Navigation – Plan du site

AccueilNuméros21ArticlesPatrimoine industriel et identité...

Articles

Patrimoine industriel et identité territoriale dans les Ardennes

Industrial heritage and patrimonial identity in French Ardennes
Marcel Bazin
p. 54-68

Résumés

La notion de patrimoine industriel, tardivement imposée en France, intéresse le dialogue engagé entre géographes et aménageurs d’un côté et économistes de l’autre, sur les liens entre patrimoine et territoire. En effet, ces disciplines sont concernées à la fois par la genèse de ce patrimoine à l’occasion de processus de désindustrialisation ou de reconversion industrielle, par les modalités de son identification et de son appropriation qui en font un marqueur territorial et par les problèmes de conservation et de valorisation qu’il pose en fonction de ses caractères spécifiques.
Nous avons choisi d’illustrer cette problématique par le cas des Ardennes industrielles. La vallée de la Meuse de Mouzon à Givet dessine un « arc industriel » à forte personnalité caractérisée par la prépondérance quasi-exclusive de la métallurgie, particulièrement de la fonderie de fonte, de la forge et de l’estampage. Cette industrie ardennaise a été sévèrement frappée à partir de 1975 par un mouvement de désindustrialisation qui a laissé de très nombreuses friches industrielles. Il reste ainsi un riche héritage, très visible par sa concentration spatiale le long de vallées fortement encaissées dans le plateau ardennais. Le processus de patrimonialisation passe par une appropriation conduisant à une forte affirmation identitaire aux facettes diverses, identité paysagère, reconstruction d’une mémoire collective technique mais aussi sociale, parfois contestée. L’appropriation de ce patrimoine a été appuyée par un travail d’approfondissement de sa connaissance. Dans quelle mesure sa valorisation peut-elle contribuer au développement territorial ?

Haut de page

Texte intégral

Introduction

1La notion de patrimoine industriel s’est tardivement imposée en France, dans le cadre de l’élargissement progressif de la notion de patrimoine culturel. D’abord mis en avant par le travail d’historiens, il a vite suscité l’intérêt d’autres disciplines telles que la géographie, l’aménagement du territoire et l’urbanisme, mais aussi l’économie spatiale ou régionale. Une fois rappelé l’historique de cette notion, il s’agira d’abord d’apprécier en quoi elle intéresse les géographes, les aménageurs et les économistes, tant par sa genèse et par les formes d’appropriation porteuses d’identification territoriale que par les questions que soulèvent sa conservation et sa valorisation, puis de l’illustrer par une étude de cas régionale. Pendant un quart de siècle d’enseignement à Reims, j’ai pu suivre l’évolution des bassins industriels anciens à identité forte entre lesquels la Champagne-Ardenne se trouve fractionnée, comme l’a souligné R. Brunet (1981 : 30-34 et carte hors-texte n° 6) et les activités de l’Association pour le Patrimoine Industriel de Champagne-Ardenne (APIC, cf. infra). J’ai choisi de traiter ici l’exemple des Ardennes où j’ai encadré de nombreux mémoires de maîtrise de géographie et de DESS puis de master d’aménagement et des travaux d’atelier d’urbanisme, multiplié les visites de terrain et coordonné un ouvrage collectif mettant à jour la géographie de ce département (Bazin, 2004). La vallée de la Meuse y est particulièrement emblématique de la puissante marque de l’industrie sur un territoire. Le déclin de la métallurgie y a laissé un héritage abondant. Comment et jusqu’à quel point s’est-il constitué en patrimoine ? Le cas ardennais témoigne des ambiguïtés du processus de patrimonialisation qui met en œuvre des phénomènes d’appropriation affective, sociale et cognitive et se heurte parfois à de vigoureuses réactions de rejet. Il pose aussi la question de la valorisation de ce patrimoine industriel et des incertitudes de son devenir.

1. genèse, appropriation et valorisation du patrimoine industriel

1.1. De l’archéologie industrielle au patrimoine industriel

2La métaphore du patrimoine fait du patrimonium des Romains – le bien matériel familial que l’on reçoit de ses ancêtres et que l’on s’attache à conserver et à faire fructifier pour le transmettre à ses descendants – un bien culturel d’appropriation sociale, reçu en héritage (c’est le terme qui prévaut chez les Anglo-Saxons) des générations précédentes et que l’on préserve et valorise pour le transmettre aux générations suivantes. Parmi ces biens, Françoise Choay, dans l’article « Patrimoine » du Dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement (1996 : 556-559), a identifié ceux qui intéressent l’urbanisme comme « une série d’objets construits et d’espaces », dont elle a organisé la présentation en fonction d’une évolution menant à un élargissement à la fois dimensionnel, thématique et chronologique. Se sont ainsi successivement ajoutés aux monuments, édifices anciens et reconnus pour une fonction d’intérêt général, des bâtiments plus ordinaires constituant avec eux le patrimoine architectural, puis « les tissus, prestigieux ou non, des villes et ensembles traditionnels et pré-industriels et du XIXe siècle », formant le patrimoine urbain. On a ensuite également intégré les éléments naturels parmi les biens patrimoniaux. Parallèlement l’échelle de référence s’est élargie d’une vision nationale à une prise en compte universelle, institutionnalisée par la convention adoptée en 1972 par la Conférence générale de l’UNESCO et entrée en vigueur en 1975 définissant un « patrimoine mondial culturel et naturel ».

  • 1 The International Committee for the Conservation of the Industrial Heritage.
  • 2 International Council of Monuments and Sites / Conseil International des Monuments et Sites.

3Le patrimoine industriel n’est pas nommément mentionné dans cet article de F. De Choay, bien qu’il prenne clairement place dans ce processus d’élargissement spatial, thématique et chronologique. Il est en effet traité par un autre article de ce même dictionnaire, toujours de F. Choay (1996 : 53-54), sous le titre « Archéologie industrielle ». C’est le Royaume-Uni, pays du démarrage de la révolution industrielle, qui a joué un rôle pionnier dans ce domaine, car le déclin de certains de ses Black countries et la multiplication précoce des friches industrielles y ont aiguisé la prise de conscience de la nécessité de préserver les traces d’un passé prestigieux (Edelblutte, 2008). Comme souvent en matière de patrimoine, cette prise de conscience a été accélérée par des démolitions, celles de la seconde guerre mondiale mais aussi celles liées à la volonté de modernisation, par exemple celle de l’ancienne gare d’Euston à Londres, effective en 1962 malgré un concert de protestations (Daumas, 1980 : 429). Les opérations de sauvetage et les études d’inventaire se sont ensuite multipliées au Royaume-Uni et dans de nombreux pays, conduisant à la création en 1978 du TICCIH1, qui est devenu l’instructeur pour l’ICOMOS2 des dossiers de candidature au patrimoine mondial de l’UNESCO au titre du patrimoine industriel.

  • 3 Il s’agit plus exactement d’un démantèlement avec récupération partielle puisque certains éléments (...)

4De ce côté de la Manche, F. Choay (art. cit.) note que « La destruction des halles de Baltard en 1973 témoigne du retard de la France en matière d’archéologie industrielle », au moment même où R.A. Buchanan (1972) publiait sur ce thème en Grande-Bretagne un best-seller maintes fois réédité. Le cri d’alarme face à cet acte de démolition ponctuel3 a activé une dynamique déjà engagée par des acteurs divers. Des associations se sont mobilisées à l’échelle locale pour la sauvegarde d’un bâtiment ou d’un site précis ; elles ont pu s’appuyer sur les collectivités territoriales ou au contraire entrer en conflit avec elles. D’autres associations à profil plutôt thématique se sont intéressées à tel ou tel type de patrimoine industriel, entrant en résonance avec des chercheurs de différentes disciplines. Parmi ces derniers, M. Daumas, historien des sciences et des techniques, a engagé au début des années 1970 toute une équipe dans une tâche d’inventaire à l’origine d’une somme sur L’Archéologie industrielle en France (1980). Deux autres historiens ont joué un rôle fondamental dans le développement des études sur le patrimoine industriel en France. D. Woronoff s’est dès le départ orienté vers l’histoire industrielle, élargissant peu à peu son propos à partir de sa thèse sur l’histoire de la sidérurgie française sous la Révolution et l’Empire (1984) vers une synthèse sur l’histoire industrielle de la France (1994) puis une perspective pleinement patrimoniale centrée sur la mémoire des « gens des ateliers et des usines » (2003). Quant à L. Bergeron, il a participé à de grandes synthèses collectives sur la Révolution et l’Empire avec le regard de l’histoire sociale, avant de se consacrer pleinement au patrimoine industriel. Il a fait entrer celui-ci dans la synthèse monumentale dirigée par P. Nora sur Les Lieux de mémoire (Bergeron, 1992) avant de produire, avec G. Dorel-Ferré qui a impulsé un vigoureux mouvement d’études régionales sur l’espace champardennais, un petit ouvrage entièrement consacré au patrimoine industriel vu comme « un nouveau territoire » (Bergeron et Dorel-Ferré, 1996).

5Nouveau territoire d’étude pour les historiens et historiens de l’art, le patrimoine industriel est aussi un nouveau marqueur des identités territoriales pour la géographie sociale et l’économie régionale ainsi qu'un un nouveau terrain d’action pour les aménageurs et urbanistes.

1.2. Les disciplines du territoire face au patrimoine industriel

6Parmi les sciences humaines, la géographie et, au sein de l’économie, la fraction (très minoritaire) qui s’est spécialisée dans l’étude des régularités et des dynamiques spatiales (la regional science des Anglo-Saxons) peuvent être considérées comme des disciplines du territoire dans la mesure où elles donnent une place souvent centrale à cette notion, d’autant plus que ce terme polysémique recouvre en fait des acceptions très variées. L’entrée « Territoire » du Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés juxtapose ainsi trois notices distinctes (Lévy et al., 2003), et la première, celle de Jacques Lévy, énumère huit définitions concurrentes avant de proposer la sienne, un « espace à métrique topographique ».

7Nous suivrons plutôt G. Di Méo qui, dans une synthèse très stimulante (1995), a soutenu que le territoire, au sens d’espace approprié socialement, présente une remarquable parenté conceptuelle avec le patrimoine. L’un et l’autre participent en effet d’une double nature matérielle et idéelle et sont liés par un véritable « enchaînement sémantique » : la territorialité repose dans sa dimension symbolique sur une valeur patrimoniale, tandis que le patrimoine conquiert une assise spatiale et territoriale de plus en plus solide. L’état de l’art dressé douze ans plus tard par V. Veschambre (2007) montre comment « l’entrée décalée des géographes dans le concert patrimonial » marque une recomposition au sein de la géographie, caractérisée par une forme de convergence entre géographie sociale et géographie culturelle. Les travaux de M. Gravari-Barbas et les ouvrages qu’elle a dirigés (2003, 2005) témoignent particulièrement de cette orientation.

8Des géographes se sont plus précisément préoccupés du patrimoine industriel. S. Edelblutte l’a abordé dans une approche paysagère à propos du Royaume-Uni (2008), qu’il a ensuite élargie à l’ensemble de l’Europe et systématisée dans une perspective évolutive allant de la genèse des paysages et territoires de l’industrie à leur déclin et à leur prise en compte patrimoniale (2009). Il a en particulier différencié les échelles du bâtiment isolé, de la « ville-usine » édifiée autour d’un établissement, de la ville industrielle et de territoires plus vastes dominés par l’industrie. D’autres auteurs ont envisagé (Gravari-Barbas, 2005 : 509-598) comment « habiter les lieux de production et de travail » dans une perspective sociale et culturelle. Dans le texte introduisant cette partie (id. : 511-516), V. Veschambre a souligné la diversité des formes d’appropriation du patrimoine industriel. La réflexion plus globale qu’il a ensuite consacrée aux processus de patrimonialisation, de démolition et de mise en mémoire de toutes sortes de lieux (2008) a fait une part notable au patrimoine industriel.

9De leur côté, les économistes se sont trouvés tiraillés entre les deux acceptions du patrimoine : son sens originel de bien matériel d’individus, d’entreprises et de collectivités dont les sciences de gestion organisent la préservation et la fructification et le sens dérivé de bien culturel socialement approprié. Ce dernier s’est imposé tardivement, comme en témoigne un dictionnaire économique et social du début des années 1980 où un article de trois pages sur le patrimoine ne consacrait que douze lignes au patrimoine culturel, en partie pour déplorer l’impossibilité d’en donner une mesure monétaire (Brémond et Gélédan, 1981 : 292-294). X. Greffe a cherché à combler cette lacune en s’interrogeant d’abord de façon théorique sur La valeur économique du patrimoine (1990) puis de façon plus appliquée sur La valorisation économique du patrimoine (2003). Il a entre autres centré son analyse sur le décalage entre l’offre d’un support unique, non reproductible, et la demande de services patrimoniaux variés. Il a également contribué, en exerçant diverses fonctions administratives, à développer des formations dans ce domaine (classes du patrimoine, formations professionnelles aux métiers d’art et du patrimoine, DESS puis Master d’économie et gestion des produits culturels). Il s’est fondamentalement consacré à la protection et à la valorisation de biens reconnus institutionnellement, tels les monuments historiques, faisant de ce fait une part modeste aux biens relevant du patrimoine industriel, dont la reconnaissance officielle est moins avancée.

10Géographes et économistes peuvent confronter, et pourquoi pas associer, leurs réflexions pour expliquer la genèse de l’héritage industriel, décortiquer les processus de patrimonialisation et s’interroger sur les usages et le devenir de ce patrimoine spécifique. Ils se sont depuis longtemps préoccupés d’examiner, avec leurs approches spécifiques, les conditions d’implantation et de fonctionnement d’activités industrielles ainsi que les raisons de leur déclin, voire de leur disparition, qui laisse derrière elles des bâtiments et espaces abandonnés, un savoir-faire technique et une mémoire sociale et politique.

11Les processus de patrimonialisation de ces traces ont pu être déclenchés sous l’impulsion de sentiments qui relèvent de la psychologie sociale et de l’anthropologie. Mais la géographie sociale étudie les représentations des groupes sociaux concernés et partage avec nombre d’économistes et de sociologues le souci d’analyser les jeux d’acteurs. Le point de départ du processus est souvent, dans un contexte général d’angoisse devant le déclin industriel, la crainte de voir disparaître les traces matérielles d’un âge d’or révolu. C’est l’interrogation liminaire de L. Bergeron (1992 : 131) : « Faut-il, pour s’attacher aux choses, être brutalement menacé de les perdre ? » Certes ce sentiment de danger imminent de dégradation ou de disparition a été à la base des démarches de mobilisation pour la sauvegarde de tous types de patrimoine. Mais le choc créé par l’abandon de sites industriels est particulièrement fort, d’une part du fait de l’ampleur et de la visibilité des friches et d’autre part parce qu’il ne s’agit pas seulement de bâtiments et de machines, mais du souvenir de tout un savoir-faire technique et de toute une vie sociale, celle d’une agglomération entière dans le cas des « villes-usines ».

12Cependant, ces sentiments de nostalgie et de fierté susceptibles de déclencher une mobilisation en faveur du patrimoine industriel sont loin d’être unanimes, et Louis Bergeron a pu pointer parmi les « handicaps de la mémoire industrielle » une certaine « impopularité du patrimoine industriel » (1992 : 156-158). Cette impopularité est multiforme, on pourrait distinguer une « impopularité externe » répandue dans des milieux ayant une vision restrictive et conservatrice du patrimoine, répugnant à y ranger les installations utilitaires et inesthétiques de l’industrie ; et une « impopularité interne » au sein des groupes sociaux qui faisaient fonctionner les établissements industriels aujourd’hui délaissés. D’un côté des chefs d’entreprise responsables de ces fermetures désireront aller de l’avant et afficher le modernisme et les performances de leurs nouvelles usines ; de l’autre des ouvriers durement frappés par la fermeture des mines ou des usines garderont une rancœur sociale et politique tenace face à la perte souvent brutale de leur gagne-pain, voire de tout un mode de vie.

13On comprendra donc que, si le processus de patrimonialisation a dans tous les cas une dimension pédagogique indispensable, permettant ce que V. Veschambre (2008 : 43-44) a appelé l’appropriation cognitive, celle-ci est particulièrement importante dans le cas du patrimoine industriel. Chercheurs et associations ont fait beaucoup pour la développer, en popularisant la connaissance du patrimoine industriel dans ses dimensions techniques et sociales et ont réussi à convaincre des personnes réticentes au nom d’une conception élitiste de la culture ou à rasséréner des victimes de la désindustrialisation en leur rendant la fierté de leur métier d’ouvrier. Or, pour faire véritablement patrimoine, il faut dépasser l’addition d’adhésions individuelles pour atteindre une appropriation sociale susceptible d’asseoir une identité territoriale. Celle-ci est forcément une identité construite par l’interaction de divers acteurs sociaux et politiques. Les associations y participent en dialoguant avec les décideurs politiques et ceux-ci ont vu l’intérêt d’asseoir la dynamique de leur territoire sur une « conscience patrimoniale » commune.

14Mais une fois les traces d’une activité industrielle identifiées en tant que patrimoine, qu’en faire ? Les questions de la sauvegarde et de la réhabilitation du patrimoine urbain dans son ensemble se posent avec une acuité particulière dans le cas du patrimoine industriel. Elles interpellent à la fois les économistes et les aménageurs qui doivent dialoguer avec les historiens de l’art et les techniciens du bâtiment et de l’environnement pour déterminer par un diagnostic ce que l’on doit, et ce que l’on peut, conserver. Si l’on opte pour une réhabilitation, elle implique un second choix, crucial, celui des usages futurs des bâtiments et des sites. Pour X. Greffe (2003 : 257-58), ce choix doit absolument passer par un dialogue social entre tous les acteurs concernés.

15Les économistes seront sollicités pour évaluer les coûts d’investissement immédiats et les coûts de fonctionnement induits par l’usage prévu à moyen terme. Il conviendra ensuite de les mettre en balance avec la valeur économique à venir, très difficile à quantifier car il peut y avoir plusieurs valeurs différenciées en fonction des usages.

16Géographes et urbanistes se préoccuperont de leur côté d’aménagement de l’espace : comment intégrer des ensembles industriels réhabilités dans les espaces urbanisés d’aujourd’hui ? Leur emprise foncière souvent considérable en fait des périmètres découpés à l’emporte-pièce dans le tissu urbain, qui se prêtent à l’accueil d’équipements importants, telle l’ancienne manufacture des tabacs de Nantes logeant les services de l’agglomération ou bien celle de Nancy réunissant plusieurs équipements culturels. Mais on a pu également réussir à les intégrer dans un quartier présentant une certaine mixité fonctionnelle et sociale.

2. les Ardennes, une identité liée au patrimoine industriel

17Le département des Ardennes nous a paru constituer un exemple particulièrement approprié pour illustrer cette problématique générale du patrimoine industriel. Une activité industrielle ancienne, remontant aux débuts de la révolution industrielle, y a été frappée par une crise profonde à partir des années 1970, laissant des friches étendues. On passe ainsi d’une identité industrielle à une identité mémorielle post-industrielle qui se prête à diverses formes de valorisation.

2.1. Une personnalité industrielle bien marquée

18« Les Ardennes demeurent un département industriel. À un niveau plus élevé que la moyenne nationale, les salariés travaillent dans le secondaire. La métallurgie est toujours prépondérante », souligne R.Colinet (2004 : 149).

19Or, si ces « industrieuses Ardennes », pour reprendre la formule de R. Brunet (1981 : 317), ont cette forte image industrielle, elles le doivent presque exclusivement à l’une des micro-régions qui composent ce département, la vallée de la Meuse, la Vallée tout court pour les Ardennais. De Mouzon à Givet la vallée du fleuve dessine, avec quelques vallées affluentes, un « arc industriel » qui concentre aujourd’hui encore la quasi-totalité de l’activité industrielle du département (figure 1).

Figure 1 : Établissements industriels dans les Ardennes

Figure 1 : Établissements industriels dans les Ardennes

Source : Colinet 2004a, p. 164 © Terres Ardennaises

20Ces industries traditionnelles étaient caractérisées par la prépondérance quasi-exclusive de la métallurgie (Colinet, 2004a), à part à l’amont où régnait l’industrie de la laine, filature et tissage du drap à Sedan et pressage du feutre à Mouzon. Partout ailleurs, les spécialités principales étaient la fonderie de fonte, la forge et l’estampage, distribuées entre de nombreuses petites et moyennes entreprises.

21La conséquence de cette structure industrielle était une urbanisation émiettée en un chapelet de petites villes égrenées le long de la Meuse et de ses affluents. Si Mouzon, Carignan, Donchery, Vrigne-aux-Bois ou Vivier-au-Court s’étalent dans la partie amont où les vallées empruntent la dépression pré-ardennaise, la partie aval de la vallée, profondément encaissée dans le plateau ardennais boisé, offre les paysages urbains les plus caractéristiques avec ses bourgs et petites villes serrés au creux de méandres spectaculaires : Les Hautes- Rivières sur la Semoy, Bogny, Monthermé (figure 2), Revin, Fumay ou Haybes au long de la Meuse. Le tout est dominé par deux villes plus importantes et traditionnellement rivales, Sedan restée très industrielle et Charleville-Mézières où le tertiaire l’emporte largement sur l’industrie.

Figure 2 : Monthermé, le patrimoine industriel au fil de l’eau

Figure 2 : Monthermé, le patrimoine industriel au fil de l’eau

Photos A- prospectus touristique, B et C- M. Bazin avril 2009

2.2. Crise, reconversions et héritage industriel

22Cette industrie ardennaise, qui paraissait encore « remarquablement stable » (Brunet : 1981) pendant le troisième quart du XXe siècle, avec des localisations et des effectifs à peu près maintenus entre 1954 et 1975, a été sévèrement frappée par la crise et le mouvement de désindustrialisation à partir de 1975. L’effectif des salariés dans l’industrie pour l’ensemble du département est tombé de 44 435 en 1975 (46 % du total des salariés) à 34 140 en 1982 et 20 887 seulement en 2010, soit 21,5 % de l’emploi total, malgré le classement de la vallée en pôle de conversion en 1984. Il faudrait plutôt parler de diversification (Bey, 1991 ; Colinet, 2004a), à la fois au sein du secteur métallurgique qui reste dominant et par le développement de nouveaux secteurs. Dans le premier cas, le fait majeur est le développement de l’automobile avec la grande usine PSA implantée aux Ayvelles à côté de Charleville-Mézières, premier établissement industriel du département avec 2216 salariés en 2012, quelques autres grandes sociétés et une quarantaine de PMI intervenant comme sous-traitants. Il faut y ajouter, en dehors de la métallurgie mais travaillant également pour l’automobile, l’entreprise Faurecia, repreneur de Sommer à Mouzon, qui fabrique désormais toutes sortes de tapis de sol et revêtements intérieurs des voitures. Parmi les nouvelles activités, on notera l’essor de la plasturgie, qui compte 12 établissements employant 325 salariés en 2012, et par ailleurs la croissance du tertiaire industriel (services aux industries). Ce renouveau est souvent lié à l’initiative de groupes nationaux ou étrangers. On compte ainsi en 2012 (données CCI) 31 entreprises étrangères implantées dans le département, employant en tout 4 794 salariés, soit 23 % de l’emploi industriel. Les plus importantes sont l’équipementier automobile américain Visteon à Charleville et le groupe suédois Electrolux qui a repris à Revin la célèbre marque d’électro-ménager Arthur Martin, mais ce dernier a annoncé à l’automne 2012 la fermeture de l’usine à l’horizon 2014.

23Ces reconversions et créations nouvelles sont loin d’avoir compensé les fermetures d’usines, ce qui s’est traduit par la multiplication des friches industrielles. En effet les locaux des établissements fermés se prêtaient rarement à l’accueil de ces activités nouvelles car elles ne leur offraient pas assez d’espace ou obligeaient à des travaux de démolition et de dépollution lourds et coûteux. Ces nouveaux établissements se sont donc plutôt implantés dans les zones d’activités récentes. 

24Les friches industrielles constituent un stock difficile à cerner car en constante évolution entre résorption par réhabilitation ou démolition-reconstruction et nouvelles fermetures. Un inventaire établi en 1987 pour la Direction Départementale de l’Équipement a dénombré 121 friches occupant une superficie totale de 237 ha, soit des friches de faible étendue unitaire, moins de 2 ha en moyenne (Landrieux, 1988 : 25-36). La DDE des Ardennes a entrepris en 2005 un nouvel inventaire, étendu cette fois à la catégorie plus large des « friches d’activités » (Dhaussy, 2007 : 53). Si le nombre total de sites atteignait alors 212 couvrant une superficie de 260 ha, le nombre des friches industrielles stricto sensu s’était abaissé à 102 (48 % du total) couvrant 151 ha (58 % du total). Mais le recensement systématique opéré en 2007-2008 par le service régional de l’inventaire (voir ci-dessous section 2.3) a abouti à un chiffre nettement plus élevé de 179 sites désaffectés sur les 339 sites retenus au titre du patrimoine industriel.

25Friches et usines anciennes encore en activité constituent ensemble un riche héritage industriel.

2.3. La connaissance à l’appui de l’appropriation sociale

26Pour apprendre à aimer un patrimoine puis être prêt à se mobiliser pour le défendre, il faut d’abord bien le connaître. L’appropriation sociale du patrimoine industriel ardennais a ainsi été appuyée par tout un travail d’approfondissement de sa connaissance entrepris par des instances variées. A côté du travail d’inventaire officiel des bâtiments et des sites entrepris par les directions régionales de la Culture puis transféré aux Régions, nous citerons deux autres exemples d’un tel travail, portés l’un par une association et l’autre par des établissements d’enseignement supérieur.

27Les Ardennes ont été le dernier des quatre départements de la région à voir mis en œuvre l’inventaire de son patrimoine industriel, sous la conduite du service régional de l’inventaire dirigé par X. de Massary. L’enquête menée en 2007-2008 par l’agence Bruno Decrocq s’est déroulée en deux étapes en commençant par le repérage dans les archives de 1117 sites.

Figure 3 : Patrimoine industriel des Ardennes – Répartition par catégories des sites recensés

Figure 3 : Patrimoine industriel des Ardennes – Répartition par catégories des sites recensés

Source : extrait de la carte de Massary 2012, p. 38, © Région Champagne-Ardenne

  • 4 Toutes sont consultables sur le site de la région www.cr-champagne ardenne.fr/patrimoineindustriel0 (...)

28Parmi eux, 339 ont été retenus à l’issue des visites de terrain en fonction de la diffusion de la production, de l’ancienneté et de la conservation de caractères d’origine. Ils ont fait l’objet d’une étude complète aboutissant à une notice détaillée, avec des fiches plus succinctes pour les 778 sites non retenus4. À partir de l’analyse de cet inventaire, X. de Massary (2012 : 45-51) a souligné le poids des établissements désaffectés (179, soit 53 %, dont 24 menacés de ruine) ; la prépondérance de la métallurgie (163 sites, soit 48 %) et la forte concentration géographique dans les vallées de la Meuse et de ses affluents (figure 3).

29Anticipant cet inventaire officiel, l’Association pour le Patrimoine Industriel en Champagne-Ardenne (APIC) a réuni à partir de 1997, sous la direction de G. Dorel-Ferré, de nombreux enseignants d’histoire-géographie et des passionnés d’histoire et d’archéologie industrielle. Tout en suscitant des visites et des animations pédagogiques, elle a organisé une série de colloques qui ont peu à peu abordé toutes les facettes du patrimoine industriel régional. Les actes de ces colloques ont constitué la série des Cahiers de l’APIC, complétée par un précieux Atlas du patrimoine industriel de Champagne-Ardenne (Dorel-Ferré, 2005). Si le champ d’action de l’APIC est la Champagne-Ardenne tout entière, elle a particulièrement mobilisé les Ardennais et trouvé dans la vallée de la Meuse un riche terrain d’étude.

30Sur une période plus brève, le projet Transtopie a été développé entre 2008 et 2010 par une équipe d’enseignants d’arts plastiques et de sciences humaines de l’École Supérieure d’Art et de Design (ESAD) de Reims en association avec quelques universitaires rémois (archéologie du paysage, géographie sociale et urbanisme) et le laboratoire LACTH de l’École d’Architecture de Lille. Il a porté sur une analyse pluridisciplinaire des paysages de la vallée industrielle de la Meuse appuyant la conception et la réalisation d’animations artistiques à partir de quelques friches. L’une d’entre elles, l’ancienne centrale électrique de Glaire en bordure du fleuve en aval de Sedan, a été choisie comme siège d’une « Zone d’activités potentielles et provisoires » (ZAPP 09, sigle décalquant de manière ironique les nombreuses zones délimitées par l’urbanisme, telles les ZUP, ZAC, ZAD, ZPPAUP etc.), provisoires parce que l’état de dégradation très avancé du bâtiment le rendait impropre à recevoir du public pour une animation même ponctuelle. Une première exploration avec le nouveau propriétaire, un industriel du recyclage des métaux, en novembre 2008 puis plusieurs journées de travail, ainsi qu’une « croisière » fluviale entre Pont-à-Bar et Monthermé au printemps 2009, ont permis de pousser la réflexion sur les paysages et d’engager divers projets artistiques avec des étudiants de design de l’ESAD, donnant lieu à une restitution publique au château de Sedan en janvier 2010 et à une publication (Transtopie, 2010).

31Ces actions peuvent susciter un certain scepticisme : se limitent-elles à l’agitation d’intellectuels qui cherchent d’abord à se faire plaisir ? En fait, elles ont toujours reposé sur des échanges avec des interlocuteurs locaux, élus municipaux, dirigeants d’entreprises ou militants syndicaux, aboutissant à un enrichissement réciproque. Ceci a contribué à développer une appropriation cognitive indispensable à l’affirmation identitaire, mais pas forcément suffisante.

2.4. Patrimoine et recomposition de l’identité territoriale

32Le processus de patrimonialisation a en effet dépendu de la réceptivité des acteurs locaux, en même temps que d’une histoire récente plus ou moins heurtée. L’affirmation identitaire qui en a résulté présente des facettes diverses.

33Le caractère le plus unanimement reconnu est l’identité paysagère marquée de la Vallée avec ses « paysages au fil de l’eau » (Lespez et Ballouche, 2009) bien visibles depuis le fleuve.

  • 5 Comparer la cartographie de la situation avant 1914 établie par René Colinet (2004b : 28) et les im (...)

34L’espace bâti associe intimement des bâtiments industriels, des infrastructures, des maisons patronales et un habitat ouvrier de petites maisons alignées, comme dans le vallon de la « Grosse Boutique » à Bogny, où la plupart des bâtiments de cette usine de boulonnerie ont été démolis pour faire place à un collège, mais où une partie des maisons patronales et les cités de la Rubrique, de l’Échelle et des Quatre sont toujours bien visibles5. Il s’y ajoute des bâtiments économiques et sociaux qui apportaient des services ou manifestaient la vie collective, tels une crèche et des magasins généraux à la Grosse Boutique ou bien la coopérative ouvrière de consommation « La Ménagère », la Bourse du Travail (dénommée ici « Maison du Peuple ») et les bains-douches en régie municipale à Monthermé, construits en 1931 dans le style Arts Déco par l’architecte F. Despas (Bigorgne 2004 (figure 2C).

35Les témoignages des anciens et les recherches des érudits ont reconstruit une mémoire collective mettant en exergue d’un côté les savoir-faire techniques du passé et de l’autre la tradition politique contestataire de la Vallée Rouge. On rappelle volontiers, entre autres, le souvenir de l’ancien ouvrier et chansonnier de la Commune Jean-Baptiste Clément, auteur du Temps des cerises, qui parcourut à pied la Vallée entre 1885 et 1894 pour y organiser le « socialisme possibiliste » appuyé sur 42 groupes révolutionnaires et un journal, L’Emancipation (Clause,1988 : 398).

36Cependant l’attitude, volontiers teintée de nostalgie, favorable à la conservation de tout ce patrimoine industriel n’a pas été unanime, car la dureté des conflits ayant précédé la fermeture de certaines usines a conduit les ouvriers à souhaiter la destruction totale des bâtiments, dans une vision revancharde vis-à-vis des patrons qui ont laissé mourir leur entreprise, voire qui ont précipité ce déclin, tels les éphémères repreneurs de l’usine Thomé-Genot à Nouzonville que les ouvriers ont trouvée un beau matin vidée de la totalité de ses machines. Des inscriptions vengeresses, bien visibles depuis le fleuve, rappellent parfois ces temps difficiles.

37On retrouve dans ces cas très amers le syndrome d’impopularité du patrimoine industriel signalé par Louis Bergeron et, plus largement, le « processus d’effacement des traces industrielles et ouvrières » analysé par V. Veschambre (2008 : 149-176).

  • 6 Où le sociologue Marc Fourdrignier (2006) a souligné le rôle des associations et leur lien au terri (...)
  • 7 Le pays des Trois Cantons a ensuite été intégré à un ensemble vaste incluant le Rethelois et le Vou (...)

38Malgré ces oppositions, l’identité liée au patrimoine industriel a été mise en avant dans les trois pays constitués le long de l’arc industriel de la Meuse : le pays des vallées de Meuse et Semoy au nord6, puis le Sedanais et les Trois Cantons7 au sud-est, au delà de l’agglomération carolomacérienne (communauté de communes Cœur d’Ardenne). L’identité, quels qu’en soient les fondements, n’est pas mobilisée pour elle-même, mais au service du développement.

2.5. La valorisation du patrimoine industriel comme élément du développement territorial

39Communes, intercommunalités et pays se trouvent confrontés à la conservation et à la valorisation de tout ce patrimoine industriel. La première option possible est la réutilisation industrielle. Mais elle est rendue très difficile dans de nombreux cas par l’état très dégradé des bâtiments, leur inadaptation à de nouvelles fabrications et l’ampleur des travaux de dépollution obligatoires. Ainsi, la ruine de la centrale de Glaire (fig. 4A) a-t-elle été acquise par un industriel du recyclage des métaux uniquement pour y créer un espace de stockage au service de son établissement principal, ce qui exigera déjà des travaux coûteux de consolidation de la structure. Autre exemple : la friche de l’aciérie Thomé-Cromback à Nouzonville (fig. 4B), vaisseau de béton armé édifié en 1930 par Paul Thomé et abandonné en 1996, est vouée à la démolition bien qu’elle ait été retenue dans l’inventaire du patrimoine industriel.

Figure 4 : Friches dans un état de dégradation extrême

Figure 4 : Friches dans un état de dégradation extrême

Photos : M. Bazin (A- novembre 2008 et B- septembre 2009)

40La création muséographique est une forme de valorisation qui accompagne et renforce le processus de patrimonialisation. Plusieurs musées centrés chacun sur une activité particulière ont pu à la fois entretenir la mémoire collective en maintenant la connaissance des techniques anciennes et attirer les visites touristiques, avec des réussites diverses (tableau 1) :

Tableau 1 - Fréquentation des musées ardennais touchant au patrimoine industriel

 

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

Domaine de Vendresse

15198

13043

11271

8379

7330

10440

Fermé

16000

Musée du Feutre (Mouzon)

6500

6759

7567

5650

5650

5040

3812

4586

Maison de l'Ardoise (Rimogne)

3183

2445

3800

3504

Fermé

Fermé

Fermé

1100

Musée de la Métallurgie (Bogny s/Meuse)

669

1415

Fermé

Fermé

2549

3546

2763

2553*

Total

25550

23662

22638

17533

15529

19026

6575

21686

Sources : 2005-2011 CDT Ardennes ; 2012 Indications des musées (* jusqu'au 3/11/12)

41Le musée du feutre à Mouzon, créé en 1988, donne un aperçu de la diversité des applications du feutre de laine, propose des ateliers d’initiation et accueille artistes et designers pour des créations et des expositions. Sa fréquentation s’est stabilisée autour de 5 000 visiteurs, pour moitié d’individuels et pour moitié de groupes et de scolaires. L’origine géographique des visiteurs montre une attraction de proximité : 80 % de Français, dont 48 % venant de Champagne-Ardenne, 15 % de Lorraine, 4,3 % du Nord-Pas-de-Calais et 4,2 % d’Ile-de-France, et parmi les étrangers 10 % de Belges, suivis par les Néerlandais et les Allemands.

42Le Musée de la Métallurgie Ardennaise illustre par ses péripéties la complexité du processus de patrimonialisation. Au départ, une association a été créée sous l’égide de l’Office Régional Culturel de Champagne-Ardenne et une exposition a été montée à Nouzonville par l’ethnologue Marc André et l’historien René Colinet. La commune ne s’étant pas prêtée à sa pérennisation, la collection a été transférée à Bogny-sur-Meuse où d’anciens métallurgistes comme Jean Pierrard, Paulin Caniard ou Jean-Michel Lesire avaient rassemblé des machines et de l’outillage dans l’ancienne Manufacture Ardennaise de Boulons et Ferrures fondée en 1884 et fermée en 1968. En 1999, le musée passe à la commune de Bogny dont le maire, Erik Pilardeau, a relancé le projet et décidé la Communauté de communes Meuse et Semoy à prendre en charge le musée. Il présente depuis 2009 au public dans le bâtiment réhabilité et le « Jardin des machines » alentour les machines d’hier et le matériel numérique d’aujourd’hui8. Il accueille entre 2 500 et 3 500 visiteurs par an. La prépondérance des Français y est encore plus marquée qu’à Mouzon : 89 % (résultats encore incomplets de 2012), dont 60 % de Champardennais, avec ensuite les Belges 6 % et les Néerlandais 3 %. Un sentier du patrimoine a de plus été créé pour faire découvrir les vestiges de la boulonnerie de la Grosse Boutique dans le vallon au dessus du musée.

43Le haut-fourneau au bois de Vendresse, en marge de la vallée de la Bar, datant de 1824, a été racheté et réhabilité par la Communauté de communes des Crêtes préardennaises, pour un coût de plus de 3 millions d'euros dont 80 % provenant de financements extérieurs, 41 % de l'UE au titre du FEDER et le reste à parts égales entre l'État, la Région et le département (Colinet, 2007). Ouvert au public en 2003, il illustrait les techniques anciennes de la fonte au bois par un spectacle audio-visuel très bien fait, au milieu d’un parc incluant de vastes étangs. Mais l’engouement de départ d’une clientèle surtout régionale s’est vite émoussé, faisant tomber la fréquentation à 7 330 personnes en 2009. Malgré un sursaut en 2010, la décision a été prise de fermer le domaine pour diversifier les attractions avec un accueil-boutique, une brasserie et un spectacle son et lumière renouvelé. La réouverture en 2012 a été un succès avec 16 000 entrées, plus 4 000 sur les étangs de pêche, mais en faisant passer l’image du domaine d’un tourisme patrimonial centré sur le haut-fourneau à un parc de loisirs familial.

Figure 5 : Le haut-fourneau de Vendresse, vues extérieure et intérieure

Figure 5 : Le haut-fourneau de Vendresse, vues extérieure et intérieure

Photos M. Bazin, septembre 2009.

44Un autre secteur d’activité, l’extraction ardoisière, arrêtée à Haybes dès avant 1939 puis à Fumay et Rimogne en 1971, a donné lieu à des formes de valorisation très contrastées. À Rimogne, l’association des Amis de l’Ardoise a ouvert en 1997 un musée, la Maison de l’Ardoise, ensuite pris en charge par le Conseil général, qui a, austérité oblige, décidé de s’en dessaisir et l’a fermé fin 2008. La commune a racheté les installations pour un euro symbolique en 2010, a engagé des travaux de réhabilitation et a rouvert la Maison de l’Ardoise en 2012. Elle réunit les bâtiments de la Grande Fosse et de la centrale électrique, le belvédère de la Voûte et le puits St-Quentin avec son chevalement en cours de restauration. Hélas, la mise en eau du site pour éviter les risques d’effondrements ne permet plus d’accéder aux galeries profondes encore accessibles en 1997. Cette année de redémarrage avec des installations partiellement ouvertes au public a vu 1100 visiteurs. Fumay avait de son côté un petit Musée de l’Ardoise, dans un ancien couvent des Carmélites qui a fermé à la suite du décès de son fondateur Michel Paradon. Toujours à Fumay, le site des Ardoisières St-Joseph, jonché de débris d’exploitation, a été racheté par la commune et converti en parc de loisirs « Terr’altitudes Aventure Parc » où l’on pratique le saut à l’élastique, la descente en tyrolienne et le paint-ball : on est bien loin de la valorisation patrimoniale classique.

45On passe ainsi à la valorisation des bâtiments à d’autres fins, sans rapport avec leur fonction première. Le Vieux Moulin de Charleville, construit dès 1626 pour alimenter la « ville nouvelle » créée par Charles de Gonzague, racheté et restauré par la municipalité, est ainsi devenu en 1969 le musée Arthur Rimbaud. D’autres locaux ont pu être réaffectés à des usages sociaux (écoles et collèges, salle des fêtes), culturels (salle de concert) ou commerciaux (supermarchés), ce qui suppose que les surcoûts de remise en état ne soient pas excessifs. Malgré quelques belles réalisations, le décalage reste considérable entre ces formes de valorisation encore limitées et un stock élevé de sites retenus par l’inventaire du patrimoine industriel, particulièrement dans certaines communes (tableau 2) qui ne peuvent faire face à des coûts de conservation et de valorisation disproportionnés par rapport à leurs ressources (Bogny, Les Hautes Rivières et Thilay, au sein de la même communauté de communes)..

Tableau 2 : Inventaire du patrimoine industriel des Ardennes 2007 - Communes ayant le plus grand nombre de sites inscrits

Commune

Sites repérés

Dont inscrits

Population

municipale 2012

Sedan

69

37

18 993

Les Hautes Rivières

25

18

1 684

Charleville-Mézières

93

17

49 975

Nouzonville

25

14

6 323

Vrigne-aux-Bois

22

13

3 461

Givet

30

11

6 699

Thilay

16

9

1 047

Bogny-sur-Meuse

27

8

5 510

Source : site de la région www.cr-champagne-ardenne.fr/patrimoineindustriel08/IA08001406.html

Conclusion : une identité territoriale qui reste ambiguë

46Finalement, le constat formulé par R. Colinet (2012) « de la difficulté de la métallurgie ardennaise à faire patrimoine » pourrait a fortiori être étendu à l’ensemble de l’héritage industriel du département. De nombreux facteurs entrent en jeu pour permettre le succès de la patrimonialisation et se combinent de façon variable en fonction du contexte local et régional. Les réussites se sont toutes appuyées sur la mobilisation d’élus, d’associations ou d’anciens ouvriers et cadres de l’industrie fortement motivés, l’exemple le plus significatif étant celui de la mise en place du Musée de la Métallurgie Ardennaise à Bogny-sur-Meuse. Mais la surabondance des friches industrielles et le manque de ressources des collectivités locales pour les traiter expliquent la lenteur des actions de conservation et de réhabilitation.

  • 9 Y compris par notre corporation des géographes : lorsque la collection « France de demain » fut lan (...)
  • 10 Routes des fortifications, des légendes de Meuse et Semoy, des forêts, lacs et abbayes, des églises (...)

47L’identité proprement industrielle de jadis, longtemps mise en avant de façon très positive9, appartient désormais au passé, mais la transition vers une identité post-industrielle intégrant les sites réhabilités et la mémoire technique et sociale comme une valeur ajoutée spécifique semble laborieuse. La valorisation touristique piétine elle aussi, même si la concentration des sites sur les rives de la Meuse et de ses affluents a l’avantage de se prêter au développement d’un tourisme « au fil de l’eau » susceptible d’attirer les plaisanciers belges et néerlandais. On remarquera qu’aucun des six itinéraires privilégiés mis en avant par le Comité départemental du tourisme10 ne met en exergue le patrimoine industriel.

48Le contraste de part et d’autre de la frontière est frappant : alors que l’Ardenne belge fait figure de « Midi de la Belgique » et bénéficie depuis longtemps déjà d’une image patrimoniale et touristique très positive, le département, et particulièrement la vallée de la Meuse, où la déprise démographique se poursuit (DREAL Champagne-Ardenne, 2009), est perçu comme une périphérie appauvrie au climat maussade. Une réflexion conjointe des géographes, des économistes et des sociologues pourrait-elle aider à surmonter les effets de seuil et à mieux mobiliser les acteurs à l’appui du développement territorial ?

Haut de page

Bibliographie

Bazin M. (dir.), 2004, Les Ardennes. Une géographie pour notre temps, Charleville-Mézières, Éditions Terres Ardennaises, 416 p.

Bergeron L., 1992, L’âge industriel, in Pierre NORA (dir.), Les lieux de mémoire. III. Les France, 3. De l’archive à l’emblème, Paris, Gallimard, pp. 130-161.

Bergeron L., Dorel-Ferré G., 1996, Le patrimoine industriel, un nouveau territoire, Paris, Ed. Liris, 127 p.

Bey P., 1991, La vallée de la Meuse ardennaise. Un espace industriel en quête d’une nouvelle identité ? Mémoire de Maîtrise de Géographie, Université de Reims Champagne-Ardenne, 217 p.

Bigorgne D., 2004, Le patrimoine économique et social dans la vallée de la Meuse, l’exemple de Monthermé, in G. DOREL-FERRÉ (dir.), Habiter l’industrie hier, aujourd’hui, demain, Reims, SCÉRÉN / CRDP de Champagne-Ardenne, pp. 48-53.

Brémond J., Gélédan A., 1981, Dictionnaire économique et social, Paris, Hatier, 392 p.

Brunet R., 1981, Champagne, Pays de Meuse et Basse-Bourgogne, Paris, Flammarion, in Industrieuses Ardennes », pp. 317-343.

Buchanan R. A., 1972, Industrial Archaeology in Britain, Londres, Penguin Books, 444 p.

Choay F., 1996, Archéologie industrielle » et « Patrimoine », in P. Merlin et F. Choay (dir.), Dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement, Paris, P.U.F., 2e éd., pp. 53-54

Choay F., 1996, Patrimoine », in P. Merlin et F. Choay (dir.), Dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement, Paris, P.U.F., 2e éd., pp. 556-559.

Clause G., 1988, « La lutte contre le déclin (1870-1950) », M. Crubellier (dir.), Histoire de la Champagne, Toulouse, Privat, 1ère réédition, pp. 381-411.

Colinet R., 2004a, De l’importance actuelle des industries. "Savoir-fer" et faire-savoir, in M. Bazin (dir.), Les Ardennes. Une géographie pour notre temps, Charleville-Mézières, Éditions Terres Ardennaises, pp. 149-180.

Colinet R., 2004b, L’habitat ouvrier au "pays du fer et de la forêt". L’Ardenne du nord, de la cité patronale au grand ensemble, in Gracia Dorel-Ferré (dir.), Habiter l’industrie hier, aujourd’hui, demain, Reims, SCÉRÉN / CRDP de Champagne-Ardenne, pp. 28-47.

Colinet R., 2007, Le haut-fourneau au bois de Vendresse (Ardennes), un enjeu patrimonial et territorial, in M. Gasnier et P. Lamard (dir.), Le Patrimoine industriel comme vecteur de reconquête économique, Paris, UTBM et Lavauzelle, pp. 57-68.

Colinet R., 2012, De la difficulté de la métallurgie ardennaise à faire patrimoine, in G. Dorel-Ferré et X. de Massary (dir.), Le patrimoine industriel de Champagne-Ardenne. Diversité et destinées. L’inventaire en perspective, Reims, SCÉRÉN / CRDP de Champagne-Ardenne, pp. 104-114.

Daumas M., 1980, L’Archéologie industrielle en France, Paris, Laffont, 463 p.

Dhaussy L., 2007, Les friches d’activité. Origines et devenirs, Reims, Mémoire de Master Urbanisme, Aménagement, Environnement, Université de Reims Champagne-Ardenne, 233 p.

Di Méo G., 1995, Patrimoine et territoire, une parenté conceptuelle, Espaces et Sociétés, n° 78, pp. 16-33.

Dorel-Ferré G. (dir.), 2005, Atlas du patrimoine industriel de Champagne-Ardenne. Les racines de la modernité, Reims, SCÉRÉN / CRDP de Champagne-Ardenne, 188 p.

DREAL Champagne-Ardenne, 2009, Cahier de territoire. Les Ardennes, 21 p. (http://www.champagne-ardenne.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/Cahier_Ardennes_sept_09_cle037781.pdf)

Edelblutte S., 2008, Paysages et territoires du patrimoine industriel au Royaume-Uni, Revue Géographique de l’Est, vol. 48 / 1-2, 30 p. (http://rge.revues.org/1165 )

Edelblutte S., 2009, Paysages et territoires de l’industrie en Europe. Héritages et renouveaux, Paris, Ellipses, 272 p.

Fourdrignier M., 2006, « Associations et territoires : de nouvelles identités ? Le pays des vallées de Meuse et de Semoy », colloque « Identité et espace », Reims, 23 novembre 2006, 13 p.

Gravari-Barbas M., et Guichard-Anguis S. (dir.), 2003, Regards croisés sur le patrimoine dans le monde, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 958 p.

Gravari-Barbas, M. (dir.), 2005, Habiter le patrimoine. Enjeux – approches – vécu, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 623 p.

Greffe X., 1990, La valeur économique du patrimoine, Paris, Anthropos-Economica, 253 p.

Greffe X., 2003, La valorisation économique du patrimoine, Paris, La Documentation française, 384 p.

Landrieux E., 1988, Les friches industrielles dans les Ardennes, Mémoire de DESS Urba-nisme, Aménagement, Environnement, Université de Reims Champagne-Ardenne, 126 p.

Lespez L. et Ballouche A., 2009, Paysages au fil de l’eau : l’objet, le sensible et leurs trajectoires, Bulletin de l’Association de Géographes Français, 2009-1, pp. 3-11.

Lévy J., Debarbieux B. et Ferrier J.-P., 2003, « Territoire » in J. Lévy et M. Lussault (dir.), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, Belin, pp. 907-910, 910- 912 et 912-917.

Massary X. de, 2012, 1984-2009 : vingt-cinq ans d’inventaire industriel en Champagne-Ardenne, in G. Dorel-Ferré et X. de Massary (dir.), Le patrimoine industriel de Champagne-Ardenne. Diversité et destinées. L’inventaire en perspective, Reims, SCÉRÉN / CRDP de Champagne-Ardenne, pp. 38-51.

Nistri R. et Prêcheur C., 1960, La France du Nord et du Nord-Est, Paris, P.U.F. (coll. France de demain n° 2), 160 p.

Transtopie 2010, Transtopie. État des lieux 2008-9, Reims, École Supérieure d’Art et de Design, 2010, 125 p. + un DVD.

Veschambre V., 2007, Patrimoine : un objet révélateur des évolutions de la géographie et de sa place dans les sciences sociales, Annales de Géographie, n° 656, juillet-août 2007, pp. 361-381.

Veschambre V., 2008, Traces et mémoires urbaines. Enjeux sociaux de la patrimonialisation et de la démolition, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 315 p.

Woronoff D., 1984, L’industrie sidérurgique en France pendant la Révolution et l’Empire, Paris, Ed.de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales

Woronoff D., 1994, Histoire de l’industrie en France, du XVIème siècle à nos jours, Paris, Seuil, 674 p.

Woronoff D., 2003, La France industrielle. Gens des ateliers et des usines 1890-1950, Paris, Ed. du Chêne, 295 p.

Haut de page

Notes

1 The International Committee for the Conservation of the Industrial Heritage.

2 International Council of Monuments and Sites / Conseil International des Monuments et Sites.

3 Il s’agit plus exactement d’un démantèlement avec récupération partielle puisque certains éléments ont été transférés ailleurs, dont un pavillon entier à Nogent-sur-Marne.

4 Toutes sont consultables sur le site de la région www.cr-champagne ardenne.fr/patrimoineindustriel08/IA08001406.html.

5 Comparer la cartographie de la situation avant 1914 établie par René Colinet (2004b : 28) et les images de Google Earth datant de 2005. 

6 Où le sociologue Marc Fourdrignier (2006) a souligné le rôle des associations et leur lien au territoire.

7 Le pays des Trois Cantons a ensuite été intégré à un ensemble vaste incluant le Rethelois et le Vouzinois : voir la carte des pays dans DREAL Champagne-Ardenne 2009.

8 Voir le site www.musee-metallurgie-ardennes.fr.

9 Y compris par notre corporation des géographes : lorsque la collection « France de demain » fut lancée dans une perspective volontariste, les Ardennes furent traitées dans le volume 2 La France du Nord et du Nord-Est avec le Nord et la Lorraine vus comme les régions industrielles par excellence (Nistri et Prêcheur, 1960).

10 Routes des fortifications, des légendes de Meuse et Semoy, des forêts, lacs et abbayes, des églises fortifiées de Thiérache, du Porcien, et Rimbaud-Verlaine.

Haut de page

Table des illustrations

Titre Figure 1 : Établissements industriels dans les Ardennes
Crédits Source : Colinet 2004a, p. 164 © Terres Ardennaises
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tem/docannexe/image/2293/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 244k
Titre Figure 2 : Monthermé, le patrimoine industriel au fil de l’eau
Crédits Photos A- prospectus touristique, B et C- M. Bazin avril 2009
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tem/docannexe/image/2293/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 532k
Titre Figure 3 : Patrimoine industriel des Ardennes – Répartition par catégories des sites recensés
Crédits Source : extrait de la carte de Massary 2012, p. 38, © Région Champagne-Ardenne
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tem/docannexe/image/2293/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 144k
Titre Figure 4 : Friches dans un état de dégradation extrême
Crédits Photos : M. Bazin (A- novembre 2008 et B- septembre 2009)
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tem/docannexe/image/2293/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 124k
Titre Figure 5 : Le haut-fourneau de Vendresse, vues extérieure et intérieure
Crédits Photos M. Bazin, septembre 2009.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tem/docannexe/image/2293/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 92k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Marcel Bazin, « Patrimoine industriel et identité territoriale dans les Ardennes »Territoire en mouvement Revue de géographie et aménagement, 21 | 2014, 54-68.

Référence électronique

Marcel Bazin, « Patrimoine industriel et identité territoriale dans les Ardennes »Territoire en mouvement Revue de géographie et aménagement [En ligne], 21 | 2014, mis en ligne le 18 février 2014, consulté le 14 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tem/2293 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/tem.2293

Haut de page

Auteur

Marcel Bazin

Professeur émérite de géographie et aménagement
Université de Reims Champagne-Ardenne
EA 2076 – Habiter
57 rue Pierre Taittinger
51096 Reims Cedex
marcel.bazin@numericable.fr

Articles du même auteur

  • Editorial [Texte intégral]
    Paru dans Territoire en mouvement Revue de géographie et aménagement, 21 | 2014
Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search