- 1 Mottin B., 2007-2008, p. 71-80.
- 2 Mottin B., 2014.
1L’étude de laboratoire des tableaux de Gustave Courbet réserve fréquemment des surprises, car ce maître extraordinairement créatif n’a jamais hésité à transformer radicalement ses compositions au cours de leur élaboration1. L’examen des Trois baigneuses du musée du Petit Palais en est un exemple particulièrement frappant, comme nous avons tenté de le montrer dans un précédent texte dont nous présentons ici les lignes saillantes2.
2L’œuvre représentant les Trois baigneuses n’a pas été conçue d’emblée comme une peinture. C’était initialement une simple feuille d’étude sur papier épais, de plus petit format que la peinture actuelle, qui a été utilisée par Courbet pour mettre au point des compositions successives. Celles-ci peuvent être observées grâce à la radiographie (fig.4 de l’article Collet-Sindaco), à la réflectographie infrarouge et à l’imagerie par spectrométrie de fluorescence X. Le peintre a d’abord utilisé sa feuille en la disposant en longueur pour esquisser une femme nue allongée au bord de l’eau, accoudée sur un rocher. La composition peut être datée vers 1862, par analogie avec un Nu au ruisseau qui a été redécouvert récemment au musée El Guézireh du Caire. Mais Courbet ne s’est pas arrêté là ; à la manière d’Ingres, qui superpose des variantes à ses compositions, le peintre a transformé la pose en redressant les bras de la jeune femme au-dessus de sa tête, pour créer une figure dont les contours sinueux sont en rapport avec les recherches de stylisation qu’il mène autour de 1868.
3Vers 1868, Courbet s’intéresse également au thème des baigneuses debout, seules ou en groupe, dont l’une des versions les plus célèbres est La Source du musée d’Orsay (RF 2240, fig. 1). L’œuvre représente aujourd’hui une femme nue vue de dos se baignant dans un sous-bois, mais la radiographie montre que la composition en recouvre une autre, à trois baigneuses, qui ressemble fortement à la composition du Petit Palais (fig. 2). On note que Courbet a hésité, pour le tableau aujourd’hui au musée d’Orsay, sur l’attitude du nu le plus à gauche, car son image apparaît floue sur la radiographie. Pour retravailler cette figure, le peintre est revenu à sa feuille d’étude, qu’il a basculée dans un sens vertical. Il, a modifié les proportions du nu allongé pour en faire une baigneuse glissant dans l’eau, a ajouté une femme nue vue de dos sur la droite et a glissé entre les deux jeunes femmes la tête d’un troisième personnage. Cet exemple de transformation d’une composition en une autre par basculement de 90 degrés est emblématique de la dextérité du peintre et semble unique dans l’histoire de la peinture. Pendant une brève période, les œuvres du musée d’Orsay et du Petit Palais ont donc été semblables, avant de suivre des voies divergentes. Pour La Source, Courbet a choisi de ne retenir que le personnage de droite, au modelé sculptural. En revanche, il a développé le thème des trois baigneuses sur l’œuvre du Petit Palais en faisant passer la feuille d’étude au rang de peinture de chevalet grâce à son marouflage de la feuille sur un support de toile et à son agrandissement sur quatre côtés. Ayant ainsi aéré la scène, il a pu équilibrer la composition en déplaçant le nu de droite. Il aurait probablement terminé cette œuvre en peu de jours s’il n’avait participé aux événements de la Commune et si la composition ne lui avait été volée pendant son emprisonnement. Elle a été retrouvée chez un marchand quelques années plus tard, alors que Courbet était exilé en Suisse et n’a pu la retoucher.
Fig. 1. Gustave Courbet, La Source, huile sur toile. Paris, musée d’Orsay
© Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais/Patrice Schmidt.
Fig. 2. Gustave Courbet, La Source, radiographie
© C2RMF.