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Changement climatique : certitudes, incertitudes et controverses

Global Climate Change: Certainties, Uncertainties and Controversial Topics
Claude Kergomard
p. 4-17

Résumés

Les deux années qui viennent de s’écouler ont été marquées par une controverse très médiatisée, utilisant les incertitudes avérées de la climatologie pour contester la réalité, l’ampleur et les causes du « réchauffement global ». Cet article propose une synthèse de l’état actuel des connaissances acquises et des incertitudes concernant le changement climatique contemporain, ses causes et sa singularité par rapport aux variations passées du climat, et les possibilités offertes par la modélisation du climat futur. Mais les incertitudes à propos du climat futur résident bien plus sur les choix économiques, sociaux et politiques que nécessite l’atténuation d’un phénomène avéré, que dans les incertitudes de la science du climat.

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Texte intégral

Introduction

  • 1 http://www.ipcc.ch
  • 2 C’est l’affaire dite du « Climategate », qui fait suite à la divulgation des courriels de la Climat (...)
  • 3 Glaciers in the Himalaya are receding faster than in any other part of the world […] and, if the pr (...)

1La publication en 2007 du 4éme rapport du Groupe Intergouvernemental d’Experts sur le Climat (GIEC) et l’attribution quasi-simultanée du prix Nobel de la Paix à ce groupe dont la « mission est d’évaluer, sans parti pris et de façon méthodique, claire et objective, les informations d’ordre scientifique, technique et socio-économique qui nous sont nécessaires pour mieux comprendre les fondements scientifiques des risques liés au changement climatique d’origine humaine, cerner plus précisément les conséquences possibles de ce changement et envisager d’éventuelles stratégies d’adaptation et d’atténuation1 », avait semblé marquer l’émergence d’un consensus mondial sur la nature et l’importance du risque représenté par le changement climatique. À peine plus de trois ans plus tard, l’échec à Copenhague de la Conférence (COP 15) de la Convention des Nations Unies sur le Changement Climatique s’accompagne de controverses virulentes qui visent à remettre en cause l’importance, voire l’existence même d’un changement climatique induit par les activités humaines, et d’une remise en cause de l’activité du GIEC, accusé de partialité, voire de manipulations2 dans sa présentation des données du changement climatique. Certaines erreurs factuelles, telles que celle qui concerne la fonte des glaciers himalayens3, ont jeté le doute sur la validité de l’ensemble des rapports du GIEC (IPCC 2007a et 2007b).

  • 4 L’objectif présenté comme nécessaire avant la conférence de Copenhague était une réduction de 50 % (...)

2Même lorsqu’elles semblent porter sur le diagnostic scientifique établi par le GIEC, les controverses témoignent surtout de l’ampleur des résistances face au défi que représente pour l’économie mondiale la nécessité d’une réduction très importante de l’usage des carburants fossiles4, dans un contexte de crise économique et de tensions géopolitiques accrues entre pays développés occidentaux, puissances émergentes et pays en développement. Dans les textes les plus critiques, les discussions sur la réalité et les incertitudes du changement climatique en cours se confondent ou s’ajoutent généralement, de façon plus ou moins inextricable, au refus d’attribuer le changement climatique aux activités humaines et à un discours économique et politique sur l’opportunité d’une réduction volontariste des émissions de gaz à effet de serre (ALLEGRE et DE MONTVALON, 2009). Les écrits « climato-sceptiques » entretiennent de plus très souvent la confusion entre les véritables rapports du GIEC, qui proposent une analyse quasi-exhaustive et prudente de la littérature scientifique sur le changement climatique, et les écrits ou discours d’origine variée, à caractère plus militant, qui transcrivent les conclusions du GIEC à destination des acteurs politiques et économiques, ou du grand public.

3Dans ce contexte, il paraît utile de rappeler l’état des connaissances concernant le changement climatique en mettant l’accent sur les certitudes et les incertitudes. Ces incertitudes font généralement l’objet d’une présentation très précise dans les rapports intégraux du GIEC, et de débats approfondis au sein de la communauté scientifique et dans les revues spécialisées. Le degré de certitude/incertitude est lié d’une part à la concordance/discordance des observations, des théories et des modèles mis en œuvre pour l’analyse des faits observés (passé) et pour les simulations du climat futur, d’autre part au consensus/dissensus au sein de la communauté des chercheurs. L’objectif d’une réduction progressive des incertitudes, en vue d’éclairer les décisions de la communauté internationale et les choix de société auxquels nous serons sans doute confrontés, doit primer sur la controverse et l’affrontement binaire d’opinions positives et négatives qui l’emportent dans le débat médiatique.

1. La réalité du changement climatique en cours

4Le climatologue géographe habitué à manier les données d’observation relatives à une ou plusieurs stations météorologiques mesure aisément la difficulté à établir des indicateurs d’un changement climatique « global », à partir d’un réseau de stations inégalement réparties dans l’espace, d’inégales qualités et fournissant des données parfois lacunaires, sur des périodes plus ou moins longues. Intégrer en outre les données de température de surface des mers et océans afin de parvenir à une couverture réellement globale du climat de la planète représente une tâche extrêmement difficile, qui n’a été menée à bien que dans un nombre très restreint de laboratoires scientifiques, dont les résultats sont remarquablement concordants (figure 1).

Figure 1 : Variabilité interannuelle et évolution depuis 1880 de la température moyenne de surface planétaire (continents et océans)

Figure 1 : Variabilité interannuelle et évolution depuis 1880 de la température moyenne de surface planétaire (continents et océans)

Données : NASA-GISS Land-Ocean Temperature Index 1880-90 (Hansen et al., 2006), Hadley Centre-MetOffice Crutem 3 -stations continentales seulement- (Brohan et al., 2006).Les températures représentées sont des écarts à la moyenne de référence 1951-80. En noir, les données du Goddard Institute for Space Studies (GISS) combinent les observations terrestres (températures de l’air) et marines (températures de surface de la mer) ; en gris, les données du Hadley Centre représentent les seules observations terrestres.

5L’augmentation de la température planétaire ainsi obtenue représente l’indice le plus évident du changement climatique en cours : la température globale moyenne a augmenté de près de 0,8°C en 120 ans, de façon un peu plus accusée sur terre que sur mer, et dans l’hémisphère nord que dans l’hémisphère sud. Cette augmentation n’a été uniforme ni dans le temps, ni dans l’espace. Le réchauffement s’est effectué en deux périodes, de 1910 à 1940 environ, puis à partir des années 70 jusqu’à aujourd’hui, séparées par trente années (1940-1970) de stabilité voire de légère diminution de la température. Cette « pause » du réchauffement climatique, particulièrement marquée dans les hautes et moyennes latitudes de l’hémisphère nord, a sans doute contribué à retarder la prise de conscience du changement climatique. Celui-ci est devenu très sensible surtout depuis les années 70, avec une tendance à l’augmentation de la température de l’ordre de 0,2°C/décennie ; il affecte plus fortement les surfaces continentales que les surfaces marines. L’ampleur du réchauffement dans les années récentes est illustrée par la succession des années « record » : les années 2001, 2004, 2003, 2006, 2002, 1998, 2009, 2004, 2005 et 2010 sont ainsi dans l’ordre croissant de la température, les 10 années les plus chaudes enregistrées depuis 1880.

6La température « globale » masque de sensibles différences selon les régions du monde, mais le réchauffement global est cependant sensible à des degrés divers sur toute la planète. Il affecte bien entendu la France, comme en témoignent les données compilées par Météo-France ; le changement y a pris la forme d’une rupture brutale vers le milieu des années 80, et les 10 années les plus chaudes du siècle sont toutes postérieures à 1989 (figure 2a). Pour la plus grande partie du territoire français, l’augmentation des températures a concerné plus précisément les températures minimales, celles qui sont observées généralement en fin de nuit (figure 2b), alors que l’augmentation des températures maximales est surtout le fait des régions de haute montagne ; ce phénomène est tout à fait cohérent avec une augmentation de l’effet de serre.

Figure 2a : Évolution de la température moyenne annuelle de la France de 1901 à 2006.

Figure 2a : Évolution de la température moyenne annuelle de la France de 1901 à 2006.

Source : données Météo-France (66 stations homogénéisées).

Figure 2b : Augmentation de la température moyenne minimale et maximale en France pendant le XXème siècle

Figure 2b : Augmentation de la température moyenne minimale et maximale en France pendant le XXème siècle

Source : Météo-France.

7Les hautes latitudes de l’hémisphère Nord figurent au premier rang pour l’importance du réchauffement récent, malgré une variabilité forte au cours du XXe siècle (KERGOMARD, 2007). Le réchauffement observé dans les 30 dernières années ne s’y manifeste pas seulement dans les températures observées, mais par des effets très sensibles sur les paysages et surtout l’extension de la neige et des glaces qui sont des indicateurs très sensibles du réchauffement. La couverture de neige des continents eurasiatique et nord-américain a décru en surface et en durée dans les 40 dernières années, avec un saut abrupt dans la 2ème moitié des années 80 ; la réduction de la banquise permanente observée par les satellites de façon continue depuis 1979 a été particulièrement spectaculaire au cours de la dernière décennie (figure 3). Les années 2002, 2005 et 2007 ont marqué des records successifs ; au total, la réduction observée approche 40 % en trois décennies et dépasse toutes les prévisions établies auparavant par les modèles climatiques ; elle rend plausible une disparition totale de la banquise permanente avant le milieu du XXIe siècle (SERREZE et al., 2007).

Figure 3 : Extension de la banquise permanente de l’Arctique en septembre 2007, comparée à l’extension moyenne pendant les années 1979-2006

Figure 3 : Extension de la banquise permanente de l’Arctique en septembre 2007, comparée à l’extension moyenne pendant les années 1979-2006

Source : NSIDC http://nsidc.org/​arcticseaicenews/​

8La réduction des surfaces occupées par la neige et la glace n’est pas seulement un indicateur, elle est aussi un facteur de l’augmentation de la température par la réduction de l’albédo des surfaces et les modifications du bilan d’énergie de la surface terrestre. Elle fait de l’Arctique et des régions nordiques un lieu privilégié pour la surveillance des effets du changement climatique en cours. Le recul particulier spectaculaire de certains glaciers de l’Arctique dans la dernière décennie (glaciers de Jakobshavn au Groenland occidental) témoigne d’une accélération sensible du réchauffement (RIGNOT and KANAGARATNAM, 2006) ; le bilan de masse de la calotte glaciaire du Groenland est aujourd’hui clairement négatif, et la réduction du volume de glace contribue pour une part significative à l’augmentation du niveau de la mer (DOWDESWELL, 2011).

9L’augmentation du niveau moyen de la mer est en effet, malgré une variabilité assez marquée dans le temps et dans l’espace, un des aspects les moins contestables du changement climatique en cours. L’augmentation de l’ordre de 1 à 2 mm/an observée durant le XXe siècle était principalement attribuée à la dilatation thermique du volume des eaux océaniques, et à la fonte des glaciers de montagne, deux mécanismes confirmés par les observations océanographiques et glaciologiques (CHURCH and WHITE, 2006). Depuis 1993, l’existence d’observations continues par altimétrie satellitaire permet d’évaluer la hausse du niveau moyen à plus de 3 mm/an (CAZENAVE et al., 2008), soit sensiblement plus que les prévisions antérieures des modèles, et semble confirmer une contribution significative de la fonte des glaciers et inlandsis de l’Arctique, sinon de l’Antarctique (THE COPENHAGEN DIAGNOSIS, 2009). Les effets de cette hausse du niveau moyen de la mer sont déjà très sensibles dans certaines régions du monde, même si des facteurs locaux peuvent éventuellement confirmer ou infirmer localement le diagnostic.

10Faire le lien entre les phénomènes observés localement et le diagnostic du changement global, prendre en compte la variabilité dans le temps et l’espace des phénomènes climatiques, sont évidemment les difficultés majeures qui s’attachent aux travaux sur le changement climatique. Les faits évoqués précédemment font partie de ces faits « robustes » qui conduisent à établir la certitude du changement climatique en cours. Ce changement est clairement passé, dans les trente dernières années, du statut d’hypothèse vraisemblable à celui de certitude largement confirmée par l’accélération de la hausse de la température globale, de la fonte des glaces et de la hausse du niveau marin. Les incertitudes restent cependant importantes dès que l’on s’attache à des aspects du climat plus difficiles à « intégrer » dans une perspective globale. C’est le cas des précipitations et d’une manière générale de l’ensemble des phénomènes climatiques liés au bilan de l’eau (évapotranspiration, nébulosité, écoulement, etc…). Une augmentation générale des précipitations et une fréquence accrue des précipitations intenses dans les moyennes et hautes latitudes de l’hémisphère nord, une aggravation et une augmentation des sécheresses dans nombre de régions subtropicales et tropicales semblent se dégager de l’analyse des données disponibles selon les mêmes méthodes statistiques que pour les températures. Mais la pluviométrie, à la différence de la température, est un signal complexe qui se caractérise par l’absence de continuité dans le temps et dans l’espace et combine fréquence et intensité ; de plus, la mesure elle-même est affectée d’une forte imprécision. L’interprétation des variations spatio-temporelles de la pluviométrie est donc beaucoup plus difficile que pour les champs de température, d’autant plus qu’elle est liée à des mécanismes physiques complexes où dominent la variabilité de la circulation atmosphérique et le couplage entre l’océan et l’atmosphère, tels qu’El Niño et l’Oscillation Australe, ou l’Oscillation Nord-Atlantique.

11Les « phénomènes extrêmes » (tempêtes, cyclones tropicaux, sécheresses ou vagues de froid ou de chaleur catastrophiques) constituent un domaine plus difficile encore dans lequel la prudence du diagnostic scientifique contraste avec la tentation pour les médias et l’opinion de rechercher un lien avec le changement climatique. La rareté même des événements en cause interdit de fonder le diagnostic sur une statistique significative, les processus sont souvent singuliers. La tentation, après la saison cyclonique exceptionnelle de 2005 et l’épisode de Katrina à la Nouvelle-Orléans, de lier une augmentation de la fréquence et surtout de l’intensité moyenne des « hurricanes » au changement climatique, a ainsi alimenté un débat virulent ; établir comme le fait le GIEC que l’augmentation de la fréquence et surtout de l’intensité des cyclones observés dans l’Atlantique depuis 1970 est « probablement » (likely) associée au changement climatique n’est évidemment pas l’affirmation d’un lien causal entre le changement climatique et la catastrophe qui a affecté la Nouvelle-Orléans.

2. Changements climatiques du passé et « global warming » contemporain

12La comparaison entre le changement climatique en cours, attribué principalement aux activités humaines, et les changements climatiques du passé, supposés être d’origine naturelle, est au cœur des controverses sur le changement climatique. À l’inverse, la mise en évidence par l’analyse isotopique et géochimique des carottes de glace tirées des inlandsis du Groenland et de l’Antarctique d’un lien`entre les alternances des périodes glaciaires et interglaciaires et les teneurs atmosphériques en dioxyde de carbone et en méthane a contribué à amener au premier plan la question de l’effet de serre et du changement climatique (LORIUS et al., 1990). Les variations paléo-climatiques, celles des cycles entre périodes glaciaires et interglaciaires qui marquent le climat planétaire depuis au moins 650 000 ans, permettent de comprendre les liens entre les différents facteurs naturels susceptibles de faire varier le climat : forçages astronomiques et radiatifs liés aux changements de l’orbite de la terre autour du Soleil et de l’activité solaire, changements de composition de l’atmosphère en poussières et aérosols d’origine volcanique et en gaz à effet de serre au premier rang desquels le dioxyde de carbone et le méthane, changements enfin de l’extension des glaciers et des glaces de mer. Même si des incertitudes fortes subsistent sur les interactions existant entre ces différents facteurs et en particulier sur la nature du lien entre teneurs de l’atmosphère en gaz à effet de serre et températures, la paléoclimatologie apporte un éclairage particulier sur le changement climatique contemporain. Le changement climatique du dernier siècle apparaît tout à fait atypique par sa rapidité et son ampleur, tandis que les teneurs actuelles de l’atmosphère en CO2 et en méthane sont sans équivalentes depuis au moins 420 000 ans (PETIT et al., 1999). La dernière période significativement plus chaude qu’aujourd’hui, le dernier interglaciaire il y a 125 000 ans, connaissait une température de 3 à 5°C supérieure à celle du XXe siècle et un niveau de la mer de 4 à 8 m supérieur à l’actuel.

13Dans ce contexte, la connaissance des variations historiques du climat, celles qui ont affecté la Terre en présence de l’Homme au cours de l’Holocène et durant les périodes historiques, représente un enjeu important du débat sur le changement climatique, en même temps qu’une nécessité pour établir un lien plus clair entre la paléoclimatologie et la période des observations instrumentales qui commence dans la 2ème moitié du XIXe siècle. La publication dans le rapport du GIEC de 2001 de la reconstitution des températures de l’hémisphère nord durant le dernier millénaire due à Mann et al. (1999) avait alors suscité la polémique ; la courbe surnommée « crosse de hockey » mettait en effet l’accent sur le caractère inédit du réchauffement observé au XXème siècle et semblait minimiser l’importance des variations historiques du climat. Les variations historiques du climat, antérieures aux modifications de la composition de l’atmosphère terrestre, ont été depuis longtemps mises en évidence par les historiens (LEROY-LADURIE, 1967) et les climatologues (LAMB, 1977).

14L’existence, du XVIe au XIXe siècle, d’une période climatique froide, le Petit Age Glaciaire, ne fait aucun doute et sa chronologie peut être reconstituée à partir de sources et d’indicateurs multiples : fluctuations des glaciers alpins, dendrochronologie, multiples sources agro-climatiques (dates et quantités des récoltes, des vendanges, etc…), chronologies de l’englacement de lacs et de rivières, chroniques textuelles, etc…, en même temps que les premières mesures météorologiques. Le débat porte en fait sur la période précédente, parfois qualifiée d’Optimum Médiéval, période pendant laquelle des indices laissent supposer que le climat aurait été aussi chaud, sinon plus chaud que l’actuel. Des textes font en fait état de conditions climatiques favorables et de récoltes particulièrement abondantes durant le « beau moyen-âge », du franchissement facile des Alpes par des peuples éleveurs en empruntant des cols aujourd’hui encore englacés, et des conditions particulièrement favorables à l’expansion des vikings norvégiens vers l’Islande, le Groenland (« Terre verte ») et même le Labrador et Terre-Neuve, avant que leurs établissements ne soient menacés par le Petit Age Glaciaire. Les indicateurs (« proxi ») susceptibles d’une approche quantitative de l’évolution du climat durant les 1 000 à 2 000 dernières années sont trop imprécis pour apporter des réponses définitives quand à l’existence d’une période réellement plus chaude que l’actuelle. La compilation minutieuse de toutes les données disponibles (MANN et al., 2008) qui a été menée depuis l’abandon par le GIEC de la « crosse de hockey » apporte des précisions et une vision plus nuancée : l’Optimum Climatique Médiéval aurait été une réalité, mais celle-ci aurait été limitée à l’Europe et aux pays de l’Atlantique Nord et ne remet pas en cause le caractère inédit du réchauffement planétaire en cours.

15Le changement climatique récent est généralement considéré et présenté comme un effet de l’utilisation des combustibles fossiles qui aurait débuté avec l’exploitation du charbon et se serait accentué avec la mise en exploitation des hydrocarbures au XXe siècle. Il est courant de comparer les températures et les concentrations de gaz à effet de serre actuels avec ceux de l’ère « pré-industrielle », et le géochimiste Paul Crutzen a proposé de désigner par le terme d’«  anthropocène » la nouvelle ère géologique qui commence avec l’industrie et fait de l’Homme un agent majeur de l’évolution du climat planétaire (CRUTZEN et STOERMER, 2000). Mais plus récemment, le paléo-climatologue W.F. Ruddiman (2009) évoque une hypothèse qui remet en cause le lien exclusif entre carburants fossiles, gaz à effet de serre et changement climatique. A partir d’une analyse de la composition de l’atmosphère terrestre depuis la fin de la dernière glaciation, il invoque une augmentation de la teneur en CO2 dans l’atmosphère commençant dès 8 000 ans avant le présent, et de la teneur en méthane particulièrement sensible à partir de 5 000 ans avant le présent ; le changement climatique aurait donc commencé dès la « révolution néolithique » qui a vu la déforestation et l’extension des cultures de céréales, et surtout à partir de l’apparition de la riziculture irriguée en Extrême-Orient. Pour Ruddiman, ces débuts précoces de l’action de l’Homme sur le climat auraient évité à la planète un refroidissement qui aurait pu conduire à une nouvelle glaciation ; une part des fluctuations historiques du climat, dont l’Optimum Climatique Médiéval et le petit Age Glaciaire, auraient pu être le résultat des avancées et des reculs de l’activité humaine au gré des épidémies et des guerres influant sur l’activité agricole à la surface de la Terre. L’hypothèse de W.F. Ruddiman a été assez fortement critiquée, en particulier à cause des imprécisions sur la chronologie de l’Holocène et du fait qu’elle néglige l’influence de l’océan mondial, une source ou un « puits » de CO2 et de méthane plus important que la végétation naturelle ou cultivée des continents. Elle a été parfois présentée comme un argument en faveur du « climato-scepticisme » et une remise en cause des efforts à entreprendre en faveur d’une réduction de la consommation des carburants fossiles ; ce n’est pas le propos de Ruddiman lui-même qui plaide au contraire pour une réduction de l’usage des carburants fossiles autant qu’un contrôle accru de la déforestation et des activités agricoles.

3. Les causes du changement climatique

16Sous-jacente derrière les controverses sur l’intensité du changement climatique contemporain et les fluctuations des climats du passé, figure la question-clé des causes naturelles ou anthropiques du changement climatique. Dès 1992, la Convention-Cadre des Nations-Unies sur le Changement Climatique, ratifiée à ce jour par 195 états, affirmait que « l’activité humaine a augmenté sensiblement les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, que cette augmentation renforce l’effet de serre naturel et qu’il en résultera en moyenne un réchauffement supplémentaire de la surface terrestre et de l’atmosphère, ce dont risquent de souffrir les écosystèmes naturels et l’humanité » (CCNUCC, 1992). C’est dans ce contexte qu’il convient de situer l’action du GIEC ; c’est cette affirmation même qui est aujourd’hui encore contestée, en raison des conclusions qu’il conviendrait d’en tirer pour « stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique ».

17Les travaux du GIEC se sont donc attachés, depuis le premier rapport en 1990, à quantifier le rôle des gaz à effet de serre dans le changement climatique, conjointement avec celui d’autres causes potentielles et en particulier des causes naturelles telles que l’activité solaire, les effets de l’activité volcanique, des aérosols et des modifications de la surface terrestre (figures 4a et 4b). La comparaison entre les différents facteurs possibles du changement climatique repose sur la notion de forçage climatique, qui mesure, en W.m-2, l’influence d’un facteur dans la modification de l’équilibre entre l’énergie qui entre dans l’atmosphère terrestre et celle qui en sort et constitue un indice de l’importance de ce facteur en tant que mécanisme potentiel du changement climatique.

  • 5 Les différents gaz ne contribuent pas tous à la même hauteur à l'effet de serre. En effet, certains (...)

18L’augmentation de la teneur en dioxyde de carbone (CO2), qui est ainsi passée de 280 ppm à l’ère pré-industrielle à plus de 390 ppm (partie par million, soit 390 molécules de CO2 pour un million de molécules d’air « pur ») aujourd’hui, représente un forçage d’environ +1,6 Wm -2 ; le méthane dont la teneur est passée de 715 à près de 1780 ppb (partie par milliard) correspond à un forçage de l’ordre de 0,4 à 0,5 W.m-2 (IPCC, 2007a). Au total, l’effet des différents gaz à effet de serre5, dont la concentration a crû du fait des activités humaines représente un forçage de près de 3 W.m-2, et contribuerait pour 0,7°C au réchauffement observé durant le XXe siècle (figure 4b). Malgré le protocole de Kyoto, censé encadrer les émissions des pays développés, la concentration de ces gaz à effet de serre a continué à croître dans les 10 à 15 dernières années, à un rythme plus rapide que pendant le siècle précédent ; 80 % des émissions de CO2 sont dues à l’usage des carburants fossiles, et 1/5 environ aux changements d’utilisation du sol (déforestation).

Figure 4a : Contribution totale des différents forçages radiatifs du changement climatique (W.m-2)

Figure 4a : Contribution totale des différents forçages radiatifs du changement climatique (W.m-2)

Source : IPCC, 2007a

Figure 4b : Modélisation du réchauffement et contribution des différents forçages radiatifs.

Figure 4b : Modélisation du réchauffement et contribution des différents forçages radiatifs.

Source : IPCC, 2007a

  • 6 Joseph Fourier, Remarques générales sur les températures du globe terrestre et des espaces planétai (...)
  • 7 Svante Arrhenius, « On the Influence of Carbonic Acid in the Air upon the Temperature of the Ground (...)

19L’analyse du GIEC ne se limite pas, contrairement à ce qui est parfois affirmé par les climato-sceptiques, aux seuls effets des gaz à effet de serre. Les causes naturelles du changement climatique, les fluctuations de l’irradiation solaire, les effets des aérosols volcaniques sont également quantifiés en termes de forçage climatique, et leur contribution peut être ainsi comparée à celle des gaz à effet de serre (MEEHL et al., 2004). La quantification de ces différents forçages suscite parfois un étonnement plus ou moins sincère qui est utilisé dans les controverses sur le changement climatique : comment des gaz présents dans l’atmosphère en quantités aussi faibles peuvent-ils peser autant sur le climat, en comparaison des effets du soleil ou de gaz aussi présents que la vapeur d’eau ? C’est oublier que la quantité de vapeur d’eau présente dans l’atmosphère est certes variable, mais contrainte par les changements d’état de l’eau, que l’effet de serre est un processus physique expliqué depuis le début du XIXème siècle6 et que le rôle du dioxyde de carbone est établi depuis la fin du même siècle (1896)7. Les travaux en cours recherchant l’influence possible d’autres processus physiques fondés sur les interactions possibles entre rayonnement solaire, champ magnétique terrestre et nébulosité sont très loin de fournir des éléments aussi incontestables que celui de l’amplification anthropique de l’effet de serre aujourd’hui quantifié et modélisé de façon précise. En témoigne par exemple la controverse entre Courtillot et al. (2007) et Bard et Delaygue (2008) qui a eu un écho certain sur la scène médiatique française.

4. Peut-on prévoir le climat futur ?

20L’avenir du climat de la Terre, à l’échelle de quelques générations, est évidemment la question qui se pose aujourd’hui et motive toute l’activité scientifique synthétisée par les rapports du GIEC. Si la réalité du changement climatique observé actuellement et depuis un siècle ne fait pas place au doute et si la responsabilité des activités humaines dans les changements observés est aussi difficilement contestable, la part de l’incertitude qui est associée à l’exercice difficile de la simulation du climat futur est souvent mal évaluée et mal comprise. La simulation du climat futur comporte deux éléments bien distincts :

  • des scénarios d’évolution des émissions de gaz à effet de serre pour le siècle à venir, prenant en compte les évolutions démographiques, technologiques, économiques et géopolitiques susceptibles d’intervenir. Ces scénarios n’ont bien évidemment aucun caractère déterministe ; ils illustrent une partie de la diversité des choix qui s’ouvrent à la communauté internationale, entre la poursuite d’une croissance des émissions de gaz à effet de serre selon le rythme actuel (business as usual) jusqu’à des politiques volontaristes de réduction des émissions conduisant à une stabilisation des concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à des niveaux permettant de contenir le changement climatique dans des limites considérées comme « peu dangereuses ».

  • la simulation par des modèles de climat, sous l’effet combiné de l’augmentation des gaz à effet de serre et des multiples interactions qui se produisent au sein du « système climatique » ; le système climatique implique donc, à des degrés divers, l’atmosphère, l’océan, les glaces polaires (la « cryosphère »), les surfaces continentales et la biosphère.

21Les modèles de climat nécessitent une très grande puissance de calcul ; ils sont développés dans une vingtaine de centres de recherches dans le monde ; en France, deux modèles couplés fournissent des simulations, celui de l’Institut Pierre-Simon Laplace et celui de Météo-France (BRACONNOT et al., 2009). A l’origine des modèles climatiques, on trouve les modèles de circulation générale de l’atmosphère, qui permettent, pour les besoins de la prévision météorologique, de prévoir des états futurs de l’atmosphère terrestre à quelques jours de distance. Au pas de temps qui est celui de la prévision météorologique, il est raisonnable de négliger pour l’essentiel, les interactions entre l’atmosphère, l’océan et les autres éléments du système climatique. Il n’en est évidemment pas de même dans la simulation du climat futur, à l’échéance de quelques dizaines d’années. Les modèles climatiques sont donc des modèles « couplés », qui associent des représentations physiques des circulations atmosphérique et océanique, de l’évolution des glaces et des surfaces continentales, des cycles biogéochimiques et de la biosphère. Les modèles climatiques sont testés et validés sur leur capacité à reproduire les observations climatologiques du passé récent avant de produire des simulations prospectives, « forcées » par les scénarios d’évolution de la composition de l’atmosphère et du bilan radiatif global. Ces simulations ne fournissent pas une prédiction déterministe de la succession des états de l’atmosphère et des variables climatiques pour différentes dates du futur, mais une représentation statistique de ce que pourrait être le climat dans quelques décennies (figure 5).

Figure 5 : Variabilité des températures moyennes de l’été (juin, juillet, août) observées sur la France pour les années 1900-2003 (carrés gris), et simulées (triangles noirs) par le modèle couplé de Météo-France pour les années 1961-2003 pour le scénario d’augmentation des émissions de gaz à effet de serre SRES-A2

Figure 5 : Variabilité des températures moyennes de l’été (juin, juillet, août) observées sur la France pour les années 1900-2003 (carrés gris), et simulées (triangles noirs) par le modèle couplé de Météo-France pour les années 1961-2003 pour le scénario d’augmentation des émissions de gaz à effet de serre SRES-A2

Noter que la période (1961-2003) de « recouvrement » des données observées et simulées ne correspond pas à une simulation exacte des températures observées, mais que l’étendue des domaines de variabilité est la même ; noter également la situation particulière de l’été 2003, exceptionnel au regard des données du passé, mais proche de la moyenne des données simulées pour la 2ème moitié du XXIème siècle.

Source : ONERC

22Les incertitudes associées à la simulation des climats futurs restent très grandes, malgré les progrès spectaculaires accomplis dans les 20 dernières années. La pratique systématique de l’inter-comparaison des résultats des modèles couplés, encouragée et organisée par le GIEC, permet de mesurer la part de l’incertitude associée à la conception des modèles. Les divergences parfois sensibles entre les simulations de modèles pour un même scénario d’évolution des teneurs en gaz à effet de serre mettent en évidence les limites de ces modèles :

  • les tendances liées à l’évolution du bilan radiatif et à l’augmentation des températures moyennes représentent l’aspect le plus « robuste » des simulations climatiques, point sur lequel l’ensemble des modèles climatiques sont en accord.

  • l’évolution des éléments du bilan hydrique (précipitations, écoulement, réserve en eau des sols) comporte une part d’incertitude bien plus importante, en raison de la difficulté à représenter physiquement l’ensemble des processus qui leur sont associés, tels que le développement des nuages et les échanges précis entre l’atmosphère et les surfaces océaniques ou continentales.

  • les questions liées à la fréquence ou l’ampleur des phénomènes extrêmes (vagues de chaleur ou vagues de froid, cyclones tropicaux et tempêtes, pluies intenses), phénomènes qui suscitent un intérêt particulier en raison des enjeux associés aux catastrophes climatiques, restent un défi pour l’amélioration des modèles climatiques.

23Une autre limite fréquemment évoquée des modèles climatiques est celle de leur résolution spatiale et de leur aptitude à des simulations « régionales ». Malgré l’augmentation rapide de la puissance de calcul et des approches nouvelles telles que la résolution variable, les modèles ne simulent de façon précise que les changements et évolutions globales, à l’échelle des grands systèmes de la circulation atmosphérique. Un exemple des limites de la résolution des modèles a été ainsi donné par le projet Prudence, coordonné par l’Institut Météorologique Danois. Ce projet a mis en œuvre des simulations du climat de l’Europe pour le XXIe siècle, l’accent étant mis sur les phénomènes extrêmes et les impacts dangereux du changement climatique induit par l’augmentation des gaz à effet de serre (DÉQUÉ et al., 2005). Pour la France, ce programme prévoit une augmentation générale des températures, plus marquée en été ; la France se trouve au contact d’une Europe méditerranéenne qui devrait subir une baisse significative des précipitations et des sécheresses plus accusées et d’une Europe du Nord qui devrait connaître une augmentation des précipitations hivernales et de l’écoulement des cours d’eau au printemps (et sans doute du risque d’inondation), mais la limite entre les domaines reste floue. De même, ce programme montre clairement la difficulté pour les modèles à simuler d’autres phénomènes dangereux telles que les tempêtes. La géographie climatique du monde futur est encore loin d’être établie et nécessitera encore des progrès significatifs des outils de simulation.

  • 8 Cf note 5

24Comprendre les limites des simulations du climat futur ne conduit pas pour autant au scepticisme sur la réalité du changement climatique en cours, sur le rôle des activités humaines dans ce changement et sur les impacts potentiels des changements attendus au cours du XXIe siècle. Il est en effet un point sur lequel les modèles de simulation sont globalement tous en accord : l’ampleur du changement climatique à venir dépend avant tout du forçage radiatif lié aux concentrations de gaz à effet de serre qui seront atteintes dans ce siècle. L’étendue de la « fourchette » du réchauffement global susceptible de se produire d’ici la fin du siècle, entre 1,5 et 6,5°C, dépend beaucoup plus des scénarios d’évolution démographique, économique et géopolitique du monde que des incertitudes des modèles physiques. Les modèles de climat sont fondés et étalonnés sur le présent et le passé récent du climat ; ils doivent être considérés comme relativement « conservateurs », en ce sens qu’ils ne sont pas à même de prendre en compte toutes les interactions susceptibles de jouer dans le système climatique. Tous les modèles climatiques sont en accord sur un point : plus le changement climatique futur nous éloignera de l’état actuel du système complexe qu’est le climat, plus grand sera le risque de ce qu’il est convenu d’appeler des « bifurcations » du système, c'est-à-dire des dérives du climat vers des modifications extrêmes, difficilement prévisibles et probablement irréversibles. La nécessité de répondre aux besoins d’une politique mondiale destinée, selon les termes déjà cités de la CCNUCC (1992) à « stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique », a conduit à proposer de limiter la hausse de la température globale planétaire au seuil de 2°C, en deçà duquel le risque de dérive dangereuse du climat resterait limité. Bien qu’un tel seuil puisse paraître arbitraire d’un point de vue scientifique, il a été utilisé pour déterminer les objectifs de limitation de la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère terrestre, et donc des plafonds d’émissions admissibles dans la première moitié du XXIe siècle (MEINHAUSEN et al., 2009). L’objectif de limitation de la concentration en gaz à effet de serre de 550 ppm eqCO2, soit 450 ppm pour le seul CO28, a été ainsi au cœur des négociations internationales de ces dernières années. Ce seuil serait aussi selon les économistes (STERN et al., 2007), celui à partir duquel le coût des conséquences du changement climatique pourrait être maintenu dans des limites compatibles avec le maintien du développement mondial.

5. Agir sur le climat ?

25Bien plus que sur la réalité du changement climatique et les incertitudes du climat futur, c’est en grande partie le coût économique et politique de l’adaptation et de la lutte contre le changement climatique qui suscite en réalité les controverses (DESSLER et PARSON, 2006). L’analyse des incertitudes scientifiques concernant le futur du climat est tout à fait légitime, mais le déni de la réalité du changement climatique ou des mécanismes de l’effet de serre additionnel qui en est la cause sont souvent motivés par le refus des politiques préconisées pour limiter les effets du changement climatique. De l’affirmation par le Président des États-Unis George Bush père, lors de la conférence de Rio en 1992 que « le mode de vie américain n’est pas négociable », à l’échec de la politique de limitation des émissions de carbone consécutive au protocole de Kyoto (1997) et à celui de la conférence de Copenhague en décembre 2009, l’accumulation des indices du changement climatique et la réduction des incertitudes scientifiques n’ont pas suffi à convaincre de la nécessité de politiques volontaristes dans ce domaine. Lorsque le diagnostic scientifique est destiné à préciser la nature des contraintes qui pèsent sur les choix qui s’imposent à nos sociétés, la tentation est grande de contester le diagnostic plutôt que d’affronter des choix qui dérangent.

26La nature et la difficulté de ces choix a été clairement formulée lors de la préparation de la conférence de Copenhague : une limitation à 2°C de l’augmentation de la température globale de la planète au cours du XXIe siècle nécessiterait une réduction de 50 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050. Pour les pays développés, historiquement responsables de 80 % au moins du changement climatique depuis le XIXe siècle, et aujourd’hui encore de 60 % des émissions annuelles, cette réduction devrait être de 75 % en 40 ans ; en France, le « Facteur Quatre » (réduction de ¾ des émissions) reste l’objectif annoncé. Une telle évolution ne semble pas pouvoir résulter des seuls progrès et choix technologiques ; dans le cas de la France, l’évolution dans les vingt dernières années des émissions de gaz à effet de serre souligne l’importance des choix de société qu’impose cette réduction (tableau 1). Si les émissions liées à la production d’énergie primaire, à l’industrie et même à l’agriculture ont pu diminuer grâce à l’amélioration des procédés et à des choix technologiques favorables, il n’en est pas de même pour les deux secteurs qui sont le plus directement liés à nos modes de vie individuels, le transport et en particulier le transport routier, et le secteur résidentiel et tertiaire (qui inclut les consommations individuelles d’énergie pour le logement et les activités quotidiennes).

Tableau 1 : Émissions de gaz à effet de serre en France, contribution des secteurs d’activité et évolution 1990-2008

Energie production transformation

Industrie

Transport

Dont transport routier

Résidentiel Tertiaire

Agriculture sylviculture

Total

PRG en Mt CO2

65

113

131.1

122

99

108

557.6

Contribution par secteur (%) en 2008

12,6

21,9

25,4

23,6

19,2

20,9

Evolution 1990-2008 (%)

-15,6

-28,0

+11,5

+10,9

+11,2

-7,7

-7,5

PRG = pouvoir de réchauffement global de l’ensemble des gaz à effet de serre (en millions de tonnes équivalent CO2). Cf. note 5 pour la définition du PRG.

Source : CITEPA, 2011.

27Un autre aspect des difficultés de mise en place d’une politique efficace de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle planétaire, qui a fortement pesé sur l’échec de Copenhague, est la question géopolitique. Déjà très présente lors de la négociation du protocole de Kyoto (1997), la dimension géopolitique du problème climatique s’est encore renforcée depuis. La distinction binaire entre pays développés (pays dits de l’annexe I - seuls soumis à la réduction de leurs émissions) et pays en développement, qui avait prévalu dans le cadre de Kyoto, paraît aujourd’hui très insuffisante pour une juste répartition des efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Alors que, de 1990 à 2007, les émissions par habitant des Etats-Unis ont légèrement décru (de 19,5 à 17,2 t/hab/an, que celles des Européens sont passées de 9,1 à 7,9 t/hab/an, les émissions des Chinois presque ont triplé pour atteindre 6,1 t/hab/an et celles des Indiens ont doublé mais ne sont encore que de 1,4 t/hab/an…

Conclusion

28C’est donc dans un contexte de guerre économique et d’affrontements géopolitiques que doivent aujourd’hui se prendre les grandes décisions sur l’avenir du climat. Dans ce contexte, les incertitudes scientifiques évaluées avec plus ou moins de précision par les climatologues deviennent un enjeu important. C’est une raison supplémentaire pour lire dans le détail les travaux originaux des climatologues, dans leur version intégrale, et ne pas se contenter du débat superficiel qui nous est trop souvent proposé dans le contexte d’affrontements partisans.

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Notes

1 http://www.ipcc.ch

2 C’est l’affaire dite du « Climategate », qui fait suite à la divulgation des courriels de la Climatic research Unit de l’Université d’East Anglia.

3 Glaciers in the Himalaya are receding faster than in any other part of the world […] and, if the present rate continues, the likelihood of them disappearing by the year 2035 and perhaps sooner is very high if the Earth keeps warming at the current rate. (IPCC, 2007b, p 493). Cette erreur a été reconnue par le GIEC, et semble résulter de la citation du rapport d’une ONG (WWF Nepal Program, 2005).

4 L’objectif présenté comme nécessaire avant la conférence de Copenhague était une réduction de 50 % des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial d’ici 2050, soit une réduction de 75 % des émissions (« facteur 4 ») pour les pays développés.

5 Les différents gaz ne contribuent pas tous à la même hauteur à l'effet de serre. En effet, certains ont un pouvoir de réchauffement plus important que d'autres et/ou une durée de vie plus longue. La contribution à l'effet de serre de chaque gaz se mesure grâce au Pouvoir de Réchauffement Global. Le pouvoir de réchauffement global d'un gaz se définit comme le forçage radiatif (c'est à dire la puissance radiative que le gaz à effet de serre renvoie vers le sol), cumulé sur une durée de 100 ans. Cette valeur se mesure relativement au CO2.

6 Joseph Fourier, Remarques générales sur les températures du globe terrestre et des espaces planétaires, Annales de Chimie et de Physique, 2ème série, XXVII, 1824, pp. 136-167.

7 Svante Arrhenius, « On the Influence of Carbonic Acid in the Air upon the Temperature of the Ground », dans Philosophical Magazine and Journal of Science, vol. 5, no 41, avril 1896, pp. 237-276.

8 Cf note 5

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Table des illustrations

Titre Figure 1 : Variabilité interannuelle et évolution depuis 1880 de la température moyenne de surface planétaire (continents et océans)
Crédits Données : NASA-GISS Land-Ocean Temperature Index 1880-90 (Hansen et al., 2006), Hadley Centre-MetOffice Crutem 3 -stations continentales seulement- (Brohan et al., 2006).Les températures représentées sont des écarts à la moyenne de référence 1951-80. En noir, les données du Goddard Institute for Space Studies (GISS) combinent les observations terrestres (températures de l’air) et marines (températures de surface de la mer) ; en gris, les données du Hadley Centre représentent les seules observations terrestres.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tem/docannexe/image/1424/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 136k
Titre Figure 2a : Évolution de la température moyenne annuelle de la France de 1901 à 2006.
Crédits Source : données Météo-France (66 stations homogénéisées).
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tem/docannexe/image/1424/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 168k
Titre Figure 2b : Augmentation de la température moyenne minimale et maximale en France pendant le XXème siècle
Crédits Source : Météo-France.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tem/docannexe/image/1424/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 96k
Titre Figure 3 : Extension de la banquise permanente de l’Arctique en septembre 2007, comparée à l’extension moyenne pendant les années 1979-2006
Crédits Source : NSIDC http://nsidc.org/​arcticseaicenews/​
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tem/docannexe/image/1424/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 316k
Titre Figure 4a : Contribution totale des différents forçages radiatifs du changement climatique (W.m-2)
Crédits Source : IPCC, 2007a
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tem/docannexe/image/1424/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 212k
Titre Figure 4b : Modélisation du réchauffement et contribution des différents forçages radiatifs.
Crédits Source : IPCC, 2007a
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tem/docannexe/image/1424/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 248k
Titre Figure 5 : Variabilité des températures moyennes de l’été (juin, juillet, août) observées sur la France pour les années 1900-2003 (carrés gris), et simulées (triangles noirs) par le modèle couplé de Météo-France pour les années 1961-2003 pour le scénario d’augmentation des émissions de gaz à effet de serre SRES-A2
Légende Noter que la période (1961-2003) de « recouvrement » des données observées et simulées ne correspond pas à une simulation exacte des températures observées, mais que l’étendue des domaines de variabilité est la même ; noter également la situation particulière de l’été 2003, exceptionnel au regard des données du passé, mais proche de la moyenne des données simulées pour la 2ème moitié du XXIème siècle.
Crédits Source : ONERC
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tem/docannexe/image/1424/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 176k
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Pour citer cet article

Référence papier

Claude Kergomard, « Changement climatique : certitudes, incertitudes et controverses »Territoire en mouvement Revue de géographie et aménagement, 12 | 2012, 4-17.

Référence électronique

Claude Kergomard, « Changement climatique : certitudes, incertitudes et controverses »Territoire en mouvement Revue de géographie et aménagement [En ligne], 12 | 2012, mis en ligne le 01 janvier 2014, consulté le 23 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tem/1424 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/tem.1424

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Auteur

Claude Kergomard

Professeur
École normale supérieure
Département de géographie
48 boulevard Jourdan
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claude.kergomard@ens.fr

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