Nous remercions Pierre Courtiade, coordinateur du pôle Energie/Climat de l'ADEME en Guyane et chargé du programme d'approvisonnement Biomasse pour ses importants apports.
Ce travail s’inscrit dans le cadre des programmes Bioflor et Frontagui, soutenus par le programme franco-brésilien de coopération universitaire et scientifique Guyamazon (AIRD-Fondation de soutien à la recherche d'Amapa- FAPEAP) et par le programme REK-ABIOS du LabEx CEBA (ANR-10-LABX-25-01).
1Cet article étudie l’influence des conventions internationales d’environnement sur la requalification des ressources forestières de la Guyane. Nous montrons comment la Région se saisit des enjeux environnementaux pour valoriser sa forêt par des politiques de développement endogène, par une revendication d'autonomie en opposition avec les politiques de l'État.
- 1 Ces deux conventions ont été signées lors du Sommet de la Terre organisé par l'ONU à Rio de Janeiro (...)
2La forêt tropicale est présentée comme un enjeu international de conservation par les défenseurs de l'environnement. La convention sur la diversité biologique comme la convention sur les changements climatiques1 ont proposé le recours à des solutions marchandes pour assurer sa conservation : un marché des ressources génétiques pour l'une, un marché du carbone pour l'autre. Il ne s’agit plus alors simplement de légiférer et d’inciter à la conservation par l’instauration de taxes ou de subventions, mais également d’attribuer une valeur monétaire à des biens et services qui n’en avaient pas forcément jusqu’alors. Cela implique également de définir des droits de propriété sur les terres et les ressources, de reconnaître les diverses perceptions de la biodiversité pouvant fortement varier d’un pays à un autre, d’une région à une autre, et localement d’un groupe culturel à l’autre.
3Le traitement symétrique de la biodiversité et du carbone, deux représentations de la forêt, permet d’illustrer les régularités et les limites des politiques d’environnement. L’impératif de développement durable conduit à reconsidérer le statut et les usages des ressources naturelles : d'une part, une approche théorique où le monde apparaît à l'image de la théorie dominante qui promeut les solutions de marché ; c’est en rendant marchands les éléments de l'environnement que les agents économiques peuvent assurer une gestion durable (TEEB, 2010) et, d' autre part, une approche expérimentale où les solutions aux problèmes se construisent par des recueils d'observations, des mesures et des instruments institutionnels et économiques qui définissent les ressources et leur mode de gestion (Muniesa et Callon, 2008). C’est la façon dont la Guyane a composé avec ces expectatives marchandes liées à la conservation que nous étudions ici.
4Le cas de la Guyane est exemplaire pour étudier la réinterprétation des normes environnementales. Alors que sa position au sein de l’écosystème forestier amazonien lui offre de nombreux atouts, sa situation de Région et de Département français d’Outre-mer et le statut de son foncier fait qu’elle ne peut disposer à sa guise de ses ressources forestières et doit innover.
- 2 À titre d'illustration, la Surface agricole utile (SAU) est de 31 358 ha et ne représente que 0,004 (...)
5La Guyane appartient au Plateau des Guyanes. Son territoire s’inscrit en continuité avec la forêt amazonienne : 96 % du territoire, soit 8 millions d’hectares, sont couverts de forêt tropicale humide bien conservée. La pression sur la forêt reste faible : le massif forestier est peu accessible, peu peuplé, moins d’un habitant par km2, avec une population diffuse regroupée le long des fleuves. On y trouve une série d’aires protégées parmi lesquelles le Parc (national) amazonien de Guyane (3 390 000 ha), le Parc régional naturel de Guyane (640 800 ha), 9 réserves naturelles et biologiques ainsi qu’un vaste domaine terrestre et maritime sous la protection du Conservatoire du littoral (113 000 ha et 1 000 km de rivage). Exceptés le parc naturel régional et une réserve régionale, ces outils de politiques de gestion de la biodiversité sont tous des instruments réglementaires et législatifs régaliens échappant à l'autorité locale. De surcroît, en matière de droits de propriété, la Guyane se trouve dans une situation particulière. Du fait de la très faible occupation du massif forestier qui a conduit à reconnaître la plus grande partie du territoire comme « terres vacantes et sans maître » à la fin du XIXe siècle et du non transfert du foncier aux collectivités locales lors de la départementalisation, 90 % du territoire appartient au domaine de l’État2. La majorité des transferts des droits de propriété passe alors par des baux emphytéotiques, par exemple dans le cadre du développement agricole ou implique une intervention préfectorale.
6Enfin, l’utilisation des outils de marché prônés par les négociations internationales pour valoriser la richesse forestière de la Guyane, seul territoire sous administration européenne en Amazonie, s’avère difficile. Appartenant à l'espace économique européen, la Guyane est incluse dans les pays développés de l’annexe I du protocole de Kyoto. Dans les négociations internationales, sa voix se confond avec celle de la France dans l’Europe. Elle ne peut prétendre au statut de pays forestier en développement.
7La Guyane possède par ailleurs tous les ingrédients susceptibles de favoriser les conflits autour de l’accès aux ressources génétiques. La biodiversité guyanaise est étudiée par les nombreux instituts de recherche publique : IRD, CIRAD, CNRS, Institut Pasteur... Les recherches en bioprospection sont nombreuses. L’herbier de Guyane est une référence importante. Du point de vue universitaire, on note la présence de plusieurs UMR et du LabEx CEBA (Centre d’études de la biodiversité amazonienne). La diversité des populations -Créoles, Amérindiens et Bushinengués, bien sûr, mais aussi divers groupes de migrants comme les Hmongs, les Haïtiens, les Brésiliens... (Piantoni, 2011)- et leurs connaissances traditionnelles sur les milieux naturels constituent de véritables atouts, peu reconnus comme tels par les autorités locales. Enfin, la République française ne reconnaît pas le statut de communautés autochtones locales aux Amérindiens, citoyens français. Il existe pourtant des aménagements à ce principe républicain et « les communautés d’habitants qui tirent traditionnellement leurs moyens de subsistance de la forêt », comme sont nommés les groupes culturels autochtones, disposent de droits d’usage collectifs sur une partie des terrains domaniaux de l’État (ZDUC).
8Comment ces caractéristiques influent-elles sur la façon dont la Guyane va se saisir des dispositions des conventions internationales sur les ressources génétiques et sur les changements climatiques pour affirmer sa souveraineté et sa spécificité ?
9La Convention sur la diversité biologique (CDB) est le résultat d’importants compromis qui rendent compte de la rencontre de mouvements scientifique, économique, juridique et géopolitique. Son article premier est révélateur : « Les objectifs de la présente Convention (...) sont la conservation de la diversité biologique, l'utilisation durable de ses éléments et le partage juste et équitable des avantages découlant de l'exploitation des ressources génétiques (…) ». Si le premier objectif était bien attendu, le second, le concept d’usage durable, signe la fin d’une vision conservationniste focalisée sur le niveau spécifique et excluant les activités humaines. Il implique de choisir l’écosystème comme niveau de gestion pertinent et de promouvoir la conservation in situ par les populations locales. Quant au troisième objectif, consacré à la valorisation des ressources génétiques, on comprend qu’il résulte de tractations avec les pays du Sud.
10À la fin des années 1980, avec les progrès du génie moléculaire, de grands espoirs sont placés dans les biotechnologies, anticipant une nouvelle révolution industrielle. La mondialisation des échanges s’accompagne d’une diffusion généralisée des droits de propriété intellectuelle, en particulier des brevets, et gagne un secteur relativement protégé jusqu’alors, celui du « vivant ». Devenues un enjeu économique, les ressources génétiques sont perçues comme des matières premières soumises aux lois de l’offre et de la demande. Une vision géopolitique caricaturale s’impose : d’un côté, les pays du Sud disposent d’une riche biodiversité en accès libre et, de l’autre, les pays du Nord possèdent des techniques permettant de l’exploiter. Les dénonciations de « biopiraterie » se multiplient, portées par les pays du Sud et les ONG qui protestent contre des dépôts de brevets sur des ressources biologiques et des savoir-faire locaux sans que les pays et populations concernés ne soient informés et n’en tirent de bénéfices (Aubertin et al., 2007).
11L’accès et le partage des avantages (APA) constituent le principal sujet d’affrontement. Un groupe d’experts est créé en 1998 qui se penche sur un régime international afin de concilier les trois objectifs de la Convention avec les articles 15 (accès aux ressources génétiques) et 8j (rôle et droits des communautés autochtones et locales dans la conservation in situ). Ce régime devra avoir une portée contraignante et s’appliquer à tous les États, ce qui sera fait avec le protocole de Nagoya en 2010, entré en vigueur en 2014 et ratifié par la France à la suite de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages en 2016. Le protocole de Nagoya définit les modalités pratiques de l’accès et du partage des avantages liées à l’exploitation des ressources génétiques et des connaissances traditionnelles associées. Pour faciliter les échanges des ressources génétiques, un cadre juridique régit d’une part les procédures d’accès dans le pays fournisseur, d’autre part le respect des règles pour les utilisateurs. Un consentement préalable en connaissance de cause, acquis auprès des autorités publiques ou des représentants des communautés autochtones et locales, et un contrat précisant les obligations en matière de partage doivent être établis entre utilisateurs et fournisseurs. Le contrôle et la traçabilité de la ressource jusqu’à un éventuel dépôt de brevet et à la commercialisation du produit doivent être assurés. Il s’agit à cet effet de désigner une ou plusieurs autorités nationales compétentes et d’établir des points de contrôle.
12L’élargissement du champ d’application de la CDB a été imposé par les pays du Sud et la définition des ressources génétiques s’est étendues à toutes les expressions biologiques (composés biophysiques, huiles essentielles, enzymes, venins, etc.), la création de richesse (et donc d’avantages susceptibles d’être partagés) ne se faisant pas à partir des gènes proprement dits. De nombreuses demandes des pays du Sud sont en négociation : contrôle lors des dépôts de brevets, revendication sur les molécules synthétiques « inspirées » d’une substance naturelle, rétroactivité du protocole avant la ratification de la CDB (1993) et plus récemment revendication sur les banques de séquences numériques (Treyer et Aubertin, 2016). Les éléments à préciser restent importants et les controverses sur la mise en conformité avec le protocole se poursuivent âprement.
13La CDB a également contribué à lier diversité biologique et diversité culturelle. Les réclamations sur les « composants intangibles » que sont les savoirs traditionnels associés sont devenues une entrée privilégiée pour que les « communautés autochtones et locales » fassent entendre leur voix, défendent leur identité et leurs droits. Depuis une dizaine d’années, la CDB se confond avec une tribune de revendications des droits des communautés s’appuyant sur l’article 8j : « Sous réserve des dispositions de sa législation nationale, (chaque Partie contractante...) respecte, préserve et maintient les connaissances, innovations et pratiques des communautés autochtones et locales qui incarnent des modes de vie traditionnels présentant un intérêt pour la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique. »
14Dans ce contexte international, on comprend que APA et droits des populations autochtones et locales soient les principaux axes de réflexion de la Guyane pour protéger et valoriser sa biodiversité, mais aussi sources de conflits avec la métropole et au sein de la société guyanaise.
15Pour comprendre l’importance du dossier sur l’accès aux ressources génétiques et le bras de fer qui en découle entre l’État et la collectivité territoriale de Guyane, il faut évoquer les accusations de biopiraterie, pratique que combat le protocole de Nagoya.
16Jusqu’à la loi sur la reconquête de la biodiversité de 2016, les ressources biologiques de la Guyane n’étaient pas protégées, sinon par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES). Cette absence de protection a créé une ambiance lourde de suspicion. Des cas de biopiraterie ont régulièrement été dénoncés en Guyane, d’autant plus que le Brésil voisin, avec un écosystème forestier comparable, encadrait très strictement l’accès à ses ressources génétiques depuis 2001, faisant de la Guyane une zone de libre accès. On peut citer ainsi le prélèvement de très grandes quantités de salade coumarou (Mourera fluviatilis) connue pour ses propriétés hydratantes par la société Cognis ou un dépôt de brevet d’Yves Rocher sur une crème anticellulite à base d’huile de carapa (Fleury et al., 2003), ou encore une crème fermeté de Clarins utilisant le bocoa (bois de fer) des Saramaka3. Faute de règles du jeu partagées, les instituts de recherche publique ayant des partenariats avec des entreprises ou partageant des échantillons avec l’extérieur -comme l’herbier de Guyane ouvert au public- courent le risque d’être désignés comme biopirates. La Collectivité territoriale de Guyane à peine installée, une nouvelle affaire de biopiraterie éclatait début 2016 avec un opposition de l’association France Libertés sur un dépôt de brevet de l’IRD sur une molécule possédant le principe actif antipaludéen du Quassia amara. La plante décrite par Linné au XVIIIe siècle et connue sur toute la côte des Guyanes et du nord du Brésil (Bourdy et al., 2017) a fait l'objet d'une grande campagne médiatique qui a monté des communautés les unes contre les autres, les chercheurs étant accusés de piller le territoire guyanais.
- 4 Loi n° 2006-436 du 14 avril 2006 relative aux parcs nationaux, aux parcs naturels marins et aux par (...)
- 5 Amendement codifié dans l'article L 331-15-6 du Code de l’environnement.
17Si la France a tardé à promulguer sa loi pour la reconquête de la biodiversité, elle a innové lors de la création du Parc Amazonien de Guyane (PAG) en 2006 à l’occasion de la révision de la loi de 1960 sur les parcs nationaux4. Le chapitre II lui est consacré (Aubertin et Filoche, 2008). À l’initiative de la députée de la Guyane, Christine Taubira, un amendement de 8 lignes est ajouté qui traite de l’accès et du partage des avantages dont la responsabilité est confiée, non à l’État, mais aux collectivités locales5. Cette disposition permet aux collectivités de Guyane d’autoriser ou non l’accès aux ressources génétiques du PAG à différents organismes tels que des Universités, des groupes industriels ou pharmaceutiques. Elle implique une concertation entre l’établissement public du Parc, le Conseil général et le Conseil régional. La Charte du parc doit définir les modalités de partage des avantages et tenir compte des communautés locales, conformément aux exigences de la CDB.
18Ainsi, des normes définissant l'APA s'appliquent au seul territoire du Parc Amazonien de Guyane, le reste du territoire français n'étant pas concerné. Les collectivités de Guyane doivent donc traiter et expérimenter un nouveau sujet de droit international et un enjeu sur le plan économique régional et mondial : l’accès aux ressources génétiques, leur protection et leur valorisation.
19La question de l’APA est mise à l’ordre du jour dès la réunion d’installation du Conseil scientifique du PAG, en janvier 2009 et un groupe de travail est créé. Il doit définir les implications de l’amendement et les principes de son application. Un code de bonne conduite est élaboré.
20La plupart des demandes d’autorisation qui arrivent au Conseil scientifique pèchent par méconnaissance des négociations menées au sein de la CDB et accusent un certain amateurisme des chercheurs peu coutumiers de l’exercice. Le Conseil scientifique insiste sur l’obligation de recueillir le « consentement préalable et informé des communautés autochtones et locales » dès lors que les communautés connaîtraient l’usage potentiel ou la localisation d’une ressource biologique. Il est cependant rare qu’un projet s’intéresse directement aux ressources génétiques proprement dites et aux savoirs traditionnels associés. Les dossiers concernent surtout des inventaires botaniques, des recherches médicales ou des recherches en biologie évolutive. Le Conseil scientifique estime que les communautés sont concernées dès lors que l’expédition se situe sur leur territoire, et le Comité de vie locale, où elles sont représentées, est consulté. Des traitements différenciés sont instaurés pour la bioprospection en vue de la connaissance scientifique ou à visée commerciale, avec ou sans accès aux savoirs traditionnels associés. La procédure qui permettrait de prendre des décisions, après avis du Conseil scientifique, tarde à se mettre en place et les dossiers restent en suspens. Ce silence est tel que le Conseil d’administration du PAG a dû prendre une délibération en avril 2010 demandant au Congrès des élus départementaux et régionaux de faire une proposition d’orientations relatives à l’APA. Sans ces orientations, la Charte ne pourrait être présentée. Or, il y est précisé que la réglementation de l’APA fait partie de l’acte de naissance du Parc.
- 6 Décret n° 2015-1666 du 11 décembre 2015
21En janvier 2010, les électeurs de Guyane se prononcent sur « la création d’une collectivité unique exerçant les compétences dévolues au département et à la région tout en demeurant régie par l’article 73 de la Constitution ». La perspective d’une collectivité unique, qui ne se mettra en place que fin 20156, fait que les élus, qui avaient jusque-là peu investi la question de l’APA, s’en emparent, dans une posture de surenchère.
22Le Congrès des élus se réunit en juillet 2011 et vote à l’unanimité une résolution qui va bien au-delà des normes internationales définies à Nagoya. En particulier, il propose d’étendre à tout projet utilisant des ressources biologiques (comme la systématique ou l’écologie, voire l’agriculture) et sur tout le territoire de la Guyane, les demandes d’autorisations préalables. Il n’évoque pas de procédure de consentement des populations locales, semblant oublier que l'APA doit profiter en premier lieu aux populations autochtones, amérindiennes et bushinengue. On notera que ces dernières ne sont pas représentées au sein de la nouvelle collectivité territoriale, essentiellement composée de Créoles.
- 7 Cela est possible au titre de l’article 73 al. 3 de la Constitution française et des articles LO443 (...)
23Pour appuyer cette résolution, une demande d’habilitation afin de fixer sur le territoire de la Guyane des règles spécifiques d’APA est déposée par le Conseil régional fin 20117. En effet, lors de la restitution du rapport commandé à la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) par le ministère de l’Écologie, Pertinence et faisabilité d’un dispositif d’accès et de partage des avantages pour l’Outre-mer, la représentante de la Région Guyane fait savoir qu’elle ne souhaite pas la mise en place d'une commission ad hoc des APA comme proposée, elle ne veut pas dépendre d’une initiative de l'État central qui n’irait pas dans le sens des souhaits d’autonomie des élus.
- 8 La résolution du Congrès figure dans la charte en annexe 3, la contribution du Conseil scientifique (...)
24La Charte du Parc se voit dès lors contrainte d’arbitrer une quadrature du cercle constituée de la résolution du Congrès des élus, tout en respectant les principes de la CDB et en prenant en compte les réalités des territoires concernés par le PAG, ainsi que la situation actuelle du droit français. La solution trouvée est de faire figurer dans la Charte les orientations pour l’accès et l’utilisation des ressources génétiques en précisant qu’il ne peut s’agir que d’un régime transitoire « dans l’attente de la transcription en droit français des accords internationaux signés par la France »8.
25Le gouvernement répond par la négative à une seconde demande d’habilitation, arguant de son engagement sur la loi Biodiversité en cours d'écriture. Il propose à la Région Guyane de s’y associer. La feuille de route pour la transition écologique de septembre 2012 avait déjà tissé les chantiers à venir « Faire de la France un pays exemplaire en matière de reconquête de la biodiversité » avec une mention pour des « mesures immédiates », souhaitant l'élaboration d'un dispositif d'APA qui soit respectueux dans les Outre-mer des savoir-faire traditionnels et bénéfiques aux populations locales.
26Cet emboîtement législatif entre le Parlement européen qui a ratifié le protocole de Nagoya, le gouvernement français qui n’a pas finalisé sa loi sur la biodiversité et les collectivités de Guyane avec des agendas resserrés et distincts, complexifie le processus. Il faut retenir la volonté de la Guyane de forger ses propres outils. Le Conseil régional organise en novembre 2012 la première réunion de constitution d’un Comité régional de coordination concernant l’APA, rassemblant les diverses parties prenantes (collectivités, chercheurs, ONG, communautés locales, industriels, etc.). Cette démarche est renforcée par le lancement de travaux supplémentaires : création de l’Office de la biodiversité amazonienne de Guyane (OBAG) qui disposera d’un secrétariat APA et intégrera le conservatoire botanique guyanais (Fleury et al., 2012) ; création d’un fonds de compensation fléché sur des projets de développement durable et de préservation de la biodiversité en collaboration étroite avec les communautés autochtones.
27L’OBAG constituera un pôle de compétences en taxonomie sur la faune et la flore régionales, apportera des outils d’aide à la décision aux collectivités et aux services de l’État, encouragera la connaissance de la biodiversité guyanaise en mettant à disposition du grand public et des chercheurs, les connaissances déjà rassemblées (flore, herbier…), enfin fédèrera l’ensemble des partenaires travaillant sur la biodiversité. Il accueillera, comme dépositaire officiel de la procédure d’APA, les échantillons récoltés lors des travaux de bioprospection. Il pourra être à l’initiative ou partenaire de projets d’inventaires, à l’exemple du recensement patrimonial participatif mené par les Amérindiens d’Awala-Yalimapo.
28De fait, l’OBAG ne verra pas officiellement le jour du fait de dissensions entre le Conseil régional et le Conseil général, ce dernier épousant les positions de l’État. Un comité APA est cependant créé par le Conseil régional et sera renforcé comme portant la voix de la Guyane face à l’État avec l’avènement de la collectivité territoriale. Une convention type fixant les règles d’accès aux ressources génétiques et au partage des avantages pour des recherches taxonomiques, phylogénétiques, d’écologie ou biologie de la conservation est rédigée, mais sa trame sera modifiée à plusieurs reprises, contraignant les demandeurs à refaire leurs dossiers. Le comité instaure une suite de recueils d’avis du Conseil économique social et environnemental régional (CESER), du Conseil de la culture et de l’éducation (CCEE) et du Conseil consultatif des populations amérindiennes et bushinengées (CCPAB), ce qui se relèvera très chronophage.
29En août 2016, 24 dossiers de demande d’APA avaient été déposés au secrétariat APA de la CTG, 4 dossiers sont à revoir et 6 demandes d’autorisation sont en cours. À cette date, aucun dossier avec connaissance traditionnelle associée n’a été autorisé, ce qui bloque la recherche sur ces thématiques et crée des tensions entre le secrétariat APA, donc la CTG, et les instituts de recherche, principalement ceux travaillant sur les savoirs traditionnels dans la zone du Parc. Le manque de dialogue et les postures des uns et des autres accentuent la situation (Lavigne, 2017).
30Avec le titre V de la loi sur la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages et avec son décret d’application de mai 2017, une réglementation APA doit être mise en place sur l’ensemble du territoire au 1er juillet 2017. Le cas spécifique du Parc Amazonien de Guyane prend fin.
31La loi prévoit que les conseils régionaux de la Guadeloupe et de la Réunion, les assemblées de Guyane et de Martinique et le conseil départemental de Mayotte peuvent exercer le rôle du ministère chargé de l’Environnement par délégation et agir en tant qu’autorité compétente pour recevoir les déclarations et donner les autorisations d’accès s’ils adoptent la délibération nécessaire.
32Dans le cas de connaissances traditionnelles, une personne morale de droit public désignée par décret est chargée d'organiser la consultation des « communautés d'habitants » détentrices de connaissances traditionnelles associées, de négocier et de signer le contrat de partage des avantages avec le demandeur. Si le terme de communauté d’habitants peut s’appliquer à de nombreuses situations, les communautés autochtones de Guyane et de Wallis et Futuna sont particulièrement ciblées comme détentrices de CTA. Dans le cas de la Guyane, il faudra que le Grand conseil coutumier des populations amérindiennes et bushinengées (prévu par la loi sur l’égalité réelle outre-mer, non encore mis en place) demande à la collectivité territoriale de Guyane de créer un établissement public de coopération environnementale (EPCE), instrument ad hoc de la loi biodiversité. Jusqu’à la création de cet EPCE, la compétence revient à l’État.
33Le 27 juin 2017, la CTG déclare poursuivre son engagement sur le plan local, mais ne pas souhaiter devenir l’autorité administrative. On peut penser que la CTG ne désire pas se conformer à une directive de l’État où sa voix ne serait pas prépondérante au sein d’un EPCE dont les contours restent largement à définir. Sans doute, à plus long terme, la Collectivité de Guyane pourrait demander à changer de statut en adoptant l’article 74 de la Constitution, qui lui permettrait de mettre en place, notamment sur l’APA, de nouvelles normes législatives et règlementaires. Les discussions pour la création de l’OBAG reprennent alors.
34Lors de la signature de la convention en 1992, la question du réchauffement climatique est perçue comme une question de pollution industrielle des pays riches. Le protocole de Kyoto (signé en 1997 et entré en vigueur en 2005) exonère les pays en développement, dits pays hors annexe 1, de tout engagement de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre (GES), au nom du « principe des responsabilités communes mais différenciées ». Ils ne participent au protocole que par un mécanisme de flexibilité, dit Mécanisme de développement propre (MDP), par lequel un pays de l’annexe 1 peut choisir de remplir ses engagements de réduction d’émission de GES non pas chez lui, mais en investissant pour des baisses d’émissions dans un pays hors annexe 1. Après les accords de Marrakech de 2001, ce mécanisme ne considère plus les projets touchant aux forêts, au prétexte qu’ils pourraient favoriser les plantations industrielles et, du fait des difficultés de contrôle, pourraient créer trop de crédits et faire chuter les prix du carbone. L’Europe a clairement interdit l’importation de crédits forestiers dans son système communautaire d’échange de quotas d’émissions (EU-ETS).
35Au fil des négociations, les forêts sont réapparues. En 25 ans, la question du changement climatique a pris une autre signification, d’une part en portant une remise en cause d’un mode de développement fondé sur l’utilisation infinie de l’énergie, d’autre part en prenant acte du bouleversement des grands équilibres du monde. Depuis 2006, essentiellement du fait des grands pays émergents, les pays en développement émettent davantage que les pays développés et l’Union européenne ne représente plus que 10 % des émissions mondiales. Les objectifs sont maintenant de parvenir à une économie de basse émission de carbone, tout en imaginant une répartition mondiale des efforts de réduction des GES qui ne bride pas les droits au développement des plus pauvres. La convention Climat, qui ne s’intéressait d’abord qu’à la réduction des émissions (« objectif ultime » de son article 2), doit prendre en considération la question de l’adaptation, c’est-à-dire permettre aux plus pauvres de se protéger des conséquences du changement climatique tout en restant sobres en émissions. Le financement de l’adaptation tend à se confondre avec le financement du développement. Dans le même mouvement, le rapport Stern présente en 2006 la lutte contre la déforestation comme un des moyens les plus efficaces et les moins coûteux pour réduire le CO2 d’origine anthropique. Le quatrième rapport du GIEC en 2007 va dans le même sens et chiffre la responsabilité de la déforestation dans les émissions globales annuelles de GES entre 11 % et 28 %. Les forêts tropicales entrent ainsi dans la négociation lors de la conférence de Bali de 2007 (Dahan et Aykut, 2012).
36Le mécanisme REDD (réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation) est l'un des outils discutés à Copenhague pour faire entrer les pays du Sud dans les négociations climatiques. Son objectif est de limiter la déforestation des forêts tropicales - et donc de préserver leur fonction de stockage et de puits de carbone - en proposant aux pays concernés un financement compensatoire qui pourrait provenir d’un marché, sur le modèle du marché européen du carbone industriel, ou de fonds destinés à financer les adaptations nécessaires à ce changement, notamment dans les pays les moins développés et les plus pauvres de la planète. De nombreux pays forestiers ont ainsi vu dans ce mécanisme une manne pour leur développement (Karsenty et Pirard, 2007). D’ores et déjà une multitude de fonds, parmi lesquels ceux des Nations unies (UN-REDD), de la Banque mondiale (FCPF, FIP), pour préparer les pays à être « prêts pour le REDD » sont à l’œuvre et mobilisent des centaines de millions de US$ par an (Tsayem Demaze, 2012).
37La Guyane possède 8 millions d’hectares de forêts en bon état de conservation et stocke ainsi la moitié du carbone forestier de France. La forêt guyanaise sert de puits de carbone en séquestrant par sa « respiration naturelle » entre 1,5 et 2 t CO2 par hectare et par an (Bonal et al., 2005). On estime que 600 t CO2 par hectare partiraient en fumée en cas de mise à feu.
38Le taux de déforestation de la Guyane est d'environ 5 350 ha/an sur la période 1990-2008, ce qui représente un taux moyen défrichement annuel de 0,05 %, dont plus de la moitié est due à la construction du barrage de Petit Saut et aux activités d’orpaillage (IFN, 2009). Si ces chiffres paraissent faibles en comparaison avec le Brésil voisin, la Guyane est cependant une grosse émettrice à l'échelle nationale avec environ la moitié des émissions de CO2 dues à la déforestation. Son bilan des gaz à effet de serre indique que le changement d’affectation des sols, 1,8 Mt CO2 en 2014, représente plus de 70 % de ses émissions (CITEPA, 2017). Ce sont les autres régions françaises qui permettent d’équilibrer les comptes. Grâce à la séquestration du carbone par bonne gestion de ses forêts, la France perçoit en effet du protocole de Kyoto (au titre de l’art. 3.4. Gestion forestière) des crédits sur un plafond de 3,2 Mt CO2e/an (période 2008-2012). La contribution de la Guyane n’a pas jusqu'alors été considérée, du fait du manque de connaissances sur la partie du territoire forestier sous gestion. Dans l’hypothèse d’une troisième phase du protocole en 2020, on peut imaginer que cet oubli sera réparé et que l’inclusion des flux guyanais augmentera alors le montant global des émissions nationales.
39Du fait de l'importance de sa forêt et de son faible taux de déforestation, de son développement restreint au littoral et à la vallée du Maroni, la Guyane considère que le stockage de carbone des forêts de l’intérieur est un service environnemental qu’elle rend à la France. Ce service doit être rémunéré, malgré les émissions liées à son développement.
40Or, en l’état actuel des négociations internationales, le REDD+ ne s’applique qu’aux pays en développement, donc pas au sol français. Par ailleurs, le faible taux de déforestation ne permet pas de rentrer dans la logique initiale du REDD qui est de financer la déforestation évitée. Nous avons vu aussi que le marché européen (EU-ETS) ne reconnaît pas les crédits du carbone forestier. La possibilité de se tourner vers les marchés spécialisés semble également limitée puisqu’elle se heurterait au critère de double compte national (Deheza et Bellassen, 2010). La Guyane aurait pu cependant envisager de présenter des projets forestiers sous label de compensation carbone volontaire, comme le Volontary Carbon Standard (VCS), à des entités, industriels, ONG, administrations susceptibles de faire des opérations de compensation de gré à gré. Cela n'a pas été entrepris.
41Les élus guyanais ont alors pensé à passer contrat avec l’État afin de valoriser la gestion durable de la forêt et de faire reconnaître le service environnemental rendu. Les Conseils général et régional de la Guyane, à la veille de la conférence de Copenhague, en novembre 2009 demandent à l’État, « dans le respect du droit d’expérimentation des régions, de mettre en place un programme pluriannuel pour une réduction des émissions de GES liés à la déforestation et à la dégradation des forêts dont les incitations financières seraient définies dans un accord-cadre avec l’État et l’Europe ». Il est ainsi proposé de faire de la Guyane un territoire d’exemplarité et de démonstration en matière de gestion durable de l’espace forestier en milieu tropical. La réponse de Jean-Louis Borloo, alors Ministre de l'écologie, est plus qu'évasive. Si la France veut prendre la tête d'une initiative internationale REDD, rien ne semble concerner la Guyane.
42Aussi, un certain ressentiment des élus guyanais a débouché sur un courrier du Président de la région Guyane en janvier 2013 demandant le transfert dans le patrimoine régional de 100 000 ha issus du domaine privé de l’État et la création d’un établissement public régional. 60 000 ha seraient préservés à des fins d’écotourisme, de recherche, et pour des négociations futures de bénéfices tirés du marché des ressources génétiques (institué par la convention sur la diversité biologique) et du marché des crédits carbone (institué par la convention climat). 40 000 ha seraient destinés à sécuriser l’approvisionnement en biomasse des usines de production d’électricité. La collectivité régionale demande à assurer sa souveraineté sur sa politique énergétique. Une contractualisation État-Région devait voir le jour, mais n'a pas été concrétisée. Ce n’est que lors des mouvements sociaux de mars/avril 2017 que la question du transfert des terres est reposée.
43La Guyane est cependant partie-prenante avec l'ONF International de la « Plateforme technique régionale de développement de REDD+ sur le Plateau des Guyanes », qui regroupe le Guyana, la Guyane française, le Suriname et l'État brésilien de l’Amapá, lancée à l'occasion de la quatorzième Conférence des Parties de la convention climat qui s'est tenue en 2008 à Poznan (Pologne). Le projet a pour but de mutualiser les ressources (inventaire des stocks de carbone et des couverts forestiers, compréhension quantifiée des moteurs de la déforestation et de la dégradation, modélisation de l'évolution du couvert forestier), de renforcer les capacités humaines et techniques des administrations forestières nécessaires à l’implantation du mécanisme REDD. Ce projet a officiellement commencé en janvier 2013, suite aux conventions de financement signées entre le programme Interreg IV Caraïbes, le Fonds français pour l'environnement mondial et la Région Guyane.
44Il n'y a pas eu de démarches pour aller au-delà de la démarche « prêt pour le REDD ». À l’occasion de la conférence de presse organisée le 15 décembre 2014, la Région a souhaité mettre les images SEAS au service du projet REDD+. Elle a officialisé l’extension de la licence qui la lie à Airbus Defence and Space. Celle-ci prévoit désormais la mise à disposition du programme REDD+ des images satellitaires du Plateau des Guyanes (Guyana, Surinam, Guyane, Amapa) dont dispose la station de Surveillance de l'environnement amazonien assistée par satellite - SEAS. Le suivi du couvert forestier représente un enjeu à la fois local et mondial pour le territoire de la Guyane. Et l’imagerie satellitaire constitue un outil incontournable pour permettre à REDD+ d’atteindre ses objectifs en termes de suivi de l’évolution des surfaces forestières et des stocks de carbone, via notamment la production d’une carte du couvert forestier, visualisant l’extension actuelle de la forêt, l’analyse des changements des surfaces forestières et l’identification des types de pressions humaines sur les forêts ainsi que leur évolution.
45Notons que l’expérience acquise par la Guyane et la position commune des territoires du Plateau des Guyanes ont fait l'objet de communications illustrant la démarche volontariste de la Région Guyane lors de la COP 21 (21ème conférence annuelle des Nations unies sur le changement climatique à Paris en décembre 2015). La COP 21 semble avoir marqué un tournant pour la Guyane : l’abandon de l’expectative de crédits REDD.
- 9 Le PRME est la contractualisation de l’ADEME avec la Région, le Département et EDF Service Public, (...)
46L'Observatoire régional de l'énergie et du développement durable (OREDD) a été créé en février 2008. Outil de veille stratégique, il se veut être l'acteur central de l'information ayant trait à la connaissance et à l’analyse de la situation énergétique, ainsi qu’aux actions de développement durable du territoire en vue d’une économie décarbonée fondée sur la sobriété et l’efficacité énergétique. Pour les partenaires du Programme régional de maîtrise de l’énergie9, il était indispensable de disposer d’un outil d’appréciation, d’évaluation, d’appui et de suivi de la situation énergétique du territoire, mais aussi des actions et programmes menés dans le domaine de l’énergie et de leurs impacts sur les gaz à effet de serre.
47Un Observatoire guyanais du carbone et des gaz à effet de serre, adossé à l’OREDD et financé par la Région Guyane et le Fonds européen de développement régional, a été mis en place en janvier 2014. Sa mission est de collecter et de synthétiser les connaissances sur le stockage et déstockage de carbone et gaz à effets de serre, de fournir un bilan carbone et GES global du territoire, d’évaluer l’impact carbone des schémas de développement et d’aménagement régionaux et d’identifier les alternatives techniques permettant d’améliorer les bilans. En 2015, l’OREDD change de nom et devient Guyane énergie Climat. Un site internet, la publication des chiffres clés sectoriels, une conférence régionale de l’énergie, un bilan énergétique régional, le club climat, sont quelques-uns des résultats tangibles présentés au Conseil d’administration d’août 2015. Cette année marque aussi la fin du Programme régional pour la maîtrise de l’énergie.
48Il n'y a dès lors plus de référence rhétorique aux marchés REDD et la Région passe à une approche de gestion forestière en termes de services écosystémiques, que ceux-ci soient à impacts locaux -services rendus pour l'agriculture ou la production alimentaire (extractivisme, pollinisation des espèces agricoles, etc.), l'aménagement ou la gestion du territoire (prévention des glissements de terrain, des inondations) ou sociaux (tourisme vert, loisirs en particulier), ou à impacts nationaux/mondiaux - services liés au stockage du carbone, au maintien de réservoirs de biodiversité voire de l'intérêt que représente le territoire pour la communauté scientifique mondiale. L'objectif général est de faire reconnaître l'importance que revêtent les services écosystémiques de Guyane pour les questions de développement local et comme contribution aux grands enjeux nationaux et européens et mettre en place des services de paiement adaptés au contexte guyanais que ce soit dans un contexte local (paiement interne) ou national (paiement domestique). Les actions à mettre en œuvre doivent développer le savoir et les connaissances sur les différents services rendus par les écosystèmes locaux (expertise scientifique, études etc...), développer les capacités du territoire sur les évaluations d'impacts économiques par et pour la préservation ou la restauration des écosystèmes, enfin accompagner et expérimenter la mise en place de démarches de paiement pour services environnementaux (Ouliac, 2014).
49L’Observatoire du carbone se trouve ainsi au centre de dispositifs de recherche dont certains sont financés par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), d’autres par la FEDER ou d’autres fonds encore. Un enjeu particulier a été identifié sur la connaissance du carbone des sols, qui se retrouve dans les projets menés en partenariat avec les principaux centres de recherche CIRAD, INRA, IRD et le parc amazonien de Guyane. L'Observatoire du carbone et des gaz à effet de serre offre l’occasion de positionner la Guyane dans un rôle de leadership scientifique et technique à l'échelle du plateau des Guyanes sur la question du carbone des forêts.
50Être à même à la fois de fournir des indicateurs fiables, validés scientifiquement, et adaptés au terrain, d’identifier des pratiques agricoles stockeuses de carbone, d’observer le changement d’affectation des sols, de disposer d’outils permettant d’éviter les dérives, donnerait à la Guyane des éléments tangibles permettant d’appuyer sa politique de développement, voire même de rentrer dans la démarche 4 pour mille de la COP 21 (rendre les sols stockeurs de carbone afin de limiter le réchauffement climatique). Pour cela, il faudrait une volonté politique de la collectivité territoriale pour que ces observatoires soient maintenus
- 10 Le gasoil est la première énergie utilisée devant l’électricité et les autres produits pétroliers. (...)
51La filière bois-énergie guyanais a été pensée pour limiter les émissions des gaz à effet de serre. La Guyane n’est pas encore arrivée10 à l’objectif du Grenelle de l’environnement de 2007 qui fixe de parvenir à l’autonomie énergétique en atteignant, dès 2020, un objectif de 50 % d’énergies renouvelables dans la consommation finale, puis de développer des programmes exemplaires, visant à terme l’autonomie énergétique à l’horizon 2030. Cette situation est améliorable par une meilleure gestion de l’usage des sols, le développement des énergies renouvelables (diminution du contenu carboné de l’électricité), la maîtrise de l’électricité (diminution de la quantité d’électricité consommée par gaspillage) et le développement de solutions de mobilité alternatives à la voiture.
52Lors de la réunion des États généraux de l’Outre-mer de juillet 2009, la Guyane affiche une politique ambitieuse où divers objectifs sont présentés sous forme de fiches projets rédigées par la Direction de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DAAF) et l'ADEME. Parmi eux : structurer la filière agricole, rentabiliser la déforestation en valorisant le bois d’œuvre et la biomasse et en favorisant l’émergence d’opérateurs, atteindre l’objectif de 85 % d’énergie renouvelable. Comme dans toute logique de développement durable où les handicaps deviennent des atouts, ces trois objectifs vont structurer la politique gagnant-gagnant du Programme régional pour la maîtrise de l'énergie qui lie, autour de la promotion de la biomasse énergie et de réductions des émissions de carbone, le développement agricole, la fourniture d’électricité et l’aménagement du territoire. On retrouve ainsi une logique de REDD+ fondée sur deux axes -la sobriété énergétique et la sécurité alimentaire- mettant en contact deux univers ne travaillant pas ensemble : les industriels de l’énergie et les agriculteurs. Il s’agit bien de se restreindre dans l’usage de la forêt -réduire les émissions-, tout en assurant la production électrique et la production alimentaire.
53La stratégie est simple et le rapport de C. Roy (2011) rédigé à la demande du ministère de l’Agriculture suite aux États Généraux de l’Outre-mer, avance le chiffre « atteignable » d'un volume de 600 000 T/an de biomasse pour fournir 40 % de l’électricité consommée en Guyane en 2020.
54Les chiffres avancés sont optimistes. En économisant 100 000 t/an d’hydrocarbures importés pour la production d’électricité, on aurait une réduction de 400 000 tonnes par an des émissions de CO2. De plus, la Guyane ne serait plus pointée du doigt comme la mauvaise élève qui produit des flux de déstockage, car ce changement d’activité des sols serait comptabilisé dans le secteur agricole (art. 3.3. du protocole de Kyoto) et non plus comme une dégradation de la forêt (art. 3.4.).
- 11 Loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (n° 2015-992 du 17 août 2015, art (...)
55À l'initiative de l’ADEME, le PRME a mené une série d’études et d’essais lesquels ont abouti à la configuration d’un schéma d’actions pour le développement d’une filière bois-énergie. Validé en assemblée plénière de la Région, ses données ont été reprises dans la Planification pluriannuelle de l’énergie 2016-2018 et 2019—201311 : 40MW de puissance installée sont prévus en 2023 à partir de la biomasse. Les prévisions indiquent un besoin de 500 000 t de biomasse/an et 450 tonnes d'équivalent pétrole pour 28 % de la production électrique.
56L’originalité de la stratégie guyanaise réside dans l’association du monde agricole à la production énergétique dans un souci d’assurer non seulement une certaine indépendance par rapport aux énergies fossiles, mais également dans un premier temps une économie de récupération à partir des résidus d’exploitation du bois d’œuvre, les bois ennoyés du barrage de Petit Saut et des connexes des scieries, voire commencer des plantations énergétiques en attendant l’installation d’agriculteurs sur près de 100 000 hectares afin de produire les aliments requis par une population en augmentation de 3,7 % par an (figure 1).
Figure 1 : Les différentes sources d'approvisionnement de biomasse
Source : Courtiade, 2017.
57Il faut souligner que l’autosuffisance alimentaire est de l’ordre de 20 % et que l’on estime les nouveaux besoins de surface agricole utile à 20 000 ha supplémentaires d’ici 2030. Bien que ne représentant que 0,65 % de la forêt, une réflexion est menée sur les plantations énergétiques dont le besoin est estimé à 4 000 ha en 2030 (CIRAD, ONF, INRA, 2015).
58Non seulement ces centrales électriques créeraient des emplois, compléteraient la production actuelle pour satisfaire la demande des ménages mais encore faciliteraient également l’installation d’entreprises ainsi que des réseaux de froid. L’implantation de ces centrales, devant être approvisionnées par des bassins de biomasse situées dans un rayon limité (20 à 30 km), dessinera les cartes agricoles des prochaines décennies (Fig. 2).
Figure 2 : Gisements potentiels de biomasse issue des déboisements agricoles
Source : ONF, CIRAD, 2007.
59Le programme de développement piloté par la Région comprenait les axes habituels de gouvernance : gestion économique des filières (Club bois-énergie, interprofession bois d’œuvre, interprofessions agricoles), financements (BPI, AFD, aides européennes, défiscalisation), animation (animateurs des secteurs agricole, forestier, industriel, pour l’approvisionnement en bois), observation et évaluation (les observatoires). L’État quant à lui, dans sa mission régalienne, anime une Cellule biomasse qui compte des tâches et des activités d'expertise et de suivi de l’utilisation des diverses ressources en biomasse (connexes, rémanents, bois ennoyés, plantations sylvicoles et valorisation de l’agroforesterie, défriches urbaines) en attendant l’organisation encadrée des défriches agricoles ainsi que la prévention des conflits d’usage et l’agrément des cahiers de charge pour les techniques d’exploitation. Un effort particulier est effectué pour aider à la mise en place d’une filière biomasse génératrice d’emplois et de retombées économiques.
60Les nouvelles marchandises forestières -ressources génétiques et carbone- ont d’abord nourri des espoirs excessifs, puis des ressentiments devant les difficultés d’accéder à ces marchés. L’heure est maintenant au soutien du développement économique local à partir des filières des bioressources et de la maîtrise du stockage et émission de carbone. Pour la gouvernance de leur territoire, les décideurs guyanais devront donc conjuguer deux objectifs a priori antagonistes, développer leur territoire en ménageant la forêt tout en préservant les services environnementaux, notamment en préservant son potentiel d’atténuation dans les changements climatiques. On se trouve ici face aux exigences du développement durable - concilier développement économique, préservation de l'environnement et bien-être social- et l'exigence de concilier les échelles des normes internationales, des engagements de la France dans l'Europe et des enjeux locaux. La marge de manœuvre est étroite et la réalisation de ces projets est soumise à de nombreuses et importantes incertitudes, politiques comme matérielles.
61La Guyane entend maîtriser son destin et adapter ses politiques et sa législation aux réalités locales. Elle expérimente ainsi les éléments qui encadreront la gestion de sa biodiversité et de son carbone, marchandises sources de richesses susceptibles de conforter son développement durable endogène. Avec la cellule APA et l’OBAG, elle propose ainsi des institutions et une législation spécifique pour les ressources génétiques, se refusant à appliquer la loi nationale pour la reconquête de la biodiversité. Elle abandonne les perspectives de crédits carbone issus du REDD à l’échelle internationale pour penser à une démarche de paiements pour services environnementaux adaptés au contexte guyanais.
62Au premier janvier 2016 la Région et le Département fusionnent pour créer la Collectivité territoriale de Guyane (CTG). En 2016, la CTG rappelle à la présidence la cession gratuite de 200 ha (100 000 ha pour la CTG, 100 000 ha pour les mairies) assorti d'une habilitation de la CTG à fixer ou adapter elle-même les normes législatives et réglementaires dans le domaine du foncier en Guyane. Lors des mouvements sociaux de mars/avril 2017 cette revendication portée à 250 000 ha sera actée dans l’Accord de Guyane (Journal officiel, 2017), ainsi que l'attribution de 400 000 ha aux peuples autochtones.
63À l’heure où l’État doit transférer 250 000 ha à la Collectivité territoriale et aux communes, la gestion de la biodiversité -éventuellement pour produire de la biomasse-, du carbone aérien et du carbone des sols sera aussi transférée. Or, le règlement européen en cours d’adoption « relatif à la prise en compte des émissions et des absorptions de gaz à effet de serre résultant de l’utilisation des terres, du changement d’affectation des terres et de la foresterie » imposera à chaque État membre un bilan positif. Actuellement les déforestations à but d’installation agricole, d’aménagement urbain, de minier, etc., peinent à être compensées par la reforestation dans l’Hexagone. Les pratiques de la Guyane devraient être regardées à la loupe par l’État, sur la base de chiffres standards internationaux, et des désaccords sont prévisibles, car la Guyane reste en manque d'une vision stratégique à long terme qui lui permettrait de sortir de l'opposition frontale avec l'État. La perspective de la poursuite volontariste d'une économie minière avec l'exploitation du pétrole de haute mer et avec le projet Montagne d'Or cadre mal avec un développement durable fondée sur des ressources renouvelables.
64Les mécanismes marchands élaborés dans les négociations internationales, ont poussé les pays, régions et communautés à revoir leurs politiques de développement et d’environnement à la lumière d'une redéfinition de leurs ressources naturelles et de la valorisation de la biodiversité et du carbone. La volonté de souveraineté de la Guyane sur ces ressources, en tension avec l’État en offre une bonne illustration.