- 1 La plupart de nos cours ont fait l’objet d’évaluation par les étudiants.
1Cette contribution revient sur une expérience d’enseignement en urbanisme fondée sur une approche de la ville à partir des objets et des dispositifs techniques et spatiaux qui la constituent : voirie, réseaux divers, candélabres, bâtiments, squares, jardins publics, etc. Cette approche s’est construite dans une volonté de valoriser nos travaux de recherche à travers l’enseignement, volonté qui s’est prolongée avec l’intérêt porté par les étudiants à cette approche1. Ces travaux traitent des processus de fabrication, d’usage et de transformation des villes contemporaines. Ils portent principalement sur les espaces publics urbains, le projet d’aménagement, les rapports entre fabricants et publics à travers l’analyse de pratiques de concertation et la mise en place de nouveaux objets et dispositifs de l’urbain (dans le cadre de la gestion des eaux urbaines). Ils ont été réalisés à l’occasion de programmes de recherche impliquant souvent des praticiens de la ville (collectivités territoriales, gestionnaires de réseaux). Ils ont permis de développer un cadre d’analyse sur le rôle des objets dans les activités sociales urbaines (cf. par exemple : Toussaint, 2009 ; Toussaint, Vareilles, 2010). C’est ce cadre d’analyse qui est mobilisé dans les enseignements ici analysés.
2Ces enseignements s’inscrivent dans des cursus et des maquettes pédagogiques variés (dernière année d’école d’ingénieurs, master en aménagement et urbanisme) et prennent des formes différentes (projets, séminaires, cours magistraux). Ils portent une attention particulière aux objets et dispositifs de l’urbain comme « instruments » de la vie en ville. Il s’agit ainsi d’interpeller les étudiants sur le rôle des objets dans l’activité sociale, spécialement urbaine, et ce faisant sur la capacité des objets de l’urbain à orienter, positivement et négativement, les comportements individuels et collectifs.
3Cet article se divise en trois parties. La première partie reviendra sur le cadre d’analyse mobilisé et le rôle des objets dans les activités sociales. La deuxième partie portera sur les enseignements réalisés. Enfin, la troisième partie s’attachera à tirer des leçons de cette expérience, en particulier sur les possibilités d’une fabrication des villes à l’aune des usages.
- 2 Cette distinction reste relative : par exemple, une « automobile » apparaît simple par rapport à un (...)
4La catégorie « objets » employée ici a un caractère générique. Elle désigne un assemblage d’éléments synthétiques ou biologiques, issu d’un processus de fabrication. Nous nous intéressons en particulier aux « objets urbains » ou aux « objets de l’urbain », c’est-à-dire aux objets qui participent de la vie urbaine. Ces objets peuvent être très différents : bancs, arbres, boîtes aux lettres, boulevards, ruelles, feux tricolores, égouts, jardins publics, parcs, téléphone, GPS, etc. Parmi eux, certains sont relativement simples et peuvent être couramment qualifiés d’« objets » : par exemple les bancs, les arbres et les boîtes aux lettres. D’autres sont plus compliqués ou plus étendus. Ils résultent d’un arrangement d’objets « simples » et constituent des « dispositifs » ou des « aménagements urbains » : par exemple les égouts, les boulevards et les jardins publics2.
- 3 Il s’agit notamment de comprendre les difficultés sociales et organisationnelles soulevées par le d (...)
5L’attention que nous portons à ces objets tient pour une part à notre position institutionnelle. Enseignants-chercheurs dans une école d’ingénieurs, au sein d’un département de Génie civil et d’Urbanisme, nous participons à la formation de futurs praticiens de l’urbain, fortement engagés dans la construction (au sens propre) de la ville et à des programmes de recherche pluridisciplinaires avec des finalités opérationnelles concernant des dispositifs urbains3. Tous ces engagements impliquent, à des titres divers, un questionnement autour des modes d’existence des objets de l’urbain : pour qui ces objets sont-ils fabriqués ? Dans quels buts ? A quoi servent-ils effectivement ? Comment sont-ils mobilisés dans la ville ? Sont-ils appropriés aux activités urbaines ? Constituent-ils de « bons » outils pour la vie urbaine ?
- 4 Dans le domaine des études urbaines et de l’urbanisme, ces orientations peuvent se rapprocher, par (...)
6Nos engagements en enseignement et en recherche se sont nourris de ces problèmes autour du rôle des objets dans les activités urbaines quotidiennes et des rapports entre la fabrication de ces objets et leurs usages dans les mondes urbains. Nos travaux s’appuient sur les analyses critiques portées dans les années 1970 par I. Illich (1973) et A. Gortz (1973) sur les modes de production des sociétés industrielles, mettant en cause des objets techniques (comme l’automobile) et l’urbanisation contemporaine. Ils reprennent également des recherches conduites en ergonomie (Rabardel, 1995), en sociologie de la traduction (Akrich et al., 2006), en anthropologie (Sigaut, 2012) et en philosophie des techniques (Simondon, 1989). Ils nous ont permis de construire un cadre d’analyse posant les objets comme instruments dans l’activité sociale4.
7Pour cette contribution, nous retiendrons principalement deux postulats dans l’axiomatique de ce cadre d’analyse, qui sont repris dans la mise en œuvre de notre enseignement.
- 5 La littérature peut distinguer les objets en outils ou instruments. Ainsi, à la différence de l’out (...)
8(1) L’observation des expériences urbaines montre qu’il n’y a pas d’activité sans mobilisation d’objets, que ces activités soient ordinaires, profanes, sacrées, solitaires, privées, publiques, etc. Les activités sont « outillées » (Sigaut, 2012 : 7-8) : par exemple une place publique, une rue, les berges d’un fleuve, un commerce sont autant d’objets nécessaires au déroulement des activités urbaines. Tous ces objets constituent des outils et des instruments de l’activité qui nécessitent des gestes techniques, des mouvements corporels et des dispositions cognitives issus de nombreux apprentissages. Comme outils et instruments5, ils permettent d’augmenter la capacité des individus à agir en décuplant leurs moyens d’action, en optimisant certains de leurs gestes ou en prélevant de nouvelles informations dans le monde.
- 6 En reprenant les catégories proposées par I. Illich (1973), ces objets sont plus ou moins « hétéron (...)
- 7 Dans les faits, elles se limitent à des groupes qui mettent en cause, pour diverses raisons, ces us (...)
9(2) Les objets produisent des opportunités d’action : ils ouvrent des possibilités d’action et constituent ainsi des offres en pratiques sociales pour les individus engagés dans les activités urbaines. En effet, leur mobilisation dans les activités sociales dépend de leur configuration, c’est-à-dire de la manière dont les objets apparaissent aux individus. Par leurs formes et les espaces qu’ils constituent, les objets appellent des pratiques : ils sont signifiants pour les individus et les collectifs engagés dans l’action. Leurs mobilisations renvoient aux situations d’action qu’ils rendent possibles et aux processus de socialisation et d’apprentissage que leurs existences nécessitent. La signification des objets peut donc varier selon les lieux, les emplois du temps, les groupes et les classes sociales : par exemple les cyclistes vs les piétons, au travail vs en vacances, les classes populaires vs les classes aisées. Ce faisant, les objets ouvrent des licences d’action et constituent des offres qui peuvent être différenciées en pratiques sociales. Ces offres sont plus ou moins grandes ou ouvertes. Ainsi, les objets peuvent être ouverts à une multitude d’usages et de publics ou spécialisés et destinés à des activités et des groupes sociaux spécifiques6. En général, l’offre contenue dans les objets reste en partie virtuelle dans les activités sociales : toutes les possibilités d’action que l’objet autorise ne sont pas réalisées. Outre les qualités intrinsèques de l’objet, la réalisation de ces possibilités d’action est limitée par les usages en vigueur : dit trivialement, on ne fait pas n’importe quoi n’importe où et avec n’importe qui. Par exemple, un banc avec une assise, sans accoudoir central, et un dossier permet de s’asseoir soit sur l’assise soit sur le dossier ; il autorise aussi à s’allonger sur l’assise. La position normale, selon les usages en cours, est de s’asseoir sur l’assise ; s’asseoir sur le dossier ou s’allonger sur l’assise sont deux actions jugées contraires à ces usages et sont connotées plutôt négativement7.
- 8 Pour nous, il importe que la créativité des étudiants futurs praticiens s’oriente sur la praticité (...)
10De cette manière, comme offre en pratiques sociales, les aménagements urbains concourent aux activités urbaines. L’urbanisme, à travers les objets et les aménagements urbains qu’il contribue à produire, renouvelle cette offre et participe ainsi à la transformation des villes et des pratiques urbaines. En mettant l’accent dans nos enseignements sur la capacité des objets urbains à orienter les pratiques urbaines, il s’agit d’insister sur le rôle de l’urbanisme, des urbanistes et plus généralement des praticiens de l’urbaine dans l’orientation des villes et des processus de changements urbains, de manière non pas démiurgique, mais pratique8.
- 9 Institut National des Sciences Appliquées de Lyon.
11Les enseignements analysés dans cette contribution s’étendent sur une dizaine d’années. Ils intègrent des formations pluridisciplinaires dans le domaine des études urbaines et du génie civil. Ils ont été réalisés dans une école d’ingénieurs, l’INSA de Lyon9 et dans deux universités, l’Université Lyon 2 et l’Université de Saint-Etienne. Le Tableau 1 en présente une vue synthétique.
- 10 Les horaires indiqués sont des moyennes : ils ont pu légèrement varier selon les années universitai (...)
Tableau 1 : Présentation synthétique des enseignements – 2007-201710
Intitulé du cours
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Objets et format du cours
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Formation intégrant le cours
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Années
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Analyse sociologique et urbanistique
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Analyser et évaluer des projets de construction et leur insertion dans leur environnement urbain
Travail en atelier (30hTD)
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Projet Bâtiment, 5ème année, Département Génie Civil et Urbanisme, INSA Lyon
Ce projet implique également des étudiants de l’Ecole Nationale d’Architecture de Lyon (ENSAL)
Attendus du projet : projeter et concevoir un bâtiment ou un ensemble de bâtiments ; maîtriser les techniques de construction (structures, fondations, thermique du bâtiment, etc.)
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2009-2012
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Villes durables-Villes conviviales
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Etudier les enjeux sociaux, environnementaux, techniques, politiques et économiques de l’urbanisation actuelle et les conditions d’une orientation de cette urbanisation (notamment en faveur de pratiques moins polluantes)
Cours magistraux (8hCM), séminaire, séance en plein air (24hTD)
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Option transversale, 5ème année, INSA Lyon
Cette option implique des étudiants issus de différents départements de l’INSA Lyon, en particulier les départements Génie Civil et Urbanisme et Génie Energétique
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2007-2016
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Projet d’aménagement urbain
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Analyser les conditions de production des villes contemporaines à travers la notion de projet
Séminaire (16hCM)
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Master Aménagement et urbanisme, spécialité Recherche « Villes et sociétés » (M2), Université Lyon 2
Formation associant différentes approches dans le domaine des études urbaines : géographie, urbanisme, histoire, etc.
Séminaire optionnel
Attendus : préparer à une démarche de thèse dans le domaine des études urbaines
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2007-2016
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Espaces publics, usages et pratiques
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Mieux comprendre les conditions de l’activité urbaine, en particulier la mobilisation des objets dans cette activité et les règles d’usage que cette mobilisation implique
Séminaire, séance en plein air (16hCM)
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Master Aménagement et urbanisme, spécialité Recherche « Villes et sociétés » (M2), Université Lyon 2
Formation associant différentes approches dans le domaine des études urbaines : géographie, urbanisme, histoire, etc.
Séminaire optionnel
Attendus : préparer à une démarche de thèse dans le domaine des études urbaines
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2007-2016
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Villes et techniques
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Mieux saisir les processus de fabrication des villes ; revenir sur les rapports entre fabrication et usage et sur la promesse technique
Cours magistraux, séance en plein air (18hCM)
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Master Altervilles, Université Jean Monnet-Saint-Etienne
Attendus : former des professionnels généralistes des politiques et des stratégies urbaines
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2013-2017
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- 11 Cette observation peut être généralisée, cf. Midler, 1998.
12Ces enseignements s’intéressent de manière « concrète » aux conditions de la production urbaine actuelle en partant de la fabrication des objets de l’urbain. Ils traitent de la façon dont ces objets sont fabriqués, c’est-à-dire pensés, conçus, mis en œuvre, gérés, détruits, recyclés, etc., à travers l’analyse du mode dominant de cette fabrication, le « projet ». Le projet apparaît, dans l’expérience urbaine11, comme mobilisations d’acteurs, d’organisations et d’objets. Il sépare les acteurs mobilisés dans le processus de fabrication et ceux qui sont affectés ou intéressés par ce processus. Les premiers constituent les fabricants, à savoir, en France : les collectivités territoriales, les bureaux d’études techniques, les agences d’urbanisme, les gestionnaires de réseaux, les entreprises de réalisation, l’Etat, les fonctionnaires, les urbanistes, les paysagistes, etc. Les seconds constituent les destinataires ou les publics des objets, qui usent de ces objets dans leurs activités sociales : riverains, habitants, usagers, commerçants, associations, etc.
- 12 Notamment entre les pratiques projetées par les fabricants et celles effectuées par les publics.
- 13 C’est-à-dire des objets qui apparaissent insignifiants pour les individus et ne sont pas mobilisés (...)
13Ce faisant, nos enseignements analysent aussi les rapports entre ces deux groupes d’acteurs et plus largement les rapports entre la fabrication et l’usage. Les diagnostics d’une crise de l’urbain se sont multipliés ces dernières années et stigmatisent des relations problématiques, voire une séparation, entre les fabricants et les publics et entre la fabrication et l’usage (Choay, 1965 ; Vareilles, 2006). Ils s’appuient entre autres sur l’observation de conflits d’usages autour des objets12 et d’objets hors des usages13. Ces diagnostics interrogent sur l’activité des fabricants, en particulier sur le rôle des urbanistes, des aménageurs et des ingénieurs ainsi que sur la capacité d’action des personnels politiques. Dès lors, nous revenons non seulement sur les pratiques de concertation développées dans l’aménagement urbain comme moyen de résoudre ou de limiter cette séparation (Vareilles, 2006), mais aussi sur la « typologie » comme théorie faisant correspondre, dans la tradition architecturale et urbaine, des fabrications et des usages (Devillers, 1974).
14Enfin, les enseignements dispensés envisagent la mobilisation des objets et des aménagements urbains fabriqués dans les activités sociales. Ils analysent les conditions de cette mobilisation et les possibilités ouvertes par cette mobilisation pour l’action. Ces analyses visent à penser un processus d’évaluation des objets de l’urbain à l’aune de ce que ces objets permettent de faire, de faire faire, d’inhiber, d’interdire ou de limiter. Cette évaluation permet de réexaminer les promesses techniques contenues dans les objets. Ainsi, il s’agit, dans le contexte urbain actuel, d’étudier les possibilités d’orienter, à travers les objets produits, les processus d’urbanisation par exemple, dans une perspective de progrès social, vers des villes plus écologiques, plus justes, plus conviviales – au sens d’I. Illich (1973) – ou plus égalitaires.
15Pour cela, les configurations des enseignements privilégient la mise en situation des étudiants et le recours à l’empirie. Il s’agit de mettre les étudiants en situation d’« expérience » et plus exactement d’objectivation de l’« expérience » urbaine et des pratiques. Des cours en plein air sont organisés dans l’espace public urbain. Nos enseignements sont également réalisés en binômes : cette situation permet d’animer le cours à partir d’une pluralité de points de vue. Compte tenu de nos expériences et nos parcours respectifs (architecte-sociologue urbain et ingénieure-urbaniste), nos points de vue peuvent être différents sur les propositions présentées. Cette situation permet de mettre en dialogue et en discussion ces propositions. Elle donne aussi à voir aux étudiants une partie des discussions qui ont lieu dans le champ des études urbaines et de l’urbanisme. En montrant des axes possibles de discussions et de controverses, elle s’attache à favoriser les échanges, la réflexion individuelle et collective et l’analyse critique sur le contenu et les propositions avancées dans les cours. Elle vise ainsi à cultiver un esprit critique construit non pas à partir des idées (idéaux, idéologies) mais de la pratique et de ce que l’aménagement modifie dans les comportements individuels et collectifs. En ce sens, nous cherchons à former une critique réaliste et pragmatique.
- 14 L’analyse rapide (à travers les maquettes pédagogiques et en particulier les intitulés de cours) de (...)
16Nos enseignements sont une interprétation particulière de formes d’enseignement assez répandues dans les écoles d’architecture, notamment dans le rapport de la formation au faire et à l’action (construction, transformation, planification). Cela dit, nous avons pour ainsi dire détourné ces formes d’enseignements en focalisant l’attention des étudiants non plus sur la forme des objets mais sur leur praticité et les offres en pratiques qu’ils ouvrent. Cette attention aux objets et à leur rôle dans les activités urbaines ainsi que les conséquences que nous en tirons pour les pratiques d’aménagement nous amènent à occuper une position originale dans les formations lyonnaises et stéphanoises auxquelles nous participons14.
17Pour illustrer ces propos généraux, nous nous focaliserons sur trois exercices mis en œuvre dans ces cours : l’exploration des mondes possibles à travers les « plans », l’observation des activités sociales et du rôle des objets urbains dans ces activités dans le cadre de cours en plein air et l’identification, à travers une enquête iconographique, des types en vigueur dans les villes contemporaines.
18L’exploration des mondes possibles (Callon et al., 2001) est mise en place dans le cadre du projet « Bâtiment » du département Génie Civil et Urbanisme (cours « Analyse sociologique et urbanistique »). Le projet « Bâtiment » consiste à élaborer et concevoir un bâtiment et son insertion urbaine à partir d’un programme : ce bâtiment peut être un équipement (gare, cinéma, centre de collecte de déchets) ou un ensemble d’habitations. Le projet regroupe des étudiants de l’INSA de Lyon et de l’Ecole Nationale d’Architecture de Lyon (ENSAL). C’est un travail collectif : les groupes comprennent entre cinq et sept étudiants, répartis à peu près également entre élèves-ingénieurs et étudiants en architecture. Dans un premier temps, l’ensemble des étudiants travaille sur la forme et la configuration du bâtiment ainsi que son insertion dans un contexte urbain. Dans un second temps, les étudiants se divisent : les étudiants en architecture approfondissent la conception architecturale ; les élèves-ingénieurs développent les structures, les fondations et la thermique des bâtiments. Ces deux phases sont sanctionnées par deux soutenances et des rendus écrits, qui mobilisent tous les étudiants. Nos interventions se situent dans la première phase.
- 15 L’exercice comprend également une analyse de la configuration interne du bâtiment et des pratiques (...)
19L’exercice demandé consiste à considérer l’offre en pratiques sociales contenue dans le bâtiment projeté et à évaluer cette offre à partir des documents du projet (programme, plans, esquisses, etc.) et des problèmes que, selon les étudiants, l’aménagement envisagé tente de résoudre. Il s’agit d’étendre la projection du dessin à la pratique : par exemple de se projeter en tant qu’usager, touriste ou automobiliste. Les étudiants doivent intégrer l’existant, les pratiques en cours et celles que les aménagements projetés vont modifier selon les publics présents et à venir (hommes, femmes, habitants, salariés, jeunes, etc.) : quels sont les effets attendus du bâtiment et de son implantation dans la ville sur les pratiques urbaines ? Le projet permet-il la réalisation des pratiques visées dans le programme ? En quoi ? Quelles sont les pratiques qui sont favorisées ou limitées ? De quelles manières le projet permet-il de régler des conflits d’usage ? Quels rapports autorise-t-il entre les publics et les groupes sociaux ? Quelles conditions assurent-ils pour la vie urbaine ? Etc.15
20Pour répondre à ces questions, les étudiants utilisent les outils de projection, à savoir : les plans, les dessins, les esquisses et les croquis. Au cours de l’exercice, ils sont amenés à se projeter dans le « plan », c’est-à-dire à se mettre à la place d’un usager ou d’un public du futur bâtiment et à imaginer les pratiques et les situations d’action que les objets mis à disposition par le projet peuvent autoriser. L’exercice s’appuie ainsi sur la capacité des étudiants à projeter (faire le plan en vue d’une réalisation) et à s’y projeter comme « utilisateur » en mobilisant leur faculté d’empathie à l’égard des usagers et des publics urbains ainsi que des commanditaires et des investisseurs qui assurent la réalisation des projets. En impliquant des étudiants de formation et d’expériences sociales et professionnelles différentes, ces exercices permettent de confronter les projections des étudiants et de tester leur robustesse. Le rendu consiste en une note de synthèse présentant les résultats de l’analyse réalisée et comprend en général de nombreux schémas, croquis ou plans annotés justifiant des partis pris urbanistiques, architecturaux, esthétiques et techniques à partir des usages et des pratiques existantes ou escomptées.
- 16 Ces contraintes dépendent à la fois des organisations sociales du travail et de la famille, des org (...)
21Notre rôle dans l’exercice est de stimuler la mise en situation des étudiants à partir du plan qu’ils projettent. Nous rappelons le rôle des objets dans les activités sociales et la situation des destinataires des objets projetés : ceux-ci sont des individus qui ne sont pas hors du monde, mais dans le monde, ici et maintenant, avec des contraintes sociales, organisationnelles et économiques16. L’exercice vise à mettre à l’épreuve les objets projetés, voire aussi souvent les idéologies sous-tendues par ces projections, à la réalité des pratiques. Par exemple, les projets de quartiers sans voiture sont discutés par rapport aux pratiques des familles avec enfants : aller au travail, faire leurs courses, amener les enfants à l’école et à leurs activités extra-scolaires, etc. avec ou sans voiture, en vélo, en transport en commun et à pied. Il importe alors de ne pas stigmatiser les pratiques et les personnes, mais de bien mettre en évidence les conditions de l’action, d’y percevoir les conditions possibles d’évolution des pratiques et d’identifier ce que le travail de projection des aménagements peut changer : en quoi les conditions de l’action des individus et des collectifs relèvent-elles de l’aménagement urbain et de l’urbanisme ? Dépendent-elles d’organisations sociales, économiques ou politiques plus larges ? Comment l’urbanisme peuvent-ils les influencer ? Est-il possible de le traduire en projection dans des aménagements urbains appropriés ?
- 17 Quelques observations concernent les espaces recevant du public (gare, centre commercial) : ne rele (...)
22Les cours en plein air sont consacrés à l’observation des activités sociales. Ils sont organisés dans les cours de master « Villes et techniques » et « Espaces publics, usages et pratiques » ainsi que dans l’option « Villes durables-Villes conviviales ». Ils ont lieu dans des espaces publics urbains (places, rues, jardins, etc.)17 et ont pour objectif d’étudier la mobilisation des objets par les publics dans les activités urbaines. De quelles manières les publics utilisent-ils les objets de l’urbain ? Que font-ils avec ces objets ? Les comportements vis-à-vis de ces objets sont-ils réguliers ? Dépendent-ils des groupes, des classes sociales ou du genre ? Quels usages ces objets actualisent-ils ? Comment règlent-ils les rapports entre les individus et les groupes ? Suscitent-ils des conflits ou des détournements d’usage ? Etc. Ces questions et les méthodes d’observation sont à la discrétion des étudiants et discutées lors du temps imparti à la préparation, en amont du cours en plein air.
- 18 Le cours « Espaces publics, usages et pratiques » se déroule à l’Institut d’Urbanisme de Lyon, dans (...)
- 19 Les observations ont lieu des jours ouvrés, le matin ou l’après-midi.
23L’exercice est réalisé individuellement (cours « Espaces publics, usages et pratiques) ou en groupe de trois à six étudiants (cours « Villes et techniques » et option « Villes durables-Villes conviviales). Les observations se déroulent souvent à proximité des lieux d’étude18. Les étudiants choisissent l’objet ou l’aménagement urbain observé (cf. Tableau 2). Ces dispositifs appartiennent souvent au quotidien des étudiants. Ainsi, ceux-ci connaissent préalablement les lieux et peuvent, à travers l’exercice, analyser des pratiques quotidiennes. Ils définissent les objectifs de l’observation et le protocole d’enquête mis en œuvre. Le cours en plein air dure trois ou quatre heures (selon les maquettes pédagogiques19). Le rendu de l’exercice consiste en une restitution orale devant le groupe et une synthèse écrite.
Tableau 2 : Des exemples d’observation à Lyon, Villeurbanne et Saint-Etienne : aménagements observés et objectifs de l’observation
Aménagements urbains observés
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Objectifs de l’observation
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Années
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Le parc Tête d’or, Lyon, 6ème arr.
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Analyser l’entrée et la sortie du parc comme le passage d’un seuil : comment les pratiques changent-elles entre l’intérieur et l’extérieur du parc ? En quoi le portail du parc fonctionne-t-il comme un seuil ?
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2010-2011
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La place Gabriel Péri, Lyon, 7ème arr.
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Observer les comportements des populations immigrées (pour une grande partie d’origine algérienne) et les comparer aux pratiques des places Algériennes
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2010-2011
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La passerelle du Palais de Justice, Lyon, 2ème arr.
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Observer les comportements des usagers de la passerelle piétonne (piétons, cyclistes, motocyclistes) : comment les usagers se positionnent-ils sur la passerelle lors de leurs déplacements ? Comment se dépassent-ils ? Ces comportements dépendent-ils du mode de déplacement utilisé ? Etc.
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2011-2012
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La place Jacquart, Saint-Etienne
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Observer les usages de la place et les interactions entre les usagers et les dispositifs techniques installés
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2013-2014
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La station Cordeliers du métro A, Lyon, 2ème arr.
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Analyser les façons de monter dans le métro : attente et accès à la voiture – comparaison avec la station Bastille de la ligne 1 à Paris
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2013-2014
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Le carrefour cours H. Sauzea / rue E. Mimard / cours G. Nadaud, Saint-Etienne
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Analyser les comportements des piétons lors de leur traversée, en particulier leur mobilisation des boitiers piétons et des feux (piétons et routiers)
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2015-2016
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L’allée piétonne du Lys, Villeurbanne
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Analyser l’appropriation de l’allée aux activités sociales : en quoi cette allée est-elle un objet convivial pour les usagers ?
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2015-2016
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La sculpture « Onlylyon », Lyon, 2ème arr.
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Observer les interactions entre la sculpture et les usagers de l’espace public : quels comportements la sculpture suscite-t-elle ? Est-ce qu’elle « fonctionne » (par rapport aux objectifs de son installation dans l’espace public) ?
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2015-2016
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Le parvis de la bibliothèque universitaire, rue de la Tréfilerie, Saint-Etienne
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Observer les comportements des piétons par rapport à une bande bleue dessinée sur le sol (représentant le Furan, une rivière souterraine)
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2016-2017
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24Les méthodes d’observation sont ajustées au temps d’enquête et sont généralement rudimentaires : prise de note, comptage manuel, réalisation de croquis, annotation de plans, usage de photographies, etc. Elles dépendent du nombre d’observateurs mobilisés : le travail en groupe permet de multiplier les points d’observation ou de partager les éléments à relever entre les observateurs afin que le compte rendu soit plus exhaustif. Lors de l’observation, les plans annotés, les photos et les schémas sont utilisés comme moyens mnémotechniques. Ils servent à repérer et à enregistrer les positions des individus dans l’aménagement urbain (déplacements et regroupements) ainsi que leurs comportements vis-à-vis des autres individus et des objets composant cet aménagement. Une partie d’entre eux est reprise, comme illustrations, dans les comptes rendus (oral et écrit) de l’observation.
- 20 Par exemple, des difficultés liées à la notation des activités, aux classements et à la catégorisat (...)
25Lors du cours en plein air, chaque étudiant ou groupe d’étudiants réalise ses observations sur les terrains qu’il a choisis. Nous rencontrons alors les étudiants sur leur lieu d’observation pour échanger avec eux sur la mise en œuvre de l’observation, les difficultés que cette observation soulève20 et les premiers résultats de l’observation. Bien que les observations soient relativement courtes, ces observations et l’analyse des données recueillies permettent aux étudiants assez rapidement de percevoir des régularités dans les comportements, des objets hors des usages ou des détournements d’usage et d’évaluer l’appropriation des objets observés aux activités sociales. La valorisation de cette efficacité fait partie des résultats du cours : montrer que l’observation peut permettre d’accumuler des informations à condition que les questions soient clairement posées et que les méthodes utilisées pour y répondre soient adéquates. Dans certains cas, lorsque les situations observées impliquent des enfants et des adultes, il est également possible d’observer des processus d’apprentissages (à travers les consignes et les rappels à l’ordre des adultes aux enfants). Dans tous les cas, il s’agit pour les étudiants de mieux saisir, en passant par l’empirie, l’instrumentation des activités sociales et les règles d’usage que cette instrumentation implique. Même lorsque les individus ne font pas ce que les fabricants escomptent, leurs comportements sont réglés par les usages et n’apparaissent pas erratiques : ils sont évidents après coup. Les restitutions orales sont l’occasion de confronter et de discuter les résultats produits par les étudiants et de revenir sur le contenu du cours et plus largement sur leurs expériences urbaines (en tant qu’habitants, usagers, piétons, cyclistes, étudiants, futurs aménageurs, etc.).
26La question des types est abordée dans la plupart de nos enseignements. Elle reprend la définition proposée par C. Devillers (1974) en architecture : les types sont des structures de correspondance entre des espaces projetés ou construits et des pratiques. Ils constituent des programmes implicites, qui ne font pas l’objet de discussion entre les fabricants et les publics. Par exemple, le type « cuisine » renvoie à une pièce dans laquelle on prépare et éventuellement on prend les repas et qui est équipé de telle manière que ces deux activités soient possibles (plaques de cuisson, four, frigidaire, évier, prises électriques, table, chaises, etc.). Les discussions entre l’architecte ou le constructeur et son client ne portent pas sur ce qu’est une « cuisine », ni sur les objets qui doivent y être présents, mais sur des précisions ou des variations individuelles : la superficie de la pièce, sa configuration, les équipements complémentaires, la gamme de ces équipements, etc. Le type n’est pas un plan à reproduire (ce qu’est le « modèle »), mais un principe d’organisation spatiale en lien avec les usages. Ce principe d’engendrement permet une grande variété de formes dans un même type.
27Les types concernent également l’aménagement urbain : par exemple, une « rue », une « ruelle », un « boulevard », un « square », une « place ». Dans le cadre du cours « Projet d’aménagement urbain », nous proposons aux étudiants de retrouver des types en application actuellement. Pour cela, les étudiants sont invités à remplir, en salle, deux tableaux reprenant plusieurs objets urbains : « maison », « hôtel particulier », « immeuble », « rue », « place » et « square » (cf. figure 1). Pour chacun de ces objets, ils doivent indiquer en quelques mots les pratiques et les usages appelés par ces objets et ses caractéristiques techniques (matériaux, systèmes constructifs, dispositifs techniques, etc.). Ils doivent également dessiner, de manière schématique, l’objet (façade ou perspective), une vue en plan et un plan de situation. Ce travail est réalisé individuellement et dure une vingtaine de minutes. A l’issue de ce travail, l’ensemble des tableaux est exposé de manière anonyme et analysé collectivement.
- 21 Cf. Ishida, 2005 pour une utilisation et une analyse plus systématiques de ces tableaux, dans le ca (...)
- 22 Ces résultats ne se différencient pas selon les formations initiales des étudiants (ingénierie, arc (...)
28Le groupe participant au cours « Projet d’aménagement urbain » comprend entre 12 et 15 étudiants. Ces étudiants ont des origines scolaires variées : écoles d’ingénieurs, écoles d’architecture, M1 en géographie et en urbanisme. Une partie d’entre eux sont étrangers et viennent notamment du Maghreb et de l’Asie. Au-delà de ces différences, l’analyse des tableaux montre une certaine homogénéité des dessins et des mots associés pour les objets « maison », « rue », « place » et « square ». Par exemple, la quasi totalité des maisons est représentée par un carré surmonté d’un triangle isocèle (cf. Figure 1). En général dans le carré est dessiné une porte encadrée de deux fenêtres ; une cheminée peut être tracée sur un des côtés du triangle ; l’environnement immédiat de la maison peut être planté d’un ou de plusieurs arbres. Les mots associés à la maison sont souvent : « vivre », « manger », « dormir », « famille ». Les dessins et les mots associés aux objets reflètent les schèmes de correspondance entre des formes spatiales et des pratiques. L’uniformité observée traduit un accord entre les étudiants sur ces schèmes, qui définit le type en vigueur associé à l’objet. L’uniformité des tableaux n’est pas totale : des singularités apparaissent dans les tableaux remplis par des étudiants étrangers. Cette situation n’est pas celle de tous les étudiants étrangers. Une partie de ces étudiants remplissent des tableaux conformes aux étudiants français. Ils expliquent leurs réponses par la désignation de l’objet en français. Si les objets mentionnés avaient été indiqués dans leur langue maternelle, ils auraient fait des réponses différentes. Les réponses des étudiants étrangers montrent qu’une partie de ces étudiants ne partagent pas les types en vigueur en France. Elles rappellent ainsi que les types ne sont pas universels, mais qu’ils sont propres à une société (ici concrétisée dans une langue21). Par ailleurs, plus les objets sont loin dans l’histoire, plus il est difficile aux étudiants de retrouver les schèmes de correspondance. C’est typiquement le cas des objets comme « hôtel particulier ». En général, les dessins et les mots associés à cet objet ne renvoient pas aux demeures citadines des nobles du xviiie siècle, mais à l’hôtellerie et à « hôtel ». Le type « hôtel particulier » semble obsolète pour les étudiants. Le type « immeuble » apparaît dans une situation d’entre-deux : si toutes les pratiques associées relèvent de l’habitat et des activités domestiques, les dessins se divisent entre les barres et les tours des « grands ensembles » de banlieue et les constructions de plusieurs étages des centres-villes anciens. Le programme implicite des immeubles ne fait pas consensus parmi les étudiants22.
Figure 1 : Les tableaux de l’enquête iconographique sur les types – exemples
29Le choix des objets étudiés est délibéré. Il porte sur des types aux statuts différents : types en vigueur (« maison », « rue », « place » et « square »), tombés en désuétude (« hôtel particulier ») ou peu assurés (« immeuble »). A travers ces tableaux, nous cherchons à montrer aux étudiants de quelles manières l’existence des types, comme structures de correspondance entre des fabrications et des usages, peut régler à la fois les activités des fabricants et des publics. Cet exercice et les discussions autour des types permettent de revenir en particulier sur les déconvenues soulevées par de nouveaux objets comme les écoquartiers et les écotechnologies. Comment ces objets articulent-ils fabrication et usages ? Constituent-ils des types ? Actualisent-ils des usages existants ou sont-ils hors des usages ?
- 23 Cette perspective a été reprise dans les enseignements que nous dispensons actuellement dans la nou (...)
30L’analyse rétrospective de ces enseignements (contenus et formes) nous amène à formuler deux remarques sur le rôle de l’empirie dans la formation et sur les rapports entre urbanisme et action. Il s’agit, dans une perspective pragmatique, de limiter la séparation entre formation, recherche et action23.
- 24 A ce titre, ces enseignements relèvent des travaux pratiques, comme moyen de vérifier, appliquer ou (...)
31La mise en place d’observation in situ et d’enquêtes iconographiques relève d’un travail empirique. Ce recours à l’expérience vise une meilleure compréhension par les étudiants des éléments du cours. Il s’agit ainsi d’expérimenter une partie des phénomènes urbains analysés et de mettre en application les cadres d’analyse présentés24. Compte tenu de la nature de ces phénomènes, les expérimentations portent sur des objets « grandeur nature » : pour l’essentiel des espaces publics urbains existants. L’application de protocoles d’enquête permet aux étudiants de saisir des phénomènes implicites, peu formulés, voire inconscients dans les activités quotidiennes des publics et des fabricants : par exemple, l’existence des types dans la ville et les processus de fabrication, la régulation des pratiques par les usages et l’apprentissage de l’espace public urbain comme instrument dans la vie urbaine.
32Le rôle du terrain dans cet exercice diffère de son rôle dans le projet d’aménagement. Le projet d’aménagement vise la transformation d’une situation urbaine présente (le « terrain ») par la projection d’une nouvelle réalité souhaitable (par rapport à un programme ou à des enjeux identifiés après un diagnostic). Dans les expérimentations mises en œuvre, le terrain est étudié pour comprendre des phénomènes urbains contemporains et éventuellement, ce faisant, les conditions possibles de sa transformation. Il sert à la production par les étudiants de connaissances empiriques sur l’urbain et sur les processus d’urbanisation actuels.
- 25 Cette attitude tient sans doute aussi pour une part au niveau d’étude : les étudiants concernés son (...)
33Sur le plan formel, le recours à l’empirie bouscule les configurations traditionnelles des cours (cours en salle, transmissions des connaissances du professeur vers les étudiants). Il implique des nouvelles formes d’enseignement : par exemple cours à l’extérieur, partage des connaissances produites par les étudiants. Ces nouvelles formes d’enseignements modifient la place des étudiants dans les cours : ceux-ci tendent, dans ces nouvelles configurations, à prendre plus d’initiatives et à susciter davantage les échanges25. Nous attendons aussi de ces échanges une contribution critique des étudiants : leurs contributions aux cours (objections, remarques, rejets ou adhésion) participent ainsi à l’épreuve de robustesse de notre cadre d’analyse présenté dans nos enseignements à partir de nos recherches.
34L’orientation donnée à nos enseignements accorde une place importante à la question des rapports entre urbanisme, aménagement et action. Cette question nous apparaît essentielle compte tenu du contexte urbain actuel et des enjeux que soulèvent les processus d’urbanisation en cours (massification des villes, pollutions environnementales importantes, inégalités sociales croissantes, etc.). Dans sa dimension opérationnelle, l’urbanisme est transformation du monde. Il participe à aménager les conditions de la vie urbaine comme ensemble d’activités sociales. Cet aménagement passe par la fabrication d’objets de l’urbain (espaces publics, réseaux divers, automobiles, immeubles d’habitation, quartiers, etc.). Selon la nature des aménagements produits, les conditions de la vie urbaine, qui sont matérielles, économiques, environnementales, politiques et sociales, ne sont pas égales et peuvent se différencier selon les individus et les publics. Les sociétés urbaines sont ainsi plus ou moins égalitaires, solidaires, individualistes, ségrégées, « marchandisées », etc.
35Dès lors, nos enseignements visent à interpeller les étudiants sur l’implication des objets de l’urbain dans l’action des publics et leurs activités sociales. L’urbanisme et la fabrication des objets urbains qu’il implique sont analysés comme la constitution d’offres en pratiques sociales à destination des publics pour leurs activités quotidiennes. L’évaluation de ces objets est donc ici pragmatique : elle s’effectue par rapport à leur appropriation aux activités sociales et plus largement aux conditions sociales, économiques, politiques et techniques de l’action dans les sociétés contemporaines. De quelles manières les objets urbains permettent-ils la réalisation des activités quotidiennes ? Augmentent-ils la capacité d’action des individus ? En quoi contribuent-ils à leur autonomie ? Comment répondent-ils aux enjeux urbains actuels, par exemple de transports ou de ségrégation sociale ? Etc.
36Dans l’ensemble, le parti pris autour des objets urbains défendu au sein de nos enseignements permet de montrer le rôle des objets dans la transformation du monde et ce faisant, le rôle des urbanistes, des aménageurs et plus généralement des praticiens de l’urbain, qui contribuent à fabriquer ces objets, dans cette transformation. Ce parti pris permet de montrer le rôle des objets dans la transformation du monde et ce faisant, le rôle des urbanistes, des aménageurs et plus généralement des praticiens de l’urbain, qui contribuent à fabriquer ces objets, dans cette transformation. Il s’agit d’aider les étudiants futurs praticiens de l’urbain à penser la fabrication de la ville et des objets urbains à l’aune des usages et des pratiques sociales en vigueur, c’est-à-dire à articuler cette fabrication aux conditions de l’action ici et maintenant. Cette manière de penser doit permettre d’échapper aux idéologies et aux injonctions et d’envisager les changements urbains par rapport aux objets urbains (nouveaux et anciens) mis à la disposition des publics pour leurs activités. Comment ces objets sont-ils appropriés à la réalisation des changements envisagés ? En quoi peuvent-ils modifier les conditions sociales, économiques, politiques et techniques des individus qui sous-tendent ces changements ? Quels objets pourraient mieux assurer ces conditions ? Ainsi, les urbanistes peuvent participer, par leurs activités, à la transformation du monde et orienter les processus d’urbanisation.
37Au-delà de l’aménagement des villes, l’analyse des rapports entre urbanisme et action permet de revenir dans nos enseignements sur la question technique dans les sociétés hyperindustrielles (Stiegler, 2013). Les cas étudiés et les échanges avec les étudiants permettent de discuter des possibilités d’une critique pragmatique des objets techniques, qui pourrait accorder une place prépondérante aux usages dans la fabrication et (re)considérer les moyens d’émancipation et d’autonomie contenus dans les objets. Cette critique pourrait participer, plus largement, des débats politiques en cours, qui engagent l’ensemble des urbains, sur la place des objets dans les sociétés contemporaines.