet article est issu de travaux financés par l’ex Région Rhône-Alpes et menés par le réseau UniTeR-RA (Universités et Territoires de Rhône-Alpes en Réseau), qui, de 2006 à 2012, a réuni un ensemble d’acteurs universitaires soucieux de réfléchir et d’agir dans le champ du développement territorial en partenariat avec les structures territoriales concernées, et ce, aussi bien dans le domaine de la recherche que dans celui de la formation.