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Comptes-rendus

Virginie Duvat, Alexandre Magnan, Des catastrophes… « naturelles » ?

2014, Paris, Le Pommier, 311 pages
Hervé Flanquart
Référence(s) :

Des catastrophes… « naturelles » ?, 2014, Paris, Le Pommier, 311 pages

Texte intégral

1L’idée principale défendue dans cet essai est que les catastrophes naturelles ne le sont pas vraiment, naturelles, que c’est moins la Nature en elle-même que l’Homme et son développement économique qui en sont les causes véritables. Ce qui, d’une certaine manière, est à la fois vrai et faux. Vrai, puisque, côté enjeu, moins il y a d’hommes plus le risque – et donc la possibilité d’effets catastrophiques – est faible (à l’inverse, quand la population et les richesses croissent, les enjeux suivent la même voie). Mais c’est aussi en partie faux si l’on considère les choses du côté de l’aléa puisque, s’il est exact que les activités anthropiques viennent perturber la Nature dans certains domaines, ça ne l’est pas dans tous. Ainsi pour les activités sismiques et leurs conséquences que sont les tsunamis, l’homme n’y est pour rien. Même en ces temps de forte activité industrielle que certains appellent l’ère de l’anthropocène, la terre poursuit ses activités de dérive des continents et volcaniques sans être perturbée par ce que l’homme fait à sa surface. Partant de là, que les différents chapitres du livre ne répondent pas à l’interrogation portée dans le titre est certes un peu déconcertant, mais sans grande importance.

2En revanche, les auteurs essaient de comprendre – et le font plutôt bien – comment les sociétés humaines, dans le contexte du changement climatique, composent avec le risque de submersion lié au tempêtes, ouragans et tsunamis. Ainsi, un certain nombre de ces catastrophes sont étudiées : gestion des menaces constantes sur les communautés de « sans-terre » qui s’installent sur les nouveaux espaces alluvionnaire du delta du Brahmapoutre, conséquences de la tempête Xynthia qui a attaqué le littoral centre-atlantique français en février 2010 et du cyclone Katrina qui a dévasté le sud de la Louisiane et plus particulièrement la Nouvelle-Orléans en août 2005, etc. Un point très intéressant est par ailleurs fait sur les Maldives et les États coralliens du Pacifique (Tuvalu, Kiribati, Marshall…), qui, du fait de leur très faible altitude moyenne, sont les premiers menacés par la montée du niveau des mers. Sont recensées et analysées les stratégies d’adaptation, en essayant de montrer ce qui est satisfaisant et ce qui l’est moins.

3Néanmoins, une fois le livre refermé, le lecteur peut se retrouver un peu déconcerté. Dans la dernière partie du livre, intitulée « discussion », il pouvait s’attendre à une prise de hauteur qui aurait permis de poser les questions fondamentales sur la façon dont les habitants de sociétés riches et ceux de sociétés plus pauvres envisagent de vivre avec le risque naturel dans les décennies qui viennent ; mais ces questions sont laissées de côté. Il aurait certainement fallu élargir le concept de « système du risque » que proposent les auteurs en y incluant le maximum de risques présents à un moment donné sur un territoire particulier. Les individus ne tronçonnent pas la réalité qu’ils vivent, s’ils craignent les effets du tsunami, de la tempête, du cyclone, dans le même temps, ils se préoccupent de bien d’autres risques et aspirent à un certain nombre d’avantages. Ils tentent de se prémunir de la misère, du chômage, des guerres, etc. et recherchent activement des aménités diverses, du confort, des contacts sociaux, etc. Dit autrement : pour bien comprendre comment les individus perçoivent un risque naturel et comment les autorités le prennent en compte et le gèrent, il est nécessaire de mettre en regard ce risque avec ceux d’autres natures et avec les avantages (matériels ou pas, économiques, sociaux…) sur lesquels se concentre l’attention sociale. Focaliser par exemple uniquement sur les morts qu’a provoqué la tempête Xynthia, se demander comment on a pu créer les conditions de cette catastrophe sans s’intéresser aux raisons qui poussent les individus à s’installer sur les littoraux, c’est un peu comme si l’on se penchait sur les trois mille victimes que les routes font chaque année en France sans se demander pour quelles raisons d’utilité et de plaisir les personnes utilisent une voiture ou un deux-roues. On peut, parfois, accepter un risque, si l’on estime qu’il est la contrepartie obligée d’un avantage ou une aménité particulièrement recherché.

4Pour terminer ce compte-rendu, on peut s’interroger sur une idée qui, sans être exprimée de manière très claire, est inscrite en filigrane dans certains passages du livre : la meilleure capacité qu’auraient les sociétés archaïques, ou disons plus généralement prémodernes, à absorber les catastrophes naturelles. Elles seraient de ce fait moins vulnérables. En fait, la thèse est douteuse ; elle peut même être vue, au moins en partie, comme un mythe. Ne serait-ce que parce que la question de la vulnérabilité ne se pose pas de la même façon dans des sociétés pauvres, où les individus maîtrisent relativement peu leur vie et leur avenir, et dans des sociétés riches, où la sécurité est une préoccupation constante et fait l’objet d’une certaine garantie par l’État. Jusqu’il y a un siècle ou deux, la société d’un atoll du Pacifique qui, au cours d’un événement de tempête et de forte submersion, perdait le quart ou le tiers de ses membres pouvait se percevoir comme pas si vulnérable que ça, puisque, la catastrophe passée, elle se redéployait sur l’espace – le même généralement –, redéveloppait ses activités et se projetait de nouveau dans le futur. Dans un groupe humain où la préoccupation que l’individu a de son propre sort est en partie subordonnée à celle qu’il a pour l’ensemble (où la solidarité est de type mécanique, dirait Durkheim), la vulnérabilité ne peut avoir le même sens que dans nos sociétés où l’individualisation est forte et où le sacrifice individuel au profit du groupe est plus difficilement consenti. Dans le risque, dans la catastrophe, l’enjeu est socialement construit ; et comme l’individu considéré de manière isolée n’a pas la même valeur d’une société à une autre, sa mort ne l’a pas non plus. Ainsi, une société comme la nôtre peut être amenée à se poser la question de son développement près des côtes, alors qu’elle n’a perdu qu’une fraction très faible de ses membres (un deux-millionième !) au cours de la tempête Xynthia ; ce ne serait bien-sûr pas le cas dans une société « traditionnelle », où le risque de mourir est partout et tout le temps présent, et donc bien plus facilement accepté. Dans la première, chaque mort est un drame dont il faut rendre compte d’un point de vue social et judiciaire, dans les secondes, c’est certes également un drame, mais dont on peut se contenter de rendre responsables la fatalité ou d’autres sources mal établies. Ce qui ne débouche pas forcément sur une réelle remise en cause du mode d’occupation de l’espace. Comparer la vulnérabilité de sociétés totalement différentes dans leur façon de croire et de penser reste toujours possible, mais les enseignements pour notre gestion des risques qu’on y trouve possèdent forcément leurs limites, très importantes.

5Au final, quand on referme le livre, on a appris beaucoup sur un certain nombre de catastrophes naturelles, on s’est abondamment interrogé sur la notion de vulnérabilité, sur la sagesse qui vient – partiellement et quelquefois pas pour longtemps – après les catastrophes, mais il reste quelques questions fondamentales sans réponse : Quelle importance sociale doit-on donner aux risques naturels ? Doit-on tout faire – sans se préoccuper des éventuels bénéfices dont ils sont la contrepartie – pour les réduire autant que possible ? Comment construire intellectuellement un « système de risques » qui prenne en compte à la fois tous les risques auxquels une société est soumise et tous les avantages recherchés qui leur sont associés ? Que faire avec le savoir vernaculaire local qui permettait, parfois mais certainement pas toujours, de limiter les conséquences des catastrophes ?

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Pour citer cet article

Référence électronique

Hervé Flanquart, « Virginie Duvat, Alexandre Magnan, Des catastrophes… « naturelles » ? »Territoire en mouvement Revue de géographie et aménagement [En ligne], 30 | 2016, mis en ligne le 05 juin 2015, consulté le 21 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tem/3064 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/tem.3064

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Auteur

Hervé Flanquart

Université du Littoral-Côte d'Opale

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