• 1 Prouté, 1980, p. 30-31.

1« Il avait, racontait le grand expert Paul Prouté (1887-1981), un œil anormal faisant fonction de loupe, cette anomalie devait lui être d’un grand appoint pour les travaux minutieux que représente ce genre de travail. »1

• 2 Il est le fils d’un cocher, Jean Henri Vigna.
• 3 Bulletin du bibliophile et du bibliothécaire, Paris, typographie Lahure, 1873, Nécrologie par Léon (...)

2Auguste-Gabriel Vigna s’est intéressé aux livres et à leur conservation. Nous possédons actuellement peu d’éléments concernant sa jeunesse. Né à Paris le 17 février 18212, il semble s’être formé à la restauration assez tôt. Sa notice nécrologique nous apprend en effet qu’« il s’était occupé, dans sa jeunesse, de dessin et de miniature »3, sans toutefois préciser la nature de son travail. Il semble qu’il commence son activité en association avec un dénommé Abry, un parent, et, dès leurs débuts, leurs travaux sont remarqués.

• 5 Tourneux, 1879, p. 74.
• 6 Bulletin du bibliophile..., 1873, p. 423-424.
• 7 Schweidler, 2006.
• 8 « VIGNA, laveur-restaurateur de livres, de tableaux et d’estampes, établi 201, rue Saint-Honoré, de (...)
• 9 AP, DQ7 10818. Ils résident au domicile familial situé au 201, rue Saint-Honoré à Paris. Paul-Antoi (...)

4Tout au long de sa carrière, la qualité du travail d’Auguste Vigna est remarquée ; il est reconnu à son époque comme le « premier laveur de livres de Paris »5. Sans nul doute, ses connaissances en chimie pour le blanchiment ou la teinte des papiers ou encore en matière de fabrication du papier font d’Auguste Vigna un restaurateur au sens où nous l’entendons aujourd’hui. « Les déchirures ou les lacunes de tout genre disparaissaient sous sa main habile ; il savait imiter ou replacer les filigranes ; et ces restaurations défiaient l’œil le plus exercé »6. Ces interventions ne sont pas sans évoquer les pratiques réalisées un peu plus tard par Max Schweidler (Berlin, 1885-après 1950), restaurateur de dessins, issu d’une famille de restaurateurs et réputé pour ses réparations invisibles7. En outre, les sources offrent peu d’information concernant son atelier, situé au 201, rue Saint-Honoré (1e arrondissement) à Paris8. Lorsqu’Auguste Vigna décède, ses deux fils, dont Paul (fig. 1), sont tous deux mentionnés comme artistes peintres, restaurateurs de livres, et liés à l’activité de leur père9.

• 10 Parmi les œuvres gravées de Vigna, citons une copie d’une gravure de Jean-François Janinet (1752-18 (...)

5L’Annuaire de la curiosité, des beaux-arts et de la bibliophilie fait état des différentes activités de Paul Vigna, entre 1911 et 1937, période au cours de laquelle il est mentionné comme « graveur10, réparateur de gravures et laveur de livres, restaurateur d’estampes, réparateur-restaurateur de livres et manuscrits anciens ».

• 11 Il s’agit de P. Vigneron, peintre graveur, spécialisé dans la « reconstitution des estampes du xvii (...)
• 12 Carteret, 1948, t. IV, p. 291.
• 13 La Fontaine, 1899, « Avant propos », vol. 1, p. XI.

6Si nous n’avons aucune information sur les débuts de Paul Vigna dans la restauration des livres, nous pouvons supposer que c’est auprès de son père et peut-être de son frère, Gabriel Xavier, qu’il a reçu sa formation. D’autre part, il participe à plusieurs projets en collaboration avec le graveur Vigneron11, notamment à deux ouvrages illustrés qu’ils signent Vigna-Vigneron, parus à la fin des années 1890. En 1898, est publié Paris dansant de Georges Montorgueil (1857-1934), dont les dessins d’Adolphe Willette (1857-1926) sont gravés en taille-douce en couleurs par Vigna-Vigneron. La préface précise que « Vigna, habile restaurateur de gravures anciennes, a innové un artistique procédé de reproduction en couleurs qui respecte l’original »12. L’année suivante Vigna et Vigneron gravent en couleurs vingt-six illustrations d’Antoine Borel (1743-1810) pour Les Amours de Psyché et de Cupidon, suivies d’Adonis, poème de Jean de La Fontaine en faisant « revivre les procédés de la gravure en couleurs du siècle dernier, avec suppression de la retouche finale au pinceau »13 (fig. 2).

• 14 Coural, Desserrières, Raymond, 2008, p. 179-190 et Raymond, 2004-2005, vol. II, p. 78.

8En 1909, il est recommandé par le conservateur des Peintures et des Dessins, Paul Leprieur, pour effectuer une mission au musée de Lille, alors confronté à une infestation de moisissures sur sa collection de dessins. Il préconise certaines méthodes pour la conservation des œuvres, comme la mise en réserve des dessins particulièrement fragiles tels que ceux réalisés à l’encre14.

• 15 Arch. nat. F/21/4474 et AMN, PL2 1930, 16 juin.
• 16 Arch. nat. F/21/4462-1.
• 17 Voir notamment le catalogue d’exposition, Rennes, 2007.
• 18 AMN, P2R1C 1910-1963.

9Il est aussi membre de la commission qui, en 1930, sous la présidence de Jean Guiffrey (1870-1952), mène les réflexions préalables à l’installation du laboratoire de recherches scientifiques du musée du Louvre pour en étudier les applications possibles dans le domaine des arts graphiques. La participation de Paul Vigna aux débats qui accompagnent cette création15 montre que sa compétence dans le domaine de la restauration des œuvres sur papier est largement reconnue. Selon lui, une des applications de celui-ci dans le domaine des arts graphiques serait l’étude des techniques et plus particulièrement « la matière des crayons qui ont été employés »16, utilisation que le laboratoire du C2RMF met aujourd’hui en pratique, notamment dans le domaine des techniques graphiques anciennes17. Vigna est également sollicité par la Commission de restauration des peintures du musée du Louvre lorsque des œuvres ont besoin de restauration. Ainsi, il est présent lors de la séance du 6 avril 1935, au cours de laquelle « le nettoyage, dépoussiérage des cartons de Jordaens » est décidé18.

• 19 Prouté, 1980, p. 30.

10« Officiellement un réparateur d’estampes et de dessins, il s’était acquis une renommé mondiale dans ce genre de travaux »19. Ainsi s’expliquent les relations qu’entretient Vigna avec d’autres marchands ou experts parisiens.

• 20 Id., p. 30-31.

11Dans les années 1920, alors que sa réputation de restaurateur est bien établie, il se lie d’amitié avec le marchand de dessins et d’estampes, Paul Prouté, lorsque ce dernier emménage à la même adresse, au 74, rue de Seine à Paris. Paul Prouté laisse un portrait évocateur de Vigna : « Il était grand et sec, le visage un peu anguleux, la face presque entièrement recouverte de boutons provoqués par les émanations des produits qu’il employait pour son travail, véritable chimie dont il tirait les meilleurs résultats. Jusqu’à la fin de sa vie, il conserva une démarche vive, un peu saccadée… »20.

• 21 Nous exprimons toute notre reconnaissance à la famille Prouté pour tous les renseignements qu’ils o (...)

12Hubert Prouté, son fils, nous a raconté une précieuse anecdote. Son père confiait à Vigna qu’il avait peu de considération pour les dessins de François Boucher (1703-1770). Pour lui démontrer le grand talent de l’artiste, Vigna, qui était lui aussi collectionneur, arrive le lendemain avec un petit dessin de Boucher représentant deux mains masculines et l’offre à Paul Prouté (fig. 3). Le dessin est toujours chez ses descendants21.

• 22 Georges Mayer est mentionné comme antiquaire (meubles anciens) et spécialisé dans la gravure du xvi (...)
• 23 Pour un descriptif des montages Mariette, nous renvoyons à Le Marois, 1984.
• 24 Prouté, 1980, p. 30.

13Parmi les connaissances de Vigna, citons le marchand de gravures, topographies et vues de villes, Ancelet. Il collaborait également avec le galeriste du faubourg Saint-Honoré, Georges Mayer22, avec qui il invente, dans les années 1920, un nouveau type de montage pour des œuvres de petits formats (aquarelles de fleurs ou paysages de l’école des Pays-Bas de la fin xviii^e-début xix^e siècle), inspiré des montages Mariette23 : passe-partout de couleur, filet encadrant la fenêtre et cartouche24. Des relations avec l’expert en peintures et en dessins du xix^e siècle, Hector Brame (1866-1936), sont aussi attestées.

• 25 D’Eylac, 1893, p. 112-113. L’ouvrage apparaît sous le n° 261 lors de la vente de Masbourg qui se ti (...)

14Ses méthodes sont rarement précisées, mais il semble que le restaurateur cherche à mettre au point certaines techniques de restauration. Ainsi, nous apprenons qu’en 1893, « M. Vigna fils possède depuis quelques temps, des moyens nouveaux pour combattre l’huile […] : sous l’action d’acides, on voyait l’huile se déposer sur un papier buvard placé en dessous des feuillets, sans que la teinte des caractères fut aucunement affaiblie ». Cette méthode a été mise en application sur un livre de Bossuet, le Discours sur l’histoire universelle (1681) acheté par un amateur lors de la vente de Masbourg, en 1893, et qui présentait une tache d’huile25. La restauration de Vigna est intervenue après la vente.

• 26 Raymond, 2004-2005, vol. II, p. 77-78.

15Dans le domaine des dessins, les archives restent muettes sur ses procédés, les seules précisions actuellement en notre possession concernent la conservation des dessins de Lille. Vigna émet des recommandations en 1909 et préconise le rejet de l’emploi d’agents chimiques (ou leur recours en dernière nécessité), « l’emploi de la colle forte au lieu de la colle de pâte et celui de cadres hermétiques ». Pour remédier au problème des moisissures, il propose d’exposer les œuvres au soleil, en tenant compte de la technique graphique, et d’utiliser ensuite un « soufflet » pour éliminer les champignons26. À Lille, Vigna se montre donc prudent concernant les interventions à faire sur les œuvres.

• 27 Voir dans ce même numéro l’article que nous consacrons à Jean-Pierre Hoccreau et François Renaud.
• 28 Paul Vigna décède à la Roche-Chalais (Dordogne), le 23 juillet 1942. Il avait épousé Élisabeth Bour (...)
• 29 Coural, Desserrières, Raymond, 2008, p. 189, note 60.
• 30 Id., p. 189, note 73.

16Le rôle de Vigna pour la restauration des dessins paraît avoir été important. Avant lui, la restauration des œuvres sur papier au musée du Louvre était bien souvent confiée aux restaurateurs de peinture (excepté pendant la période révolutionnaire où des réflexions importantes ont été menées sur la restauration, le montage et la présentation des œuvres sur papier27). Pendant sa période d’activité, les dessins ont ainsi bénéficié des interventions d’un spécialiste dans ce domaine, même si Vigna a fait le choix de ne jamais être rattaché officiellement à une institution. Après son décès survenu en 194228, le musée du Louvre confie à René Longa (né en 1887), peintre, restaurateur des musées nationaux au service du département des Peintures, les interventions sur les pastels du musée de Saint-Quentin en 194329, ou encore à Léon Lepeltier (1877-1960), peintre, décorateur puis restaurateur des musées nationaux, celles sur les dessins de Montauban en 194830.