- 1 Inventaire du département des Arts de l’Islam, OA 7466/1 à 39.
1Le département des Arts de l’Islam du musée du Louvre conserve un ensemble de trente-neuf vitraux égyptiens d’époque ottomane provenant de la collection Delort de Gléon et entrés au musée lors du legs Delort de Gléon en 19121 (fig. 1 a-b).
Fig. 1 a. Vitrail après restauration, Paris, musée du Louvre, département des Arts de l’Islam (inv. OA 7466/39)
a. Face.
© Musée du Louvre/Hervé Lewandowski.
Fig. 1 b. Vitrail après restauration, Paris, musée du Louvre, département des Arts de l’Islam (inv. OA 7466/39)
b. Revers.
© Musée du Louvre/Hervé Lewandowski.
2De forme quadrangulaire, leur taille varie de 14 x 16 cm à 59-60 x 37-44 cm. Destinés à être présentés soit verticalement, soit horizontalement, ils portent un décor principalement végétal stylisé (bouquets, arbustes fleuris, cyprès, rosaces).
- 2 Sous la direction de Gwenaëlle Fellinger.
3Leur datation était jusqu’alors considérée comme incertaine, située entre le xviiie et le xixe siècle. L’étude entamée en 2007, à l’occasion de leur restauration2, retrace leur histoire jusqu’à leur entrée dans les collections du musée du Louvre et en présente les caractéristiques matérielles. Les analyses menées sur les différents matériaux qui les composent (plâtres, verres, tissus) apportent des indications sur leur fabrication et les opérations de conservation-restauration ont permis de préserver cette fragile collection et d’autoriser leur exposition.
- 3 Bloom et al. (dir.), 2009, p. 209-210 ; Flood, 2000.
- 4 Un fragment provenant de ce site est conservé dans les collections du musée des Arts décoratifs, dé (...)
- 5 Amin, Ibrahim, 1990, p. 90-91.
- 6 Herz, 1906, p. 5-6 et p. 61-62, fig. 17.
4Les décors de fenêtres en grille de pierre ou de plâtre orné de verres colorés sont attestés au Proche-Orient dès les débuts de la période islamique3. Des sites archéologiques comme Khirbat al-Mafjar (Palestine) et Qasr al-Hayr al-Gharbi (Syrie) au viiie siècle, Sabra al-Mansouriya (Tunisie) et la Qal’a des Bani Hammad (Algérie4) aux xe-
xie siècles en ont livré des témoignages. En Égypte, si des grilles de fenêtres ajourées à réseau géométrique sont connues dès la fin du ixe siècle, à la mosquée Ibn Tulun, les premiers véritables vitraux en plâtre et verre coloré conservés remontent à la période mamelouke, à partir de la fin du xiiie siècle, notamment dans le mausolée de Qalawun (1285), dans les mosquées de Barquq (1384) et d’al-Mu’ayyad Shaykh (1420), ou dans celles de Qaytbay (1485) et de Qijmas al-Ishaqi (1482). Les sources d’époque mamelouke mentionnent ces fenêtres aux verres colorés, ornées de motifs principalement géométriques et protégées de grilles extérieures en métal, sous le nom de qamariyya (de qamar, la lune5). Elles étaient placées en hauteur principalement sur le mur de qibla (direction de la prière). Quelques exemples mamelouks ont été déposés au musée d’Art islamique du Caire, et Max Herz fournit des indications techniques intéressantes à leur sujet : jusque vers 1350, les morceaux de verre, assez épais, étaient maintenus au revers à l’aide de fines baguettes en plâtre, tandis qu’après 1350, ils sont fixés par du plâtre coulé, technique qui perdurera par la suite ; il indique aussi que les vitraux plus tardifs, de période ottomane, de facture plus simple, utilisaient des verres d’importation6.
5Les trente-neuf vitraux conservés au département des Arts de l’Islam appartenaient au décor de l’appartement du baron et de la baronne Delort de Gléon à Paris, où ils avaient été installés à leur retour d’Égypte.
- 7 Clerget, 1999, vol. 1, p. 8 et Bulletin de l’École des mines, 1900, n.p.
6Petit-fils de général d’empire, le baron Delort de Gléon (1843-1899) est ingénieur des mines. Son oncle, installé en Égypte, l’appelle à ses côtés en 1869. Il y dirige successivement la Compagnie des eaux d’Alexandrie, puis celle du Caire, la Raffinerie d’Égypte – une fabrique de glace et de bière – ainsi que le Crédit foncier égyptien, la plus importante banque de la seconde moitié du xixe siècle. Il est aussi chargé de travaux de voirie dans les quartiers nouvellement créés de la ville, ainsi que de la construction d’un pont métallique à Qasr-el-Nil. Très investi dans les intérêts français en Égypte, son rôle dans la société des expatriés cairotes est particulièrement important7.
- 8 Sur Ambroise Baudry, voir Crosnier-Leconte, Volait, 1998.
- 9 Selon l’expression alors consacrée.
7En 1871, il charge l’architecte Ambroise Baudry, habitué des cercles des Français du Caire, de lui construire une première maison8. Celle-ci est décorée de boiseries, de céramiques et de vitraux, qui proviennent de monuments détruits du Caire et de la collection personnelle de Baudry, quand ils n’ont pas été recréés à l’identique, selon les techniques traditionnelles de « style arabe9 ».
- 10 Clerget, 1999, p. 11.
- 11 Volait, 2007. Sur Bourgoin, voir aussi : Bidault, Thibault, Volait, 2015.
8Dès 1882, le baron prépare son retour en France, les difficultés politiques et économiques croissant en Égypte10. Il acquiert alors un hôtel particulier rue de Vézelay, dans le 8e arrondissement de Paris, près du parc Monceau, et y fait aménager un « salon arabe », grâce aux conseils de Jules Bourgoin, un autre architecte spécialisé dans les intérieurs orientalistes11. Son mariage avec une jeune veuve, devenue la baronne Delort de Gléon, est célébré en 1883. Celle-ci épouse son goût pour les arts de l’Islam. Amie de Gaston Migeon, conservateur au musée du Louvre, elle décide de léguer à cette institution la majeure partie de la collection de son époux, qu’elle a elle-même enrichie. L’hôtel est destiné à diverses associations caritatives. Une condition est mise à ce legs : une salle au nom du baron doit ouvrir au Louvre pour y présenter les objets de sa collection.
- 12 Procès-verbal de la séance du 25 avril 1912, comité consultatif des Musées nationaux, Archives nati (...)
9Le legs est exécuté en 191212. Il donne lieu à plusieurs contentieux juridiques, qui repoussent l’enlèvement des œuvres à 1918 et l’ouverture de la salle éponyme à 1922. La guerre a contribué à compliquer la situation : les vitraux du salon et du hall sont déposés et transférés au musée, où ils rejoignent les œuvres léguées. Ils sont aujourd’hui remplacés in situ par des vitraux de style Art déco.
10L’ensemble des opérations est documenté par une série de photographies conservées au département des Arts de l’Islam qui permettent de comprendre l’agencement voulu par le baron et la disposition initiale des vitraux (fig. 2).
Fig. 2. L’hôtel Delort de Gléon en 1918 : décor du hall d’entrée, Paris, musée du Louvre, département des Arts de l’Islam, documentation (PAI 96)
© Musée du Louvre/département des Arts de l’Islam.
- 13 Inventaire du département des Arts de l’Islam, vol. 1, p. 171 : « 7466. Lot de panneaux de mouchara (...)
- 14 Voir par exemple, Volait, 2021, p. 35 et 59, pour le remploi de moucharabiehs et de vitraux provena (...)
11Contrairement aux objets d’art consignés individuellement dans l’inventaire, les vitraux ne semblent pas avoir été réellement considérés comme des œuvres à part entière. Ils sont inventoriés sous un numéro commun, avec des moucharabiehs de bois tourné, sans précision du nombre d’éléments constituant le lot13. Une mention manuscrite précise qu’il s’agit d’éléments acquis pour orner la nouvelle salle Delort de Gléon. Le traitement réservé aux moucharabiehs, retaillés et placés dans la balustrade de la mezzanine menant aux salles d’exposition du musée, témoigne de cette considération moindre. Il s’agit alors d’éléments destinés à évoquer le contexte de création des œuvres exposées, dans une mise en scène qui reprend lointainement les period rooms, alors en vogue. Cet arrangement rappelle celui des expositions universelles, où les pavillons khédiviaux montraient des intérieurs « mamluks » mêlant œuvres originales prélevées sur des palais cairotes aux éléments reconstitués, avec la participation active du baron, en 188914.
- 15 Cat. Exp. Paris, 1977, p. 295 : le vitrail OA 7466/2 y est illustré ; l’exposition intitulée Fleurs (...)
12La nature fragile des éléments vitrés explique peut-être la préférence pour des fabrications modernes plutôt que pour le remploi. On peut également se demander si les conservateurs d’alors avaient une idée de leur datation. Aucune mention n’en fait état dans l’inventaire du musée. Le sentiment qu’il s’agissait de créations récentes a-t-il contribué à leur relégation en réserve ? À l’inverse des boiseries, aucun d’entre eux ne semble avoir été utilisé dans la salle Delort de Gléon. Sans que l’on connaisse parfaitement l’histoire de cet ensemble au sein des collections du musée, certains vitraux ont néanmoins été prêtés lors de diverses expositions, par exemple en 1977 au Grand Palais ou en 1999 au pavillon de Bagatelle15.
- 16 Composé de Martine Bailly, Natacha Frenkel, Sandrine Gaymay, Frédérique Hamadène, Anne Liégey, Véro (...)
13En 2007, le musée du Louvre lance un marché public pour la conservation-restauration des œuvres du département des Arts de l’Islam en vue du redéploiement des collections dans la cour Visconti. Le chantier de restauration inclut un lot regroupant les œuvres en stuc et les vitraux en plâtre. Un groupement solidaire de huit restauratrices du patrimoine aux compétences pluridisciplinaires16 est retenu.
14Durant quatre mois, une étude préalable aux interventions de conservation-restauration est réalisée. Les trente-neuf panneaux sont photographiés en lumière réfléchie, en lumière transmise et observés sous loupe binoculaire ; un constat d’état de conservation est établi pour chaque panneau en suivant une fiche détaillée, spécialement mise au point. Un protocole d’intervention spécifique est élaboré pour ces œuvres complexes. Des prélèvements sont effectués en vue d’analyses afin de mieux connaître les matériaux.
- 17 Nous remercions vivement Jean-François de Laperouse, Lisa Pilosi, Alisa Eagleston, Duygu Camurcuogl (...)
- 18 Dans les réserves du musée d’Art islamique situé dans la Citadelle, l’atelier de restauration du Pa (...)
15Les échanges avec des collègues du Metropolitan Museum of Art de New York (MET) et du Victoria and Albert Museum (V&A) de Londres sont nourris : ces deux musées conservent des œuvres semblables, sur lesquelles des interventions de dépoussiérage-nettoyage ainsi que de consolidations et comblements ponctuels ont été réalisées17. Une visite au Caire permet également d’observer des vitraux anciens comparables, ainsi que les techniques traditionnelles encore utilisées pour leur restauration18.
- 19 Adam, 2008.
- 20 Les gisements de gypse étaient nombreux autour du Caire et il en existe toujours dans la région du (...)
- 21 Lors de la pose du vitrail in situ, l’huisserie peut être fixe ou ouvrante comme pour une fenêtre.
16D’après les techniques traditionnelles19, un plâtre blanc sans impuretés20, gâché avec 50 % d’eau en poids (ainsi moins dur et facile à tailler) est coulé dans une huisserie21 en bois de résineux (cèdre) (fig. 3).
Fig. 3. Un seul vitrail (OA 7466/39) a conservé son cadre en bois. Photographie avant intervention : fragmentaire avec lacunes de plâtre et de verres colorés
© Groupement Setton.
17Des traces de clous et de coups de gouge pratiqués dans la feuillure pour accrocher le plâtre au cadre restent visibles sur le bord de certains panneaux aujourd’hui sans cadre.
18Après séchage, on trace le dessin avec un gabarit et on taille le plâtre au vilebrequin, au couteau-scie et à la lime, pour faire apparaître les motifs. Les paraisons des alvéoles sont orientées selon la hauteur à laquelle les panneaux sont placés.
19Au revers, des fragments de verres unis, transparents et colorés (jaune, orange, rouge, bleu, vert) sont collés avec un adhésif protéinique devant chaque alvéole du plâtre perforé. Des verres incolores plus larges couvrent des zones non colorées. Un plâtre gris, moins pur, est ensuite coulé au revers pour maintenir les verres en place, puis essuyé avant la prise pour dégager la surface des verres et laisser passer la lumière (fig. 4).
Fig. 4. Schéma d’un panneau vu en coupe avec un clou fiché dans la feuillure et, au revers, le plâtre gris maintenant les verres
© Groupement Setton
20La face des vitraux islamiques du Caire, du Metropolitan Museum et du Victoria & Albert Museum est en plâtre clair, de couleur blanc/beige ; celle des vitraux du Louvre apparaît systématiquement brune, tandis qu’à cœur, le plâtre est blanc. La mise en teinte du plâtre, peut-être à la gomme-laque, a pu être pratiquée lors de l’installation de la collection rue de Vézelay ou au Louvre en 1922 afin de s’harmoniser avec les boiseries et moucharabiehs présents.
21Sur quinze panneaux, soit 40 % de la collection du Louvre, une toile de coton perforée est présente entre le revers du plâtre ajouré et les verres, la fonction de cette toile n’étant pas avérée (fig. 5). Elle pourrait avoir été placée en renfort des panneaux restaurés pour le baron Delort de Gléon, en vue de leur transport à Paris.
Fig. 5. Revers d’un panneau entoilé avant intervention (OA 7466/36)
© Musée du Louvre/Groupement Setton.
- 22 L’un d’entre eux a fait l’objet d’un rapport d’accident lors de l’exposition de 1977 (documentation (...)
22Les vitraux présentaient en 2007 un état de conservation ne permettant pas leur exposition : certains étaient fracturés, lacunaires, avec des verres désolidarisés ou manquants. Les principales causes de dégradation sont le vieillissement de certains matériaux d’origine, des interventions anciennes de restauration et des accidents de manipulation22. Diagnostiquées lors de l’étude préalable, ces causes ont conduit à élaborer un protocole spécifique au triple objectif :
-
stabiliser les processus d’altération chimique et mécanique des matériaux : empoussièrement favorisant la détérioration du substrat, écailles soulevées, éclats, fissures, fractures, lacunes du plâtre alvéolé ; fissures, fractures, clivage du plâtre coulé au revers, perte d’adhérence du textile et bords effilochés, verres détachés ou perdus.
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rendre aux œuvres leur unité esthétique : restitution du décor sculpté par collage des fragments, restitution des volumes lacunaires avec une retouche discernable, restitution de l’effet coloré en lumière transmise, reprise des retouches modernes perturbant la lecture de l’œuvre en lumière réfléchie.
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permettre une manipulation aisée des panneaux et leur exposition en position verticale.
23L’intervention a débuté par un minutieux travail de puzzle sur certains panneaux très fragmentaires. Le dépoussiérage a été effectué par micro-aspiration avec des brosses et pinceaux doux. Le nettoyage, opération longue et méticuleuse, a été réalisé depuis la face ajourée dans les creux et jusqu’aux verres, avec des gommes en latex vulcanisé Wishab®, parfois des bâtonnets de coton légèrement humidifié (eau déminéralisée, nettoyage enzymatique ou mélange d’acétone et d’éthanol). L’apport d’eau a été limité volontairement, car le plâtre, le textile et la colle de fixation des verres y sont sensibles. L’acétone et l’éthanol, solvants de la teinte brune passée sur le plâtre, côté face du vitrail, ont été utilisés avec précaution.
24Le collage des fragments en plâtre a été effectué avec une résine acrylique en dispersion Plextol® B500. Cet adhésif a été sélectionné à l’issue de tests avec différentes résines acryliques. Pour le collage en place des verres sur le plâtre découpé, un adhésif acrylique Paraloïd® B72 en solution dans un solvant organique a été utilisé. Lorsque cela s’avérait nécessaire, le textile a été collé au plâtre avec un éther de cellulose (Culminal® 400 ou Klucel® E).
25Dans la mesure du possible, les grands comblements ont été réalisés à part, en plâtre (comblement détachable), puis collés après séchage au moyen de Paraloïd® B72. Pour les lacunes de plus petites dimensions, un matériau synthétique plus léger, adhérant bien à la surface du plâtre et réversible dans l’acétone après prise, composé de Plextol® B500, de microsphères de verre Scotchlite® K15 et de pulpe de cellulose Arbocel® BWW40, a été utilisé. Les retouches et les volumes des comblements anciens ont été repris et l’ensemble des comblements a été réintégré à l’aide de couleurs acryliques et aquarelles.
26Les verres de remplacement ont été taillés dans des verres contemporains et gravés de l’année de notre intervention. Leur couleur a été déterminée grâce aux verres encore en place, adjacents, ou placés en symétrie.
27Après intervention, les vitraux ont été disposés à plat, sur des plateaux rigides isolés par une surface neutre et non agressive en polyéthylène (Plastazote®), et protégés des poussières dans des tiroirs coulissants ou sous film transparent (de type Mylar®, Melinex®). Ces dispositifs permettent une manipulation par l’intermédiaire du support.
28Leur placement en position verticale a été possible grâce au soutien du revers de chaque panneau par une plaque transparente rigide en verre Securit ou verre synthétique Plexiglass® et en le retenant de tout basculement vers l’avant, soit par des pattes gainées placées en fonction des lignes de fracture, soit par un cadre d’entourage complet.
29L’observation et le traitement des panneaux ont permis de mieux comprendre l’état matériel de la collection et d’émettre une première série d’hypothèses quant à leur fabrication. Celles-ci ont été approfondies par des analyses menées au Centre de recherche et de restauration des musées de France, ainsi qu’au Laboratoire de recherche des monuments historiques à partir de prélèvements de plâtre, de textile et de fragments de verres colorés et incolores.
30Un prélèvement de textile a été effectué sur un fragment préalablement détaché provenant du vitrail OA 7466/34, afin d’identifier les fibres constitutives et l’armure employée. À cet effet, des observations macroscopiques et microscopiques ont été réalisées sur les fils et les fibres. Il en ressort que la toile présente quelques problèmes de conservation (fig. 6) : de l’empoussièrement principalement sur la face externe, ainsi que la présence de plusieurs lacunes et de la perte de matière. À l’échelle des fibres, l’examen microscopique dans les deux sens de tissage nous révèle la présence de fibres unitaires sous forme d’un ruban torsadé. Cet aspect est caractéristique des fibres de coton.
Fig. 6. Perte de matière et fils manquants (OA 7466/34)
Grossissement x50.
© LRMH/M. Dallel.
31Parallèlement, une analyse en spectroscopie infrarouge (IRTF) a été menée pour analyser un dépôt de matière constaté sur les bords supérieurs de la toile. Des bandes caractéristiques du gypse (CaSO4), de la calcite (CaCO3) et d’un liant sous forme d’acides gras ont été identifiées. Ces résultats confirment qu’il s’agit de résidus de plâtre utilisé pour la mise en œuvre du panneau de vitrail en question.
32En revanche, étant donné la nature des fibres, il est impossible de lier leur utilisation à une époque en particulier. Employées depuis des millénaires, ces fibres le sont encore aujourd’hui.
- 23 Signalons que d’un prélèvement à l’autre, les variations relatives des teneurs en aluminium, magnés (...)
33La matière initiale blanche coulée dans le moule en bois est un plâtre dont la microstructure en fines aiguilles est typique (fig. 7). L’observation de prélèvements infracentimétriques montre la présence de faibles quantités d’aluminosilicates (argiles ?, peut-être des fragments de serpentine ?), quelques grains riches de sulfates de strontium et quelques gros grains de carbonates de magnésium répartis de façon hétérogène dans la matrice gypseuse. Mais, comme le confirment les analyses par diffractométrie des rayons X d’une part et les analyses chimiques globales par EDS d’autre part, les sulfates de calcium (gypse et parfois bassanite), et, dans une bien moindre mesure, calcite et quartz, sont les éléments prépondérants. Les compositions chimiques globales sont largement dominées par le calcium et le soufre, les deux constituants majeurs du gypse (CaO+SO3 > 94 %), la silice n’excède pas 4 %, l’alumine 1 % et les autres éléments (Fe2O3+MgO+ K2O+ Na2O) représentent moins de 2 %, le magnésium étant souvent le plus abondant23. Il ne semble pas y avoir d’ajout volontaire d’une charge minérale. Pour avoir une caractérisation plus fine de la matière, il aurait fallu étudier les éventuels additifs organiques, ce qui n’a pas été possible à ce stade des investigations.
Fig. 7. Stuc de surface et microstructure en aiguilles caractéristique (OA 7466/2)
© C2RMF/C. Doublet.
- 24 Aksamija et al., 2019 et 2021.
34Les « plâtres » de fond, plus grisâtres, présentent les mêmes caractéristiques minéralogiques et chimiques. Toutefois, les inclusions semblent plus grossières, la porosité plus importante. Ce sont essentiellement les microstructures qui changent (fig. 8) : ce ne sont plus les fines aiguilles qui dominent comme pour le plâtre du claustra, mais bien les petites tablettes étroitement imbriquées. Il s’agit donc probablement d’une même matière première préparée moins soigneusement que pour le stuc du claustra. Les différences de microstructures nous laissent, en outre, penser que des additifs organiques spécifiques ont pu être employés pour l’un et l’autre matériau et leur conférer ainsi des propriétés (mécaniques ?) spécifiques. Ces éléments organiques devront être recherchés lors d’une seconde phase des investigations en mettant en œuvre les avancées méthodologiques développées par Amra Aksamija24.
Fig. 8. Stuc de fond et microstructure en tablettes (OA 7466/34)
Photographie en microscopie électronique à balayage.
© C2RMF/C. Doublet.
- 25 Trichereau, Loisel, 2022.
35Deux ensembles de verres ont fait l’objet de mesures et d’analyses chimiques quantitatives grâce à l’accélérateur Grand Louvre d’analyses élémentaires (NewAGLAE25). Ces deux ensembles proviennent des vitraux référencés OA 7466/7 et OA 7466/25. Six couleurs de verre ont pu être observées et analysées : jaune, vert, blanc (incolore), bleu, rouge et pourpre (fig. 9).
Fig. 9. Échantillons OA 7466/7 et OA 7466/25, lumière transmise, pièces de verre sélectionnées pour l’analyse par NewAGLAE, Paris, musée du Louvre, département des Arts de l’Islam
La technique du plaquage peut notamment être observée sur la partie haute du verre rouge, écaillée, qui laisse apparaître le verre blanc.
© LRMH/C. Loisel.
36Ces deux derniers échantillons présentent la particularité d’être des verres plaqués. Cette technique de fabrication, initialement spécifique pour obtenir des verres rouges transparents, consiste, lors du soufflage, à appliquer sur un verre incolore une couche de verre colorée26. La technique du plaquage est visible sur la tranche des verres ou lorsque des écailles sont présentes dans la couche colorée (fig. 9). Un pied à coulisse a permis de mesurer l’épaisseur des pièces de verre comprises entre 1,5 et 2,7 mm. Ces mesures permettent de confirmer la technique de fabrication par soufflage de tous ces verres, les épaisseurs variant et étant inférieures à 3 mm. L’analyse chimique quantitative des verres a été réalisée, grâce à NewAGLAE, sur la face colorée ou sur la tranche afin d’éviter tout brunissement sous l’effet du faisceau d’ion. Les techniques PIXE et PIGE ont pu être employées pour identifier tous les éléments chimiques présents dans les verres. Les zones sélectionnées ont une surface peu ou pas altérée et trois points de mesure consécutifs sont effectués afin de moyenner les résultats. La surface analysée est balayée par le faisceau sur une zone de 500 x 500 µm. Trois détecteurs hautes énergies sont employés simultanément avec des filtres aluminium de 50 µm pour les deux premiers et 100 µm pour le dernier, diminuant ainsi l’influence du plomb sur le spectre. Plusieurs matériaux de référence (Brill et NIST) sont également analysés pour calibrer les données PIGE et contrôler la justesse du traitement quantitatif des données PIXE. Les résultats sont donnés dans le tableau 1.
Tableau 1. Compositions chimiques quantitatives, en % de poids d’oxyde pour tous les éléments chimiques, obtenues sur les pièces de verre OA 7466/7 et OA 7466/25
N.D. = l’élément chimique n’est pas détecté (< limite de détection - LoD), < = l’élément chimique est détecté mais non quantifié (< 3,3 x LoD) ; * = l’élément chimique est quantifié dans deux mesures sur trois et seulement détecté dans la troisième.
© LRMH/B. Trichereau.
- 27 Douglass, Frank, 1972 ; Dungworth, 2012.
- 28 Bontemps, 1868.
- 29 Bontemps, 1868.
- 30 Bontemps, 1868, p. 71.
37Les neuf pièces de verre analysées présentent toutes une composition sodique, compatible avec la fabrication du verre plat au xixe siècle en Europe27. Par ailleurs, les éléments colorants tels que les oxydes de chrome pour la coloration verte ou d’étain pour la coloration rouge, ou encore la présence d’arsenic dans le verre blanc confirment la période de fabrication de ces verres au xixe siècle28. La présence d’étain dans les verres rouges permet en effet de maintenir le degré d’oxydation du cuivre pour obtenir la coloration rouge. De même, le plomb est très peu présent dans la composition de ces verres, sauf dans le verre pourpre. Sa présence pourrait être due à l’ajout de minium lors de la fabrication du verre afin de lui donner une teinte pourpre, rouge foncé29. Le verre blanc peut être obtenu de deux façons : soit par l’ajout d’arsenic (série OA 7466/7), soit par l’ajout de carbonate de potassium dans la composition du verre, ce qui pourrait expliquer les valeurs de potassium plus élevées dans les verres blancs de la série OA 7466/2530.
38À partir de ces résultats, il apparaît donc très probable que la fabrication des verres soit contemporaine de celle des claustras réalisés au xixe siècle à la demande du baron Delort de Gléon.
39Cette étude de la collection de vitraux de plâtre et de verre conservés au département des Arts de l’Islam a permis d’établir une datation probable des éléments qui la composent. En effet, bien que les divers vitraux ne présentent pas tous exactement les mêmes caractéristiques, il est désormais vraisemblable qu’ils aient été fabriqués dans la seconde moitié du xixe siècle pour répondre aux commandes passées par le baron Delort de Gléon, dans le but d’orner soit sa maison du Caire, soit son hôtel parisien. Si cette hypothèse semble la plus plausible au regard de l’histoire de l’ensemble ainsi que des résultats obtenus sur les verres colorés, il semble néanmoins difficile de dater précisément les éléments constitutifs du plâtre et du textile, ce qui n’écarte donc pas totalement la possibilité de restauration des structures. Par ailleurs, ces premières observations ont également apporté une meilleure connaissance des techniques de fabrication employées. Elles demandent désormais à être confrontées à d’autres analyses menées sur des collections similaires.