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Comptes rendus de lecture

Christian Montès, American capitals, a historical geography

2014, Chicago & Londres, University of Chicago Press, 394 pages
Yves Boquet
Référence(s) :

American capitals, a historical geography

Christian Montès, American capitals, a historical geography, 2014, Chicago & Londres, University of Chicago Press, 394 pages

Texte intégral

1Prenant quelque peu à rebours l’intérêt manifesté par les géographes envers les grandes métropoles des États-Unis comme Los Angeles, Christian Montès, professeur à l’université Lyon 2, s’intéresse depuis plusieurs années aux petites villes américaines, volet souvent oublié de l’armature urbaine outre-Atlantique. Dans cet essai, il se focalise sur les cinquante capitales d’États, certaines grandes (Boston, Atlanta, Denver), d’autres petites (Montpelier, Pierre, Salem).

2Après un chapitre introductif où il justifie le besoin d’apporter un nouvel éclairage, de surcroît français, sur les villes américaines et les processus territoriaux, car ces capitales d’États n’ont en fait jamais été étudiées comme un ensemble, il montre (chapitre 2) que les capitales d’États sont des lieux de mémoire symbolisés par le caractère majestueux de leurs capitoles, majoritairement inspirés de celui de la capitale fédérale Washington DC où s’enracine l’histoire des États-Unis et de leur peuplement, tout particulièrement au XIXème siècle, lorsque la conquête de l’espace américain s’est réalisée, période riche en création de villes.

3Rares (huit sur cinquante) sont les capitales actuelles qui ont toujours été capitales de leur État : Boston, St Paul, Cheyenne, Salt Lake City, Santa Fe, Carson City, Olympia et Honolulu. En fait, presque partout, comme l’auteur le décrit de façon minutieuse (chapitre 3), il y a eu succession de capitales, jusqu'à sept (Californie, Géorgie, Louisiane) et même neuf (Texas). Parfois du fait de la progression du peuplement vers l’Ouest (vingt-deux cas sur cinquante), de façon à garder une capitale d’État en position centrale, comme dans le Tennessee (Rocky Mount, Knoxville, Murfreesboro, Nashville) ou en Iowa (Burlington, Iowa City, Des Moines). Dans cinq États (Delaware, New Hampshire, Caroline du Nord, Rhode Island, Vermont), le processus historique a été une rotation complexe de la fonction de capitale entre plusieurs villes, avant qu’elle ne se fixe. Dans sept États (Alaska, Colorado, Kentucky, Maryland, Montana, Oklahoma et Oregon), la capitale actuelle est proche de la première ville choisie, suite à un « réajustement ». Enfin, pour les autres états, dont la Californie (sept capitales en quatre ans au début de son histoire : Monterey, San Jose, Vallejo, Sacramento, Vallejo, Benicia, Sacramento), le processus de localisation des capitales semble défier toute explication spatiale logique, et reflète plutôt des affrontements politiques ou des jeux spéculatifs de promoteurs.

4Dans les chapitres 4 et 5, Christian Montès cherche à dégager des éléments explicatifs à cette instabilité : recherche d’une centralité spatiale (évidente à Indianapolis) ; rejet de la grande ville conduisant à un choix de petites villes, correspondant à l’idéalisation jeffersonienne de la « Main Street » du Middle West (Harrisburg plutôt que Philadelphie) ; compromis entre deux villes importantes ; promotion territoriale (boosterism) comme pour Little Rock, Denver, Boise ou Cheyenne ; créations spéculatives d’hommes d’affaires, tandis que d’autres capitales ont été créées par des assemblées d’État (Annapolis, Austin, Columbia, Columbus, Tallahasse, Indianapolis, Jackson, Jefferson City, Lansing, Lincoln, Raleigh, Richmond, Salt Lake City), mais il était préférable que ces villes soient aussi des centres de commerce. En fin de compte, le caractère très politique du choix de la capitale a été un facteur important de la sélection des sites. Souvent, lors d’une âpre concurrence pour la désignation d’une capitale (Fargo/Bismarck en Dakota du Nord, Olympia/ Vancouver en Washington), la ville perdante s’est vue octroyer un « lot de consolation » : siège de l’université d’État (comme à Iowa City ou Moscow, Idaho), asile de fous (St Peter, Minnesota) ou…. prison d’État (Stillwater, Minnesota ou Sioux Falls, Dakota du sud) ! Procès et pétitions ont souvent accompagné et contesté ces choix.

5Après avoir examiné la création de ces capitales d’États, l’auteur présente au chapitre 6 leur évolution jusqu’aux années 1950, souvent marquée par de nombreuses difficultés (« années de purgatoire ») : difficultés financières pour l’achèvement des grandioses capitoles, faiblesses économiques face aux villes industrielles ou de navigation fluviale (Columbus vs. Cleveland et Cincinnati en Ohio), du fait du caractère trop peu diversifié (mono-fonction gouvernementale) de l’économie de nombreuses capitales. La vie culturelle et intellectuelle n’était pas inexistante dans les capitales d’États dotées d’universités (Chillicothe, Ohio fut surnommée « Athènes de l’Ouest, et Nashville « Athènes du Sud »), mais on était loin de retrouver Boston ou Philadelphie à Helena, Montana ou Pierre, Dakota du Sud. En fait, comme d’autres petites villes, un certain nombre de capitales américaines, ont connu un recul démographique, absolu ou relatif par rapport aux autres villes américaines : Albany était la 9ème ville du pays en 1840, la 69ème en 1950, Providence 9ème en 1790, 43ème en 1950, Richmond 12ème en 1820, 46ème en 1960. Certaines vicissitudes économiques les ont affectées (abandon de lignes de chemin de fer, comme à Guthrie, Oklahoma). Cependant Denver, Atlanta, Indianapolis, Des Moines, Columbus, Oklahoma City et Salt Lake City ont progressé dans la hiérarchie urbaine nationale. Après la seconde guerre mondiale, par contre, on assiste (chapitre 7) à une véritable renaissance des villes capitales. « India-no-Place » redevient une métropole bruissante d’activité. Columbus, longtemps en retrait de Cleveland et Cincinnati, prospère alors que ses rivales en Ohio déclinent. La professionnalisation du personnel politique amène à de meilleures pratiques de gouvernance et une affirmation du dynamisme local. La fonction universitaire, souvent avec des établissements réputés (Madison, Austin) permet le développement de stratégies économiques associant centres de recherche et développement des industries de pointe, comme à Austin. De nouveaux aéroports ont été développés par la reconversion de bases aériennes dont l’emplacement était lié à la fonction capitale (Austin, à nouveau, ou Columbus). Le tourisme, misant sur l’histoire locale, a revivifié nombre de villes, où les capitoles, soit les bâtiments actuels soit ceux d’antan, abritent des musées. Springfield, la ville d’Abraham Lincoln, en est un bel exemple. L’évolution de trois capitales, Columbus, Des Moines et Frankfort (chap. 8) permet à C. Montès d’affiner ses hypothèses sur les mécanismes d’évolution des villes capitales.

6Le dernier chapitre avant la conclusion jette un regard sur les villes qui furent un moment capitales et ne le sont plus ; de Cahawba (Alabama) à Detroit (Michigan). Kaskaskia (Illinois) avait 32 habitants en 1990, 14 en en 2010….. Si Pawnee Rock City (Kansas), végète à 252 habitants, Houston dépasse les deux millions d’habitants dans la seule municipalité et New York 8,2 millions. Toutes les anciennes capitales d’États ont-elles souffert de leur perte de ce statut ?. La réponse est bien évidemment variable selon les villes. Certaines sont des banlieues de grandes métropoles (Elisabeth NJ, Chillicothe OH, Vallejo CA), d’autres des métropoles régionales aux activités diversifiées (Omaha), d’autres encore des bourgades endormies (Corydon IN) qui essaient de se relancer par le tourisme (St Augustine FL, Guthrie OK, Golden CO) ou l’accueil de retraités (Prescott AZ).

7Symboles de la démocratie américaine, ces capitales d’États fournissent ainsi à l’auteur, dans un travail admirablement référencé et érudit, mais toujours de lecture aisée, agrémenté de pointes d’humour, et appuyé sur de nombreuses enquêtes de terrain, l’occasion de présenter une nouvelle vision de la richesse de la vie urbaine américaine.

8S’il fallait formuler quelques regrets, peut-être aurait-on aimé davantage de comparaisons avec La capitale des États-Unis, Washington DC, ne serait-ce que dans les processus de choix d’une capitale fédérale à la fin du XVIIIème siècle et sa langueur économique jusqu’au New Deal. De même, la monumentalité de l’urbanisme et de l’architecture de Washington, inspirée tant par Versailles que par la première capitale de Virginie (Williamsburg), a servi de modèle à nombre de capitales américaines. Si l’auteur dessine remarquablement la carte des capitales à l’échelle des États, l’ouvrage ne présente pas assez, à nos yeux, leur structuration spatiale à l’échelle fine de l’espace urbain.

9Il convient cependant de saluer à sa juste valeur la qualité du travail de Christian Montès qui a su convaincre un éditeur américain de renom de permettre à un Français s’exprimer sur les États-Unis. Un beau travail.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Yves Boquet, « Christian Montès, American capitals, a historical geography  »Territoire en mouvement Revue de géographie et aménagement [En ligne], 29 | 2016, mis en ligne le 20 mai 2015, consulté le 20 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tem/3010 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/tem.3010

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Auteur

Yves Boquet

Université de Bourgogne

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