1Dans les années 1950 aux États-Unis, le séquencement des ateliers comme exercices pédagogiques était construit de manière systématique et similaire dans les formations en planning. Reflétant une suprématie de la planification matérielle, l’atelier de première année était l’occasion pour les étudiants sans bagage universitaire sur la conception d’en acquérir quelques bases (Heumann, Wetmore, 1984). Suite à un relatif abandon les décennies suivantes, les ateliers de première année réapparaissaient dans les années 1980, avec une vocation similaire, quoiqu’avec une moindre importance accordée à la conception au profit du travail d’enquête et de terrain, et une première introduction au problem-solving (ibid.). C’est un élément important et fondateur pour justifier l’existence d’un atelier préprofessionnel à l’entrée dans une formation en urbanisme. Cette description est juste vis-à-vis des cas d’atelier de diagnostic étudiés dans cet article. Néanmoins, et c’est l’argument que nous développons, elle peut être complétée par une vision de l’atelier en tant que « fenêtre ouverte sur les évolutions qui connaissent les pratiques professionnelles en urbanisme, pour tenir compte des changements tant opérationnels que technologiques qui se produisent dans l’action collective urbaine » (Scherrer et al., 2017), reposant sur la notion de communauté de pratique (Wenger, 2005). Cette notion de communauté de pratique désigne, pour les psychologues et sociologues du travail, le lieu où se partagent une entreprise commune et des référentiels cognitifs communs ou complémentaires pour parvenir à la réalisation de cette entreprise. Ces référentiels sous-entendent, de la part des parties-prenantes, des capacités à interagir pour élaborer (ou inventer) et mettre en œuvre des solutions face aux objectifs de l’entreprise. Nous l’employons ici dans ce sens et pour désigner également le fait que l’atelier est le lieu où s’effectue l’introduction dans cette communauté en tant que groupe social (Scherrer et al., 2017).
- 1 L’EUP est née en 2014 de la fusion des deux institutions historiques de formation à l’urbanisme en (...)
2Cet article s’intéresse à un atelier du cycle Master des formations en urbanisme, que les auteurs ont encadré à l’École d’Urbanisme de Paris1 (EUP). Ici, (comme dans la plupart des formations en aménagement et urbanisme en France et en Europe), les étudiants de la première année de la mention Urbanisme et Aménagement participent à un atelier de diagnostic urbain. Il s’agit d’une première mise en situation professionnelle pour des étudiants issus de différentes formations de premier cycle. Cette étape de la préprofessionnalisation est un élément fondamental de la mention (Zepf, Roux, 2014), au même titre que des stages et un second atelier en deuxième année, qui ajoute au diagnostic une phase de propositions opérationnelles.
- 2 « Problem-based learning » en Anglais
- 3 Traduction des auteurs.
3La littérature existante sur la pédagogie en atelier (en urbanisme, mais aussi en architecture) insiste sur l’apprentissage par problèmes appliqués2 (Higgins et al., 2009 ; Long, 2012), en contrepoint à la pédagogie traditionnelle qui ne formerait que des « théoriciens » (Shepherd, Cosgrif, 1998). En atelier, les influences réciproques entre théorie et pratique apparaissent dans un processus d’apprentissage « piloté par les étudiants, collaboratif et réflexif »3 (Shepherd, Cosgrif, 1998, p. 348). L’atelier se distingue ainsi par la valorisation de l’expérience comme point central de la formation. Par leur immersion dans une thématique et leur rôle de producteurs primaires de données et d’analyses, les étudiants passent de l’acquisition de connaissances à l’apprentissage d’une autonomie professionnelle. Cette activité est renforcée par le caractère situé de cet apprentissage et du problème urbanistique posé par la commande : les connaissances et compétences ne sont pas acquises de manière abstraite mais en lien étroit avec les sites étudiés et avec le dispositif même de l’atelier (y compris les caractéristiques de l’équipe, dont les encadrants, et des commanditaires). Pourtant, le rôle d’une commande réelle, de la confrontation à un jeu d’acteurs dans lequel les commanditaires s’inscrivent et à un contexte de projet sont rarement discutés de manière explicite dans les articles traitant des ateliers d’urbanisme. En effet, la littérature sur l’apprentissage par problèmes appliqués (e.g. Burroughs et al., 2009 ; Shepherd, Cosgriff, 1998) insiste sur sa différence vis-à-vis des méthodes pédagogiques traditionnelles, notamment le cours magistral et les travaux dirigés. Nous estimons qu’il s’agit pourtant, aussi, d’y fonder une communauté de pratiques estudiantines, amenées à intégrer (et à renouveler) le marché du travail des futurs urbanistes.
4Nous discutons donc de ces constats à partir de deux ateliers que nous avons encadrés en 2016-2017. Commandés par la Ville de Paris, leur objet était de réaliser un diagnostic préalable au réaménagement des places de la Bastille et d’Italie, mettant l’accent sur la santé et le bien-être dans l’espace public. Ils ont permis aux étudiants de se confronter à l’essor d’une nouvelle thématique dans l’urbanisme – la santé environnementale, fortement associée à une volonté politique de changement des pratiques instituées au sein de la Ville de Paris. Cette capacité de s’approprier une thématique émergente et de l’inclure dans un jeu politique qui l’instrumentalise est un élément constitutif la communauté de pratique des urbanistes.
5Après avoir posé des éléments de contexte sur cette commande ainsi que sur la position du type d’exercice que sont les ateliers dans la formation de l’EUP, notre analyse aborde la différence des méthodes et des résultats des deux ateliers, malgré une commande et un cadre théorique communs. Nous revenons sur certains éléments du processus et du caractère situé et appliqué du problème qui, selon nous, contribuent à expliquer ces différences et à fonder le travail en atelier en tant que communauté de pratique.
6Dans un troisième temps, nous portons notre analyse sur les apports pédagogiques de l’atelier en interaction avec les commanditaires : un bilan didactique permet de comprendre la construction sociale et politique de l’apprentissage de l’urbanisme opérationnel. Le fait que les formations en urbanisme sont tournées vers l’action (Faburel, 2017) profite surtout aux étudiants lorsque l’atelier est aussi une instance de confrontation à des jeux d’acteurs complexes.
- 4 Traduction des auteurs de « “we fry ours in chicken fat” genre of papers in the planning field ».
- 5 Communauté d'universités et d'établissements
- 6 Les premiers résultats de cette expérience sont à l’étude par le comité de pilotage (enseignants-ch (...)
7« Nous, on les frit en graisse de poulet ! »4. Brooks et Wu (2012, p. 492) utilisent cette métaphore du partage de l’astuce culinaire pour critiquer la teneur descriptive de la majorité des articles en pédagogie de l’aménagement, desquels une analyse scientifique, notamment un protocole d’enquête, est absente. Si cet article peut confirmer cette tendance parce qu’il est avant tout un retour d’expérience, plusieurs moyens d’objectivation de notre propos permettent une démarche analytique. Tout d’abord, la structure d’encadrement des ateliers en miroir, chapeautée par une enseignante référente, a poussé à des interactions constantes pour mettre en perspective l’avancement des travaux, les dynamiques de groupe et les styles d’encadrement. Deuxièmement, les ateliers s’intégraient dans une démarche plus large promue par la ComUE5 Université Paris-Est visant le développement de la recherche et de partenariats dans le domaine de la santé environnementale et de l’urbanisme. Cette démarche a impliqué plusieurs réunions avec les commanditaires et des restitutions en séminaire de recherche interne au laboratoire dont nous dépendions (EA Lab’Urba) : une nécessaire structuration du propos sur les ateliers, leurs attendus et résultats a donc été produite. Par ailleurs, l’EUP expérimente depuis 2015 une « démarche compétences » qui se veut vectrice d’innovation pédagogique, mettant l’accent sur la diversité et la transversalité des compétences du métier d’urbaniste. Il est attendu des étudiants qu’ils prennent conscience de la complexité du monde professionnel auquel ils se destinent et qu’ils adaptent leur formation universitaire à un projet individuel en s’appropriant progressivement ces compétences6. Les moments d’échange avec les étudiants autour de cette démarche ont également poussé les auteurs à rendre leur expérience d’encadrement la plus réflexive possible. Enfin, l’un des auteurs de l’article a poursuivi l’encadrement d’un atelier sur la même thématique (place de la Nation) et pour le même commanditaire en 2017-2018. Cette seconde expérience réflexive (motivée par l’écriture de cet article) est incidemment mobilisée pour mesurer ou renforcer la portée des analyses sur les ateliers Bastille et Italie.
- 7 Dès la création du lointain l’ancêtre de l’EUP – l’Institut d’urbanisme de l’Université de Paris –, (...)
8Sans remonter trop loin dans l’histoire de l’enseignement de l’urbanisme en France, signalons que l’apprentissage par l’empirie en est une marque de fabrique7 (Chevalier, 2000) : il est encore aujourd’hui question de former des étudiants à des compétences très étendues pour qu’une fois diplômés, ils puissent s’insérer dans un jeu d’acteur en constante complexification mais toujours très encadré par la loi et les normes.
- 8 Celle de l’Association pour la Promotion de l'Enseignement et de la Recherche en Aménagement et Urb (...)
9Dans les ateliers de Master 1 de l’EUP, les étudiants répondent collectivement à une commande réelle passée par un organisme extérieur, « qui en attend des résultats de niveau professionnel » (École d’urbanisme de Paris, 2016, p.15). Ces ateliers sont conçus comme une première appréhension des différentes facettes des métiers de l’urbanisme : ils impliquent entre autres, l’identification des enjeux d’un territoire et leur problématisation au regard de la commande, l’analyse d’un espace urbain à partir de données (récoltées ou produites ad hoc) par des méthodes variées. Conformes aux exigences d’une accréditation internationale8, les ateliers de l’EUP contribuent à l’acquisition des « outils techniques et [des] savoir-faire professionnels » (APERAU, 2017) : ils ne se fondent pas a priori sur l’application de savoirs préalables étant entendu que leur démarrage est concomitant de la formation initiale en urbanisme. D’ailleurs, les groupes d’environ une quinzaine d’étudiants sont constitués de manière à assurer une diversité de profils ; l’adéquation de leurs compétences et/ou intérêts au sujet de l’atelier n’est pas prise en compte. Pour l’atelier « Bastille », la plupart des étudiants viennent de formations universitaires en sciences humaines et sociales (géographie, sociologie, économie, sciences politiques) et très peu ont abordé les problématiques de l’urbanisme avant leur entrée à l’EUP. Dans le groupe « Italie », au contraire, même si la proportion d’étudiants formés aux sciences humaines et sociales est importante, on note une représentation élevée d’étudiants venant de formations aux études urbaines (université, IUT) et d’écoles d’architecture et de paysage.
10Les étudiants découvrent leur groupe de travail et la commande de leur atelier lors de la rentrée universitaire à l’occasion d’une demi-journée de présentation des enjeux pédagogiques de l’exercice à l’ensemble de la promotion. Chaque groupe se réunit ensuite avec les référents et les encadrants pour une séance introductive au diagnostic territorial et urbain. Cette intervention constitue le seul préalable requis par l’EUP avant l’immersion dans l’exercice ; la suite du déroulement et la gestion du semestre d’atelier sont laissées à la discrétion des encadrants. Les ateliers se déroulent ensuite pendant le premier semestre, l’emploi du temps prévoyant une demi-journée de travail encadré et une autre en autonomie. Le déroulement des ateliers est assez classique (Higgins et al., 2009 ; Senbel, 2012). Dans les deux groupes, les encadrants assuraient des séances hebdomadaires et étaient disponibles à la demande en dehors des créneaux de travaux encadrés. Ces séances encadrées ont servi à suivre l’avancement des travaux (compréhension de la commande et de ses enjeux, formalisation des méthodes d’enquête, élaboration des livrables) et à préparer au mieux, avec l’enseignante référente, les étapes-clés de la réponse à la commande. Un rendu intermédiaire est programmé à mi-parcours avec le commanditaire, pour qu’il puisse éventuellement réorienter le travail des étudiants sur des aspects importants peu abordés. Enfin, le rendu final des ateliers se déroule selon trois modalités : un rapport rédigé à destination du commanditaire et de l’EUP, restituant le travail de diagnostic et présentant les livrables énoncés dans la commande ; une présentation orale des résultats au commanditaire et à ses invités lors d’une demi-journée de restitution ; une présentation orale devant tous les étudiants de l’EUP au cours d’une journée où tous les ateliers présentent leurs résultats.
11La commande formulée par la Ville de Paris relève d’un sujet relativement émergent dans la pratique de l’urbanisme en France, autant qu’il était inédit pour l’ensemble des étudiants : celui de l’intégration d’enjeux de santé et de bien-être à la requalification d’espaces publics. Cette commande vise en effet l’introduction des enjeux de santé au regard de l’environnement et de l’urbanisme parisien, tel qu’elle est préconisée par le plan Paris Santé Environnement9. Dans le cadre de l’opération Réinventons nos places (programme visant le réaménagement de sept places parisiennes10), les ateliers ont pour sites les places de la Bastille et d’Italie. L’aspect émergent de la thématique des ateliers constitue aussi un enjeu politique pour la Ville. À ce sujet, soulignons que la commande émane officiellement de la Ville de Paris, plus précisément de Bernard Jomier, l’adjoint à la Maire de Paris en charge de la santé, du handicap et des relations avec l’AP-HP et du Service des Aménagements et des Grands Projets (SAGP) dépendant de la Direction de la Voirie et des Déplacements (DVD) ; un copilotage plus large étant assuré par la DVD, Direction des Affaires sociales, de l’Enfance et de la Santé (DASES), Direction des Espaces Verts et de l’Environnement (DEVE), avec la Mission Pavex (Préfiguration, aménagement, valorisation et expérimentation de l’espace public) du Secrétariat Général de la Ville de Paris. Une actrice-clé de la commande a été la conseillère technique en charge de la santé au sein du cabinet de l’élu précité. Elle a grandement contribué à instiller l’idée selon laquelle la thématique de la santé était encore peu fondée au sein des directions responsables d’aménagement et d’urbanisme, et a insisté notamment auprès des étudiants, sur le rôle pédagogique que pourrait avoir la réponse apportée par les ateliers à la commande de la Ville dans la légitimation de cette thématique. Outre cet enjeu politique, la santé soulève aussi des interrogations techniques quant à sa prise en compte dans l’urbanisme opérationnel : les commanditaires affichent de claires lacunes tant théoriques que méthodologiques et demandaient explicitement une revue de littérature et la proposition d’outils opérationnels.
12La formulation de la note de cadrage est claire quant à l’importance de l’acculturation et de la sensibilisation des acteurs de la Ville aux questions de la santé environnementale : le travail consiste « à proposer un autre regard, celui de la santé et du bien-être […] [pour] convaincre et orienter les décideurs publics vers des choix qui maximisent les bénéfices pour la santé » (Mairie de Paris, 2016, p. 3). Les livrables consistent en une revue de la littérature, un diagnostic de l’existant et la formalisation d’une grille permettant d’analyser santé et bien-être dans l’espace public (indicateurs pour une évaluation de leur influence sur la santé des usagers). Mention est aussi faite d’une éventuelle formulation de recommandations pour les concepteurs, même si cette partie de la commande s’écarte des exigences pédagogiques de l’EUP (École d’urbanisme de Paris, 2016).
13Si la commande privilégie l’exploration d’une thématique, plus qu’une entrée méthodologiques spécifique, elle propose néanmoins plusieurs options (non exhaustives ni exclusives) : l’objectivation de concepts « mous » (Mairie de Paris, 2016, p. 4) liés à la santé ou une entrée par les rôles que les espaces publics peuvent jouer au regard de la santé et du bien-être. L’enjeu de chaque atelier a donc été de monter une enquête mettant en œuvre des dispositifs méthodologiques originaux, plutôt que de construire une problématique (assez clairement énoncée dans la commande).
14L’expérience d’atelier analysée dans cet article est donc assez classique. Elle fait néanmoins ressortir la nature de l’apprentissage en atelier de deux manières. La première est le fait que les deux commandes soient identiques pour les deux sites et que les démarches adoptées par les groupes soient très distinctes. La deuxième est l’enjeu politique interne à la Ville de Paris, qui a confronté les étudiants à un jeu d’acteurs et à un contexte de projet complexes.
15Les deux groupes ont produit deux réponses très distinctes, à la fois dans leur contenu et dans leur méthode.
- 11 Lors de la première séance de l’atelier, les étudiants ont reçu un ensemble de textes préparé par u (...)
16Pendant deux mois, l’atelier « Bastille » a défriché un corpus bibliographique11 en parallèle d’un travail exploratoire de terrain. L’idée était de commencer par construire la grille d’analyse demandée par le commanditaire, qui orienterait aussi la méthode de terrain pour formaliser le diagnostic, requis pour valider l’exercice à l’EUP. Cette grille est constituée de huit « déterminants de santé », chacun décliné en plusieurs objectifs, qui à leur tour se traduisent en éléments du projet d’urbanisme à évaluer. Pour cette évaluation, l’atelier propose des critères d’appréciation et des indicateurs (figure 1).
Figure 1. Extrait de la grille d’analyse croisant santé, environnement et urbanisme opérationnel produite par l’atelier “Bastille”.
NB : La grille n’est pas reproduite dans son ensemble pour en faciliter la lecture : seules les caractéristiques principales y figurent, un seul exemple est développé (en italique).
Sources : Atelier “Bastille” EUP, 2017.
17Ces critères et indicateurs ont été testés par la passation d’un questionnaire auprès des usagers des espaces publics (perceptions et pratiques) et des séances d’observation, guidées par une grille systématique pour constater les pratiques et la matérialité de la place de la Bastille. La priorité a été donnée à l’objectivation des concepts issus du corpus bibliographique, en privilégiant la dimension matérielle plutôt que les usages de l’espace public : à l’origine comme à l’issue du diagnostic, la formalisation de cette objectivation s’est faite dans la grille d’analyse construite au départ. Cette grille n’a pas vocation à être strictement reproductible – « un outil qui demande à être expérimenté et ajusté par différentes expériences de terrains » (Atelier « Bastille » EUP, 2017, p. 18) – même si, comme les critères de l’Évaluation d’Impacts en Santé de l’OMS ou le référentiel de l’École des Hautes Études en Santé Publique (EHESP), elle a été construite pour être facilement adaptable à d’autres projets d’urbanisme.
- 12 Citons notamment la contention de la circulation, permettant de gagner 50 % d’espace piéton supplém (...)
18Dans l’identification des enjeux d’un aménagement propice à la santé, le groupe « Bastille » a choisi de laisser de côté les entrées plus évidentes, traitées par ailleurs par la Ville de Paris12. Le diagnostic s’intéresse aux enjeux de l’identité de la place, de sa lisibilité comme carrefour majeur des déplacements (donc de la vie) des Parisiens et du « vivre ensemble » sur la place.
19Enfin, l’organisation de l’enquête et la production des livrables se sont faites à l’image de la relative autonomie l’organisation à l’œuvre dès le départ : tous les étudiants ont participé par petits groupes à toutes les tâches – les groupes de travail n’étant pas figés et les étudiants allant de l’un à l’autre en fonction des besoins nécessaires à l’avancement.
20L’atelier « Italie » s’est d’abord concentré sur le défrichage de la littérature pour construire une première approche méthodologique en trois entrées (« bouger », « rester » et « se rencontrer »). À chacune de de ces injonctions correspondait des équipes, organisées de manière indépendante pour mener l’enquête de terrain. Cela s’est traduit par une pluralité des méthodes déployées : un questionnaire (pratiques et perception), de l’observation des usages, des relevés (mobilier, végétation), la réalisation de cartes mentales et participatives, d’entretiens et de parcours commentés pour recueillir les perceptions des usagers, en particulier celles de l’environnement sonore. Une vidéo a été réalisée à mi-parcours pour illustrer les premiers résultats et mettre en exergue les possibilités de croisement des données recueillies par les trois groupes. À la demande du commanditaire, l’atelier « Italie » s’est associé à la semaine parisienne de la santé environnementale (5-11 décembre 2016) pour organiser un événement sur la place. Mobilisant l’ensemble des étudiants et l’encadrant, cet événement a permis de publiciser la démarche de la Ville et de faire avancer l’enquête sur le ressenti des usagers. Le diagnostic final fait émerger les enjeux liés à la santé en se focalisant sur certains espaces clés. Le rapport s’achève avec une évaluation des propositions de la Ville et de la concertation préalable.
21La grille d’analyse produite est donc presque indépendante du diagnostic, puisqu’elle est surtout une synthèse de la littérature : elle identifie aussi des déterminants de santé, leurs effets sur la santé, les actions potentielles pour y remédier (en termes d’aménagement et d’usages à favoriser) et leurs éventuelles externalités positives et négatives. Prenant pour base le même référentiel de l’EHESP, la grille propose d’orienter les analyses et décisions éventuelles, mais ne prédétermine pas les outils méthodologiques pour leur mise en œuvre dans le projet d’urbanisme.
Figure 2. Extrait de la grille d’analyse croisant santé, environnement et urbanisme opérationnel produite par l’atelier « Italie ».
NB : La grille n’est pas reproduite dans son ensemble pour en faciliter la lecture : seules les caractéristiques principales y figurent, seuls quelques exemples sont développés (en italique).
Sources : Atelier « Italie », 2017.
22À l’issue de l’exercice, ces différences dans les méthodes et les résultats produits ont beaucoup interpellé les étudiants, qui redoutaient la légitimité et la validité de deux réponses si dissemblables. Pour les encadrants, ces différences avaient l’intérêt de briser certaines visions caricaturales de la technicité de l’urbanisme et de souligner la nature « pernicieuse » des problèmes desquels il s’affranchit (Rittel, Webber, 1973). Une des caractéristiques de ces « problèmes pernicieux » est leur caractère unique, pour lesquels la reproductibilité de solutions expérimentées ailleurs n’est pas assurée dès le départ. K. Balassiano (2011) souligne que les ateliers en formation d’urbanisme doivent explicitement être organisés pour que cette complexité des problèmes puisse s’exprimer. Cela revient, entre autres, pour les encadrants comme pour les commanditaires, à ne pas baliser excessivement l’exercice et les méthodes de travail. Contrairement au cahier des charges comportant des exigences formelles et des livrables, l’encadrement n’a jamais imposé une manière d’aborder le problème et a surtout suivi et conseillé les choix faits par les groupes.
23Cette latitude laissée à la construction des choix renvoie à l’apprentissage par problèmes appliqués présenté en introduction : laisser le pilotage aux étudiants, encourager leur collaboration et stimuler l’adoption d’une démarche réflexive. La formulation d’une réponse à la commande est centrale pour une appréhension du caractère pernicieux des problèmes d’urbanisme et d’aménagement.
24Dans les deux ateliers, les réponses n’ont pas découlé des spécificités des sites d’étude (qui n’ont jamais été mobilisées comme facteurs explicatifs du choix des méthodes), ni de l’origine disciplinaire des étudiants. Elles sont cependant intimement liées aux dynamiques de groupe qui ont émergé et à la capacité de ces derniers à s’organiser.
25L’atelier « Bastille » a fonctionné en autonomie quasi-totale. Ce mode de fonctionnement n’est pas étranger à l’expérience de Nuit Debout, à laquelle un étudiant en particulier a participé et dont il a importé les codes en classe (Kokoreff, 2016) : prise de notes et diffusion des comptes-rendus des séances encadrées, écoute collective, veille à l’expression des plus discrets. L’encadrante animait et pilotait les séances, jouant le rôle facilitateur traditionnel dans les démarches d’apprentissage par problèmes appliqués (Hmelo-Silver, 2004). Elle a servi de catalyseur aux capacités de synthèse des étudiants vis-à-vis de des travaux individuels et effectués en petits groupes de travail ; elle a aussi contribué à l’élaboration concrète des outils de l’enquête et à leur mise en œuvre (en demandant à être destinataire des comptes-rendus de terrain partagés entre les groupes de travail) ; elle a enfin été garante des délais. Ce mode de fonctionnement n’a été possible que parce que le noyau de la réponse du groupe à la commande était la construction d’un outil d’enquête homogène ; et à l’inverse, cet outil unique n’aurait pu être construit sans une forte organisation du travail.
- 13 « To model », en anglais (Shepherd, Cosgrif, 1998)
26Avec une stratégie différente, l’atelier « Italie » a choisi un dispositif méthodologique qui évite l’éventuel effet normalisateur d’une grille d’analyse unique et a cherché à diversifier la nature des données récoltées. La pluralité d’outils d’enquête a par ailleurs été une manière de contourner les difficultés d’organisation du groupe. Cela a néanmoins constitué un exercice pédagogique montrant les apports et les limites de ces outils et de leur diversité, confrontant également les étudiants aux aléas de leur mise en œuvre. Pourtant, cette division du travail a contribué à une parcellisation de la production de données, l’encadrant apparaissant parfois comme le seul élément de l’équipe capable d’établir des liens et des correspondances entre les différentes actions en cours. Dès lors, la modélisation13 proposée par l’encadrant (réfléchir à voix haute, montrant comment il mettrait en lien les différents éléments apportés par les étudiants) jouait un rôle heuristique, fonctionnant comme proposition « martyre » pour déclencher la réflexion des étudiants. Seule la participation du groupe à la semaine parisienne de la santé environnementale a réuni pour une production collective de données.
27Loin de l’anecdote, ces exemples montrent que l’unicité de chaque problème en urbanisme est inextricable des processus argumentatifs qui le construisent d’une part, et du travail qui mène à l’élaboration d’une réponse d’autre part. Dans l’atelier pédagogique, cela transforme les étudiants en acteurs de leur apprentissage, par leur immersion dans la thématique, leur rôle de producteurs primaires de données et d’analyses et la manière dont leurs dynamiques de travail contraignent l’univers des possibles. Ces modalités pédagogiques sont fortement marquées par le caractère situé de l’apprentissage et du problème présenté dans la commande : la connaissance et les compétences ne sont pas acquises de manière abstraite mais en lien étroit avec les caractéristiques des sites, avec le dispositif même de l’atelier ainsi qu’avec la composition de l’équipe de travail (dont les encadrants et les commanditaires sont partie prenante). Les phases traditionnelles de l’apprentissage par problèmes appliqués (présentation, investigation et solution du problème) s’y retrouvent. La quatrième phase, celle de l’évaluation, a été mise en place avec le recours à un référentiel de compétences transversales, dans le cadre d’une démarche pilotée par la direction de l’EUP.
28Le pouvoir pédagogique de l’apprentissage par problèmes appliqués peut être illustré par l’apport de l’atelier au panel de compétences en cours d’acquisition par les étudiants. À l’EUP, un référentiel de ces compétences est éprouvé dans les ateliers de Master 1. Il est le support d’un dialogue entre les encadrants et chaque étudiant sur sa progression individuelle à la fin du semestre. Sans les hiérarchiser, il rassemble six compétences sous-divisées en trois dimensions (tableau 1).
Tableau 1. Référentiel de compétences « Moi, urbaniste », version expérimentale 2016-2017.
Source : EUP, UPEM, UPE.
29Ces compétences relèvent de différentes modalités d’intervention sur l’espace urbain ainsi que de postures et de valeurs professionnelles. Réflexive et au long cours, cette démarche accentue le caractère transversal et appliqué de l’apprentissage en atelier et de nombreux étudiants ont fait la preuve de l’acquisition, au moins partielle, de certaines des compétences (tableau 1). On y retrouve des éléments habituels de l’apprentissage par problèmes appliqués, soit la réalisation d’un travail en groupe autonome autour d’un problème complexe du monde réel, que l’on peut traiter de plusieurs manières. Des compétences thématiques spécifiques à la commande ont été abordées : à partir d’un corpus documentaire conséquent, avec des organisations et des méthodes de travail différentes dans chaque groupe, les étudiants ont réinterprété la littérature imposée par la commande (figures 1 et 2).
30Ces compétences communicationnelles et de travail en équipe pluridisciplinaire, ainsi que le contact avec le milieu professionnel, sont également habituels dans l’apprentissage en atelier (Németh, Long, 2012) et constituent la base de la construction et de l’insertion dans une communauté de pratiques (Wenger, 2005). Les enjeux politiques de la commande étaient explicites : une direction (celle de la santé) habituellement minoritaire dans la prise de décision urbanistique, s’empare d’un projet-phare de la mandature (Réinventons nos places) pour sensibiliser les directions dominantes et politiquement habilitées pour intervenir dans le champ de l’urbanisme (voirie, environnement, grands projets, etc.). Sur le fond et sur la forme, les messages délivrés par les diagnostics prouvent que, collectivement au moins, les étudiants ont compris le jeu d’acteurs et ses enjeux opérationnels.
- 14 « Learning by doing » (Németh, Long, 2012), traduction des auteurs.
- 15 « Problem solving » (Németh, Long, 2012), traduction des auteurs.
- 16 « Service » (Németh, Long, 2012), traduction des auteurs.
31De même, des savoir-faire sont développés par le biais de l’apprentissage par la pratique14, et concernent le caractère opérationnel15 de l’exercice et l’aspect serviciel16 de l’urbanisme vis-à-vis de la collectivité (Scherrer, 2010).
32L’acquisition de compétences opérationnelles en urbanisme est démontrée par le référentiel évoqué au paragraphe précédent, mais aussi par la réception des travaux par les commanditaires et l’ensemble des acteurs engagés dans la démarche. Celle-ci est une preuve de la vocation de l’atelier à construire des ponts intellectuels et opérationnels entre la sphère académique et la pratique professionnelle (Scherrer et al., 2017). L’opérationnalisation des résultats des étudiants est visible dans les appropriations progressives, rapides et mutuelles qu’ils ont suscitées, tant du côté des commanditaires que des groupes d’atelier.
- 17 Adjoint à la Maire de Paris en charge de la santé, du handicap et des relations avec l’AP-HP.
- 18 Le réaménagement de la place est attribué à deux maîtrises d’œuvre. L’une, en régie, réalise une « (...)
33À l’occasion d’une restitution à mi-parcours, la conseillère technique de cabinet en charge de la santé s’est saisie de la vidéo réalisée par l’atelier Italie, y voyant un portrait intéressant de la place et des enjeux soulevés par son réaménagement. Ensuite, l’atelier Italie a réalisé une animation publique dans le cadre de la semaine parisienne de la santé environnementale. Dès lors, encadrants, commanditaires et étudiants avaient noté l’importance des ateliers pour souder la place des questions de santé dans le jeu d’acteurs parisien pour leur insertion à l’agenda opérationnel. Cet événement a eu le soutien logistique de la Ville et a été intégré le programme officiel de la semaine. Le jour de l’événement, l’élu commanditaire17 a donné rendez-vous à plusieurs élus d’arrondissement sur la place, mobilisant vivement l’encadrant pour expliquer le contenu de l’événement et les futurs apports du diagnostic au processus d’aménagement. Cet épisode a rendu claire l’importance du système d’acteurs commanditaires et les enjeux opérationnels et politiques de l’atelier, vraisemblablement typique d’une réorientation opérationnelle des ateliers d’urbanisme et de la pratique professionnelle, guidés par des approches participatives (Roakes et Norris-Tirrell, 2000). À la fin du semestre, la réception tout aussi positive du travail des étudiants a été marquée par une discussion transversale et large des projets de réaménagement des places – ce qui, semble-t-il, demeurait rare jusqu’alors en interne. La grille d’analyse, d’observation et le questionnaire conçus par l’atelier « Bastille » ont été particulièrement appréciés par les techniciens de la Ville de Paris. Il s’agissait pour les praticiens de légitimer une reproductibilité de la grille d’analyse produite par les étudiants sur d’autres terrains et opérations d’urbanisme. À l’inverse, encore en lien avec la sphère académique, les étudiants cherchaient à atténuer l’ambition généraliste de leurs outils, conscients des limites de la réplication d’un modèle ad hoc au vu des échanges qu’ils avaient eus avec le groupe « Italie ». En dehors de l’événement et de la vidéo réalisés par l’atelier Italie, le diagnostic finalement produit a été amplement discuté et la richesse de ses apports louée, même s’il a plutôt confirmé les connaissances des services techniques parisiens. Ils ont particulièrement apprécié le travail des étudiants en tant qu’outil de communication et de médiation entre les différentes parties-prenantes opérationnelles du réaménagement de la place. Les résultats ont aussi été intégrés dans la suite du processus d’aménagement de la place, lorsque les maîtres d’œuvre, entre temps désignés, ont contacté les étudiants pour échanger plus amplement sur les résultats de leurs travaux18.
34Finalement, ces restitutions ont permis de mettre à l’ordre du jour les questions de santé en lien avec ces réaménagements : c’était l’objectif initial de l’élu responsable afin que les thématiques de son cabinet gagnent en légitimité auprès des directions et des cabinets traditionnellement en charge de l’urbanisme. Et enfin, ces questions saisies et traitées par les étudiants ont permis de construire l’ébauche d’opérationnalisation d’un urbanisme favorable à la santé.
- 19 En outre, la commande de la Ville de Paris explicitait aussi des attentes en ce sens : elle demande (...)
35Le caractère serviciel de l’urbanisme est traduit dans le référentiel de l’EUP par les compétences « Développer une activité professionnelle pérenne » et « Assumer les responsabilités sociétales de l’urbaniste sur le plan légal, éthique, moral » : il est assez peu restitué par les étudiants, même si les encadrants notent qu’un apprentissage a eu lieu pour la plupart d’entre eux, ayant une idée floue des métiers de l’urbanisme à leur entrée en Master. Marqués par l’image de concepteurs des métiers de la production urbaine (Scherrer et al., 2017), les étudiants en formation pensent, pour la plupart, qu’ils vont concevoir des plans, programmer des équipements, évaluer des solutions d’un point de vue financier, politique, etc.19. De l’autre côté, l’exercice demandé par l’EUP est clair : il s’agit d’un diagnostic urbain et non d’un atelier de projet (réservé à la deuxième année du master).
36L’aspect serviciel des ateliers peut se lire dans l’utilité qu’y trouvent les commanditaires. Le renouveau du lien entre santé et urbanisme s’insère dans le projet politique d’un élu qui essaye de faire une place à son cabinet et aux enjeux qu’il soutient dans un domaine duquel ils sont traditionnellement mis à l’écart. Ces ateliers constituent donc un apport majeur à la stratégie politique et opérationnelle de l’élu et de sa conseillère technique. En cela, ils ont permis aux étudiants de se saisir d’un jeu d’acteurs, compétence nécessaire à la pratique de l’urbanisme. Au-delà, les ateliers ont contribué à enrichir l’appréhension de leur futur métier, en dévoilant l’instrumentalisation politique possible des aspects techniques et opérationnels de leur travail, servant des enjeux de service public que les élus construisent à travers un discours et des stratégies politiques.
- 20 L’adjoint commanditaire des diagnostics de Bastille et Italie a démissionné en octobre 2017 alors q (...)
- 21 Au début de l’atelier, une préfiguration de l’aménagement était déjà en place et la maîtrise d’œuvr (...)
37Le renouvellement du partenariat sur des thématiques analogues entre la Ville de Paris et l’EUP pour l’année suivante en témoigne également. Pour l’une d’elles, la Ville a mandaté un atelier (encadré par l’auteur de cet article) sur le réaménagement de la place de la Nation dont la DVD était le commanditaire exclusif20. En outre, cette commande est intervenue à une phase plus avancée du projet21 : l’atelier portait donc sur une évaluation des effets des préfigurations envisagées sur les usages de la place de la Nation – cette fois-ci, la thématique de la santé a été mobilisée uniquement par l’EUP. Dans ce contexte, l’enjeu était que les étudiants se fassent une place au sein du jeu d’acteurs en place et démontrent la pertinence de leur travail, vu l’état avancé de l’avant-projet, les courts délais impartis et la présence de la maîtrise d’œuvre sur la place depuis plusieurs mois. Pour répondre à ces enjeux, les étudiants ont adopté une double stratégie. D’abord, ils ont synthétisé les études préexistantes pour démontrer la pertinence de leur apport. Puis, ils se sont appuyés sur l’ampleur de la notion de santé environnementale pour explorer des enjeux qui n’avaient pas été pris en compte par la Ville jusqu’alors (par exemple, la présence de populations vulnérables sur la place). Ils ont ainsi pu contourner l’instrumentalisation politique directe de leurs résultats : les commanditaires, enclins à mobiliser ces travaux comme seuls actes de validation ou de plébiscite de choix déjà arbitrés se sont retrouvés face à des pistes de réflexion opérationnelle nouvelles.
38Les cas des places de Bastille et d’Italie comme ce dernier exemple démontrent que l’association d’une commande à des enjeux politiques et actoriels fait comprendre aux étudiants le caractère complexe et contingent, voire « pernicieux », de la construction de problèmes en urbanisme et de leur résolution. Ils illustrent aussi comment on peut envisager l’innovation dans la conception urbanistique, aux côtés d’autres méthodes pédagogiques d’atelier (Scherrer et al., 2017).
39Les diagnostics démontrent (heureusement) l’acquisition progressive par les étudiants de compétences spécifiques à la commande. Le retour réflexif que propose cet article montre également que les ateliers sont le siège d’apprentissages transversaux aux métiers de l’urbanisme. La construction des réponses à la commande résulte de la compréhension, par les étudiants au fil du semestre, du jeu d’acteur sous-jacent à l’exécution du diagnostic. Cet apprentissage par problèmes appliqués a été mis à l’épreuve par l’élu parisien en charge des questions de santé lors de la restitution. Il semble avoir été accompli au regard, d’une part, de la satisfaction de la conseillère technique de son cabinet et d’autre part, des dialogues que les rendus d’ateliers ont suscités entre les différentes directions concernées par le réaménagement des places.
40La centralité donnée à l’étudiant interroge le rôle de l’encadrant : ce dernier présente le problème, mais n’est pas responsable de l’identification de l’information nécessaire pour y répondre (Shepherd, Cosgrif, 1998), ni du cheminement intellectuel et organisationnel de l’atelier lui-même. Au-delà de l’inévitable attribution d’une note finale, il est aussi facilitateur, propose des ajustements, mais se maintient en retrait autant qu’il le peut. L’encadrement relève ainsi de l’accompagnement. Néanmoins, les alternatives explorées par chacun des groupes reflètent aussi les appétences et les postures scientifiques des encadrants : en partant de l’espace public comme objet d’étude et de méthodes plutôt inductives (atelier « Italie »), ou d’une approche par l’environnement et des méthodes plutôt hypothético-déductives (atelier « Bastille »). Il semble ainsi que la participation des deux encadrants aux échanges et itérations de l’élaboration des réponses aux problèmes posés par le réaménagement des places ait eu une influence, même si elle n’était pas sciemment voulue. Effet de la qualité de l’argumentation des enseignants ou simple manifestation du poids de la relation entre enseignant et étudiant, la question reste posée.
41La démarche en miroir (une commande, deux sites), si elle a été difficilement appréhendée au départ, par les enseignants comme par les groupes d’ateliers, a néanmoins permis de confronter les étudiants au caractère « pernicieux » des problèmes opérationnels de l’urbanisme et à la pluralité de « bonnes réponses » qu’ils peuvent provoquer. La commande a mis les étudiants face à une tension habituelle dans la pratique de l’urbanisme entre opérationnalisation de concepts imposés par une commande politique (modèles urbanistiques et bonnes pratiques) d’une part, et rôle serviciel de la pratique de l’urbanisme (construction de réponses à une demande sociale et politique) d’autre part. Face à cette tension qui constitue une partie du problème appliqué, les étudiants ont compris la pluralité des objets de l’urbanisme, ainsi que son insertion dans des dispositifs techniques et politiques complexes. L’éclairage apporté par l’atelier de la place de la Nation indique que l’apprentissage du difficile positionnement de l’urbaniste et des risques de son instrumentalisation directe s’acquièrent aussi lorsque l’atelier interagit exclusivement avec des commanditaires techniciens. Dans les cas étudiés, cette confrontation à une communauté de pratique et aux changements opérationnels passe surtout par la compréhension du rôle des urbanistes en assistance à la maîtrise d’ouvrage dans un processus de conception. Dans les trois cas, le rôle des étudiants était autant d’apporter une expertise quasiment absente des maîtrises d’ouvrage et d’œuvre que de dégripper un jeu d’acteurs relativement verrouillé par les cultures professionnelles et organisationnelles des commanditaires.
42L’atelier préprofessionnel à l’entrée en Master 1 permet finalement aux étudiants de comprendre l’urbanisme comme une activité technique et sociale avec un rapport tout particulier au politique ; et c’est à cette intersection que des compétences pratiques et néanmoins fondamentales sont à acquérir pendant la formation.