Les Pèlerins d’Emmaüs de Rembrandt : une restauration très attendue
Résumés
La Cène à Emmaüs est un tableau signé et daté de 1648. Sa restauration était motivée par la présence d’un épais vernis jaune et microfissuré. L’allègement du vernis a permis de redécouvrir la gamme colorée du peintre, de mieux appréhender sa technique et d’expliquer la présence de déplacages de matière réalisés en fait par l’artiste par essuyage ou grattage, qui avaient pu être pris pour des altérations. L’état de conservation exceptionnel va à l’encontre de la campagne de presse lancée par Degas contre la restauration de l’œuvre menée en 1894.
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- 1 Vincent Pomarède, directeur du département ; Blaise Ducos, conservateur chargé des écoles du Nord.
- 2 Présentée au musée du Louvre, puis au Philadelphia Museum of Art et au Detroit Institute of Arts, à (...)
- 3 Constitué de Blaise Ducos (Paris), de Petria Noble (La Haye), de Didier Backhuys, conservateur du p (...)
- 4 Par Jacques Castaing, Myriam Eveno, Jean-Jacques Ezrati, Elsa Lambert, Éric Laval, Catherine Lavier (...)
- 5 Développées au C2RMF par Jean-Jacques Ezrati. Voir son compte rendu d’étude au dossier.
- 6 Après restauration, les mesures tournent autour de 12 microns (avec une marge d’erreur de 20 %). Un (...)
1Décidée par le département des Peintures du musée du Louvre1 dans le contexte de la préparation de l’exposition Rembrandt et la figure du Christ2, la restauration des Pèlerins d’Emmaüs a été effectuée en 2010 dans l’atelier peinture du pavillon de Flore, au Centre de recherche et de restauration des musées de France. Elle a naturellement été conduite avec l’aide d’un comité scientifique international3 et précédée par une étude scientifique approfondie4. L’opération a principalement consisté en un amincissement du vernis, techniquement possible sur cette œuvre, contrôlé par de toutes nouvelles techniques de mesure5, et qui a préservé une enveloppe très fine de vernis ancien oxydé (d’environ 6 à 8 microns) perceptible à l’œil nu6.
Constat d’état initial et technique de Rembrandt
- 7 Jusqu’à 43 microns.
2Le constat d’état initial de l’œuvre mettait en évidence, outre un épais vernis jaune7, des altérations, telle une fente en désafleur, et des plages difficiles à comprendre, apparaissant comme des déplacages ou peut-être comme des grattages (voir fig. 4 p. 62).
- 8 De l’acajou des Antilles, un support rare et exotique dans la peinture occidentale du xviie siècle (...)
3La couche picturale est appliquée épaisse sur une double préparation blanche ; la première, à la colle-craie, et la seconde, constituée d’une impression à l’huile. Posé sur une fine planche d’acajou parquetée8, de 68 x 65 cm, le film de peinture, très en matière, était recouvert par plusieurs couches de vernis microfissurés et très oxydés, correspondant aux différentes interventions de bichonnage survenues depuis la dernière restauration fondamentale en 1952.
4Ce vernis jaune, épais, s’était opacifié en faisant apparaître comme un fantôme du parquet au revers. En effet, des bandes horizontales plus craquelées correspondaient aux traverses coulissantes de celui-ci, témoignant d’un vieillissement différent du vernis par une microfissuration plus importante. Le vernis présentait aussi des blanchiments qui contribuaient à la perte des contrastes, ayant pour effet d’assombrir les clairs et d’éclaircir les sombres. Des chancis ponctuels étaient visibles, ainsi que des abrasions au sommet de certains empâtements, comme sur le visage et les cheveux du Christ, laissant transparaître, çà et là, la tonalité beaucoup plus froide de la peinture sous le vernis (fig. 1).
Fig. 1. Rembrandt, Les Pèlerins d’Emmaüs, Paris, musée du Louvre. Détail des blanchiments avant intervention

© Isabelle Leegenhoek.
- 9 Ce qui avait été perçu comme le bois avant l’allègement s’est révélé être la sous-couche brune appl (...)
5La technique picturale juxtapose une matière épaisse et des zones non peintes, laissant apparaître la préparation. À certains endroits, le bois semblait visible9, ce qui pouvait relever de l’exécution de Rembrandt lui-même, comme si la peinture appliquée avait ensuite été arrachée ou grattée, puis reprise en matière moins épaisse (fig. 2). Certaines zones, comme le costume sombre au premier plan à dextre, sont peintes tout en transparence, tandis que la majorité du tableau présente au contraire une matière épaisse, chargée de frottis. Cette technique est particulièrement utilisée dans le traitement de l’architecture. L’arrachement à dextre, quant à lui, n’est pas compréhensible d’emblée, car si le document infrarouge montre une matière très homogène recouvrant ce déplacage, la radiographie à cet endroit devient en revanche transparente.
Fig. 2. Rembrandt, Les Pèlerins d’Emmaüs, Paris, musée du Louvre

En cours d’allègement, détail des effets de matière dans l’âtre avec arrachage faisant apparaître la sous-couche brune.
© Isabelle Leegenhoek.
6Par ailleurs, les diverses analyses ont indiqué la présence de carbonate de calcium dans toutes les couches de la peinture, même dans les couleurs sombres. Cette présence de craie additionnée aux pigments joue très certainement un rôle important dans la texture et l’épaisseur de la matière.
Intervention
- 10 La première, le long du bord dextre, au niveau de la fente et d’un grand déplacage, une autre, en b (...)
- 11 Le premier essai craquelle le vernis qui forme des crevasses au contact du solvant ; l’introduction (...)
- 12 Réalisées par Sigrid Mirabaud, ingénieur de recherche au C2RMF.
7Trois zones10 ont été sélectionnées pour procéder à des essais d’amincissement du vernis, chacune choisie afin de mettre en évidence une gamme de couleurs. Le vernis très épais, jauni et craquelé, est très semblable à celui de l’Ânesse de Balaam de Rembrandt du musée Cognacq-Jay, qui vient d’être restaurée au C2RMF. Logiquement, le même mélange de solvants a été sélectionné pour effectuer les essais, après vérification de la sensibilité du vernis à l’éthanol et à la méthyle-éthyl-cétone11. Sur l’Ânesse, les différentes analyses12 n’avaient pas permis d’identifier la composition précise du vernis, mais elles y avaient déterminé la présence d’une huile faiblement siccativée, ainsi que celle de deux résines, de la résine mastic, d’une part, et des produits d’oxydation d’une résine conifère, de type colophane ou térébenthine de Venise, d’autre part. La présence de ces éléments pouvait d’ailleurs être interprétée comme une superposition de différents vernis. Celui des Pèlerins s’est comporté de façon rigoureusement similaire lors du traitement et on a choisi une solubilisation lente pour son traitement.
8De la même façon, les repeints étaient solubles dans un mélange identique et, suivant leur positionnement dans les couches de vernis, pouvaient ou non être préservés. Les plus récents, situés sur la fente, ont pu être très rapidement éliminés, faisant apparaître divers mastics témoignant de plusieurs campagnes de masticage, la plus ancienne avec un mastic gris non débordant qui semble à l’huile, sur lequel se superpose un mastic marron, qui pourrait être cireux et qui, lui, recouvre l’original et masque les traces du pinceau dans la matière. Au niveau des zones de déplacage, ce seul mastic marron est présent, débordant sur l’original mais ne remplissant que partiellement le fond de la lacune. Un repeint plus grumeleux et épais comble le bois et sa préparation et passe légèrement sur l’original (fig. 3).
Fig. 3. Rembrandt, Les Pèlerins d’Emmaüs, Paris, musée du Louvre

Détail macrophotographique du grattage autographe, du mastic brun et du repeint préservé.
© Isabelle Leegenhoek.
9Les essais de nettoyage, présentés à la commission scientifique en mars 2010, ont été validés et se sont poursuivis en partant du bord dextre. Le mélange de solvants mis au point lors des essais a été affiné en ajoutant de la méthyle-éthylcétone dans une proportion de 30 % et en diminuant les proportions d’éthanol et d’alcool benzylique.
10L’allègement met en évidence l’écriture picturale et la matière extraordinaire de Rembrandt : très riche et empâtée, cette dernière juxtapose audacieusement des couleurs chaudes et froides (tunique du Christ), mais aussi des effets de texture très variés, comme dans le vêtement du pèlerin à gauche (fig. 4), où les transparences jouent avec les pleines pâtes de la manche, de l’épaule, de la ceinture… L’amincissement du vernis sur la tête du Christ met en évidence l’auréole irradiant le fond de lumière et disparaissant en partie sous le halo de fumée qui se dégage du plat tenu par le jeune serviteur. Sur ce dernier, les têtes d’agneau sont posées sur des feuilles vertes, dont la brillance, rehaussée d’un petit éclat de lumière, évoque celle du chou cuit.
Fig 4. Rembrandt, Les Pèlerins d’Emmaüs, Paris, musée du Louvre

Détail du vêtement du pèlerin.
© Isabelle Leegenhoek.
11L’intervention a également permis d’établir avec certitude que les déplacages dans l’architecture, à l’arrière-plan, sont en fait des arrachements autographes (fig. 5). En effet, on peut voir, sur les sous-couches brunes ainsi révélées, de fins glacis parfaitement intégrés au film de peinture originale adjacent. Cette technique d’une grande modernité – ne préfigure-t-elle pas les raclages de Courbet ? – est facilement identifiable au niveau de l’âtre de la cheminée, à dextre. Le film de peinture superficiel brun-vert y couvre à la fois la matière épaisse et la sous-couche brune très fine rendue visible par ce pseudo-déplacage. À senestre, le même effet fait apparaître une ligne sombre qui vient souligner le côté anguleux de l’architecture. La plus grande de ces zones, à dextre, où ont été commencés les essais, semble, de la même manière, originale, mais elle a manifestement été un peu altérée par la présence de la fente anciennement restaurée, notamment par des mastics cherchant à en combler le creux. Un petit repeint la recouvre et déborde à peine sur l’original, mais son intégration colorée est telle qu’il n’est guère observable que sous microscope. Cette retouche ancienne, plus grumeleuse, a été préservée car, d’une part, sa matière épaisse et ancienne la rend difficilement soluble et, d’autre part, la couche brune très fine qu’elle recouvre est très sensible et pourrait être fragilisée, comme en témoigne l’usure autour de la fente, zone restaurée plusieurs fois.
Fig. 5. Rembrandt, Les Pèlerins d’Emmaüs, Paris, musée du Louvre.

Détail du glacis sur le grattage dans le mur.
© Isabelle Leegenhoek.
- 13 La signature a pu passer pour être « retracée », alors qu’il n’en est rien.
12Le traitement de l’arrière-plan, niche et mur de pierre un peu décrépi, est obtenu par cette technique superposant matière riche et empâtée et frottis légers, les couches s’interpénétrant en magnifiant la tactilité de la surface du mur. La palette est restreinte : le rose, le jaune et le brun sont les trois couleurs dominantes qui se déclinent dans tout le tableau, sur le sol, dans la signature13 (fig. 6), dans la tunique du Christ et même dans les visages. Le rôle de la sous-couche brune se repère également soit dans le traitement complet d’un vêtement, tel celui du pèlerin vu de dos au premier plan, soit par antithèse d’une touche de pleine pâte, comme dans la robe du Christ. Le vernis jaune et très épais qui nappait le tableau ne permettait guère de supposer une telle subtilité de la gamme colorée.
Fig. 6. Rembrandt, Les Pèlerins d’Emmaüs, Paris, musée du Louvre

Détail de la signature.
© Isabelle Leegenhoek.
13L’amincissement par solubilisation d’une bonne partie du vernis a été périodiquement contrôlé sous lumière ultraviolette afin d’obtenir un résultat le plus régulier possible. Dans les tonalités claires comme celles de la nappe, on distingue à présent du bleu, du rose et du jaune, couleurs appliquées non pas par superposition de glacis, mais dans des empâtements où se marient de subtiles variations. Le vernis résiduel est à peine perceptible à l’œil nu, mais il enrobe encore la matière et se niche dans les creux les plus profonds des empâtements. La quantité de vernis laissée rendait d’ailleurs difficile une égalisation parfaite sous ultraviolets et on a donc plutôt privilégié l'homogéneité en lumière directe.
14Le visage du Christ présentait de petites taches blanches assez gênantes avant intervention. Celles-ci étaient également présentes en de nombreux autres endroits, dans les vêtements du pèlerin et du serviteur, à droite, et par ailleurs éparpillées sur toute la surface du tableau. L’allègement a permis de clarifier l’origine de ces taches : elles se situent toujours au sommet d’un empâtement, témoignant de frottements qui, parfois, ont simplement usé l’épais vernis, mais, parfois aussi, la fine couche de peinture posée sur une sous-couche grise. Dans les cheveux du Christ, de petits rehauts gris pouvaient être confondus avec ces abrasions avant l’allègement.
15Après le nettoyage, le tableau se révéla être dans un état de conservation remarquable (fig. 7). Quelques petits déplacages sont présents sur les bords, et les deux fentes anciennement consolidées n’étaient pas tout à fait à niveau, mais ce désafleur étant très peu perceptible, et donc très acceptable, il n’a donc pas été repris.
Fig. 7. Rembrandt, Les Pèlerins d’Emmaüs, Paris, musée du Louvre

Ensemble en lumière réfléchie après restauration.
© C2RMF, Pierre-Yves Duval.
- 14 Le parquet posé au revers est assez particulier car il présente des traverses biseautées.
- 15 C’est-à-dire une craie.
- 16 Avec des couleurs au vernis de marque Maimeri, diluées dans un liant diacétone-alcool/éthanol.
16Avant la réintégration picturale, le tableau a été confié à l’ébéniste Daniel Jaunard, afin de restituer leur mobilité aux traverses du parquet14 bloquées et de consolider une ancienne petite fente sur le bord senestre, située entre deux montants du parquet. Une couche de vernis mastic a d’abord été appliquée au spalter, puis les petites lacunes et les fentes ont été mastiquées avec du blanc de Meudon15 et de la colle de peau. La retouche16 très limitée a consisté à intégrer visuellement, et de façon illusionniste, les zones mastiquées. Le déplacage dans la fumée et les quelques petites usures faisant apparaître la sous-couche grise décrite plus haut ont été juste atténués afin de restituer une lecture aisée. Après la réintégration, le tableau a été reverni avec une couche de vernis mastic appliquée au spalter.
Réception de la restauration
- 17 Rykner D., « Les Pèlerins d’Emmaüs de Rembrandt du Louvre remarquablement restaurés », Latribunedel (...)
- 18 Halévy D., 1995 (rééd.), Degas parle, Paris, p. 53-55, 119, 142-143.
17Depuis sa présentation au public, largement relayée dans la presse17, l’œuvre n’a pas fait l’objet, à notre connaissance, d’attaques concernant sa restauration, preuve s’il en fallait qu’une opération bien expliquée permet souvent d’éviter les polémiques. Celle de 1894 fut menée par Edgar Degas ainsi que son par son ami Daniel Halévy, qui a relaté les colères du peintre dans son livre Degas parle18 : « Les Pèlerins d’Emmaüs avaient, pour un temps, disparu des cimaises ; enfin reparu, le tableau n’était plus celui que nous avions connu. Ici, je parle pour moi-même, par moi-même ; j’affirme que le tableau remis sur la cimaise éclairci par le nettoyage n’était plus la toile (sic) que nous avions connue. J’ai récemment vérifié ce souvenir en comparant des photographies anciennes et les photographies récentes. Le tableau lavé est un tableau dévalorisé. Je pense qu’il se produisit dès lors quelques jugements sévères dans la presse. Ce qui reste dans mon souvenir, c’est l’indignation de Degas. Il semblait qu’on eût touché à l’honneur de quelqu’un des siens. Le directeur du Louvre s’en est expliqué : “Je suis conservateur des tableaux du Louvre, avait dit Kaempfen, je les conserve”. Degas répétait amèrement ce propos. Il était furieux par le fait que les Giorgione, les Rembrandt, les Watteau avaient travaillé pour être livrés à des fonctionnaires pédants.
18“Toucher à un Rembrandt, sait-on ce qu’on touche ? Sait-on comment c’est fait ? C’est un mystère”. » Plus loin, Halévy rapporte que des ouvriers, « recrépissant une voûte [avaient] laissé tomber des plâtras sur les Pèlerins » et, dans son journal, se rappelle que Degas, « en proie à une véritable exaltation », voulait écrire un pamphlet, une « bombe », contre la direction du Louvre.
19Halévy, qui affirme qu’une ombre au bas du tableau avait disparu et qu’ainsi le tableau avait perdu son « mystère » ajoute : « La maison Braun possède des photographies anciennes où la différence des états est sensible. » L’insinuation a bien sûr été vérifiée et les clichés Braun ont été examinés : les affirmations d’Halévy sont au mieux infondées, au pire franchement naïves. Il suffit de connaître un peu la technique de la photographie pour savoir qu’à partir d’un même négatif, on peut produire un tirage sous ou surexposé, extrêmement sombre ou extrêmement clair, et que ces tirages étant réalisés artisanalement à la main, vieillissant par ailleurs dans des milieux différents (quid de l’altération par la lumière ? par l’acidité du support papier ? etc.), ils ne sauraient être rationnellement comparés. Et certes, il convient de bien comprendre la grande part de subjectivité dans l’appréhension d’une œuvre d’art, car Halévy, qui confond toile et panneau, et Degas, que ses troubles oculaires à partir des années 1880 vont conduire à une cécité presque complète, sont tous deux entièrement de bonne foi, et leur indignation n’est pas feinte.
- 19 Le Figaro, 1er juin 1894. Les archives du C2RMF conservent également (de lui ?) un article fragment (...)
20Également dans le camp des détracteurs, le célèbre journaliste Arsène Alexandre publia le 1er juin un article intitulé « Aveux complets. Le récurage des tableaux du Louvre »19. On décèle d’emblée évidemment, dans ce titre, un ton polémique et persifleur très français et, dans l’article, une attaque contre les fonctionnaires tout à fait classique de l’époque : Courteline ne caricature-t-il pas ces derniers, précisément en 1893, dans sa célèbre pièce Messieurs les ronds de cuir ? Et cette tradition, qui perdure encore aujourd’hui, est une composante de la vie culturelle française avec laquelle les responsables de la conservation et de la restauration du patrimoine doivent accepter de travailler.
21Mais qu’en est-il exactement de cette intervention de 1894 ? En fait, la restauration de Chapuis semble avoir surtout péché par le vernissage final, trop brillant de l’avis général, mais quelqu’un comme le peintre Léon Bonnat, membre de la commission de restauration du Louvre, reconnut cependant mieux apprécier certaines parties du tableau. Nous n’avons pas retrouvé dans la presse de l’époque de traces de la défense de la restauration, mais peut-être y en eut-il ? Les Pèlerins d’Emmaüs furent ensuite à nouveau restaurés, et par deux fois. En 1936 tout d’abord, à la suite de l’agrandissement d’une fente du panneau consécutif à un transport, puis en 1952, pour un allègement du vernis. Et aucune des deux commissions réunies pour ces deux opérations ne constata les altérations dénoncées par les amateurs de 1894. L’étude et la restauration de 2010 ont de facto confirmé que l’œuvre est dans un état de conservation tout à fait exceptionnel, une fraîcheur remarquable désormais bien mieux perceptible et qui exclut qu’à un moment donné dans le passé, le tableau ait pu être « trop » nettoyé. La communication sur la restauration s’avère donc une tâche délicate, car ne rien dire favorise l’expression des opinions les plus folles, et informer véritablement et complètement requiert souvent un niveau de connaissances techniques (et chimiques) que peu de personnes sont à même d’avoir. L’intervention de 2010 a, en tous cas, permis une présentation digne de l’œuvre au sein de l’exposition consacrée à Rembrandt et la figure du Christ, parmi un ensemble de chefs-d’œuvre venus des plus grandes collections européennes et américaines et au sein duquel il rayonnait de tous ses audacieux reflets nacrés à la vérité retrouvée.
Notes
1 Vincent Pomarède, directeur du département ; Blaise Ducos, conservateur chargé des écoles du Nord.
2 Présentée au musée du Louvre, puis au Philadelphia Museum of Art et au Detroit Institute of Arts, à partir d’avril 2011 jusqu’en février 2012.
3 Constitué de Blaise Ducos (Paris), de Petria Noble (La Haye), de Didier Backhuys, conservateur du patrimoine au musée des Beaux-Arts de Rouen, d’Ashok Roy (Londres) et, selon les problématiques abordées, des différents membres des équipes de l’atelier de Flore et du laboratoire du Carrousel du C2RMF.
4 Par Jacques Castaing, Myriam Eveno, Jean-Jacques Ezrati, Elsa Lambert, Éric Laval, Catherine Lavier, Bruno Mottin, dossier C2RMF F4805.
5 Développées au C2RMF par Jean-Jacques Ezrati. Voir son compte rendu d’étude au dossier.
6 Après restauration, les mesures tournent autour de 12 microns (avec une marge d’erreur de 20 %). Une couche de vernis neuf avoisinant les 4-6 microns, on peut estimer la couche de vernis ancien laissée à 6-8 microns).
7 Jusqu’à 43 microns.
8 De l’acajou des Antilles, un support rare et exotique dans la peinture occidentale du xviie siècle ; la planche, d’environ 5 mm d’épaisseur, est lisse et cassante. Le parquet est un ajout ultérieur, car l’un de ses montants est intentionnellement posé sur une fente.
9 Ce qui avait été perçu comme le bois avant l’allègement s’est révélé être la sous-couche brune appliquée sur la double préparation.
10 La première, le long du bord dextre, au niveau de la fente et d’un grand déplacage, une autre, en bas à senestre, dans l’angle, et enfin une sur le bord supérieur dans l’arche.
11 Le premier essai craquelle le vernis qui forme des crevasses au contact du solvant ; l’introduction d’alcool benzylique permet d’alléger le vernis sans toucher aux éventuels repeints présents sur le déplacage.
12 Réalisées par Sigrid Mirabaud, ingénieur de recherche au C2RMF.
13 La signature a pu passer pour être « retracée », alors qu’il n’en est rien.
14 Le parquet posé au revers est assez particulier car il présente des traverses biseautées.
15 C’est-à-dire une craie.
16 Avec des couleurs au vernis de marque Maimeri, diluées dans un liant diacétone-alcool/éthanol.
17 Rykner D., « Les Pèlerins d’Emmaüs de Rembrandt du Louvre remarquablement restaurés », Latribunedelart.com, brève du 15 avril 2011 ; Vezins de V., « Une nouvelle lumière pour Rembrandt », Le Figaro, dimanche 24 avril 2011, p. 2 ; Curie P., « Comment le tableau est sorti de l’ombre. Récit d’une restauration », Grande Galerie, n° 16, juin-juillet-août 2011, p. 94-95 ; Merle du Bourg A., 2011, « Révélation d’une restauration : Les Pèlerins d’Emmaüs de Rembrandt du Louvre », L’Estampille-L’Objet d’Art, n° 469, p. 30-31 ; Noce V., « Le Louvre restaure ses Pèlerins d’Emmaüs », Libération, 22 juin 2011 ; etc.
18 Halévy D., 1995 (rééd.), Degas parle, Paris, p. 53-55, 119, 142-143.
19 Le Figaro, 1er juin 1894. Les archives du C2RMF conservent également (de lui ?) un article fragmentaire du 27 mai 1894.
Haut de pageTable des illustrations
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Titre | Fig. 1. Rembrandt, Les Pèlerins d’Emmaüs, Paris, musée du Louvre. Détail des blanchiments avant intervention |
Crédits | © Isabelle Leegenhoek. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/techne/docannexe/image/19365/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 444k |
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Titre | Fig. 2. Rembrandt, Les Pèlerins d’Emmaüs, Paris, musée du Louvre |
Légende | En cours d’allègement, détail des effets de matière dans l’âtre avec arrachage faisant apparaître la sous-couche brune. |
Crédits | © Isabelle Leegenhoek. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/techne/docannexe/image/19365/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 620k |
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Titre | Fig. 3. Rembrandt, Les Pèlerins d’Emmaüs, Paris, musée du Louvre |
Légende | Détail macrophotographique du grattage autographe, du mastic brun et du repeint préservé. |
Crédits | © Isabelle Leegenhoek. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/techne/docannexe/image/19365/img-3.jpg |
Fichier | image/jpeg, 432k |
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Titre | Fig 4. Rembrandt, Les Pèlerins d’Emmaüs, Paris, musée du Louvre |
Légende | Détail du vêtement du pèlerin. |
Crédits | © Isabelle Leegenhoek. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/techne/docannexe/image/19365/img-4.jpg |
Fichier | image/jpeg, 560k |
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Titre | Fig. 5. Rembrandt, Les Pèlerins d’Emmaüs, Paris, musée du Louvre. |
Légende | Détail du glacis sur le grattage dans le mur. |
Crédits | © Isabelle Leegenhoek. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/techne/docannexe/image/19365/img-5.jpg |
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Titre | Fig. 6. Rembrandt, Les Pèlerins d’Emmaüs, Paris, musée du Louvre |
Légende | Détail de la signature. |
Crédits | © Isabelle Leegenhoek. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/techne/docannexe/image/19365/img-6.jpg |
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Titre | Fig. 7. Rembrandt, Les Pèlerins d’Emmaüs, Paris, musée du Louvre |
Légende | Ensemble en lumière réfléchie après restauration. |
Crédits | © C2RMF, Pierre-Yves Duval. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/techne/docannexe/image/19365/img-7.jpg |
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Pour citer cet article
Référence papier
Pierre Curie et Isabelle Leegenhoek, « Les Pèlerins d’Emmaüs de Rembrandt : une restauration très attendue », Technè, 35 | 2012, 66-71.
Référence électronique
Pierre Curie et Isabelle Leegenhoek, « Les Pèlerins d’Emmaüs de Rembrandt : une restauration très attendue », Technè [En ligne], 35 | 2012, mis en ligne le 01 juin 2012, consulté le 24 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/techne/19365 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/127mi
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