Claire Guiu, Guillaume Faburel, Marie-Madeleine Mervant-Roux, Henry Torgue, Philippe Woloszyn, Soundspaces : Espaces, expériences et politiques du sonore
Claire Guiu, Guillaume Faburel, Marie-Madeleine Mervant-Roux, Henry Torgue, Philippe Woloszyn, Soundspaces : Espaces, expériences et politiques du sonore
2015, Presses Universitaires de Rennes, 411 pages
Texte intégral
1Dans cet ouvrage collectif, les auteurs proposent une réflexion autour de notions très longtemps dissociées : l’espace et le son. Oubliés pendant de longues décennies par la géographie, le son n’y fit en effet son apparition qu’au prisme des gênes sonores, le réduisant de fait au seul bruit. C’est au cours des années 1980, sous l’impulsion de certains chercheurs et compositeurs (Jean-François Augoyard ou Pierre Mariétan entre autres) qu’émerge une « approche qualitative des sonorités » (p. 9). Aujourd’hui au croisement d’une multitude de disciplines, entre sciences physiques, sciences sociales et approches artistiques, le sonore a acquis une place importante au sein de la recherche académique. Ce livre, dans lequel se font écho autant des propositions artistiques que des réflexions de chercheurs, se propose ainsi de dresser un portrait de ce vaste champ des sound studies.
2Dans une première partie, l’attention est portée sur les mises en scènes sonores, et plusieurs contributions illustrent l’importance progressivement acquise par le son afin d’organiser les espaces scéniques. Boisson et Vautrin s’intéressent notamment à la scène théâtrale au sein de laquelle, de tout temps, le son a joué un rôle fondamental, sur scène comme dans la salle. De l’entracte signifié par un signal sonore, à la ponctuation d’une pièce par la musique en passant par les bruitages et les effets dramaturgiques, la composition sonore s’est progressivement intégrée pleinement à la représentation théâtrale. Mais au-delà de cette échelle micro-géographique, le son peut également participer à la mise en scène de vastes territoires, comme le montre Delphine Chambolle à propos du parc naturel régional des Caps et Marais d’Opale. Il s’agit dans ce cas de la mise en valeur du patrimoine d’un territoire à travers la médiation d’une représentation artistique. Articulant témoignages des maraîchers et sons du territoire (vent, animaux, saisons, etc.), le spectacle créé vise à rendre « audible » le territoire du marais tout en s’inscrivant dans une fabrique de la mémoire et dans une politique locale d’attractivité territoriale. Mais c’est en particulier à travers les nouveaux dispositifs technologiques que de nouvelles formes de mise en scène sonore se révèlent. Et plusieurs expériences de cartographie ou de géolocalisation des « émotions sonores », décrites par divers auteurs, témoignent de cet engouement pour le son dans les pratiques artistiques.
3Une deuxième partie s’intéresse davantage à l’expérience sonore des lieux, en particulier à l’expérience quotidienne du sonore. Car la difficulté d’aborder le son en géographie tient notamment au fait que les notions de territoire ou d’espace ne correspondent jamais au « champ dans lequel s’exerce l’écoute » (Mariétan, p. 95), mais s’appuient plutôt sur la primauté du visuel. Rarement pris en compte, l’environnement sonore est pourtant fondamental dans l’expérience de l’espace, et il conviendrait aujourd’hui de s’intéresser à la « sonosphère », ce volume « dans lequel se situe un individu en mesure de percevoir les sons qui s’y produisent et qui s’y propagent » (Ibid). En décrivant la réalisation d’un parcours sonore dans un village situé au-dessus de la plaine du Rhône, cet auteur montre comment la perception du son évolue selon d’infimes variations spatiales, certains lieux protégeant des bruits de la vallée, d’autres les y exposant, le tout dans un territoire restreint. Mais surtout, ces parcours mettent de l’avant la manière dont les bruits se couvrent les uns les autres, le bruit d’un torrent couvrant le vacarme d’un avion devenant ainsi « une forme de silence » (p. 101). C’est cet « être-au-monde » sonore qui a progressivement été intégré à nos manières d’être et à notre quotidien. Retraçant l’évolution de l’isolation phonique depuis le 18ème siècle, Olivier Balay montre qu’elle correspond plus à un besoin de « contrôle de la circulation et de la production des sons » (p. 170) qu’à une volonté de se couper du bruit. Que ce soit pour écouter les domestiques, pour surveiller les enfants à travers une porte qu’on entrouvre ou au contraire éviter d’être écouté, ce système de cloisons se déploie dans les maisons bourgeoises pour filtrer et contrôler les sons et témoigne de l’importance croissante de l’écoute dans le quotidien. L’exemple du Caire, que nous présente Noha Said, est également révélateur de la manière dont le son s’est pleinement intégré à l’expérience quotidienne des individus. Qu’il s’agisse des appels récurrents à la prière qui s’élèvent d’une multitude de mosquées aux quatre coins de la ville, des appels des marchands ambulants au bas des immeubles, des sifflets des vendeurs de barbes à papa ou du « réveil public » pour les personnes jeûnant lors du ramadan, les pratiques quotidiennes et les sons s’imbriquent dans la création d’ambiances sonores particulières. Les différents textes composant cette deuxième partie témoigne ainsi de l’omniprésence du sonore dans notre expérience quotidienne et soulignent en creux la nécessité d’une gestion politique.
4La troisième partie met donc en avant des contributions ayant trait aux territoires politiques de l’environnement sonore. Plusieurs auteurs insistent sur cet écart persistent entre l’approche technique et normative de gestion du bruit et la subjectivité de la gêne ressentie par les habitants. Cette domination d’une gestion technique du son pose d’autant plus de questions qu’elle délégitime toute gène ressentie par des habitants si le bruit s’avère être dans les normes institutionnelles. Cet écart implique donc de penser à des outils qui permettent d’intégrer de manière efficace (et pluridisciplinaire) les perceptions habitantes dans les politiques de gestion du bruit. Articulant relevés de niveaux sonores et discours de riverains dans le cas de rues festives à Paris, Rennes et Paris, Étienne Walker montre que le « sentiment de gêne sonore ne se réduit pas au seul critère d’exposition sonore de l’habitant, mais est davantage liée à ses caractères sociologiques » (p. 345). Allant à l’encontre de certaines idées reçues, ce travail montre la pertinence de l’intégration d’études scientifiques aux politiques de résolution des conflits autour des zones festives. Mais ces enjeux soulèvent également l’encore trop faible prise en compte de la dimension sonore de l’espace dans les métiers de la conception. À cet égard, Manola et Geisler soulignent la primauté du visuel et du regard au sein des métiers de la conception. Elles soulignent le fait que la formation à ces métiers passe par l’apprentissage des outils nécessaires à une lecture critique de l’espace sans que n’y soient intégrés l’apprentissage de l’écoute et du ressentir de l’espace (p. 317). Bien que ses effets soient encore mineurs, l’attention portée au vécu des habitants, aux rapports sensoriels, et particulièrement sonores, commenceraient doucement à transformer les manières traditionnelles de faire et concevoir l’espace, d’où cette nécessité d’en tenir compte dans les formations aux métiers de la conception.
5Cet ouvrage révèle ainsi toute la diversité des sounds studies, ce que l’on constate à travers l’immense variété des approches théoriques et des auteurs mobilisés pour se saisir de cet objet de recherche. Mais ce livre met également en avant les défis épistémologiques et méthodologiques qu’impose la prise en compte de la dimension sonore des espaces. En décrivant certaines tentatives de représentation du son (cartes, etc.), plusieurs auteurs soulèvent la complexité de la modélisation des géographies sonores. À l’heure où les sons du monde deviennent patrimoine et leur sauvegarde une « mémoire pour l’avenir » (p. 213), cet enjeu devient fondamental.
Pour citer cet article
Référence électronique
Antonin Margier, « Claire Guiu, Guillaume Faburel, Marie-Madeleine Mervant-Roux, Henry Torgue, Philippe Woloszyn, Soundspaces : Espaces, expériences et politiques du sonore », Territoire en mouvement Revue de géographie et aménagement [En ligne], 32 | 2016, mis en ligne le 05 novembre 2015, consulté le 14 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tem/3140 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/tem.3140
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