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Comptes rendus de lecture

Le Cercle Turgot, Jean-Louis Chambon : La Chinamérique. Un couple contre-nature ?

Paris, Eyrolles, Editions d’Organisation, 2010, 282 pages
Christine Liefooghe
Référence(s) :

Le Cercle Turgot, Jean-Louis Chambon (dir) : La Chinamérique. Un couple contre-nature ?, Paris, Eyrolles, Editions d’Organisation, 2010, 282 pages

Texte intégral

1« Qui eût cru, il y a deux ans, que la Chine communiste contribuerait à sauver le système bancaire américain, qui est à l’origine de la crise économique actuelle ? » (H. De Carmoy, p. 170).

2Telle est la contradiction que ce livre analyse, à travers les contributions de vingt-sept experts du monde de la finance. Le Cercle Turgot, centre de réflexions et d’analyses financières, a fait appel à des inspecteurs des finances, commissaires aux comptes, dirigeants d’entreprises ou d’institutions financières, mais aussi des professeurs d’université ou des responsables d’analyses économiques à l’INSEE , l’IFRI, le Conseil d’analyse économique ou l’Institut de la Haute Finance. Chaque auteur ou groupe d’auteurs est appelé à s’exprimer sur le thème de la « Chinamérique », dans les domaines de la finance, de la monnaie, de l’économie, de la géopolitique, de la gouvernance mondiale et des modèles de développement économique. L’ouvrage est ainsi composé de vingt-trois chapitres, en comptant l’introduction et la conclusion, que le lecteur peut presque lire dans l’ordre qui lui convient. En effet, si les chapitres sont regroupés en trois parties, portant respectivement sur les « forces en présence », « la logique économique de la Chinamérique » et « les questions monétaires », la liberté offerte aux experts de s’exprimer sur un même thème a pour revers d’avoir à lire vingt-trois fois presque la même chose. Certes, pour le lecteur qui découvre la question, l’exercice a une valeur pédagogique, celle de la répétition qui aide à la mémorisation de l’information. Pour ceux qui connaissent un peu la question, il faut avouer que la lecture devient fastidieuse. On appréciera néanmoins quelques chapitres qui stimulent la curiosité intellectuelle en nous proposant des approches spécifiques, qui sur l’outsourcing mondial des TIC chinois, qui sur les normes comptables et la régulation financière, qui sur la théorie des jeux appliquée au « dilemne du créancier ». À condition de lire un chapitre par jour pour éviter la sensation de déjà vu, l’ouvrage a le mérite d’interroger le devenir du monde tel que nous le connaissons, un monde façonné depuis au moins deux siècles par l’Occident, un monde dominé plus récemment par l’hyperpuissance américaine et la mondialisation libérale. La crise de 2007/2008 marque-t-elle le commencement d’un monde nouveau ? Quels en seront les nouveaux équilibres économiques et géopolitiques ? La Chine et les États-Unis vont-ils s’accorder pour piloter ensemble la nouvelle économie mondiale ? Quelle est la place de l’Europe dans ce couple « contre-nature » de la Chinamérique ? Car, au fil des chapitres, l’analyse de l’interdépendance des économies chinoise et américaine sert aussi de miroir à la situation de l’Europe, voire de prétexte pour mieux dénoncer l’apathie de l’Europe et les dangers qui menacent le modèle européen si l’Union européenne n’assume pas sa place et son rôle dans le nouvel ordre mondial en train de se construire. On pourrait presque dire que l’intérêt de l’ouvrage n’est pas tant le thème annoncé, la Chinamérique, que le travail d’introspection d’experts occidentaux, français en l’occurrence, sur le devenir des modèles économiques et politiques qui imprègnent nos consciences et façonnent notre façon de lire le monde et son évolution. Ce livre est un cri : qu’allons-nous devenir dans ce jeu de titans entre la Chine qui veut s’affirmer comme une puissance mondiale et les Etats-Unis qui ont à défendre leur hyperpuissance contestée ?

3Tel est ainsi l’enjeu de ce livre : comment faut-il lire le jeu qui se joue entre la Chine et les États-Unis ? Quelle grille d’analyse utiliser ? Faut-il jouer à se faire peur ou convient-il d’aligner les arguments pour se rassurer sur les intentions géopolitiques de la Chine ? Compétition ou coopération, confrontation ou « dialogue constructif » entre la Chine et les États-Unis, interdépendance économique ou « pacte faustien » passé entre le Président Obama et le vice-premier ministre chinois pour sortir de la crise ? Les experts sont partagés et les débats sont l’occasion de reconstruire l’histoire d’une mondialisation libérale qui a abouti à l’interdépendance entre Chine et USA en matière de monnaie, de finance et d’économie. Les excédents de la production industrielle chinoise alimentent la surconsommation des États-Unis. Le déficit extérieur américain qui en résulte est financé par l’achat de titres en dollar par la Chine : le circuit est bouclé dans une relation de dépendance qui emprisonne les deux protagonistes. La crise de 2008 a montré le danger pour la Chine de miser uniquement sur les USA (X. Ren, P. Dessertine). Le défi posé à la Banque centrale chinoise et au gouvernement de Pékin est désormais de savoir comment réinjecter les réserves de change dans le système économique mondial sans susciter de réactions de méfiance et de rejet. Plusieurs chapitres décryptent les mécanismes et les enjeux de cette Chinamérique financière et économique. Comprendre le passé est une chose, pas toujours aisée comme le montrent les auteurs. Faire de la prospective sur la sortie de crise et sur le devenir du monde est un exercice encore plus sujet à caution. De fait, les auteurs analysent les forces et les faiblesses de la Chine que la crise de 2007/2008 met sous les feux de la rampe. Car le monde attend de la Chine qu’elle devienne le nouveau moteur de l’économie mondiale, tout en craignant la volonté de puissance qui pourrait en découler.

4La Chine est désormais la vraie deuxième puissance économique mondiale en parités réelles de pouvoir d’achat (P. Jurgensen). Ses réserves de change sont un atout pour investir en Afrique, en Amérique latine et dans tous les pays qui lui permettent d’assurer ses approvisionnements en énergie ou en matières premières, ou de conquérir des marchés. C’est aussi un moyen géopolitique de redéfinir sa zone d’influence en Asie et dans le reste du monde, voire de se poser en modèle alternatif à la superpuissance américaine ou de contester le fonctionnement des institutions internationales. Mais pour jouer ce nouveau rôle, la Chine ne doit-elle pas remettre en cause le modèle d’une économie socialiste de marché reposant sur l’exportation « à outrance » de produits industriels ? La Chine n’a pas attendu la crise de 2007/2008 pour réorienter progressivement son économie vers son marché intérieur, vers une maîtrise nationale des investissements productifs, vers la conquête de marchés internationaux par des entreprises chinoises. Elle cherche plus récemment à développer une économie de service, en soutenant par exemple l’outsourcing de services informatiques, sur le modèle indien, et à s’assurer un futur leadership en matière de recherche scientifique et d’innovation. La mutation de l’économie chinoise vers une société de consommation de masse est discutée par les auteurs tant elle est à la fois nécessaire pour l’avenir de la Chine et du monde que complexe à instaurer. Le débat portant sur la validité du concept de Chinamérique conduit donc les experts à discuter de l’évolution possible ou souhaitée du modèle de développement chinois et de sa composante géopolitique. Mais en retour, cette évolution interroge les grilles d’analyse que les experts occidentaux utilisent, et l’ouvrage en donne un aperçu à plusieurs reprises, en confrontant le point de vue des économistes et celui des juristes, par exemple. Quel regard portons-nous sur le concept de puissance, sur « l’art de la guerre », les formes de démocratie, les droits de l’homme, la gouvernance, la régulation financière ? Autant de questions qui traversent les différents chapitres de l’ouvrage. Certains auteurs lancent un cri d’alarme sur notre aveuglement au regard des mutations du monde ; d’autres tentent de se rassurer, ou de nous rassurer peut-être, en faisant l’inventaire critique des fragilités économiques, politiques et sociales de la Chine, et donc des limites de sa puissance. Mais comme dit H. Sérieyx dans un chapitre sur les leçons à tirer de l’histoire récente de la Chine, cessons de nous plaindre que les Chinois copient et ne suivent pas nos règles, car le temps du management du « relativement stable » a laissé place à celui du changement continu. C’est sans doute la leçon essentielle que l’Occident doit tirer des pratiques économiques voire politiques des Chinois. Et comme cet ouvrage sur la Chinamérique gravite autour des effets à moyen et long terme de la crise de 2007/2008, nous terminerons ce compte-rendu par un trait d’humour de Philippe Bouvard, cité par V. Lévy-Garboua et G. Maarek (p. 227) : « Lorsque l’on vit trop à crédit, les ardoises deviennent des tuiles ». Une leçon toujours d’actualité en 2013, an V de la crise économique (production, commerce) et même an VI de la crise financière internationale.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Christine Liefooghe, « Le Cercle Turgot, Jean-Louis Chambon : La Chinamérique. Un couple contre-nature ? »Territoire en mouvement Revue de géographie et aménagement [En ligne], 17-18 | 2013, mis en ligne le 06 avril 2017, consulté le 13 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tem/2075 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/tem.2075

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Auteur

Christine Liefooghe

Université Lille1 Sciences et Technologies

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