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Comptes rendus de lecture

Jean-Michel Dewailly, Tourisme et Géographie, entre pérégrinité et chaos

2006, Paris, L’Harmattan, Coll. Tourismes et Sociétés, 221 pages
Jean Scol
Référence(s) :

Jean-Michel Dewailly, Tourisme et Géographie, entre pérégrinité et chaos ?, 2006, Paris, L’Harmattan, Coll. Tourismes et Sociétés, 221 pages

Texte intégral

1L’ouvrage, d’un volume total de 221 pages, s’articule en cinq chapitres et propose une bibliographie internationale comptant environ 150 références.

2Le tourisme a connu un formidable développement depuis ces cinquante dernières années. Une part à priori croissante de la population mondiale le pratique ou est amenée à le pratiquer dans un avenir plus ou moins proche. Pratiquement plus aucune région de la Terre ne semble totalement échapper si ce n’est à la touristification, au moins à une fréquentation touristique plus ou moins importante, tandis que la plupart des acteurs politiques et économiques reconnaissent l’apport du tourisme en matière de développement à toutes les échelles du territoire. Il semblerait pourtant que ce tourisme et ceux qui le pratiquent c'est-à-dire les touristes soient paradoxalement quand ils ne sont pas tout simplement ignorés, voire pire méprisés par les chercheurs, au cœur de vifs débats concernant leurs natures et de leurs définitions. Les spécialistes : sociologues, anthropologues, économistes, historiens... et géographes, sont ainsi bien peu nombreux à adopter une position consensuelle pour définir ce qu’est le tourisme et ce que sont les touristes. Des questions de même ordre se posent par ailleurs quant à la matière et à la nature de l’approche scientifique du tourisme. Le tourisme fut jusqu’à présent plutôt un objet de recherche abordé au travers du prisme et des paradigmes des différentes sciences sociales. Ainsi existe-t-il une Économie du tourisme, une Sociologie du tourisme... une Géographie du tourisme. Or depuis quelques temps, certains chercheurs dont justement des géographes, contestent la validité de ces approches « classiques » et se font les chantres d’une « approche géographique du tourisme » voire d’une nouvelle science qui se voudrait à part entière : la « Tourismologie ». C’est sur ces constats que s’est appuyé Jean-Michel Dewailly pour réaliser un ouvrage d’une grande densité conceptuelle qui devrait interpeller tant les étudiants chercheurs (mais pourquoi pas aussi les autres) que les spécialistes confirmés du sujet. Cette contribution à une Géographie du tourisme ici clairement assumée et revendiquée par l’auteur, est aussi pour ce dernier, l’occasion d’une mise au point voire, d’un véritable droit de réponse vis-à-vis de l’Équipe MIT (Milieux, Itinéraires, Territoires) dont les positions et critiques sévères remettent en doute la validité des travaux de bien des géographes (entre autres) « du tourisme » et en particulier, ceux de Jean Michel Dewailly. Tout en ne rejetant pas « en bloc » l’ensemble des analyses développées par l’Équipe MIT et reconnaissant même l’intérêt de certaines d’entre elles,
Jean-Michel Dewailly consacre une bonne partie de l’ouvrage à démontrer ce qui fait selon lui, la fragilité, la partialité voire les contradictions émaillant les discours et démonstrations des chercheurs du MIT. Outre le fait de participer à un véritable débat contradictoire au sujet du tourisme et de son analyse par les scientifiques, Jean Michel Dewailly revient sur sa propre perception du phénomène touristique et lance de nouvelles pistes de réflexion, de recherche : le tourisme est un phénomène complexe qu’il reste difficile de définir et il n’existe d’ailleurs aucune définition qui satisfasse l’ensemble de la communauté scientifique et autres spécialistes du sujet. Alors faut-il sans doute accepter comme « le plus petit dénominateur commun » les définitions de l’Organisation Mondiale du Tourisme (OMT) et admettre que le tourisme comprend une part de « flou » si ce n’est dans sa nature, au moins dans la perception de celle-ci. Pour la plupart des auteurs l’origine du tourisme remonte au début de la révolution industrielle en Occident ou au Grand Tour que faisait en Europe les voyageurs fortunés à partir du XVIe siècle ; Jean-Michel Dewailly s’interroge lui à propos d’une origine plus ancienne. Remontant jusqu’à l’antiquité grecque et latine, il évoque la recherche d’altérité et les pérégrinations des riches citoyens romains visitant (déjà) les monuments de Grèce ou d’Égypte, ou leurs séjours dans leurs propriétés des campagnes du Latium (ancêtres des maisons de campagne, des week-ends ou de la villégiature). Les longs pèlerinages du Moyen Âge, à l’origine d’itinéraires, de routes, de réseaux d’auberges et hostelleries, ne sont-ils pas eux aussi des formes ancestrales des pérégrinations touristiques modernes ? L’auteur réaffirme aussi sa profonde conviction quant au caractère non industriel du tourisme dont l’évocation relève d’une facilité voire d’un abus de langage encore trop souvent utilisé tant par les spécialistes que par les médias. Il n’est à contrario pas illégitime de vouloir qualifier le tourisme en fonction de sa nature, du lieu de pratique ou de la motivation principale du touriste ; même si là encore le flou des définitions persiste et que les différentes « catégories de tourisme » peuvent peu ou prou se recouvrir. Ainsi le tourisme dit « d’affaires », dont on confirme ici qu’il s’agit bien de tourisme car d’une part, utilisant les mêmes services que les autres formes de tourisme (transport, hébergement, restauration...) et étant d’autre part à l’origine même et composante centrale de bien des destinations, ou encore (entre autres exemples) le tourisme dit de « santé » peuvent comprendre des épisodes de tourisme culturel ou de tourisme de shoping dans une ville (tourisme urbain) de bord de mer (tourisme littoral) mais aussi située au pied d’une montagne (tourisme montagnard ?).

3La pratique du tourisme n’est pas un « projet existentiel » et le touriste ne recherche pas « le vide » puisque dans la plupart des cas on le rencontre en des lieux de grande concentration de tourisme. Le tourisme est un choix, un désir (d’ailleurs, de « pérégrinité »). L’apprentissage du tourisme n’est pas une condition nécessaire à sa pratique ; même si une information, une démarche personnelle peuvent faire d’un individu un touriste. Il n’y a par ailleurs sans doute pas de distance minimale pour pratiquer le tourisme ou être touriste. On peut être touriste dans son propre pays, sa propre région et, dans certaines conditions, être touriste en consommant ou en vivant des prestations touristiques « au coin de chez soi » ! Le touriste n’est que partiellement libre tout comme l’est son intentionnalité ; car liberté et intention sont soumises aux contraintes de la vie sociale, de l’économie, de la culture, de la politique, des aménagements... Le touriste comme le tourisme sont de toutes façons fréquemment instrumentalisés voire manipulés par les professionnels, les médias ou les politiques...

4Contrairement encore à ce que pense l’Équipe MIT, pour Jean-Michel Dewailly, c’est bien la motivation qui occupe une place centrale dans la pratique du tourisme. Et, quelle qu’en soit la nature (active, passive...), le chercheur n’a pas à porter de jugement de valeur sur cette motivation car la neutralité est un préalable à l’analyse scientifique. Un argument de plus pour réfuter l’existence d’un soi-disant complot anti-tourisme et anti-touriste (de masse) fomenté par une part de l’intelligentsia prétendument jalouse d’avoir perdu son privilège à voyager.

5S’il reste difficile de définir tourisme et touristes, définir ou qualifier les « lieux touristiques » ne semble pas plus aisé. À partir de quand, de quels critères un lieu est-il touristique ? Des typologies existent mais elles trouvent souvent des limites dans leur confrontation au terrain ou au temps car les situations sont complexes et évolutives... et il n’est guère probant de considérer comme touristique tout espace dès qu’un regard s’y porte avec intention de tourisme. Pour qu’un lieu devienne touristique, ce dernier doit passer par une phase de « touristification » ou bien de mise en tourisme. Le premier terme désigne un processus de développement du tourisme spontané, non planifié ; alors que le second qualifie un processus plus programmé porté par des acteurs plus institutionnels. Contrairement à certains discours de professionnels ou d’institutions, aucun lieu et rien n’a « vocation » à être touristique ; en revanche tout peut probablement le devenir. Par contre, affirmer (équipe MIT) qu’il ne peut y avoir de tourisme sans la participation et l’assentiment des populations locales, c’est oublier les (très) nombreux exemples où celles-ci furent ignorées voire spoliées par l’émergence du tourisme (souvent à grande échelle) sur leurs territoires. C’est la question de la durabilité ou plutôt de la « suportabilité » d’un tel type de tourisme qui peut par contre être posée...

6Si une bonne part de l’ouvrage est surtout matière à droit de réponse et au rappel de certaines convictions de l’auteur en matière de tourisme, de géographie (du tourisme), en matière de recherche et de sciences en générale, dans un cinquième et dernier chapitre, Jean Michel Dewailly fait part de quelques réflexions « exploratoires » quant à l’application au tourisme et à la géographie du tourisme de concepts souvent empruntés aux sciences dures.

7Ainsi revient t-il sur le concept de « complexité » décliné à différentes échelles spatiales ou de temps au tourisme : à petite échelle (mondiale), cette complexité du tourisme est masquée par la tendance générale à la croissance continue. À l’échelle moyenne, cette complexité est dérangeante mais pas insurmontable car là encore se font ressentir les effets de la globalisation et du temps. Enfin, à grande échelle, cette complexité est qualifiée de « chaotique », en référence à la théorie du chaos que Jean-Michel Dewailly, observant les évolutions du développement touristique d’un lieu sur un temps long, pense être applicable au tourisme. Cette approche de la « complexité » s’accommode par ailleurs parfaitement au « système touristique », complexe par nature. Complexe et parfois chaotique le tourisme est aussi soumis aux événements aléatoires et autres « effets-papillons » dont les conséquences sont souvent imprévisibles sur l’évolution des lieux touristiques. Appuyant ses réflexions sur de nombreux exemples étudiés tout au long d’une longue carrière d’enseignant et de chercheur, Jean-Michel Dewailly réaffirme donc dans cet ouvrage, la validité de la géographie du tourisme pour l’analyse et la compréhension du phénomène touristique. Il propose enfin de nouvelles voies ou pistes susceptibles d’enrichir le débat et de participer au renouvellement des paradigmes de la recherche dans le domaine du tourisme et plus particulièrement ceux de la recherche en géographie du tourisme.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Jean Scol, « Jean-Michel Dewailly, Tourisme et Géographie, entre pérégrinité et chaos »Territoire en mouvement Revue de géographie et aménagement [En ligne], 3 | 2006, mis en ligne le 23 février 2017, consulté le 16 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tem/358 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/tem.358

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Auteur

Jean Scol

Université de Lille 1

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