1Les bois archéologiques « gorgés d’eau » sont ainsi appelés parce que l’eau est à la fois leur milieu de conservation et l’élément qui va, au fil du temps, lentement solubiliser la cellulose du bois et occuper l’espace ainsi libéré par la perte de matière. L’eau permet alors de préserver la forme de l’objet en évitant l’effondrement du matériau. Le traitement par immersion dans des solutions d’eau et de polyéthylène glycol (PEG) constitue la méthode la plus couramment utilisée dans le monde par les ateliers de conservation spécialisés.
2Les PEG sont des molécules à haut poids moléculaire issues de l’industrie de la pétrochimie. Ils sont constitués d’une longue chaîne carbonée aliphatique, plus ou moins hydrosoluble grâce à ses fonctions éthers et alcools.
3Cette famille de molécules présente l’avantage de ne pas être toxique, qualité qui se transforme en inconvénient puisqu’un certain nombre de micro-organismes peuvent coloniser ce milieu. Ils peuvent dès lors constituer un risque sur le plan sanitaire, mais également pour la conservation des objets. Ces micro-organismes, bactéries aérobies, anaérobies et levures pour ne citer que les plus importants, proviennent essentiellement du sédiment d’enfouissement et sont véhiculés par l’eau présente dans les bois archéologiques.
4Pour faire face à ce problème récurrent de contamination biologique, l’atelier ARC-Nucléart a progressivement développé une stratégie fondée sur la filtration et la désinfection en continu afin de recycler en permanence les 130 000 litres de solution de PEG qu’il utilise. Ceci a permis dans le même temps de maintenir la qualité des bains durant tout le processus d’imprégnation et de diminuer les rejets et les achats de matière première. Ainsi, il a été possible de réduire significativement l’impact de ces traitements sur l’environnement.
5Les imprégnations de consolidation des bois durent au minimum huit mois, soit généralement deux bains de quatre mois à concentration croissante, 20 % puis 35 % massique de PEG. La faible concentration du premier bain permet de limiter la pression osmotique et d’éviter que l’eau, très mobile, ne sorte de l’objet avant que le consolidant visqueux (PEG) ait pu y pénétrer.
6Au départ incolore et translucide, le bain de polyéthylène glycol se charge progressivement en matières en suspension (MES) au cours du traitement. Ces particules peuvent être de nature minérale (restes de sédiment), organique mais inerte (particules de bois), ou encore constituées de micro-organismes en activité, des bactéries ou des levures qui prolifèrent dans le milieu liquide (organismes planctoniques). La solution de PEG se charge, dans le même temps, en substances dissoutes telles que des colorants (tanins issus du bois, sels contenant du fer issus des parties métalliques corrodées). On trouve également d’autres substances dont éventuellement des produits biocides et les sous-produits de leur dégradation.
7Il en résulte un trouble du liquide, dû à la quantité de MES et, lorsque celle-ci devient trop importante, une opacification totale du bain, accompagnée d’odeurs désagréables (fig. 1). En dehors de l’aspect purement sanitaire et de l’image négative que peut renvoyer un tel bain, des interactions avec les objets sont possibles, potentiellement néfastes à leur conservation : recouvrement des surfaces par un biofilm, coloration noire et accumulations de produits instables à l’air ou de composés organiques volatils (COV) indésirables.
Fig. 1. Les matières en suspension (MES) à l’origine de la pollution des bains de PEG
8Une des altérations classiques des objets archéologiques en cours de traitement est l’apparition d’un biofilm. Les bactéries anaérobies sulfato-réductrices, sensibles à l’oxygène, se mettent alors à proliférer sous le biofilm et, par leur activité métabolique en présence de sulfates, conduisent à la formation de soufre à l’état réduit qui va se combiner avec le fer, présent sous forme d’oxyde, en composés ferro-soufrés, les sulfures de fer qui vont donner une coloration noire au bois. En outre, le film bactérien qui enveloppe les objets peut limiter les échanges eau-PEG et freiner l’imprégnation de consolidant.
9En raison de l’accumulation des polluants – particules, micro-organismes, colorants, biocides, gaz dissous ou colloïdes non-décantables –, les bains de PEG sont alors impropres à une réutilisation à l’issue du traitement.
10L’achat du PEG et son élimination par incinération représentent une part très significative du coût global d’un traitement. La mise aux déchets d’importantes quantités de solutions de PEG est donc un non-sens économique et environnemental, alors que le PEG lui-même n’est pas altéré durant le traitement et qu’il garde toutes ses propriétés de consolidant.
- 1 Reach est un règlement européen (n° 1907/2006) entré en vigueur en 2007 pour sécuriser la fabricati (...)
11Le premier réflexe pour allonger la durée de vie des bains est d’ajouter des biocides afin de limiter la prolifération des micro-organismes et l’accumulation de produits indésirables. Les biocides à spectre large sont particulièrement efficaces, mais ils sont toxiques, faiblement biodégradables et s’accumulent dans les bains. De plus, les normes actuelles sur les produits chimiques (norme Reach1) limitent la gamme autorisée et interdisent déjà les plus toxiques, qui sont aussi les plus efficaces. Pour avoir une action sur l’ensemble des micro-organismes, il faudrait donc effectuer des combinaisons complexes, difficiles à mettre en œuvre, ce qui pose le problème des interactions non maîtrisées entre plusieurs principes actifs.
12Une réflexion a été menée pour parvenir à maintenir constante la qualité des bains, d’abord en sélectionnant d’autres biocides puis en choisissant de s’en affranchir. Le principe était donc, non pas d’ajouter un ou des produits actifs, mais au contraire d’extraire le plus possible les éléments qui posent problème. Comment régénérer les bains afin de retirer ce qui les rend impropres à la réutilisation ? Peut-on transformer cette phase passive de traitement en une phase active ?
13La solution mise en place comprend un ensemble d’actions qui ont pour but de transformer des bains stationnaires passifs et non contrôlés en bains dynamiques et méticuleusement surveillés, avec un certain nombre de paramètres indicateurs de leur bonne qualité.
14Nous avons choisi d’adapter à nos équipements des techniques utilisées dans le domaine de la dépollution de l’eau. Les méthodes décrites ci-dessous – une aération active des bains, la microfiltration et un traitement UVc germicide – sont combinées en un système global (fig. 2) qui vise à obtenir le bain le plus sain possible, contenant quasi-exclusivement du PEG et de l’eau.
Fig. 2. Schéma du système global de nettoyage : circuit, filtres, porte-filtres et lampes
15Le système d’aération des bains (« skimmer » de piscine ou autres dispositifs immergés de bullage) est facile à mettre en œuvre pour empêcher la prolifération de la flore anaérobie qui représente une partie de la population bactérienne à l’origine de troubles, de mauvaises odeurs, de colorations noires des objets, sans parler des risques sanitaires potentiels. Cette opération favorise cependant les bactéries aérobies dont le développement doit être limité.
16La clarification du bain va être obtenue essentiellement par la mise en place d’une filtration des micro-particules au moyen de filtres permettant de retirer du bain une grande partie des MES. La microfiltration est une action mécanique permettant de retenir des particules en s’opposant à leur passage au moyen d’une grille à la maille extrêmement fine (2 µm). Les filtres de forme cylindrique d’environ 50 cm de haut pour 20 cm de diamètre sont constitués d’une toile de polypropylène tissé, matériau résistant et inerte chimiquement (fig. 3). Cette toile est repliée en accordéon pour augmenter la surface de filtration à 5 m2 par filtre. Cela permet, avec un volume et un encombrement réduits, de fixer une quantité plus grande de particules, de retarder le colmatage et de minimiser les interventions de maintenance. La durée de vie de ces filtres peut être longue puisque, lorsqu’ils sont colmatés, ils peuvent être nettoyés au jet d’eau un certain nombre de fois et réutilisés pendant plusieurs années. L’eau de nettoyage ne contient alors qu’un infime pourcentage de PEG, biodégradable à faible concentration, et des matières issues du milieu d’enfouissement.
Fig. 3. Le matériel utilisé pour la filtration des bains, filtres à particules d’une maille de 2 µm ; à droite, un filtre utilisé après lavage à l’eau en partie basse
© ARC-Nucléart.
17Néanmoins, malgré leur efficacité, ces filtres ne suffisent pas à éliminer complètement le trouble du bain imputable à d’autres éléments, comme les particules colloïdales et les bactéries, de taille submicronique (de 0,4 µm à quelques microns pour les bactéries).
18Il existe un type de filtre à 0,2 µm capable de retenir des éléments aussi petits, mais son utilisation a un coût très élevé car il est non lavable et à usage unique. La nano-filtration est donc réservée très ponctuellement à la capture des particules colloïdales pour lesquelles les filtres de 2 µm sont inefficaces.
19Pour empêcher la colonisation de la solution de traitement par des bactéries aérobies favorisées par l’aération, le bain est exposé à un rayonnement UVc. L’irradiation UVc constitue une méthode physique très employée dans la potabilisation de l’eau. Pour que les UVc soient efficaces malgré leur faible pouvoir de pénétration dans l’eau, le liquide circule en très faible épaisseur autour de la source. Les UVc agissent sur les micro-organismes en altérant leur ADN, ce qui bloque leur mécanisme de réplication. Le processus de multiplication qui permet aux populations microbiennes de croître de manière exponentielle et d’envahir l’ensemble du milieu est ainsi arrêté. La population microbiologique est maîtrisée et non pas éliminée. Le bain filtré est dirigé vers le dispositif UVc, constitué d’un tube inox à l’intérieur duquel est introduit un second tube en quartz de 50 cm de long pour environ 4 cm de diamètre. Dans l’espace entre les deux tubes – n’excédant pas 2 cm –, le liquide est exposé à une irradiation UVc produite par un néon à vapeur de mercure d’une puissance de 36 watts. La durée de l’exposition est très courte, de l’ordre de la dizaine de secondes. Il s’agit d’une stérilisation flash qui permet de ne pas endommager le PEG, par ailleurs protégé de la photo-oxydation par l’eau qui l’entoure.
20Pour obtenir de bons résultats avec la désinfection par UVc, le milieu doit être le plus transparent possible, donc débarrassé au maximum des MES par les filtres à particules déjà cités. Ce n’est pas toujours suffisant, le bain doit contenir peu de substances dissoutes, en particulier peu de colorants (tanin, oxyde de fer) qui diminuent l’action des UVc.
21Pour décolorer efficacement et éliminer les substances dissoutes, telles les molécules non chargées et les ions, il est utilisé un système de filtration qui consiste à retenir chimiquement, et non pas mécaniquement, les polluants. La filtration chimique est fondée sur un système en lit fluidisé, c’est-à-dire une technique de percolation consistant à faire passer le liquide à travers une colonne de matériau granulaire ayant une affinité chimique avec la substance à retirer. Dans notre cas, le lit fluidisé est contenu dans un cylindre creux de même format que les filtres à particules. Il est muni en son centre d’une bobine filtrante pour empêcher les grains du lit fluidisé de s’échapper vers le bain. Cette technique permet de retenir un grand nombre de substances, même si elles sont très diluées. Deux types de matériaux sont utilisés : le charbon actif, dont les grains très poreux permettent de retenir à la fois chimiquement et physiquement les grosses molécules et des gaz dissous ; les résines échangeuses d’ions, qui ont une affinité pour des molécules de plus petite taille à charge électrostatique positive ou négative. Les lits de résine et de charbon sont régulièrement remplacés (fig. 4). Ils constituent alors des déchets peu importants en volume, faciles à incinérer.
Fig. 4. Les filtres chimiques à lit fluidisé. Dans la partie haute, le charbon actif, dans la partie basse, la résine échangeuse d’ions
© ARC-Nucléart.
22Grâce à son expérience dans la gestion des bains de PEG, ARC-Nucléart a établi des protocoles de traitement de plus en plus efficaces qui permettent d’associer les quatre dispositifs décrits précédemment : la micro-filtration, l’oxygénation par bullage, la stérilisation par UVc et la filtration chimique. Nous avons fait le choix de matériel standardisé afin de disposer de pièces interchangeables et de construire un système global, polyvalent et adaptable.
23Pour parfaire le système, l’ajout ponctuel d’acide citrique, biodégradable et non toxique, peut être nécessaire pour éviter l’alcalinisation du bain (due en grande partie à la désionisation des solutions), afin de maintenir le bain à un pH compris entre 5 et 6. Ce milieu légèrement acide est défavorable à la multiplication de la plupart des populations bactériennes. Cette adjonction, la seule que nous nous permettons encore, est essentielle pour limiter la formation de biofilm à l’interface bois-bain intervenant préférentiellement au-dessus de pH 7.
24Pour connaître l’état microbiologique des bains, des analyses sont réalisées mensuellement à partir de prélèvements. Cela permet de vérifier le bon fonctionnement du système de régénération des solutions de PEG et d’intervenir de façon préventive sur le système avant que la qualité du bain ne se dégrade en cas de dysfonctionnement (encrassement du quartz du dispositif UVc, lampe UV grillée ou coloration trop importante du bain). D’autres paramètres, comme la température, le pH, la concentration sont également suivis. Des analyses sont effectuées pour déterminer la qualité du PEG. Pour cela, la longueur des chaînes moléculaires est contrôlée tous les six mois au moyen d’une analyse par chromatographie liquide à haute pression (HPLC) (fig. 5). Nous évaluons par ailleurs mensuellement, au moyen d’analyses par IRTF, l’oxydation du polymère, altération possible en raison de l’exposition continue au rayonnement UVc.
Fig. 5. Contrôle de la qualité du PEG exposé au rayonnement UVc par recherche de coupures de chaînes ; comparaison du temps d’élution sur colonne HPLC avec détection à 190 nm par rapport à un PEG neuf (courbe bleue du haut)
25Ce suivi est réalisé par ARC-Nucléart depuis plus de cinq ans. L’absence d’évolution par rapport à des échantillons de PEG neuf indique que le consolidant n’est pas altéré par le recyclage des bains.
26La régénération des bains de PEG permet la réduction à la fois des coûts de fonctionnement et de l’impact sur l’environnement. Par ailleurs, la disparition des biocides entraîne une réduction de l’impact sur les opérateurs et sur la conservation à long terme des objets. La transparence des bains rend possible désormais une surveillance tout au long du traitement et chaque objet bénéficie d’un bain continûment propre, dans lequel il est le seul agent contaminant.
27Ce qui était à la base une recherche d’économie et de durabilité est devenu un élément incontournable du traitement. Le résultat en termes de qualité est si probant qu’il apparaît désormais difficile de s’en passer dans les traitements au PEG (fig. 6). Pour ces raisons, des relations ont été établies avec d’autres ateliers souhaitant s’équiper en dispositifs de filtration continue.
Fig. 6. La régénération d’un bain pollué par l’accumulation de particules et de substances dissoutes
À gauche, bain non traité ; au centre, bain traité par micro-filtration ; à droite, bain traité par micro-filtration et charbon actif
© ARC-Nucléart.
28Le risque d’un envahissement du bain par des micro-organismes et de la formation d’un biofilm sur les objets est toujours à envisager en cas de panne du système. Mais ce qui était un état de fait devient un accident ponctuel et gérable. Le bain, même fortement pollué, peut toujours être régénéré par filtration et UVc ; ce n’est toutefois pas le cas des surfaces (artefacts, étagères…) qui doivent être rincées à l’eau en fin de traitement si du biofilm s’est développé.
29Un autre avantage, dû une fois de plus au phénomène d’osmose, demande encore à être quantifié. Du fait du mouvement naturel des ions depuis un milieu hypertonique (chargé) dans les bois vers un milieu hypotonique (dilué) dans le bain, l’assainissement progressif et constant du bain peut avoir un impact positif sur les objets eux-mêmes. Par conséquent, cette méthode de purification des bains, par l’appauvrissement constant du milieu en sels, peut être considérée comme une forme de nettoyage en volume des objets. Certes, ce processus est particulièrement lent, mais également continu, homogène, dynamique et, du fait du temps d’immersion, potentiellement efficace. Une étude devrait prochainement être initiée pour quantifier l’extraction des contaminants présents dans les bois, en particulier celle des composés soufrés et ferreux.