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Comptes-rendus de lecture

Camille Devaux, L’habitat participatif. De l’initiative habitante à l’action publique

Rennes : PUR, 2015, 394 pages
Maryvonne Prévot
Référence(s) :

Devaux Camille (2015), L’habitat participatif. De l’initiative habitante à l’action publique. Préface d’Alain Bourdin, Rennes : PUR, 2015, 394 pages

Texte intégral

1Cet ouvrage reprend, a priori sans beaucoup de retouches, le contenu de la thèse éponyme soutenue par l’auteure. Elle rend compte de l’évolution du mouvement national de l’habitat participatif à partir de quatre terrains d’étude que sont la Ville de Paris et les communautés urbaines de Strasbourg, Lille et Toulouse. Pour mener à bien son étude, Camille Devaux a assisté à 25 réunions publiques, 57 réunions semi-publiques et/ou fermées ; elle a mené 16 entretiens auprès d’habitants, 28 auprès de techniciens et de représentants d’organismes HLM et 6 élus. Enfin, elle a analysé la littérature disponible, imprimée (ouvrages, presse spécialisée), ou en ligne (forums de discussion, blogs et autres sites dédiés). L’ouvrage est composé de trois parties : L’habitat participatif : de quoi parle-t-on  (partie 1, 3 chapitres) ? ; Quand l’habitat participatif entre en politique (partie 2, 4 chapitres) ; La mise en œuvre de l’habitat participatif (partie 3, 3 chapitres), rapidement résumées (p. 30). Sans doute la publication rapide de cette thèse rend-t-elle compte de l’intérêt du sujet - l’habitat participatif -, qui est une forme particulière d’accession collective à la propriété, légalisée et promue par la loi ALUR en 2014. Pour autant, et rappelons-le d’emblée, les réalisations concrètes sont infimes au regard des besoins en matière de logement : 86 menées à terme sur les 427 projets recensés par l’auteure en 2014 (p. 95). Une des explications avancées pour expliquer cette faiblesse numérique est : « le public « éligible » à ce type d’opération est limité, tout comme dans les dispositifs participatifs en général » (p. 127). Ce mouvement reste donc, selon ses propres termes, difficilement quantifiable et marginal même s’il est articulé autour de trois structures nationales, à commencer par Eco-Habitat-Groupé (EHG), qui prend la suite du Mouvement pour l’habitat groupé autogéré. Réactivée en 2008, elle fait reposer l’essentiel de sa légitimité sur son expérience des années 1970-1980 et se voit affublée de l’expression « canal historique ». Vient ensuite Habicoop dont l’auteure insiste sur le volet lobbying gouvernemental de l’action ; enfin le Réseau interrégional de l’Habitat Groupé (HG), seule structure à ne pas être une entité juridique mais un réseau informel qui s’appuie sur l’animation d’une liste de discussion via internet depuis l’été 2006. Au 30 septembre 2014 la liste comptait 591 inscrits (chapitre 3).

2Sur le fond, l’auteure est assez courte (chapitre 1) sur la filiation historique et idéologique : autogestion, mouvement coopératif et ESS. Sans doute l’ouvrage de Marie-Hélène Bacqué et Stéphanie Vermeersch reste-t-il aujourd’hui encore la référence. Elle ne dit quasiment rien des Castors et ne mentionne pas les origines chrétiennes, à la différence de Gwénaëlle Le Goullon (2015), par exemple. Et on reste dubitatif à la lecture de cette phrase : « la prégnance du collectif à toutes les étapes du projet et jusque dans sa gestion constitue bel et bien une innovation » (p. 60). Plus intéressants sont les passages comparant les situations et les chronologies nationales : ainsi dès 1973, le gouvernement fédéral du Canada lance un programme destiné aux logements en coopératives et aux organismes sans but lucratif (OSBL). Les Groupes de ressources techniques (GRT) au Québec sont aussi amenés localement à constituer le « collectif de construction.  Fort logiquement, il y a donc antériorité des réseaux d’acteurs professionnels à l’étranger, à l’image des WOGENO (Wohngenossenschaft) suisses, sorte de grandes coopératives professionnelles comme la CoDHA (Coopérative de l'Habitat Associatif) de Genève, dont Le Village Vertical dit s’être inspiré alors qu’un collectif strasbourgeois affirme s’être battu pendant 10 ans pour tenter de transposer en France le principe des Baugruppen allemands.

3Dans le chapitre 2, Camille Devaux s’attache à la constitution des premiers groupes d’habitants au tournant des année 2000-2010 sous l’angle de leurs motivations et de leur formalisation en consacrant une sous-partie complète au fait que les premiers groupes de futurs habitants auraient manifesté clairement leur volonté de se passer de toute forme de professionnels, qu’ils soient acteurs de la production de logement ou accompagnateurs (p. 65 et suivantes) par crainte d’une récupération du projet par des acteurs professionnels, d’une instrumentalisation par les élus, des promoteurs privés et, dans une moindre part, les opérateurs HLM. En fait, plus un groupe serait sensible à la mise en œuvre d’une mixité sociale, plus il serait ouvert aux bailleurs sociaux. L’auteure évoque même « une forte idéologie du soupçon » (p. 66). Les architectes sont ainsi soupçonnés par certains de vouloir prendre le pouvoir (p. 68) et certains craignent de voir leur projet n’être qu’un bâtiment-vitrine destiné à publiciser l’architecte. Dernière catégorie un temps rejetée : les accompagnateurs professionnels, mais Camille Devaux ne les caractérise pas, ne donne pas d’exemples de figures, de cursus/trajectoires professionnelles de ces dits- accompagnateurs et c’est bien dommage. On comprend néanmoins que sont visés les professionnels de la participation étudiés, notamment, par Magali Nonjon, issus du marketing et de la communication.

4Après l’examen de ces premières figures de rejet, Camille Devaux s’interroge sur ce qui « fait groupe » (identité), au-delà du processus de constitution première via deux grands types de vecteurs, qu’elle qualifie de « froid» (la presse généraliste et/ou spécialisée ; les ouvrages grand public, internet) ou « chaud » (rôle des réseaux militants et associatifs à l’image de Sortir du nucléaire, Attac, Le Mouvement des villes en transition ou slow-city, et EELV – juste énumérés mais jamais analysés en profondeur. Il faut attendre la partie 3 de l’ouvrage pour que soient par exemple évoquées plus longuement les motivations du parti EELV à porter politiquement l’habitat participatif au sein de sa stratégie d’alliance avec le PS. Alliance conjoncturelle mais aussi volonté d’autonomie d’EELV/PS qui va investir la thématique du logement qui va lui permettre de concilier la préservation d’un lien avec ses bases militantes et la nécessité de se professionnaliser. Par l’intermédiaire de militants de terrain engagés au sein du DAL ou de Jeudi Noir, EELV développe ainsi son expertise sans renier ses bases.

5Elle revient aussi sur les points de clivage existant entre les groupes eux-mêmes voire même au sein d’un même groupe : le rapport à la propriété et à la spéculation en cas de revente ; l’entre-soi assumé et revendiqué, certains ayant des envies plus communautaires que d’autres. Bref, au sein même des groupes, l’homogénéité de valeurs est loin d’être la règle. Ces différences fonderaient la labilité du vocabulaire au sein du mouvement. Ainsi la terminologie « autopromotion » fait-elle directement référence à l’absence de promoteur immobilier ; les habitants étant leur propre maître d’ouvrage. Tandis que celle de « coopérative d’habitants » reposerait sur le principe de propriété collective, de démocratie, de non-spéculation. Enfin, la terminologie « habitat groupé » (HG) fait plus largement référence à la notion de projet collectif, de partage. L’habitat participatif (HP) se veut plus englobant, mettant l’accent sur l’implication des habitants (p. 75). Plus loin elle revient encore sur cette très grande diversité terminologique (HG semi-rural, HG en HLM, éco-lieu de vie, éco-hameau, HG intergénérationnel, HG écologique, HG autogéré etc.) qui rend les comparaisons délicates (p. 97). Pour autant, elle ne change pas véritablement d’échelle en relatant la conception globale de la ville que ces acteurs ont ou défendent et quel rôle ils assignent à l’habitat participatif en dehors d’une rhétorique fondée sur quelques mots-valises. Elle aborde certes la stratégie discursive mise en place, tant par le mouvement HG que par les acteurs institutionnels sollicités qui élaborent une argumentation, mettre au point un discours, donner un sens à l’action entreprise, arracher l’HP à sa particularité pour acquérir valeur d’illustration ou d’exemple, atteindre un certain degré de généralité et être inscrit dans un cadre de valeurs surplombantes telles que l’entraide, la mixité, l’utilité sociale, la régulation du marché foncier, le développement durable, mais cela reste assez superficiel.

6La deuxième partie de l’ouvrage est consacrée à l’entrée en politique de l’habitat participatif, autrement dit au passage d’initiatives isolées à des actions initiées directement par la puissance publique et, en premier lieu, par les collectivités locales et les organismes HLM. Dans cette partie, l’auteure montre comment les acteurs institutionnels ont progressivement été promus au rang d’acteurs indispensables à l’HP et à son développement et ce, au travers de deux expériences-phares qui circulent au sein du mouvement et des acteurs institutionnels les ont progressivement valorisées : le Village vertical (VV) à Villeurbanne et Éco-logis à Strasbourg. Le premier, inauguré par Cécile Duflot (EELV) en juillet 2013, est le projet pilote d’Habicoop qui a bénéficié d’une large publicité dans les médias et les diverses listes de diffusion. Réalisé en partenariat avec une coopérative d’HLM - Rhône-Saône Habitat-, c’est un immeuble de 3 plots dont l’un dédié au VV tandis que les 2 autres appartiennent à la coopérative HLM qui réalise là une opération en accession sociale. Le VV est présenté comme l’emblème du projet partenarial réussi tant sur le plan humain et opérationnel. Sont également partenaires du projet l’association AILOJ (Association d’aide au logement des jeunes), la ville de Villeurbanne, le Grand-Lyon, et la Région. Il en va de même pour le partenariat entre Éco-Logis, l’association Éco-Quartier Strasbourg et la Communauté urbaine de Strasbourg (CUS). La médiatisation que la CUS a elle-même réalisée de l’événement (via les Rencontres nationales de 2009 et 2010) a largement mis l’accent sur cette entrée des acteurs institutionnels (p. 131). Elle signe aussi le retour en grâce aussi des accompagnateurs, décriés dans la partie 1 de l’ouvrage. Des accompagnateurs qui insistent sur l’argument fort du foncier pour inciter les groupes à se tourner vers les collectivités et les aménageurs. Les groupes attendent des acteurs institutionnels qu’ils leur fournissent un appui opérationnel en amont et au démarrage des projets (p. 136). Ces deux exemples médiatisés cachent pourtant mal le fait que globalement les acteurs institutionnels sont peu préparés et craintifs, ce qu’elle montre bien dans la troisième et dernière partie, illustrée par des tableaux de synthèse : (tableau 6, p. 267) les exemples de PLH au sein desquels l’habitat participatif est évoqué (Lille, Strasbourg, Paris ? Grenoble, Lyon, Pays du Voironnais) : il est toujours positionné dans des rubriques liées à l’innovation et à l’expérimentation) ce qui demeure la marque d’une grande prudence. Et le tableau 7 p. 268 montre aussi le phénomène de « copier-coller » des rubriques entre collectivités concernées. En bref, cette irruption de l’habitant (dont les acteurs institutionnels ont une vision idéal-typique) défie bel et bien les pratiques habituelles. Ces acteurs institutionnels ne semblent pas préparés aux opérations d’habitat participatif et craignent l’impact que celles-ci pourraient avoir sur leur quotidien. Les difficultés sont soulignées, notamment dans la manière d’appréhender le rôle et la légitimité des habitants dans la maîtrise d’ouvrage et à se saisir des outils pour conduire un projet d’habitat participatif. Au total des passages tout à fait intéressants mais un manque de profondeur parfois qui peut s’expliquer tant par le format actuel de la thèse que par une publication peut-être un peu rapide.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Maryvonne Prévot, « Camille Devaux, L’habitat participatif. De l’initiative habitante à l’action publique »Territoire en mouvement Revue de géographie et aménagement [En ligne], 35 | 2017, mis en ligne le 26 septembre 2017, consulté le 16 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tem/4278 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/tem.4278

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Auteur

Maryvonne Prévot

Université lille1 Sciences et Technologies

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