Samuel Robert, Hélène Melin (dir.) Habiter le littoral. Enjeux contemporains
Samuel Robert, Hélène Melin (dir.), 2016, Habiter le littoral. Enjeux contemporains. Editions Espace et Développement, Presses Universitaires de Provence & Presses Universitaires d'Aix Marseille, Aix Marseille Université, 471 pages
Texte intégral
1Cet ouvrage résulte d'une collaboration entre la Société d'Écologie Humaine (SEH) et l'Observatoire Hommes-Milieux (OHM) Littoral méditerranéen, du Labex DRIIHM. Il est la concrétisation d'échanges issus des 26èmes journées de la SEH intitulées « Habiter le littoral. Enjeux écologiques et humains contemporains », organisées à Marseille du 16 au 18 octobre 2014. Ces journées furent le dernier grand rassemblement des littoralistes en France jusqu'à ce jour.
2Cinq parties déclinent la notion d'habiter le littoral : « Entre nature et culture. Habiter un lieu singulier » ; « Différentes manières d'être habitant » ; « Habiter ensemble. Gouvernance et jeux d'acteurs » ; « Habiter malgré tout. Le littoral, un milieu à risques » ; « Sciences-sociétés. Contribution des scientifiques pour un meilleur « habiter » ». Si la notion d'habiter existe depuis 1990, lancée par Nicole Mathieu, elle se décline ici sur les espaces littoraux et montre ainsi des modes d'habiter, des représentations et des modes de vie spécifiques au littoral.
3Les deux premières parties abordent les différentes manières d'être habitants du littoral et leurs rapports aux lieux littoraux. Certains chapitres traitent de la concurrence spatiale intégrant la notion de fréquentation ou surfréquentation selon les acteurs, impliquant parfois le morcellement de supports spatiaux pour des activités spécifiques (pêche…). Les représentations et les savoir-faire sont centraux dans ces deux chapitres et mettent en exergue l'habitant et son mode d'habiter. Plusieurs chapitres exposent les particularités de vivre sur le littoral, par exemple en remontant le temps jusqu'au Moyen Age sur une île lagunaire en Languedoc-Roussillon, ou en montrant ce qu'implique l'insularité sur l'île de Sein comme mode de vie en 2014, ou encore en exposant des portraits tels que les goémoniers et leurs connaissances de leur milieu, ou bien celui d'un Sous-Préfet à la mer et ses rapports au territoire.
4La troisième partie consacrée à la gouvernance et aux jeux d'acteurs est composée de cinq chapitres traitant de thématiques différentes ; ce qui rend cette partie hétéroclite mais riche. Dans le chapitre sur la gouvernance foncière au Pays basque, l'auteur expose l'évolution du jeu d'acteurs, depuis la MIACA des années 1970 jusqu'à aujourd'hui, les enjeux territoriaux qu'ont engendrés le repositionnement de certains acteurs et l'émergence de nouveaux au sein du système foncier depuis la décentralisation. Un chapitre apporte une analyse réflexive sur les modalités de la concertation et sur la participation lors des débats publics, concernant les projets éoliens en mer. Cette analyse construite à partir des verbatim des participants montre le taux d'interventions par catégorie d'acteurs et par thématiques abordées. Le chapitre consacré à l'un des acteurs essentiels du littoral, le Conservatoire du Littoral, est très instructif pour tous ceux qui s'intéressent au littoral et à sa protection. L'auteure retrace son histoire, ses stratégies depuis les 40 dernières années et explique celle menée à l'horizon 2050. Un chapitre montre l'évolution du littoral ivoirien, de l'époque de la colonisation à aujourd'hui, en mettant en relief les types d'acteurs et choix politiques qui ont modifié le paysage de ce littoral, sa vocation économique et généré des déplacements des autochtones réduits à vivre dans des espaces insalubres. Pour finir, le chapitre ethnographique sur le savoir-faire des pêcheurs d'anguilles et leur système d'organisation démontre bien l'organisation au sein de cette communauté et du partage de l'espace pour une pêche durable. Le propos est doublement intéressant selon la restitution d'un décalage entre d'une part, une réglementation imposée par l'Europe dans le cadre de la protection de ressources considérées en extinction et d'autre part, le constat fait de la ressource à l'échelle locale. Cette incompréhension se retrouve très souvent sur d'autres secteurs de la côte française et pour d'autres espèces pêchées.
5La quatrième partie intitulée « Habiter malgré tout. Le littoral, un milieu à risques » est agréable à lire car elle aborde la problématique du risque à partir d'études de cas et selon des approches disciplinaires différentes. Une approche anthropologique permet d'analyser l'instrumentalisation d'un patrimoine immatériel commun à travers un personnage historique dans le but d'améliorer l'esprit de prévention face au risque de tsunamis au Japon. Le chapitre sur la recherche juridique instruit le lecteur sur les propositions d'outils juridiques d'anticipation d'un repli urbain stratégique, par rapport au risque de submersion marine, notamment à partir de la Méthode d'Anticipation du Recul du Littoral (MARel). Une approche socio-écologique mobilisée à propos de la représentation du risque sanitaire de la prolifération du moustique Tigre utilise la lexicographie pour mettre en relief des perceptions liées aux lieux et aux actions de communication et des politiques menées. La méthodologie et l'analyse qui en est faite sont instructives pour des ingénieur(e)s ou chercheur(e)s qui souhaiteraient répliquer ce type de méthode. L'approche ethnographique de la perception du risque sur les côtes de Québec montre que l'érosion est perçue de différentes façons par les habitants et n'est pas toujours considérée comme un risque, contrairement à ce qui est affirmé dans les rapports d'experts. D'une manière plus classique mais toujours utile, l'approche géomorphologique de l'impact d'une tempête en 2012, qui cette fois-ci se situe le long du littoral de Sousse en Tunisie, démontre encore une fois et de manière très claire comment peuvent évoluer des plages après un gros épisode d'érosion.
6La dernière partie intitulée « Sciences-sociétés. Contribution des scientifiques pour un meilleur « habiter » », est intéressante pour les scientifiques engagés dans une recherche-action. En effet, elle aborde différents aspects méthodologiques, reproductibles, pour acquérir de la donnée (fréquentation maritime, capacité d'accueil…). De plus, elle restitue une analyse réflexive sur les avantages et les limites de l'approche des services écosystémiques par rapport à d'autres approches plus qualitatives et participatives, telle que la notion de valeur des lieux en Nouvelle-Calédonie. La notion d'habiter implique de questionner le social et le culturel, thématiques qui sont plus difficiles, voir impossible, à appréhender avec l'approche par les services écosystémiques, et plus particulièrement lorsque les scientifiques occidentaux s'intéressent à des terrains dans des pays non occidentaux où les valeurs de l'habiter n'ont pas les mêmes référentiels. Les auteurs démontrent ainsi que le choix des processus d'analyse des enjeux territoriaux est essentiel pour dépasser certains cadres normatifs au sein du jeu d'acteurs. Ce chapitre montre comment la géoprospective, appliquée à la diffusion de l'habitat, aide à repérer des aires de fortes pressions urbaines à plusieurs échelles et à repérer les secteurs d'attractivité en fonction de leurs potentiels d'attractivité. De même, le travail de recherche consacré à la définition des indices de qualité de vie, et leurs résultats concernant les territoires littoraux et leurs arrière-pays, est instructif et permet de minorer certains discours classiques anti-tourismes.
7L'ouvrage apporte au final une vue d'ensemble sur les dernières recherches spécifiques aux espaces littoraux dans différentes disciplines scientifiques : géographie, ethnoécologie, droit, histoire, anthropologie et sociologie, sciences politiques... Force est de constater que les méthodes qualitatives sont de plus en plus utilisées. Aussi, étudiants, doctorants, ingénieurs, enseignant-chercheurs et chercheurs pourront tirer profit de cette lecture.
Pour citer cet article
Référence électronique
Christelle Audouit, « Samuel Robert, Hélène Melin (dir.) Habiter le littoral. Enjeux contemporains », Territoire en mouvement Revue de géographie et aménagement [En ligne], 37 | 2018, mis en ligne le 12 février 2018, consulté le 03 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tem/4480 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/tem.4480
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