Guillaume Protière : La réforme territoriale ; Une politique en faux semblant ?
Guillaume Protière (dir.) : La réforme territoriale ; Une politique en faux semblant ?, L’Harmattan, Collection Administration et Aménagement du territoire, octobre 2011, 155 pages
Texte intégral
1Cet ouvrage collectif de juristes regroupe des communications présentées lors des 13èmes rencontres juridiques qui se sont tenues à Lyon, en novembre 2010, sur la Loi du 16 décembre 2010 relative à la réforme des collectivités territoriales. Les six communications reprises dans l’ouvrage sont complémentaires par leurs approches de la dernière réforme territoriale en date.
2Le moins que l’on puisse dire est que les auteurs ne sont pas tendres avec ce texte, qui s’inscrit bien dans un sens général des réformes territoriales qui est plutôt de l’ordre du raccommodage et de la complexification que de celui de la clarification et de la simplification.
3L’introduction de Bertrand Faure (Professeur à l’Université de Nantes) donne d’emblée le ton par son sous-titre « L’arnaque et le territoire ». La loi, qui vise à une meilleure efficacité du mille-feuilles institutionnel actuel, n’atteindra pas son objectif premier pour différentes raisons exposées avec conviction :
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elle est issue de « tractations entre un pouvoir qui s’est mis à douter de sa réforme et un contre-pouvoir local, puissamment représenté au sein du Sénat » (p. 12) ;
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elle renforce l’immunité des petites communes, auxquelles on ne pourra rien imposer (notamment l’intégration au sein d’intercommunalités) ;
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c’est un souci de réduction des dépenses publiques des collectivités (une sorte de décentralisation de la révision générale des politiques publiques) qui guide la réforme, avant toute autre considération, sans pour autant convaincre du fait des contreparties consenties comme l’augmentation substantielle des indemnités des conseillers territoriaux ;
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on cherche à achever la carte des intercommunalités à marche forcée, en conférant des pouvoirs exceptionnels aux Préfets, alors que ce type de rapprochement se légitime sur la longue durée.
4Dans sa contribution (pp. 21-32), Philippe Blacher traite du découpage des circonscriptions électorales en vue du scrutin législatif de 2012. Ce redécoupage a été demandé à trois reprises par le Conseil constitutionnel, du fait de l’inégalité croissante de représentation des suffrages exprimés d’un département à l’autre. Si on compte un député pour 40 000 habitants en Lozère, on dépasse 180 000 habitants par circonscription législative dans un département comme le Val d’Oise. Il est vrai que c’est le recensement général de la population de 1982 qui avait servi de référence au dernier redécoupage de 1986, toujours en vigueur. La réforme constitutionnelle de 2008 interdit désormais tout ajout de nouveau député : il faut donc opérer à effectif constant, soit 566 députés en défalquant les onze représentants des Français de l’étranger instaurés par la même réforme. Le processus de redécoupage s’est effectué de décembre 2008 à juillet 2009, sous le contrôle d’une commission indépendante. Il a conduit à remettre en cause une règle de représentation établie à la Libération, selon laquelle chaque département devait avoir au moins deux représentants. Ce principe n’est plus constitutionnel, ce qui permet d’acter le déclin démographique des départements les plus ruraux.
5Geneviève Koubi s’interroge pour sa part sur la réforme de l’administration territoriale de l’État. À la re-centration des compétences locales autour de la Métropole et de l’intercommunalité répond la re-concentration des services de l’État à l’échelle de la région (p. 34). À cette occasion, une refonte complète des divisions administratives a été effectuée, et les pouvoirs des Préfets de région ont été renforcés. « Les échelles sont modifiées, les distances sont amplifiées, la déconcentration administrative redit l’autorité, refait l’ordre juridique et repense l’ordonnancement géographique » (p. 42). La re-concentration se cristallise sur la notion de « pôle », de la même façon que la réforme de la décentralisation : « la polarisation supplante la territorialisation » (p. 47), avec mutualisation des moyens et économies d’échelle.
6Guillaume Protière (Lyon 2) dénonce « l’insoutenable légèreté du législateur » dans sa contribution (pp. 55-86). Fondant son raisonnement sur les alarmes des élus locaux sur le changement profond de nature des collectivités du fait de la Loi, l’auteur analyse les conséquences du texte sur les missions et l’organisation des collectivités territoriales. Force est de constater que la Loi est largement consacrée à la promotion d’Établissements publics territoriaux (EPT), fidèle en cela à une conception amorcée à la fin des années 1990, selon laquelle les collectivités dans leur ensemble, doivent « administrer de plus loin » (p. 59). L’Établissement public désormais promu diffère d’une collectivité dans la mesure où il est caractérisé par le principe de spécialité. Un EPT n’a pas de population d’administrés et ne couvre pas l’ensemble des compétences habituellement dévolues à une collectivité territoriale. Pourtant, la Loi « brouille la frontière entre les deux types de personnes publiques au niveau local » (p. 60). Cela tient notamment au mode de désignation des élus (conseillers communautaires, conseillers territoriaux) qui bouleverse la logique représentative. « La démocratie locale est toujours envisagée à partir de cadres anciens voire obsolètes, que la réforme ne parvient pas à dépasser » (p. 66). Par ailleurs, la suppression de la clause générale de compétences réduit l’autonomie matérielle des collectivités territoriales, et le principe d’exclusivité des compétences s’appuie sur une liste restreinte assortie d’un très faible droit d’initiative. D’où le double constat d’une perte d’homogénéité et de spécificité de la notion de collectivité territoriale. Les collectivités ne bénéficient plus forcément d’élus propres, elles ne sont pas forcément égales entre elles (cf. les communes pouvant créer une métropole vs les autres), et surtout les EPT sont assimilés à des collectivités territoriales, ce qui conduit l’auteur à penser que l’on débouche sur « un modèle d’institution territoriale hybride, fruit du mélange des notions antérieures, d’une logique managériale et d’un souci d’économies » (p. 80). L’analogie avec le fédéralisme s’impose désormais, même si l’ensemble des critères permettant de le caractériser n’est pas rempli.
7La réforme de l’intercommunalité est plus particulièrement abordée par Stéphane Guérard (Lille 2). L’émiettement communal pose toujours problème et n’a pas été résolu de façon satisfaisante jusqu’ici. Il empêche de mener les politiques à la bonne échelle et il pose des problèmes de moyens. Les tentatives de fusion ont été un échec. Toute tentative de réduction du nombre de communes déclenche les passions politiques. Si l’existence de 500 000 élus locaux est vue par certains comme un bienfait, les communes souffrent globalement d’un manque de moyens et sécrètent des doublons en masse.
8L’intercommunalité, chantier lancé après l’échec de la Loi Marcellin de 1971, s’est traduite par un foisonnement de structures coûteuses sans résoudre fondamentalement le problème. On comptait 2 611 EPCI, mais aussi 15 000 syndicats intercommunaux en 2010, tandis que 2 516 communes demeurent isolées (elles totalisent tout de même 8,2 millions d’habitants). L’achèvement et la rationalisation de la carte des intercommunalités devient un objectif majeur avec :
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la création du statut de Métropole, qui s’adresse aux agglomérations de plus de 500 000 habitants,
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la relance des fusions avec la création du statut de « commune nouvelle », formule d’intercommunalité renforcée qui ne laisse subsister que des « communes déléguées » avec des compétences réduites,
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l’apparition du Pôle métropolitain, EPCI composé exclusivement d’autres EPCI et regroupant au moins 300 000 habitants, sur la base d’un projet d’aménagement (comme un SCOT) ou de développement économique. Le périmètre doit rester moins important que le territoire d’un département, mais ces derniers risquent d’être fortement vidés de leur substance suite à la création de telles entités.
9Le Préfet joue un rôle accru, voire décisif, dans la création d’EPCI et la détermination de leur périmètre, ce qui constitue une sérieuse entorse au principe d’autonomie des collectivités territoriales. La Loi lui confère un rôle stratégique dans la finalisation de la carte des intercommunales, avec des schémas départementaux à établir avant le 31 décembre 2012. Ces schémas peuvent imposer des rattachements de communes isolées et des fusions d’EPCI.
10Sont enfin abordées la spécialisation des administrations intermédiaires (Mathilde Kerneis) et la fiscalité directe locale (Olivier Négrin). La région paraît être la grande gagnante de la réforme, mais les nouvelles métropoles pourront se faire transférer des compétences étendues à son détriment. « Le territoire régional pourrait ainsi être le siège de l’exercice à deux vitesses de compétences en principe régionales » (p 126).
11Au final, un recueil de textes stimulant, qui devrait intéresser géographes et aménageurs travaillant sur les effets des réformes territoriales en cours.
Pour citer cet article
Référence électronique
Pierre Zembri, « Guillaume Protière : La réforme territoriale ; Une politique en faux semblant ? », Territoire en mouvement Revue de géographie et aménagement [En ligne], 14-15 | 2012, mis en ligne le 03 avril 2017, consulté le 17 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tem/1833 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/tem.1833
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