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La ville revisitée par les sportifs... ?

The City Revisited by Sportsmen…?
Christian Dorvillé et Claude Sobry
p. 14-20

Résumés

L’apparition des nouvelles pratiques sportives au cours des années 1970 a eu pour effets induits une sportivisation de la société et une diversification des lieux de pratique avec, en particulier, des espaces que le sport s’est approprié (rues, places, parkings, etc.). Ces sports de rue se mettent en spectacle et participent à l’animation des lieux publics. Pratiques et tenues sont devenues des éléments de l’identité corporelle pour les adolescents. La pratique est cependant plus rare que l’usage des signes de sportivité. Le port de vêtements de marques connues permet de masquer certaines différences sociales. Tout ceci a pour effet de faire fonctionner le marché des articles de sport.
Le sport est également prétexte à des déplacements avec des convergences vers les lieux d’événements. C’est ce que l’on nomme le tourisme sportif urbain, terme composé et récent qui nécessite d’être défini. Ce tourisme recouvre différentes approches faisant du participant un acteur et du spectateur un participant en se rendant sur les lieux de compétitions et d’histoire du sport.
Les villes organisatrices d’événements majeurs à l’origine de grands flux touristiques attendent d’importantes retombées économiques et la création de nombreux d’emplois, même si certains effets négatifs doivent également être soulignés.

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Texte intégral

  • 1 Le stade, dans l’antiquité, ne correspondait pas à un lieu mais à une distance de course (192,27 mè (...)

1Sport et ville étaient, jusqu’à une époque récente, deux mots quasiment antinomiques. Le sport avait ses lieux d’expression précis et bien localisés : les stades1 les gymnases, les vélodromes et autres arènes où étaient organisées des rencontres sportives dans des cités structurées. Les courses cyclistes constituaient sans doute, dans le cadre du sport organisé né à la fin du XIXe siècle, l’exception remarquable : à certaines occasions précises, prévues, encadrées, la ville devenait le cadre du passage de pelotons colorés qui en désorganisait momentanément l’ordonnancement. Bien que le mot sport soit étymologiquement dérivé de « desport » ou « déport », il en a perdu, au cours du XXe siècle, la dimension sociologique car le caractère ludique qui constituait le fond même du desport tend à disparaître dans le sport fédéral, structuré, en raison de sa codification et d’une forme historiquement marquée de socialisation. Avec les années 1970, le sport est sorti des lieux dans lesquels la performance physique était confinée. Changement de pratiques, d’objectifs de la part des acteurs qui recherchent le plaisir plus que la performance, dans un esprit d’hédonisme, d’exhibition d’un corps délivré des contraintes physiques du travail auxquelles on substitue celles du paraître. Pour que l’effort qui se veut esthétique ait un sens il lui faut un public : joggers dans les parcs et les rues, mais surtout skaters et rollers investissent squares et esplanades. Le corps reprend le droit d’être et de s’exprimer, entre autres par le sport. Le sport devient spectacle urbain. Plus encore, la ville, le coeur de la cité, deviennent les lieux d’expression populaire à l’occasion d’événements sportifs. L’élection de la ville organisatrice des Jeux Olympiques dans une cité candidate, le retour victorieux (ou non, parfois) d’un champion ou d’une équipe, la retransmission sur écran géant d’une rencontre sont autant d’occasions liées au sport d’investir la ville qui devient tour à tour stade et tribune, la gestion des flux par les représentants de l’ordre urbain traditionnel n’étant souvent qu’approximative en pareil cas. On perçoit clairement dès à présent que le sport dans la ville dépasse largement la seule population concernée par des pratiques compétitives ou même de loisirs, mais que c’est une partie considérable de la population dans son ensemble qui est concernée et, de ce fait, la conception même de la relation entre le sport et la ville, voire même les mobiliers urbains, qui doivent être revus pour être adaptés aux nouvelles attentes sociales.

2La ville est un bon observatoire des changements sociétaux. Son approche nécessite des analyses pluridisciplinaires mobilisant aussi bien des sociologues que des économistes, des géographes et des juristes sans oublier les urbanistes...

1. Espaces urbains et acteurs sportifs : une nouvelle gouvernance ?

3L’irruption des pratiques sportives en pleine ville est l’occasion de poser un nouveau regard sur la ville elle-même, de s’interroger sur les fonctions de « l’espace public » ou peut-être de « l’espace des publics », sur la participation des loisirs sportifs à de nouvelles territorialités et à de nouvelles centralités urbaines.

  • 2 Lieu où un groupe humain développe des sentiments d’appartenance et d’appropriation (structuration (...)

4Tous les analystes ont pointé l’émergence d’un phénomène de sportivisation de la société française : 36 millions de français âgés de 15 à 75 ans se déclarent sportifs en 2000 selon l’enquête de l’INSEP (2002). Cette irruption des activités physiques et sportives en pleine ville bouleverse les usages physiques et sociaux de la cité. En effet, le sport est étroitement dépendant de l’espace qui acquiert alors des valeurs de territoire2.

5La diversification des formes de pratique s’accompagne de l’utilisation d’espaces physiques nouveaux que nous pouvons tenter de schématiser en trois catégories, en fonction de leur degré de vocation sportive :

  • Les équipements sportifs par assignation : stades, piscines, gymnases, skatepark, etc. qui sont des espaces spécialisés, fermés avec un accès réglementé et qui correspondent aux pratiques traditionnelles liées au mouvement sportif fédéral. Nous pouvons remarquer avec J.P. Callède (2001) que ces équipements sportifs par désignation, normés précisément, sont aujourd’hui repoussés aux extrémités des villes (« sportivisation des périphéries et culturisation du centre-ville ») et concernent des pratiquants compétiteurs et un public de spécialistes.

  • Les aménagements sportifs par adaptation : sentiers, salles de fêtes transformées le temps d’une manifestation en gymnase, circuits balisés en forêt et parcours de santé etc. qui concernent plutôt des pratiquants adultes centrés sur une activité individuelle à finalités hygiéniques, bien-être corporel etc.

    • 3 Type de vélo dont les caractéristiques permettent sauts et acrobaties.

    Les espaces d’activités sportives par appropriation : places, rues, parkings, pied d’immeubles...Les nouvelles pratiques ludo-motrices bousculent en effet les représentations traditionnelles de l’espace public en réinventant les usages physiques de la ville : passage d’un espace clos hérité des fondements de l’urbanisme moderne (séparation des activités et des usagers) à un espace ouvert sur la ville (sports « de » la ville et plus seulement « dans » la ville) où les pratiquants entretiennent des rapports interactifs avec l’environnement urbain qui passent par une ré-appropriation originale et ludique de la cité. Ces sports de rue tels que le jogging, roller, skate, street-ball, BMX3, street-hockey... prennent pour cadre d’action la ville c'est-à-dire les rues, les interstices urbains, tous les espaces ouverts, sans contrôle à l’entrée. Ces activités « spectacularisables » prennent les passants, les piétons (parfois malgré eux) comme témoins, comme spectateurs et participent, selon E. Adamkiewiecz (2001), à l’animation spontanée des lieux publics et à la création de liens entre les espaces et les citadins. Le marathon de New York, créé en 1970, est la plus spectaculaire manifestation d’une appropriation sportive de l’espace public banal et illustre au même titre que la Friday Night Fever de Paris ou la Blade Night de Berlin pour le roller cette dimension spectaculaire de la fête sportive urbaine.

6Cette nouvelle configuration des loisirs déborde largement le seul phénomène sportif avec le retour d’autres pratiques culturelles dans l’espace public : musique, danse de rue, expressions graphiques etc. qui démontrent que l’espace urbain peut être un lieu d’échanges et d’interactions sociales majeures avec ce passage de l’utilitaire au récréatif, de la neutralité au lieu de vie. Tous ces nouveaux comportements témoignent, nous semble-t-il, d’une sensibilité urbaine « post-moderne ». Dans ce cadre, la distinction des lieux peut s’effectuer en fonction de l’usage du corps, de la culture corporelle sous-jacente, d’où le recours à une autre typologie des formes d’espaces urbains :

  • Espace d’accomplissement associé au corps productif, à la réalisation de résultats et de records (les grandes enceintes sportives telles que stade, palais des sports...)

  • Espace récréatif et hygiénique qui fait appel à un corps éduqué et façonné (les parcours santé, gymnases, playgrounds, etc.)

  • Espace expérientiel lié au corps ludique, à la sensorialité et à l’expérience vécue (lieux publics, skateparcs...)

2. Être ou paraître sportif en ville ?

7La « conquête » sportive de la ville par les activités sportives autonomes montre qu’aujourd’hui les pratiques et les tenues sportives sont devenues des éléments importants de l’identité corporelle pour les adolescents (les « tweens » anglo-saxons). Mais comme le remarque F. Ohl (2001), si l’usage des objets sportifs dans la présentation de soi en public est très prégnant à cet âge (port d’un vêtement de sport, de chaussures d’une marque sportive à la mode...), la pratique est souvent plus rare que l’usage des signes de sportivité. Le port ostentatoire de marques sportives telles que Nike, Reebok, Oxbow, de tenues qui rappellent une nationalité (maillot de pays africains) ou un club emblématique (OM, PSG) peut participer à une survalorisation sportive chez les jeunes des cités et ce, à des fins de compensation et de masquage des difficultés sociales et d’échecs scolaires. Il s’agit alors, par un détournement des codes sportifs, de jouer la carte de la lisibilité et donc de la reconnaissance sociale inter groupes en se réappropriant une culture légitime valorisée dans les médias à travers le culte du champion et ainsi d’incorporer une culture et une ville dont ils sont souvent exclus (faute de moyens, ils déambulent dans les rues et les galeries marchandes). La ville devient alors pour eux, contrairement aux jeunes issus des classes aisées et amateurs de glisse urbaine, un espace difficile de représentations de groupe, un médium leur permettant, à moindre coût, d’être vus tout en limitant les contacts avec le monde adulte.

  • 4 Le Monde 11 novembre 2000

8Cet aspect du « paraître sportif » correspond à un mouvement profond dans les sociétés occidentales dans lesquelles le sport s’est imposé, ou a été imposé, comme un élément social global par lequel être ou paraître sportif n’a plus rien de surprenant ou de dérangeant. Être vêtu en tenue de sport sans raison apparente, parfois même à contre emploi, fait fonctionner le marché des articles de sport sans que, le plus souvent, le porteur cherche à montrer quoi que ce soit de particulier. « Le sport fait vendre, les gens ont de plus en plus de temps libre et 80 % de nos produits sont portés dans la rue plutôt que sur un terrain » dit J-P. Petit, président de Nike France4. Sans doute ce chiffre est-il un peu surévalué, mais il exprime bien la tendance dans ce domaine.

9Deux types d’approche se manifestent donc : le sport comme manifestation de la société de et dans la ville, sous ses différentes formes, ses avatars, par la vie de ses clubs, l’organisation de manifestations, de tous types et de toutes dimensions, et l’image que le sport propose, permet de se parer ou de s’emparer que l’on soit sportif ou non. Le sport est aussi prétexte à des déplacements vers un lieu précis, une ville organisatrice d’un événement qui dépasse le cadre de la collectivité, on dirait aujourd’hui de la communauté, locale, et qui provoque des phénomènes touristiques, ce que l’on désigne dans la littérature spécialisée comme étant le tourisme sportif urbain, ces trois mots ne s’accordant pas spontanément d’un point de vue conceptuel.

3. Clarification des concepts : qu’est-ce que le tourisme sportif urbain ?

  • 5 Si les premiers ouvrages traitant des rapports entre sport et tourisme apparaissent au début des an (...)

10L’expression « tourisme sportif » apparaît au cours des années 19805, en Europe et aux États-Unis pour caractériser un ensemble de pratiques qui relèvent à la fois du tourisme et du sport dans une acceptation large. L’expression s’est imposée sans pour autant avoir été définie et critiquée jusque dans les années 1990 (Pigeassou 2004). Certaines manifestations qui ne se déroulent que dans les grandes cités (Coupe du Monde de football, Jeux Olympiques, tournois de tennis, etc.) ont pris une ampleur inconnue jusqu’alors au cours des deux dernières décennies sous l’impulsion des médias, entraînant la création d’équipements sportifs gigantesques ainsi que le développement ou la re-création d’aménagements urbains (routes, aéroports, transports en commun, etc.) et drainant des flux de sportifs, de spectateurs et de journalistes toujours plus importants. Parallèlement, des manifestations de masse tel les marathons, les randonnées en rollers, en vélo, etc. sont apparues puis se sont développées attirant des flots de participants impressionnants, venant parfois de l’étranger ou de distances considérables et nécessitant hébergement et restauration.

11Il nous faut donc circonscrire les termes « tourisme », « sport », « tourisme sportif » et « tourisme sportif urbain » afin d’analyser les formes que ce dernier peut adopter puis envisager les différents types de retombées positifs et négatifs avant de nous interroger sur les compétences nécessaires à l’analyse et à la gestion de cette forme de tourisme.

12Pour le mot sport nous ne reviendrons pas sur l’aspect polysémique de cette notion et la diversité des approches qu’elle recouvre. Nous retiendrons la définition de la Charte Européenne du sport (1992) : toutes formes d’activité physique qui, à travers une participation organisée ou non, ont pour objectif l’expression ou l’amélioration de la condition physique et psychique, le développement des relations sociales ou l’obtention de résultats en compétitions de tous niveaux.

13Selon l’Organisation Mondiale du Tourisme, le mot tourisme désigne l’ensemble des activités déployées par les personnes au cours de leurs voyages et de leurs séjours dans des lieux situés en dehors de leur environnement habituel pour une période consécutive qui ne dépasse pas une année à des fins de loisirs, pour affaires et autres motifs non liés à une activité rémunérée dans le lieu visité.

14Pour aborder la définition du tourisme sportif nous retiendrons l’approche de G. Plagnol (1997) : Toute forme de déplacement motivé par le sport en tant que sport-objet ou sport-activité. Les développements ultérieurs permettront de clarifier ces éléments.

  • 6 L’espace sportif urbain peut alors être le théâtre de conflits d’usage entre citadins sportifs et s (...)

15Nous en arrivons au Tourisme Sportif Urbain. Géographiquement il s’agit d’une circonscription du tourisme sportif au cadre d’une ville, ce qui élimine les stations de sports d’hiver et les stations balnéaires dont l’objet principal est l’usage d’espaces naturels pour la pratique de sports, la ville n’étant que le lieu d’hébergement. Le terme recouvre deux acceptions : l’utilisation d’équipements sportifs de grande dimension dédiés au sport-spectacle (stades des grands championnats ou coupes de football, pour les Jeux Olympiques, etc.) et l’utilisation à des fins ludo-sportives d’espaces urbains non sportifs (glisses urbaines comme le roller ou le cyclisme, marathons, etc.)6.

4. Les différentes formes de tourisme sportif urbain

16Le tourisme sportif urbain recouvre différentes approches, l’approche motrice, l’approche visuelle et l’approche cognitive.

17L’approche motrice du tourisme sportif urbain fait du participant un acteur de l’événement. On peut en distinguer différents niveaux : la participation à des compétitions de haut niveau et à des épreuves de masse qui combinent l’élite et les pratiquants de tous niveaux, les uns et l’autre participant à une forme de spectacle. Certaines pratiques tels le roller (en tenant compte de ses différentes formes, acrobatique, agressif, de randonnée), le skate, le BMX, etc. se sont développées spontanément. Les pratiquants se retrouvent sur un site présentant les qualités souhaitées (surface plane et sans obstacle ou avec du mobilier urbain, barrière, tables et bancs par exemple) sans qu’aucune structure n’ait mis en place ces rassemblements. Certains lieux tel le Trocadéro ou l’esplanade du musée Beaubourg à Paris deviennent des lieux de rassemblements spontanés et de spectacle pour les passants. Ces rassemblements ont donné naissance à des pratiques auto-organisées rassemblant régulièrement plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de participants. À Paris chaque vendredi en moyenne 10 000 rollers se retrouvent (le record étant de 28 000 personnes), informées par Internet du lieu de rassemblement, les circuits changeant chaque semaine. Cette pratique conduit à une double spectacularisation : la ville est spectacle pour l’acteur et l’acteur est spectacle pour le passant ou le consommateur assis en terrasse d’un café ou d’un restaurant. Ce spectacle gratuit devient une attraction valorisée par les Tour Opérateurs qui réservent des terrasses pour que les touristes puissent assister au passage de cette manifestation folklorique colorée et joyeuse.

18L’approche visuelle peut aussi être qualifiée de tourisme sportif de spectacle. Elle ne concerne que les spectateurs d’événements sportifs qui se déroulent essentiellement dans les lieux dédiés aux compétitions de haut niveau, championnat de football. Ce tourisme repose sur la mise en spectacle de l’événement. Tout est mis en œuvre pour favoriser la visibilité de l’événement (écrans géants, sonorisation, etc.). Le spectateur vient y chercher la contagion de l’émotion, l’identification au champion. Il fera également partie du spectacle par ses tenues, ses explosions de joie ou de détresse, par l’usage que les organisateurs en feront pour transformer leur événement sportif en spectacle télévisuel. La vente groupée de séjour et d’entrée sur le lieu de compétition est aujourd’hui bien développée, certains tour opérateurs s’étant spécialisés dans ce type de produit.

19Dans le cadre de l’approche cognitive le touriste se rend dans des lieux chargés d’histoire. On distingue deux catégories :

  • a- les enceintes sportives, hauts lieux d’exploits, chargés de vibrations, par exemple dans les vestiaires de l’équipe de France au Stade de France les visiteurs qui ont payé pour visiter l’enceinte veulent s’asseoir à la place de leur héros, Zidane ou Barthez. Les équipements olympiques sont également l’objet de nombreuses visites longtemps après la fin de l’événement. Le stade de Berlin, de triste mémoire, est encore visité par des milliers de visiteurs chaque année, bien qu’il ait été totalement modernisé ; les installations olympiques de Barcelone sont incluses dans les circuits touristiques habituels.

  • b- Les musées dédiés au sport tels le musée olympique de Lausanne, le musée des sports de Paris ou le tenniseum de Roland-Garros, ou encore, spécialement aux États-Unis, les Hall of Fame, parfois célèbres tel le NCAA Hall of Fame d’Indianapolis pour le sport universitaire, soit encore situés dans des villes de plus petite dimension tel le Baseball Hall of Fame de Cooperstown, État de New York ou du Football Hall of Fame de Canton, Ohio. Le touriste vient y retrouver les témoignages du passé, l’évolution des technologies, un objet fétiche (maillot, chaussures, raquette,...), des images du passé d’ailleurs de mieux en mieux valorisées grâce aux technologies audiovisuelles contemporaines.

5. Les retombées

20S’il est courant d’entendre parler des aspects positifs de la tenue d’une manifestation sportive, les organisateurs mettant l’accent sur la création d’emploi, l’activité économique ou la préservation de l’environnement, il n’en demeure pas moins que certaines nuisances peuvent être observées.

21Parmi les éléments positifs consécutifs à la tenue d’une manifestation sportive attirant de nombreux participants ou spectateurs il est incontournable de parler des retombées économiques. L’importance de l’impact dépend essentiellement du type de manifestation dont il est question et de son aspect compétitif ou non, ainsi que de la réputation de la compétition. S’il s’agit d’une manifestation n’utilisant que la voie publique, les dépenses d’organisation sont faibles. Ce sont les commerces, les hôtels et restaurants qui tirent bénéfice de l’activité développée et, indirectement, les finances publiques. S’il s’agit d’une manifestation se déroulant dans une ou plusieurs enceintes dédiées au sport, les exemples sont nombreux montrant l’importance des espoirs mis dans l’obtention d’une organisation majeure comme une Coupe du Monde de Football ou le Jeux Olympiques. À Turin, on attend une augmentation de 0,2 % du PIB national italien et de 3 % du PIB du Piémont et la création de 57 000 emplois par an sur la période 2005-2009, grâce à l’organisation des J.O. d’hiver 2006. Le seul Piémont, région où se déroulent les épreuves, verrait une augmentation de la valeur ajoutée de 13 milliards et de 2,8 % par an de l’emploi sur la période. Le Mondial 2006 pourrait générer 3 milliards de retombées économiques et la création de 40 000 à 60 000 emplois (dont un tiers pérennes) en 2006.

22Les retombées indirectes cette fois, en termes de notoriété et de relations internationales constituent probablement les effets à la fois les moins mesurables et les plus assurés. Par exemple, en ce qui concerne les Jeux d’Albertville (1992), bien que considérant que le principal effet d’entraînement des Jeux soit d’ordre médiatique, W. Andreff (1991) estime qu’il est difficile de mesurer la part qui leur revient dans les variations des flux économiques, même s’il avance que les effets médiatiques ne peuvent contrecarrer les tendances évolutives profondes.

23Se pose enfin la question de la durabilité de l’impact des grandes manifestations sportives. En effet il ne faut pas confondre une haute conjoncture, phénomène momentané causé par la tenue d’une manifestation sportive, et croissance, phénomène structurel. Au cours des années qui s’écoulent entre la désignation d’une ville ou d’un pays comme organisateur d’une grande manifestation sportive, l’activité économique est stimulée par les préparatifs, puis la venue des équipes et des spectateurs. Plus les équipements nécessaires sont importants, plus les travaux d’accompagnement (routes, aéroports, lignes de métro ou de tramway, etc.) sont nécessaires et plus l’impact à court terme peut se révéler positif. Encore faut-il, condition souvent omise, que le tissu économique de la région concernée ait les capacités de répondre aux besoins en investissements, en matériel, en qualifications, etc.

24Parmi les éléments négatifs doivent être pris en considération :

  • a- Les problèmes environnementaux (les pollutions sonores ou atmosphériques comme celles entraînées par les circuits automobiles de Monaco et du Mans, situés en plein cœur de la ville, ou encore les déchets aux alentours des stades).

  • b- La création d’aires de jeux, plus couramment appelées play-grounds qui pourraient devenir des zones et des ghettos communautaires voire délinquants.

  • c- Certains événements sportifs peuvent donner lieu à des débordements de la part de quelques spectateurs excités, ou même d’attentats comme à Munich ou Atlanta.

  • d- Le phénomène de « touristification » ne doit pas être ignoré non plus. À l’occasion des grands événements sportifs plusieurs effets agissent négativement sur la population locale (embouteillages, hausse des prix, privation de certains services (eau, électricité) le temps de la compétition tout étant détourné au profit de la vitrine que constitue un événement comme pour les Jeux Olympiques d’Athènes en 2004).

Conclusion

25Cette analyse volontairement synthétique rencontre certaines limites dues à l’effort heuristique de cadrage et de clarification. Dans les faits, on perçoit une certaine complexité du phénomène avec, en particulier, une hybridation des formes énoncées. Dans certains cas, sont entrecroisés l’action, la culture et le spectacle. Par exemple, dans le cas du roller de randonnée dans les grandes villes, à Paris plus particulièrement, on observe une combinaison du tourisme d’action et du tourisme culturel puisque le participant découvre des jardins, des cours, etc. en dehors des circuits traditionnels, les bus touristiques ne pouvant y accéder. Il s’agit bien d’un tourisme décalé qui s’adresse de plus en plus aux visiteurs étrangers à la ville. On peut y ajouter une forme de spectacle puisque le passage des rollers est devenu un spectacle exploité par les tours opérateurs.

26Les aspects actifs – passifs peuvent également se combiner, le spectateur d’un match de football, par exemple peut être placé dans la catégorie « passif », mais en s’étant grimé, en agitant des banderoles ou en participant aux « ola », il fait partie du spectacle et devient un élément actif, exploité pour les images télévisuelles.

27Phénomène touristique à part entière, même s’il n’a été pris en considération que récemment son lien de dépendance avec l’engouement pour le sport qui s’est développé au cours de 25 dernières années étant essentiel, le tourisme sportif urbain nécessite, tant pour la compréhension du phénomène que pour l’étude de son développement, le regard croisé de plusieurs disciplines, sociologie, ethnologie, économie ; se limiter à une seule analyse risque d’empêcher la compréhension profonde du sujet et de commettre des erreurs dans ses possibilités de développement.

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Bibliographie

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ANDREFF W. - dir. (1991). – Les effets d’entraînement des Jeux Olympiques d’Albertville. Retombées socio-économiques et innovations dans le domaine du sport en région Rhône-Alpes., Programme pluriannuel en sciences humaines Rhône-Alpes, janvier 1991.

AUGUSTIN J-P. (1998). – Générations d’équipements sportifs, Sports en ville, n° 79, p. 5-13.

JACCOUD C., MALATESTA D. (2001). – Le développement de l’auto organisation sportive dans trois villes suisse ; acteurs, territoires et pouvoirs publics, Neufchâtel, CIES, 167 p.

MIGNON P., TRUCHOT G. (2002). - Pratiques sportives 2000, Paris, INSEP, 226 p.

OHL F., (2001). - Les usages sociaux des objets : paraître sportif en ville, Revue Loisirs et Société, n° 24, p. 111-135.

PIGEASSOU C. (2004). - Le tourisme sportif : une réalité sociale aux contours incertains In : Sobry C., Le Tourisme Sportif, Lille, Les Éditions Universitaires du Septentrion, p. 33-72.

PLAGNOL G. (1997). - Tourisme sportif et secteur marchand, Les Cahiers Espaces, n° 52. 25-33.

SOBRY C. (2003). - Socioéconomie du sport, structures sportives et libéralisme économique, Bruxelles, de Boeck, 165 p.

SOBRY C. - dir. (2005). - Le tourisme sportif, Lille, Les Éditions Universitaires du Septentrion, 384 p.

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Notes

1 Le stade, dans l’antiquité, ne correspondait pas à un lieu mais à une distance de course (192,27 mètres). Aujourd’hui il est le symbole et l’archétype du grand équipement destiné à la mise en jeu ou à la mise en spectacle du corps sportif.

2 Lieu où un groupe humain développe des sentiments d’appartenance et d’appropriation (structuration identitaire locale).

3 Type de vélo dont les caractéristiques permettent sauts et acrobaties.

4 Le Monde 11 novembre 2000

5 Si les premiers ouvrages traitant des rapports entre sport et tourisme apparaissent au début des années 80 (Glyptis S.A., Sport and tourism in Western Europe, London : British Travel Educational Trust, 1982), c’est en 1987 qu’apparaît dans le titre d’un article l’expression tourisme sportif (De Knop, « Some thoughts on the influence of sport tourism », in Proceedings of the international seminar and worshop on outdoor education recreation and sport tourism, Wingate Institute for Physical Education and Sport, Netanya, Israël, 38-45). Le premier ouvrage sur le sujet date de 1995 : A. Drayer & A. Krüger (Eds), Sporttourismus, Management and Marketing Handbuch, München, Oldenbourg, 1995, 466 p.

6 L’espace sportif urbain peut alors être le théâtre de conflits d’usage entre citadins sportifs et sédentaires.

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Pour citer cet article

Référence papier

Christian Dorvillé et Claude Sobry, « La ville revisitée par les sportifs... ? »Territoire en mouvement Revue de géographie et aménagement, 3 | 2006, 14-20.

Référence électronique

Christian Dorvillé et Claude Sobry, « La ville revisitée par les sportifs... ? »Territoire en mouvement Revue de géographie et aménagement [En ligne], 3 | 2006, mis en ligne le 15 septembre 2011, consulté le 15 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tem/295 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/tem.295

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Auteurs

Christian Dorvillé

Sociologue
Maître de Conférences - Université de Lille 2
Faculté des Sciences du Sport et d’Éducation Physique (FSSP)
Laboratoire Sport, Identité, Culture (SIC), E.A 4110.
Groupe Interdisciplinaire de Recherche sur le Sport et le Tourisme (GIREST)
christian.dorville@univ-lille2.fr

Articles du même auteur

Claude Sobry

Économiste
Professeur des Universités - Université de Lille 2
Faculté des Sciences du Sport et d’Éducation Physique (FSSP)
Laboratoire Sport, Identité, Culture (SIC), E.A 4110
Groupe Interdisciplinaire de Recherche sur le Sport et le Tourisme (GIREST)
claude.sobry@univ-lille2.fr

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Droits d’auteur

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